ISRAEL : Entrevue avec des membres de « anarchyin48 » 

Article paru dans la revue digitale The Commoner, traduction CNT-AIT (contact@cnt-ait.info)

https://www.thecommoner.org.uk/an-interview-with-anarchists-48-area

Rassemblement à Tel Aviv contre le massacre à Gaza, 15 avril 2023. Sur la banderole en russe : « эта война – преступление против человецви, cette guerre est un crime contre l’humanité »

Cet entretien a été réalisé avec plusieurs membres du groupe anarchiste israélien anarchyin48. Nous avons édité leurs réponses et, lorsque cela était possible, fusionné leurs réponses pour obtenir un aperçu général de la pluralité des parcours et des perspectives au sein de l’organisation. Le groupe tient également à souligner que leur nom pourrait n’être que temporaire.

Vous pouvez retrouver le groupe sur Instagram.

Parlez-nous un peu d’anarchyin48 et de la façon dont votre groupe a démarré.

Nous ne sommes toujours pas un groupe officiel. Pour l’instant, nous ne sommes que quelques anarchistes avec l’espoir et le rêve de créer quelque chose comme [le groupe communiste anarchiste] « Ahdut » qui existait en Israël/Palestine il y a quelques années. (cf. Position de l’organisation anarchiste Ahdut – AL Wihdeh (unité) sur la lutte palestinienne http://cnt-ait.info/2021/05/23/ahdut-fr/)

Un de nos camarades a créé cette page Instagram ainsi qu’une autre page de mèmes anarchistes. Ils ont commencé à mettre en ligne des photos d’eux provenant de manifestations brandissant des drapeaux ancom [anarcho-communistes, rouges et noirs] avec d’autres individus.

Nous participons également à d’autres groupes gauchistes comme Food Not Bombs (de la bouffe, pas des bombes), Standing Together (Debouts ensembles) et même au mouvement Fauda en Palestine.

Nous avons rencontré des amis, dont certains faisaient ou font déjà partie de mouvements radicaux, et nous avons décidé que les anarchistes d’Israël devaient s’unir et travailler ensemble. C’est pourquoi nous avons décidé de commencer à publier des contenus anarchistes dans les médias et de venir aux manifestations avec des drapeaux. Petit à petit, d’autres petits groupes de militants se forment.

En réponse à cette réponse, nous avons demandé au groupe ce qu’il pensait des appels au boycott du groupe « Standing Together » en tant qu’organisation qui promeut la « normalisation » d’Israël. Ce à quoi ils ont répondu :

C’est vraiment un problème que Standing Together n’ait pas de position claire sur le sionisme. Cela fait partie de leur volonté d’être une organisation populaire. Il est dommage que cela ait conduit à la « normalisation » du sionisme. Les gens à l’étranger ne savent pas qu’il existe aussi du post-sionisme et pas seulement du sionisme ou de l’antisionisme ; beaucoup dans la gauche israélienne sont des post-sionistes, ce qui signifie qu’ils veulent qu’Israël existe mais pas en tant qu’État juif. À mon avis, le post-sionisme essaie de manger le gâteau tout en le laissant intact, car pour être « un Israël différent », il ne peut pas être Israël, puisque l’essence d’Israël est le sionisme.

Comment décririez-vous l’origine ethnique et religieuse des personnes qui composent anarchyin48 ? Comment ces parcours influencent-ils votre militantisme ?

Nous sommes pour la plupart athées ; nous avons des Mizrahis et des Ashkénazes. Beaucoup d’entre nous sont des Juifs originaires de pays post-URSS et connaissent donc le communisme et l’anarchisme. Nous avons également des camarades palestiniens qui s’opposent au sionisme et à l’autoritarisme et pensent que cette région doit avoir quelque chose de nouveau qui ne soit ni fondamentaliste ni étatiste.

[Un membre parle personnellement] :

J’ai grandi dans un foyer juif religieux et après un certain temps, j’ai quitté la religion. J’ai grandi dans un environnement religieux conservateur et fasciste, ce qui m’a influencé et façonné mes opinions, qui sont totalement opposées à cette voie.

Des membres des anarchistes de la zone 48 brandissent des drapeaux anarcho-communistes lors d’un rassemblement protestant contre le génocide israélien à Gaza.

À quoi ressemble l’organisation au quotidien ? Quelles sont vos priorités ?

Pour l’instant, nous allons simplement aux manifestations contre le génocide à Gaza, agitons ensemble des drapeaux anarchistes et nous nous prenons en photo en floutant nos visages. Mais nous avons des projets pour quand nous aurons plus de monde, comme former notre propre bloc lors des manifestations et communiquer avec davantage d’anarchistes et de gauchistes anti-autoritaires dans le pays.

Pour l’instant, l’idée est de réussir à toucher le plus grand nombre d’organisations/individus possible et de coopérer avec eux, de les inviter à des manifestations contre l’occupation et la guerre, et ainsi d’établir des contacts avec eux et d’organiser des actions. Nous travaillons également sur une chaîne Telegram appelée mash’hirot à travers laquelle nous distribuons du contenu radical et exposons le public à des opinions anarchistes.

Quel est le paysage des groupes anarchistes autour d’Israël ? Êtes-vous en réseau avec des groupes anarchistes comme Radical Haifa ?

Nous ne sommes pas liés à Radical Haifa, mais l’un de nous connaît le fondateur qui déclare que le groupe n’est plus actif (bien qu’il fasse toujours ce qu’il peut en tant qu’individu). Pour l’instant, nous nous contentons d’apporter des drapeaux et nous venons aux manifestations organisées par le bloc radical « Regarder l’occupation dans les yeux » et « Debout ensemble » (Standing Together). Nous sommes également en contact avec le groupe Kompas.

La plupart des anarchistes ici ne sont malheureusement pas des militants car ils sont très fatigués et déprimés et ont généralement leurs propres problèmes personnels, mais il y a encore ici quelques militants anarchistes parmi la gauche radicale, qui est également très dispersée et rare. Je dirais que 1 % des Israéliens ne sont pas sionistes, ce qui est très mauvais, même si nous avons nos propres organisations comme le Parti communiste et certaines ONG comme Zochrot. Il y a aussi la scène punk locale, affiliée à l’anarchisme et à l’antifascisme.

Êtes-vous en contact avec des groupes palestiniens, anarchistes ou autres ?

Oui, nous avons de nombreux camarades et amis palestiniens. Certains d’entre nous sont même membres d’organisations palestiniennes qui acceptent les Juifs antisionistes, comme Fauda. [Fauda est] le mouvement anarchiste en Palestine, qui est plus insurrectionnel que communiste.

Nous établissons des liens avec d’autres organisations et groupes. Pour le moment, en raison de la situation, il n’y a pas beaucoup d’activité anarchiste en Israël, et particulièrement pas parmi les Palestiniens. L’État les réduit au silence et les persécute. C’est pourquoi ils ne sont pas aussi actifs de nos jours. Avec ceux avec qui nous établissons des liens, nous essayons de tous les unir.

Comment le 7 octobre a-t-il affecté les conversations qui ont lieu dans les cercles radicaux en Israël ? Cela a-t-il renforcé ou affaibli le mouvement ?

L’attaque du Hamas a rendu la situation encore plus horrible. L’opinion politique générale du pays s’est beaucoup déplacée vers la droite, ce qui a brisé la « résistance » qui existait ici contre le gouvernement. (Il s’agissait pour la plupart de libéraux, donc je ne sais pas si ça compte vraiment). Pourtant, les véritables anarchistes sont toujours, comme toujours, antisionistes et anti-guerre.

Le soulèvement de Gaza aurait pu être si bénéfique s’il n’impliquait pas de tels crimes de guerre. Aujourd’hui, il est plus difficile que jamais de convaincre les Israéliens de cesser de croire au sionisme. Nous avons perdu des personnes qui sont mortes dans cette attaque, et nous avons également perdu des personnes sur le plan idéologique. Autrefois, ils avaient tous un esprit si radical et révolutionnaire, et maintenant beaucoup sont devenus comme les sionistes de droite moyens. Bien sûr, nous qui n’avons pas changé d’avis, imputons tout à l’entité israélienne et avons décidé que nous, en tant qu’anarchistes, devrions être unis aujourd’hui plus que jamais.

C’est difficile pour quiconque ne soutient pas la guerre, mais pour nous, ce n’était que le début. Face à cette situation, nous avons décidé qu’il était temps d’agir et de nous unir. Nous avons donc commencé à initier des réunions et des actions, et c’est ainsi que le groupe a démarré.

Graffiti trouvé à Tel Aviv : « Coupe de cheveux pour le gouvernement » avec le dessin d’une guillotine et un symbole anarchiste « A ».

Selon vous, dans quelle mesure les sentiments non sionistes ou antisionistes sont-ils répandus en Israël, et comment ces opinions sont-elles réprimées par le gouvernement ?

L’antisionisme est vraiment très impopulaire. Nous sommes littéralement la minorité des minorités. Nous sommes à peine un millier de personnes, et nous sommes aussi très, très faibles. Le régime sioniste est tellement dictatorial qu’il nous sanctionne toujours. Je ne pense pas que dans les prochaines années la police israélienne tolérera une quelconque manifestation explicitement antisioniste. Les personnes qui s’expriment publiquement contre le sionisme rencontrent des difficultés lorsqu’elles tentent de trouver un emploi.

Le gouvernement poursuit les comptes Facebook ou Instagram et licencie même les Palestiniens qui expriment leur tristesse face aux massacres à Gaza. Bien sûr, ils tentent également de réduire au silence et de déformer les Juifs antisionistes. C’est devenu une opinion illégitime pour la plupart des Israéliens.

Que pensez-vous de ceux qui, comme Tal Mitnick, refusent de combattre dans les Forces de défense israéliennes ? (cf. Israël : Deuxième peine de prison pour l’objecteur de conscience Tal Mitnick http://cnt-ait.info/2024/02/16/tal-mitnick/)

Nous avons beaucoup de respect pour lui et pour les autres refuseniks.

Certains de nos membres peuvent être en désaccord avec leurs tendances pacifistes, mais ils les respectent néanmoins vraiment, surtout ces jours-ci parce que le consensus ici est de « défendre la patrie ». Ceux qui refusent ont au moins une conscience, alors que la plupart des Israéliens soutiennent un génocide.

Comment espérez-vous voir le conflit se résoudre, à court et à long terme ?

Les membres ont des opinions différentes. Certains croient en un cessez-le-feu à court terme et en une révolution anarchiste commune à long terme en Israël, en Cisjordanie et à Gaza. L’un d’eux a souligné qu’ils pensent que nous devons former une milice populaire commune pour les deux peuples afin de les protéger des sionistes et du Hamas au lieu d’un bain de sang continu.

En tant qu’anarchistes, quelle est votre vision de l’avenir de la région, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens ?

Nous souhaitons un espace multiculturel et décentralisé en Palestine comme il en existe au Rojava (Kurdistan syrien/Nord-Est de la Syrie).

Nous voulons que les Arabes et les Juifs vivent ici ensemble dans la solidarité, mais comme les Palestiniens vivent sous un régime oppressif qui leur prend tout et les expulse, la lutte devient plus complexe.

Certains membres pourraient dire que nous devons permettre aux Palestiniens de créer leur propre État ou de vivre dans un État binational. C’est complexe, car en tant qu’anarchistes, notre vision globale est celle d’une société partagée basée sur la solidarité qui existe sans avoir besoin de gouvernement. Mais à l’heure actuelle, le régime israélien commet tellement d’injustices et de meurtres que nous n’avons d’autre choix que de coopérer à la lutte palestinienne telle qu’elle existe et d’espérer créer plus tard davantage de mouvements anarchistes judéo-arabes.

Comment les anarchistes à l’étranger peuvent-ils soutenir vos objectifs et ceux qui souffrent à Gaza et en Cisjordanie ? Selon vous, y a-t-il des organisations auxquelles les gens devraient donner des fonds ?

Les anarchistes du monde entier peuvent nous aider en diffusant nos messages et les luttes auxquelles nous participons. Partagez sur les manifestations anti-guerre en Israël (en particulier organisées par le Bloc Radical) et suivez notre compte, aimez nos publications et partagez-les. Les manifestations contre la guerre en Israël sont à peine connues au niveau international, alors que personne ne connaît littéralement l’existence d’anarchistes ici.

Il est vraiment important pour nous que les gens à l’étranger voient notre lutte contre le colonialisme, tout comme il y avait des Africains du Sud blancs qui se sont opposés à l’apartheid même s’ils étaient des colons. Il y a beaucoup de gauchistes américains blancs qui s’opposent au colonialisme – alors qu’ils sont de véritables colons, tout comme nous – mais beaucoup de ces gauchistes américains nous détestent vraiment parce que certains d’entre nous sont israéliens ! Nous ne les comprenons tout simplement pas, car il n’y a aucune différence entre [des colons ici et aux États-Unis].

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