Fatou SOW : le féminisme et les traditions

« On entend souvent dire en Afrique que le féminisme est une importation occidentale et ne vient pas de nos traditions africaines. Mais je n’en veux pas de ces valeurs traditionnelles si elles me réduisent à ma fonction utérine ! »

Fatou SOW, sociologue sénégalaise

Fatou SOW, est une sociologue sénégalaise, pionnière du féminisme en Afrique. Elle est relativement critique vis-à-vis du féminisme « décolonial », apparu il y a peu dans le paysage français. « Ce féminisme­ là nous a seulement permis de nous poser comme femmes racisées – terme que je déteste ! Or, en Afrique, moi, je ne relève pas d’une minorité visible. L’afroféminisme ou le “black feminism” ne sont valables que pour l’Occident, pas pour l’Afrique. En fait, ce discours féministe décolonial actuel a du pouvoir parce qu’il vient d’Occident. On l’écoute davantage qu’on ne prête attention à ce que disent et pensent les féministes africaines. »

Autre point de désaccord : la question du voile. Alors que la militante Rokhaya Diallo défend la possibilité d’un féminisme voilé, Fatou Sow, musulmane et coordinatrice du réseau « Femmes sous lois musulmanes pour l’Afrique de l’Ouest», ne mâche pas ses mots. «Il n’y a pas de choix à porter le voile. C’est faux ! Le voile, c’est l’enfermement des femmes. Certaines féministes décoloniales en France en font aujourd’hui un symbole de résistance et de résilience des femmes, mais, en Egypte, dans les années 1920­1930, les femmes qui luttaient pour leur autonomie se sont battues contre le voile. La question est de savoir si j’ai besoin d’une identité musulmane et, si tant est que je la prenne, est-ce que c’est le voile qui va faire mon identité musulmane ? »

Pour Mamadou Diouf, directeur de l’Institut d’études africaines de l’université Columbia, à New York, qui lui reconnaît « le courage de dire ce que beaucoup n’osent aborder », « Fatou Sow n’a pas peur de partir à l’assaut des citadelles religieuses et des citadelles patriarcales fondées sur les traditions africaines. ».

La sociologue constate, en effet, que les Africaines doivent faire face à différents fondamentalismes religieux (islamique ou chrétiens, notamment catholique et protestant) mais aussi culturels, qui entendent gérer et les corps et les âmes des femmes. «La manière de pratiquer l’islam en Afrique a changé. On assiste à une réarabisation de l’islam et à une réreligionisation, si je puis m’exprimer ainsi, de la culture sous l’influence des monarchies arabes et de leurs pétrodollars », dénonce celle pour qui la laïcité est une condition sine qua non du droit des femmes. Fatou Sow s’inscrit en faux contre le féminisme islamique qui, selon elle, «va chercher dans un texte vieux de quatorze siècles des manières de libérer les femmes aujourd’hui».

«En fait, le féminisme islamique a été créé par des femmes qui vivent dans un système où l’islam est une religion d’État et où, si elles veulent se battre, el­les ne peuvent le faire qu’à l’intérieur du Coran, comme en Iran ou en Arabie saoudite. C’est une stratégie. »

Fatou Sow se démarque également de certaines sociologues africaines qui, comme la Nigériane Oyeronke Oyewumi, récusent la différence homme/femme, qui serait occidentale et ne correspondrait pas aux catégories sociales opérantes en Afrique. Elle ne croit pas non plus, comme la juriste sénégalaise Fatou Kiné Camara ou l’écrivaine et chercheuse Catherine Acholonu, que la maternité et le matriarcat peuvent être les bases d’un pouvoir féminin africain. « Le matriarcat n’est pas le pouvoir aux femmes. Ce système dit juste qu’à travers notre fonction uté­rine nous transmettons le pouvoir et les biens aux hommes, insiste-t-elle. On entend souvent dire en Afrique que le féminisme est une importation occidentale et ne vient pas de nos traditions africaines. Mais je n’en veux pas, de ces valeurs traditionnelles, si elles me réduisent à ma fonction utérine ! Je veux des valeurs africaines que l’on repense pour que nous ayons un projet de société qui nous inclut afin que nous puissions participer au politique, mais en le transformant. Il ne s’agit pas d’être une femme politique comme un homme politique. » 

D’après un article de Seneplus, du 30/11/2019

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Texte extrait de la brochure « Les traditions oppriment les femmes »

« Quand les hommes sont oppressés c’est une tragédie,

quand les femmes sont oppressées, c’est une tradition »

32 pages format A5, PDF à télécharger en cliquant ici : Télécharger

Pour recevoir la brochure au format papier, envoyer 5 euros à CNT-AIT, 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE (port compris)

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