Révolte populaire et référendum constitutif au Chili – Analyse de la situation d’octobre 2019 à octobre 2020

Brochure de l’Assemblée anarchiste de Bío-Bío[1], 23 Octobre 2020

Révolte et crise politique

Depuis la révolte populaire qui a débuté en octobre 2019 et la répression qui a suivi, la région chilienne a connu des temps troublés. Bien que l’arrivée du coronavirus[2] ait partiellement changé l’agenda, la fissure qu’a ouvert la plus grande révolte depuis la fin de la dictature de Pinochet (septembre 1973-mars 1990) définit la politique du moment à partir du processus de changement de Constitution et la politisation massive qu’elle a engendrée.

La grande variété des revendications sociales déployées pendant la révolte s’est condensée dans le changement de la Constitution actuelle en raison de sa nature néolibérale, qui a privatisé les services publics et commercialisé les droits sociaux. Cette Constitution imposée en 1980 par la dictature militaire de Pinochet transcende les militaires et répond à un projet historique des secteurs néolibéraux qui, même après le départ du dictateur, ont continué de défendre la Constitution et ce modèle à travers les partis de la droite politique. Ce secteur utilise l’esprit et la structure de la Constitution qui lui permet de maintenir le statu quo même avec une minorité parlementaire. L’esprit de la Constitution considère que les projets de loi qui visent à modifier des aspects fondamentaux de la Constitution exigent un quorum élevé pour leur approbation, ce qui fait que la droite, même si elle est minoritaire, a toujours pu opposer son veto à toutes les réformes. Il convient de mentionner la complicité des gouvernements du centre-gauche regroupés dans la coalition Concertación[3] pour garder la Constitution et le modèle intacts, car pendant leur mandat présidentiel post-dictature[4], les aspects centraux du système n’ont pas été modifiés et ils ont formé un duopole avec la droite qui a alterné au pouvoir.

Dans ce scénario, la révolte oblige paradoxalement à ce que cette Constitution de droite soit mise à l’épreuve par un référendum organisé par un gouvernement de droite qui, cependant, se donne ainsi la possibilité d’approuver une nouvelle Constitution pour se maintenir à flot et tient les cartes en main pour définir le processus constitutif.

La révolte montre les fissures et l’échec du néolibéralisme chilien, ravivant les blessures du passé alors que les manifestations qui ont commencé à exiger des droits humains commercialisés se sont terminées par des violations des droits humains primaires, avec des dizaines de morts, des milliers de personnes blessées et des cas de torture entre les mains de la police et des militaire. La violence de rue généralisée a été approuvée et soutenue comme rarement par de larges couches de la population, en plus des violents affrontements avec la police, des attaques contre des bâtiments de l’État, des sièges de partis politiques et des banques, des pillages de supermarchés et de magasins, mais aussi des attaques contre des symboles de l’ordre tels que les églises et les statues des conquistadores espagnols, ce qui illustre la profondeur de la crise sociale et politique.

Bien que la révolte ait débuté par des manifestations début octobre 2019 contre la hausse du prix des transports à Santiago et « l’évasion des paiements » dans le métro par les étudiants du secondaire[5], le mépris s’est rapidement répandu et la contestation contre la répression qui s’abattait dans les stations de métro s’est étendue. Le 18 octobre, la manifestation déborde dans les rues de la capitale, non seulement à cause du prix du métro mais aussi à cause du coût de la vie élevé, et elle s’étend à la demande d’améliorations sociales de toutes sortes, véritable onde de pression des problèmes sociaux accumulés depuis des décennies. En quelques jours, un problème économique contingent comme une hausse des prix déclenchera la plus grande crise politique depuis le départ de Pinochet.

Le 19 octobre, la révolte s’est répandue dans toute la région chilienne et le mécontentement envers le gouvernement s’est accru après que le président en titre Piñera ait déclaré que «nous sommes en guerre». Dans les rues, la manifestation critiquait non seulement le coût de la vie et remettait en question les inégalités sociales, mais exigeait également une nouvelle Constitution, car elle identifiait l’actuelle comme la base légale du néolibéralisme.

La révolte est présentée comme un point de fuite d’une grande énergie accumulée par des décennies d’une sensation d’injustice structurelle ajoutée à un profond discrédit des institutions du pouvoir qui n’ont pas su contenir le mécontentement : depuis l’Église catholique engluées dans les cas d’abus sexuels sur mineurs; jusqu’à la classe politique qui a été configurée comme une caste privilégiée et ses cas de corruption dus au financement irrégulier des entreprises en échange de lois en leur faveur ; en passant par pouvoir judiciaire qui ne poursuit pas la corruption des politiques et qui se contente de condamner à des «classes de morales » les délinquants fiscaux et les ententes sur les prix des grandes entreprises, en plus de l’impunité dans les cas de féminicide et de violence patriarcale. Ceci s’ajoute aux grands scandales de corruption et aux détournements de fonds publics ces dernières années par les carabiniers (la police) et les forces armées, qui augmentent le malaise accumulé par le profit au détriment des droits sociaux tels que l’éducation, la santé. Enfin pour parachever, le drame des petites retraites, produit du modèle de sécurité sociale privatisé imposé par la dictature.

A ce manque de droits sociaux s’ajoute le fort endettement des ménages, situations qui ont peu à peu remis en cause le «succès» du modèle chilien pourtant rompu par l’élite. Dans ce panorama revendiquant pêle-mêle des droits sociaux, le départ de Piñera et une nouvelle Constitution, la révolte a connu un moment clé avec l’annonce par la classe politique d’ouvrir un processus de changement constitutionnel. Cependant, l’absence d’agenda social immédiat a entretenu le mécontentement et a augmenté le contraste entre un système bureaucratique sclérosé et la demande de changements rapides comme l’exige notre époque numérique vertigineuse, où les manifestations sont convoquées en ligne et les injustices « viralisées » par les réseaux sociaux, contestant l’hégémonie de la presse officielle.

Alors que l’autonomisation et la capacitation des personnes augmente, la crise de la démocratie représentative s’aggrave, comme on peut le voir dans les manifestations de masse où aucun drapeau de parti politique n’est vu, mais où fleurissent des drapeaux chiliens modifiés en drapeaux noirs et des drapeaux mapuche[6]. La révolte s’est présentée sans avant-gardes ni partis qui peuvent canaliser la mobilisation de rue, qui fixe l’agenda politique et qui devient un espace de pouvoir.

Nous sommes heureux de l’éveil de nos territoires et de la remise en cause du système patriarcal, néolibéral et extractiviste minier actuel. Alors que les élites ont peur parce qu’elles « n’ont pas vu venir » ce qu’elles appellent « l’explosion sociale », dans les rues se tissait un réseau souterrain de luttes depuis des années qui ont vécu à ce moment un moment crucial. Ce sont des moments d’ouverture et de politisation dans le berceau du néolibéralisme, où l’on passe de la remise en cause de la commercialisation des droits sociaux à la critique du modèle dans son ensemble.

L’«explosion» qu’ils n’ont pas vu venir provient d’un lent processus d’apprentissage et de luttes qui ont commencé avant même le retour à la démocratie et la fin de la dictature, une lutte pour laquelle nous nous sommes soulevés en tant que pobladores[7], étudiants, travailleurs, enfants., et qui bien qu’elle ait engendré le départ de Pinochet, a été étouffée par le pacte social créé par les partis politiques qui ont maintenu et perfectionné pendant 30 ans le modèle imposé par la dictature. Cependant, dans les luttes des années 90, une nouvelle forme de relations et d’action politique a commencé à être embryonnaire, qui a peu à peu remis en question les structures verticales des organisations sociales traditionnelles. Des collectifs et des groupes anti-autoritaires et anarchistes ont germé qui, à partir de diverses expériences de lutte, ont interagi avec des personnes et des groupes qui, de la dérive théorique laissée par la chute de l’Union soviétique et la fin des « socialismes réels », se rapprochaient des idées anarchistes.

Malgré la dispersion et les erreurs du passé récent, en tant qu’anarchistes, nous avons essayé de faire partie de cette lente articulation du tissu social au niveau local pendant les années 90 grises, des grèves des mines de charbon de 96 à la revitalisation du mouvement étudiant et des luttes territoriales actuelles. C’est à partir de ces expériences que l’on voit le changement, non seulement générationnel mais aussi de paradigmes et de formes de lutte, qui tire sa force des luttes étudiantes de la «révolution des pingouins» de 2006 et qui se massifie avec les mobilisations de 2011, où s’installe au niveau social la critique du profit dans l’éducation, amorçant la remise en question des conséquences de la commercialisation des droits sociaux.

L’évolution du cycle des protestations depuis 2006, jusqu’en 2011 et qui se cristallise en 2019, montre le passage de la demande de gratuité et de la fin du profit sur le dos des droits sociaux, à l’évasion autonomisée et à la destruction des symboles du Capital. Pour cette raison, l’expression «le Chili s’est réveillé» se généralise, qui marque la transition entre « demander » et « prendre ».

Dans une société de consommation, il est important pour la communauté de remettre en question la dette et la commercialisation des droits sociaux, car ce faisant, elle met l’accent sur le marché comme axe articulant et intégrant des relations sociales. Mais le marché ne peut pas réguler la société en restreignant ses propres mécanismes tels que la dette ou la marchandisation. Pour cela, en remettant en question les règles même du marché, se pose le débat sur le pacte social dans son ensemble et la révolte disruptive se déchaîne.

Le néolibéralisme a privatisé le pouvoir dans l’économie et la politique a dérivé en une technocratie réduite à l’administration des charges mais sans pouvoir réel. Pour cette raison, le processus constituant peut signifier la reconquête par la politique de cet espace de pouvoir détourné par le marché. Dans ce scénario de décomposition de la politique traditionnelle, le peuple s’est réveillé, mais il ne montre toujours pas assez de capacité pour prendre le rôle principal et se confronter avec la classe politique en refusant qu’elle se refasse une virginité grâce au processus constitutionnel. La révolte a politisé l’opinion publique et la rue, mais avec une faible participation et identification dans les partis politiques. C’est pourquoi le processus constituant est un jeu face à la crise politique et de légitimité des partis, qui en profitent pour se recomposer se défendre corporativement, encadrer le mécontentement par les canaux institutionnels et maintenir leur gouvernance mise à l’épreuve par la révolte.

Révolte culturelle

La révolte marque un tournant, un moment de refondation, non seulement politique mais culturel, avec de nouvelles subjectivités et formes de conscience politique qui redécouvrent collectivement l’efficacité de la mobilisation de rue et sort l’action politique des canaux traditionnels de la démocratie représentative.

Ce sont des temps de critiques anti-patriarcales puissantes grâce au féminisme, à une approche des dynamiques de défense de l’environnement et à une horizontalisation croissante des organisations sociales. Il existe un processus ouvert d’autonomisation sociale et individuelle qui remet en question les mécanismes traditionnels de représentation et qui critique les autorités traditionnelles tant dans l’État que dans les relations sociales. Sur le plan social, ce processus s’est manifesté par l’appel spontané à des assemblées de quartier dans le feu de la contestation, phénomène sans précédent depuis des décennies marquées par l’individualisme et la compétition comme effets de la culture néolibérale. Dans ces assemblées, actives même pendant la pandémie dans de nombreuses villes et quartiers du pays, la population a délibéré sur ses problèmes et sa réalité sociale, commençant à ouvrir un chemin fertile pour l’organisation populaire.

Dans le même ordre d’idées, mais au niveau de l’État, à partir de la remise en cause d’un présidentialisme exacerbé et d’un parlement étranger aux réalités locales, se produisit le phénomène de la municipalisation de la politique, institution que la population identifie comme structure plus proche d’elle. Pour cette raison, le haut niveau de notoriété que les maires de gauche et de droite ont acquis dans la politique actuelle, où ils se positionnent même comme les candidats à la présidentielle, recueillant les plus grandes intentions de vote. Tant la prolifération des assemblées de quartier que la municipalisation de la politique traditionnelle sont des exemples de l’esprit du temps, qui se tourne vers la proximité, vers le local, vers les bases où se reconstitue une communauté dévastée par la médiation étatique, le centralisme et individualisme néolibéral.

Ce processus culturel de transformation des formes de représentation politique intervient dans une société numérique et immédiatiste qui délibère quotidiennement sur les réseaux sociaux, en tension avec l’ancienne structure de la démocratie représentative et de la bureaucratie d’État.

Le processus constituant

Face au soulèvement massif et aux troubles qui ont dépassé la police dans plusieurs villes, Piñera a décrété un état d’urgence prévoyant des mesures qui n’avaient pas été appliquées depuis la dictature, comme l’envoi des militaires pour réprimer les manifestations et pour patrouiller dans les rues, en plus du couvre-feu. L’Etat d’urgence a duré du 19 au 28 octobre 2019, avec un bilan de 20 morts et plus de 1200 blessés.

L’ampleur de la révolte a suscité des réponses politiques de l’appareil d’État, dont la première a eu lieu le 7 novembre, lorsque l’Association chilienne des municipalités a annoncé son projet de tenir une consultation nationale le 7 décembre 2019 sur la nécessité ou non d’adopter une nouvelle. Constitution, en plus de poser des questions sur les questions sociales telles que les retraites, la santé, les inégalités, les salaires, entre autres. La réponse du gouvernement intervint le 10 novembre à travers une proposition de tenir un Congrès Constituant, qui consisterait à charger le Parlement de rédiger une nouvelle Constitution. Bien que ces propositions n’indiquaient pas d’espaces pour la participation des citoyens à la rédaction de la constitution, l’environnement politique était déjà ouvert à un changement constitutionnel. En parallèle, les rues s’enflammèrent lors de la grève générale historique du 12 novembre.

Avec la révolte déployée dans tout le pays et le tollé suscité par la répression sévère et les violations des droits de l’homme, les partis politiques disposant d’une représentation parlementaire signèrent l’Accord pour la Paix et la Nouvelle Constitution, après quelques heures de négociations entre le 14 novembre et le début de matinée du 15. Comme son nom l’indique, l’accord est présenté comme un effort pour «garantir la paix» et l’ordre public à travers une ouverture du système politique pour initier un processus constituant. Le processus commencerait par un référendum introductif avec vote volontaire[8], qui consulterait sur la nouvelle Constitution (approbation ou rejet) et sur le type d’organe qui devrait la rédiger. Une option serait la « constituante mixte » de 172 personnes, dont la moitié serait élue par les citoyens et l’autre moitié par le parlement parmi ses membres. L’autre option serait la « convention constitutive » où 155 personnes seraient élues uniquement par les citoyens. Ce dernier point a été la clé qui a marqué une étape importante dans l’accord, car il a été promu comme la possibilité concrète de faire participer les citoyens au processus.

Cependant, des questions immédiates se sont posées concernant les mécanismes du processus car à l’origine, il n’envisageait pas une répartition paritaire entre les hommes et les femmes pour l’organe de rédaction de la nouvelle constitution, un aspect qui a ensuite été inclus après son approbation en tant que loi au Parlement; Cependant, il a été convenu que ladite répartition paritaire ne concernerait que les postes élus par vote populaire. Si l’option retenue était la convention constituante elle serait partiaire, mais si c’était la convention mixte qui l’emportait, elle ne le serait pas, car seule la moitié de ses membres serait alors élue par vote populaire, l’autre moitié étant définie par le parlement où il peut n’y avoir aucune parité. En outre, l’accord ne prévoyait pas de sièges réservés aux peuples autochtones, aux représentants du monde social, ni la possibilité de voter pour les élèves du secondaire au motif qu’ils ont moins de 18 ans, alors qu’ils ont pourtant déclenché la révolte. D’autre part, l’accord stipule que la nouvelle Constitution doit respecter les accords internationaux signés par le Chili, une question qui signifie non seulement la protection des capitaux étrangers, mais également l’existence de sujets interdits à traiter dans une instance théoriquement souveraine et délibérative.

Initialement prévu pour avril 2020, la pandémie de coronavirus a contraint le référendum à être reporté au 25 octobre. La militarisation des rues, à la suite de la réaction à la révolte et réaffirmée ensuite pendant la pandémie, sera la toile de fond du référendum dans un pays avec un couvre-feu strict, comme peu de pays dans le monde en ont connu.

Après le vote, si l’option «approbation» l’emporte, le groupe des électeurs aura 9 mois pour rédiger la Constitution, période qui peut être prolongée de 3 mois. Le processus électoral, à la fois dans l’option mixte et dans l’option constituante, se déroulera selon le même système électoral des circonscriptions utilisées pour élire le parlement, avec un vote prévu le 11 avril 2021. Une fois terminés les travaux du groupe des mandants, le texte de la nouvelle Constitution qui en résultera sera soumis à un référendum de ratification, avec un vote cette fois obligatoire.

Après l’annonce de l’Accord de Paix et de la Nouvelle Constitution, un large débat s’est ouvert sur le sens de la souveraineté constituante qui réside théoriquement dans le peuple et comment cet accord entre les partis a montré la dislocation entre la classe politique et les citoyens. La négociation qui a abouti à l’accord s’apparentait plus à une réunion privée entre chefs de partis, dans une atmosphère d’émission de télé-réalité jusqu’à 3 heures du matin, se terminant par l’affichage théâtral de ses protagonistes partageant une grande table devant la presse. L’absence de Piñera à ladite réunion finale expliquait le recul du gouvernement face au rejet général de sa direction par la population ; elle montrait également comment la classe politique cherchait à combler le vide à travers le parlement, et comment elle cherchait à contester à l’Association des municipalités le rôle de chef de file dans la recherche de solutions à la crise. En ce qui concerne les partis politiques qui ont signé l’accord, en plus des secteurs du duopole historique de la transition que forment la droite et la coalition de centre chrétien–gauche Concertación, la participation de la nouvelle gauche du Frente Amplio (NdT : l’équivalent de la France insoumise) a donné un air de validation général à l’accord, puisqu’il a rassemblé les positions de l’ensemble arc-en-ciel politique. Cependant, en raison de leur origine fermée et hermétique, certains partis, comme le Parti communiste, n’ont pas signé l’accord et d’autres ont rompu avec le conglomérat du Frente Amplio.

Malgré la méfiance initiale que l’accord suscitait dans diverses couches de la population, il fut assumé par de larges secteurs comme un triomphe de la rue, une étape inévitable et minimale devant la puissance de la révolte. Dans le même temps, dans le feu des assemblées de quartier, on débattait des possibilités qui s’ouvraient face à la capacité de la population mobilisée à installer des revendications et comment l’accord signé par les partis politiques signifiait une manœuvre du pouvoir pour amener la révolte sur leur terrain et ainsi les sortir du bourbier. Les discussions sur l’accord envahirent les ordres du jour des assemblées de quartier et malgré les réticences, les assemblées territoriales et les organisations sociales se sont rapidement inclinées en faveur de l’«approbation», qui constituait un acte symbolique clôturant le cycle de la transition post-dictature et marque un jalon dans la « dépinochetisation » du Chili.

Différents sondages prévoient pour le référendum du 25 octobre une large victoire d’environ 70% pour l’option «approuver», en plus d’une participation massive qui devrait dépasser celle des élections habituelles où seulement la moitié ou moins des électeurs se mobilisent. [NdT : En fait sur les près de 15 millions d’inscrits, à peine la moitié – 50,91% – se sont déplacés aux urnes, 78,28% ont approuvé un changement de constitution et 79% se sont prononcés pour une constituante élue contre 21% pour une constituante mixte.]

Alors qu’en tant qu’anarchistes nous remettons en question l’origine de l’accord et la possibilité que le processus constituant signifie une cooptation de la révolte à travers les canaux politiques traditionnels, nous devons essayer d’expliquer la nature de l’enthousiasme populaire pour le référendum , qui sur un plan symbolique fonctionne comme une étape distincte du reste du processus constituant. Cela est dû au fait qu’en plus de la possibilité mentionnée ci-dessus de se débarrasser de l’héritage de la dictature inscrit dans la Constitution actuelle, le référendum d’octobre a le caractère d’une consultation contraignante [pour le Pouvoir] qui n’est pas habituelle dans l’étroitesse de la démocratie représentative chilienne, où la capacité de délibération [politique] est exclusivement confiée à la classe politique et sans mécanisme de rétroaction [populaire]. De plus, le référendum a la particularité de consulter le peuple sur les questions constitutionnelles, une situation sans précédent au Chili où toutes les constitutions ont été rédigées par l’élite sans participation citoyenne ni ratification par des consultations référendums. D’autre part, le référendum ne bénéficie pas de la participation de la classe politique contestée car ce ne sera pas une élection pour choisir des candidats à des fonctions politiques, ce qui conduit de nombreuses personnes à se mobiliser pour aller voter, y compris pour la première fois ou après de nombreuses années d’abstention.[9]

Le cycle électoral

Ces caractéristiques conduisent le référendum à un plan symbolique qui fonctionne comme un jalon en soi et le sépare du reste du processus constituant, non pas au niveau opérationnel et politique, mais au niveau des subjectivités. La nature binaire du référendum et son «approbation ou rejet» permet de prendre le parti plus facilement que lors de l’élection de l’organe constituant en avril 2021, où les partis politiques sont assurés de participer, que la constituante soit élue ou mixte. Cette élection de 2021 sera quadruple, car non seulement seront choisis ceux qui composent l’organe constituant, mais aussi les maires, les conseils et les gouvernements régionaux, une question qui ajoutera de la confusion et de la complexité aux candidatures par listes que constitueront les partis. Ce qui, ajouté à la compétition électorale avec ses personnages contestés, peut faire baisser les attentes des citoyens, augmenter la désillusion face au processus et diminuer le nombre d’électeurs par rapport au référendum. En ce qui concerne sa forme, l’élection d’avril 2021 se déroulera avec le même système électoral par circonscriptions que celui utilisé pour élire le parlement, ce qui représente un avantage pour les listes de candidats de partis politiques par rapport aux candidats indépendant sans partis. Dans la pratique, les listes les plus compétitives seront celles constituées par les partis, tandis que les candidatures de citoyens et d’organisations sociales seront obligées de rivaliser avec les partis et leurs structures internes solides et leur financement suffisant. Cette situation obligera les organisations sociales à chercher à intégrer les listes de partis et à se soumettre à leur programme, ou elle les forcera à créer des partis politiques pour essayer de les concurrencer sur un pied d’égalité.

Le cycle électoral qui s’ouvrira après le référendum pour les élections d’avril reprendra l’agenda et réaffirmera la dynamique de la démocratie représentative, mise en tension par la révolte dans son ensemble au-delà de tel ou tel parti. La classe politique cherche à recomposer son image remise en cause, portant ses accusations de l’intérieur même de l’institution, renouvelant le système politique et contestant la municipalisation de la politique en faisant prévaloir le processus ouvert par l’Accord de paix au détriment du référendum mené par l’Association des municipalités.

Dans un cadre plus large, l’Accord de paix fait partie d’une réponse étatique à la révolte. Le pouvoir exécutif était en charge de la répression, le pouvoir judiciaire en charge de l’emprisonnement de milliers de manifestants et le pouvoir législatif a promulgué des lois anti-barricade et anti-pillage. En parallèle et de manière transversale, la classe politique installe l’Accord pour la paix comme une administration juridique de la révolte, puisque il commence dans ses premiers articles par une sorte de troc : la paix sociale en échange de l’ouverture démocratique. Cependant, la violence de rue n’est pas quelque chose que les partis politiques signataires de l’accord peuvent gérer ou contenir, ces parties sont obsolètes dans leur rôle de médiateurs entre les citoyens et l’État, comme en témoigne la persistance des manifestations de rue et des affrontements avec les policier. Dans ce sens, l’accord tente de fixer les limites d’une protestation valable et acceptable, alignant les partis signataires dans la condamnation transversale de la violence de rue, favorisant la séparation entre les bons et les mauvais manifestants, les violents et les pacifiques. Les conséquences répressives de l’accord face à la poursuite de la révolte, nous rappellent le processus de «pacification» de la contestation après le référendum de 1988 qui a marqué le départ de Pinochet, processus marqué par l’isolement, la prison et la mort pour ceux qui ont continué la lutte malgré l’arrivée de la démocratie.

Le processus constitutif se développera au sein d’une société de plus en plus politisée, avec une vague de protestations perturbatrices, la rue mettant en tension le système politique. Les scénarios possibles incluent la rédaction d’une nouvelle Constitution, mais aussi la possibilité que la Constitution actuelle reste toujours en vigueur dans l’hypothèse d’un «rejet» du projet qui sera soumis au référendum de ratification de 2021, ou encore l’échec du processus en raison de ruptures internes de la politique traditionnelle. Dans tous les scénarios, l’absence d’un agenda social qui ne s’attaque pas aux problèmes immédiats alimentera le mécontentement et prolongera la crise.

La situation actuelle définira la vie sociale et politique des prochaines décennies au Chili, c’est pourquoi il faut prêter attention aux jeux de pouvoir à travers le processus constituant, qui cherche à traduire la révolte dans son langage [politique], de la même façon qu’i a fait rentrer les mobilisations de 2011 dans le processus parlementaire. L’objectif du processus constituant n’est pas seulement d’élaborer une nouvelle Magna Carta, mais de restaurer la relation de la classe politique avec les citoyens, donc son objectif à court terme est de valider le processus même par lequel cette nouvelle Constitution est écrite, puis acquiert une légitimité et enfin se doté d’un sens et d’une appartenance pour les citoyens.

Le processus de rédaction de la nouvelle Constitution sera de nouveau la priorité de l’agenda [politique] et mettra à l’épreuve la mobilisation sociale dans sa capacité à définir [de manière autonome] son contenu et sa validation. S’il est vrai que la révolte a politiquement activé de nombreuses personnes, le tissu social commence à peine à articuler, par conséquent, la diminution de l’intensité des mobilisations à la suite de la pandémie, ajoutée à la propagande de division de la classe politique qui condamne les manifestations accusées de «salir» le processus constitutif seront un défi pour maintenir la masse dans les rues et pour que la mobilisation parvienne à obtenir des solutions concrètes aux revendications sociales.

Projections de la crise

Historiquement, les crises politiques au Chili se terminent soit par la fin anticipée du gouvernement, soit par le départ du président ou soit par une intervention militaire. Pour cette raison, la continuité de Piñera jusqu’à la fin de son mandat présidentiel est un indicateur du succès de l’endiguement du pouvoir face au débordement de révolte. Au-delà de Piñera, le système politique chilien est profondément présidentiel, c’est pourquoi la classe politique protège le président avec l’imposition du processus constituant, non pas pour sauver Piñera en tant que personne ou homme politique en lui-même, mais pour sauver l’institution que la présidence incarne comme chef de l’Etat. Le départ prématuré de Piñera signifierait une panne institutionnelle qui entraînerait toute la classe politique. C’est pourquoi l’ensemble des partis politiques, de la gauche à la droite, sont unis pour contenir la révolte et canaliser l’énergie libérée au sein du système sans supprimer Piñera.

Le scénario n’est pas facile pour Piñera, car il traînera comme un boulet les plaintes pour les violations des droits humains commises pendant la révolte. Il est aussi remis en question pour sa mauvaise gestion de la pandémie et fait face à un avenir économique complexe. À cela s’ajoute la grande instabilité de son administration, comme en témoigne le grand nombre de changements ministériels qu’il a apportés et le haut niveau de désapprobation qu’il rencontre dans les sondages. L’utilité de Piñera pour la droite commence à être remise en question, puisqu’il ne fait pas preuve de capacité d’articulation dans son secteur, il change son agenda par rapport à son programme d’origine et aux principes politiques de la droite qui l’ont conduit à la présidence. Il a également subit un grande défaite avec l’autorisation par le Parlement de la réforme qui permet le retrait anticipé de 10% des fonds de retraite privés pour faire face à la crise économique due au Covid et palier ainsi à l’insuffisance des aides d’Etat[10].

Si en 2019 la révolte a critiqué les bases politiques du modèle incarné dans la Constitution néolibérale et qu’en 2020 elle a critiqué les bases économiques du modèle incarné dans les Administrateurs de Fonds de Pensions AFP[11], dans les deux cas les secteurs les plus durs de la droite voient en Piñera un signe de crise et d’instabilité.

D’autres secteurs de la droite voient comment les contradictions sociales sont exacerbées et comment des fissures sont générées dans le modèle. C’est pourquoi ils sont ouvert à concéder des réformes et s’engagent à changer la Constitution. Dans cette droite «sociale» on retrouve le maire de Las Condes[12], Joaquín Lavín, qui en plus d’être pour «l’approbation», était en faveur du retrait des 10% des AFP et se déclare social-démocrate. Grâce à cela et à sa vitrine médiatique en tant que maire, il se positionne en premier lieu comme candidat à la présidentielle, laissant place au paradoxe apparent qu’aujourd’hui, un gouvernement de droite est poussé à ouvrir un processus qui pourrait changer la Constitution de droite, tandis que le prochain président pourrait être le candidat de droite.

Lavín joue à décoller son étiquette passée de Chicago Boy tandis que le gouvernement hésite entre «approuver» et «rejeter». Cependant, la droite comprend que pour continuer à gouverner, elle doit changer la Constitution et modifier partiellement le modèle néolibéral. Cependant, l’espace politique subit de grands changements et de grandes pressions, qui incluent les tensions croissantes entre les pouvoirs de l’État. En témoignent les accusations constitutionnelles constantes du parlement envers les ministres du gouvernement et la remise en cause par le gouvernement des résolutions du pouvoir judiciaire. Toutefois, le modèle économique reste intact, et cela peut enraciner une intensification du conflit [social] et la possibilité d’une seconde révolte post-pandémique.

Projections de la révolte

Bien que nous accompagnions la joie du peuple pour le processus qui s’ouvre avec le référendum, nous ne partageons pas l’enthousiasme. Comme anarchistes, nous ne participons ni à la campagne pour «l’approbation» ni aux campagnes du cycle électoral à venir pour l’organe constituant, car nous considérons que le processus dans son ensemble a pour objectif de restaurer la classe politique contestée par la révolte. Ce processus réaffirme la dépossession de la souveraineté populaire entre les mains de la politique traditionnelle.

Notre pari est d’approfondir et de renforcer la capacité de mobilisation [autonome], du fait de l’ampleur de la révolte en route pour obtenir des améliorations concrètes pour la population. Les tâches de la mobilisation sociale sont grandes, si l’on considère que la situation progresse jusqu’à présent sans pouvoir obtenir des avancées dans la dé-marchandisation des droits sociaux ou dans la libération des prisonniers de la révolte.

Notre position est de renforcer les assemblées de quartier et la construction de forces sociales qui, en dehors de l’appareil d’État, acquièrent une capacité autonome de lutte pour les changements. Nous considérons que le cœur du processus des mouvements sociaux sont les forces qui permettent d’occuper les rues et de changer l’ordre du jour des agendas, comme cela s’est produit avec la révolte déclenchée en octobre, la grève générale du 12 novembre, la commémoration du 14 novembre pour l’anniversaire de la mort du membre de la communauté mapuche Camilo Catrillanca aux mains de la police et en solidarité avec la lutte du peuple mapuche, la massivité de la vague féministe et les protestations pour faire pression pour l’approbation du retrait des 10% des AFP.

L’avenir de la mobilisation fait face à des moments clés après le référendum et l’éventuelle cooptation du processus par la classe politique face à l’instabilité du scénario. Que la classe politique ait eu la capacité de s’attribuer la souveraineté populaire et de décréter unilatéralement les termes de l’Accord pour la paix montre les propres limites de la mobilisation.

Dans le feu de la révolte, l’ancien et le nouveau coexistent, c’est pourquoi la sortie de la révolte est institutionnelle à travers le processus constitutionnel, l’ancien ne finit pas de mourir et le nouveau ne finit pas de naître. Ainsi, face à la perte de prestige du gouvernement et du parlement, ajoutée au défi lancé à la classe politique, le pouvoir comble ce vide avec les maires, qui volent aujourd’hui la vedette du film. C’est ce chemin [municipaliste] qui fait revivre le système politique, certes du point de vue de la communauté et du quartier, mais coopté par le même système de partis politiques et la vieille politique.

En revanche, les assemblées de quartier se montrent comme la nouveauté organisationnelle de cette révolte car – si elles répondent au même sens communal et de quartier que le pouvoir lequel procède par municipalisation – elle le fait du point de vue de l’autonomie. Le Pouvoir municipalise la politique formelle alors que la citoyenneté articule des assemblées de quartier et des organisations sociales. Ce sont les deux phénomènes d’un même moment. Le danger est que l’autonomie des assemblées et des organisations fasse l’objet d’une cooptation par les partis politiques pour les neutraliser comme alternative ou les utiliser à leur profit.

Les enjeux de la capacité politique de mobilisation [autonome] en dehors du système politique conventionnel sont très pertinents en ces temps où la classe politique, le présidentialisme et le parlement sont remis en cause, érodant la légitimité de la démocratie représentative. Si la population ne vote pas, c’est par désenchantement face à une classe politique inerte vouée au marché, qui administre le système à travers des partis politiques devenus des agences pour l’emploi de leurs membres dans l’État. Mais cela ne signifiait pas que les citoyens n’étaient pas intéressés par la politique, comme l’ont démontré la révolte et le débordement de l’action politique en dehors de son cadre traditionnel.

À ce stade, les partis sont discrédités et ne suscitent pas l’intérêt des gens pour y participer, alors que la participation aux mouvements sociaux et aux assemblées de quartier augmente. En ce sens, le danger que les mouvements sociaux deviennent des partis est énorme, non seulement en raison de la cooptation naturelle que les partis mènent dans les mouvements sociaux pour les contrôler, mais aussi en raison de la nature fragmentée des mouvements sociaux (écologisme, étudiants, etc.) qui entrave leur capacité à générer une interprétation de la réalité qui ait du sens pour le reste des citoyens qui n’y participent pas.

D’un autre côté, les partis génèrent cette interprétation et cette perspective de l’articulation sociale, de sorte que les mouvements sociaux risquent constamment d’avoir besoin d’interagir avec les partis politiques pour s’articuler avec le reste de la population, tombant dans la cooptation ou le leadership par des agents externes. De même, les mouvements risquent de devenir eux-mêmes des partis politiques, sous la pression de s’engager dans des débats qui impliquent des questions qui dépassent leurs luttes fragmentées. L’enjeu est pour les mouvements sociaux de pouvoir s’articuler entre eux non seulement en termes opérationnels mais aussi en logique d’interprétation de la réalité et d’action politique horizontale et fédérée qui empêche leur cooptation ou leur conversion en partis politiques. Nous nous engageons à impulser / stimuler les mécanismes de démocratie directe et à renforcer les formes d’organisation autonomes au niveau communal et de quartier. Nous comprenons le contexte de la municipalisation du système politique et le phénomène des assemblées de quartier comme les signes d’une époque et nous prenons position à la fois dans ces dernières comme dans d’autres formes de lutte. Nos efforts visent à faire avancer la critique de la démocratie représentative vers des formes d’auto-représentation populaire de caractère fédératives et horizontales qui font face au scénario ouvert par la révolte.

Asssemblée anarchiste de Bio-Bio


[1] NdT : La région du Bio-bío au Chili d trouve au centre du pays. Avec plus de 1.5 million d’habitants, elle est la troisième plus peuplée après la région métropolitaine de Santiago et Valparaíso. Sa capitale régionale est Concepción, troisième ville du pays après Santiago et Valparaíso. Sa population en 2017 était de 223 579 habitants, population à majorité urbaine.

[2] Assemblée anarchiste de Bio-bío : Sur la pandémie dans la région chilienne, nous avons préparé le document: «Le coronavirus dans le berceau du néolibéralisme. Analyse de la conjoncture de l’Assemblée anarchiste du Bío-Bío ». Avril 2020.

[3]NdT : Coalition constituée notamment des Parti Chrétien Démocrate (PDC), Parti Socialiste (PS), Partido por la Democracia, Unión Socialista Popular, Partido Radical Socialista, Parti National Démocratique PADENA, Mouvement d’Unité Populaire et d’Action Travailleur et Paysan MAPU-OC, Gauche Chrétienne, Parti Humaniste [secte new-age], Union Libérale Républicaine Partido Liberal, les Verts

[4] NdT : Patricio Aylwin, du Parti Chrétien Démocrate, premier président après Pinochet entre 1990 et 1994 ; Eduardo Frei Ruiz-Tagle, Chrétien Démocrate, entre 1994 et 2000 ; Ricardo Lagos, Parti Social démocrate, entre 2000 et 2006 ; Michelle Bachelet du Parti Socialiste, entre 2006 et 2010; puis entre 2014 et 2018.

[5] NdT : Les étudiants du secondaire ont initié le mouvement en refusant de payer la hausse de 30 pesos des transports en commun et en resquillant en masse (evasión masiva en espagnol) dans les métro et autobus.

[6] NdT : Les mapuches (littéralement « Peuple de la terre » en langue mapudungun) sont un groupe ethnique et peuple autochtone du Chili et d’Argentine formant plusieurs communautés, dont certains luttent pour leur autonomie et la récupération de leurs terres.

[7] NdT : petits paysans pauvres

[8] NdT : Au Chili l’inscription sur les listes électorales est automatique mais le vote n’est plus obligatoire depuis 2011.

[9] NdT : sur 15 millions d’électeurs inscrits, plus de 7,5 millions soit 50,91% se sont déplacés pour aller voter. Les électeurs se sont prononcés à 78,28% pour un changement de constitution, et à 79% pour une assemblée constituante élue. Dans un échange de mail après le résultat avec les compagnons de Bio-bio ceux-ci précisent « Le référendum a été le vote avec la plus forte participation depuis plusieurs années au Chili, malgré la pandémie qui a effrayé beaucoup de gens d’aller voter par peur du coronavirus. Cette participation a dépassé les votes de la dernière élection présidentielle (7 millions de votants) et a largement dépassé le dernier vote des primaires des municipales et des gouverneurs en novembre 2020 où seuls 3% des inscrits se sont déplacés pour aller voter. Ces chiffres peuvent sembler froids, mais ils montrent qu’il y a eu un vote massif au référendum, d’autant plus que le vote était volontaire et non obligatoire.(…) Les semaines précédant le vote, on pouvait respirer dans les rues un esprit d’entrain en faveur du référendum et le changement constitutionnel ; la publication de la victoire écrasante en faveur du changement de Constitution a donné lieu à des célébrations massives qui ont duré toute la nuit ».

[10] Dans cet épisode, le gouvernement a été isolé dans sa position de rejet du retrait des fonds de retraites des affiliés aux AFP (administrateurs de fonds de pension), puisque lors du vote parlementaire du 23 juillet 2020, le projet de retrait des fonds a été approuvé y compris avec des votes de la droite. Les manifestations exigeant l’approbation du retrait ont exercé une très forte pression qui a abouti à ce vote. L’importance de ce vote était qu’il ne s’agissait pas pour le gouvernement de s’inquiéter des futures pensions qui seraient diminuées par la retraite, mais parce que Piñera essayait de défendre l’un des piliers du modèle néolibéral chilien, que sont les AFP : le AFP sont la privatisation du système de retraite et sont un élément fondamental de l’économie Chilienne puisque ces fonds individuels servent à investir dans les entreprises, le marché boursier et les banques.

[11] NdT : Les AFP, moteur du système économique chilien, ont été mis en place sous la dictature de Pinochet, le fonctionnement des retraites oblige les travailleurs à verser 10% de leur salaire sur un compte individuel géré par des AFPs (Administrateurs de Fonds de Pensions), des organismes financiers privés chargés de les faire fructifier.

[12] NdT : Ville de la banlieue de Santiago, dont il est maire depuis 2016. Auparavant il a été maire de Santiago du Chili (2001 – 2004), puis sous la présidence de Piñera successivement Ministre de l’Éducation (2010-2011), Ministre de la Planification et de la Coopération (2011) et Ministre chilien du Développement social (2011-2013).