1947 : le premier Premier Mai de la CNT-AIT française

Pour ce premier mai 2024, les militantes et militants de la CNT-AIT française

participeront aux rassemblements là où ils

sont présents (pour avoir plus d’info :

contact@cnt-ait.info). En attendant, un

petit coup d’œil dans le retro sur le

premier Premier Mai de la CNT-AIT française

en 1947…

1947 : le premier Premier Mai de la CNT-AIT française

La CNT (Confédération Nationale du Travail), section française de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), a vu le jour en décembre 1946. Elle regroupe des militants de différents horizons : vétérans de la section française de l’AIT d’avant guerre (la CGTSR-AIT), jeunes issus de la Résistance ou aussi de nombreux migrants et étrangers, souvent des vétérans de la Révolution espagnol, militants de la CNT-AIT espagnole, réfugiés antifascistes italiens ou anarchistes bulgares fuyant le Stalinisme.

La CNT-AIT connait un relatif succès à sa création. En effet, nombre des adhérents venus à la CNT-AIT sont certainement des syndicalistes déçus par la CGT. Comme le note Xavier Frolan, “en 1946, un militant de gauche n’a le choix qu’entre deux organisations pour se syndiquer : la CGT – de plus en plus prise en main par le Parti Communiste – et la CNT-AIT ! Tous ceux qui sont allergiques au P.C. (…) ont tendance à rejoindre la CNT-AIT”. Ces adhérents ne sont pas venus à la CNT-AIT par adhésion aux idées anarcho-syndicalistes, mais par un anti-communisme d’une part, et d’autre part parce que la CNT-AIT est la seule centrale à ne pas modérer ses revendications qui sont principalement le retour à la semaine des 40 heures dans un premier temps puis l’opposition à la prime au rendement et “attribution aux travailleurs d’un ravitaillement réellement vital”, propositions qui sont à cette période relativement bien reçues. (1)

il faut dire que la France de l’immédiat après-guerre connaît une inflation chronique, nourrie par la pénurie et la rationnement (les tickets d’alimentation ne seront abolis qu’en décembre 1949) et le gonflement des disponibilités monétaires, qui ont quintuplé pendant la guerre. En deux ans (1946-1947), les prix des produits alimentaires ont presque doublé. Les salaires ne suivant pas les hausses de prix. Pour le Gouvernement d’Unité Nationale (socialistes de la SFIO, démocrates chrétiens du MRP et communistes du PCF), l’heure est à la reconstruction du pays. Le Parti Communiste, qui dirige la CGT, pèse de tout son poids pour inciter les ouvriers à se retrousser les manches et à se lancer dans la « bataille de la production », qualifiant les grévistes de saboteurs et de traitres à la patrie.

Mais de nombreux travaillent refusent de participer à cette « bataille » alors que la paix est censée être revenue depuis 2 ans. Ils ne veulent pas se sacrifier pour l’économie nationale. Le climat social de 1947 est donc explosif, de nombreuses grèves spontanées éclatent auxquelles la CNT-AIT participe là où elle dispose de militants. Les secteurs où l’on trouve des traces de la participation de la CNT-AIT sont essentiellement ceux de la métallurgie et des cheminots. Dans la métallurgie, on peut noter les grèves aux usines U.N.I.C. en juin à Puteaux (2) (Hauts-de-Seine), mais surtout celle de l’usine de Boulogne-Billancourt de la Régie Renault, qui est déclenchée le 25 avril 1947. Dans son numéro de mai 1947, Le journal du syndicat des métaux de la CNT-AIT, Action directe, relate l’action de la CNT-AIT pendant la grève d’avril.  Les militants de la CNT-AIT travaillant dans cette usine ont en revanche participé à la grève avec comme mot d’ordre “unité d’action encore plus parfaite” tout en dénonçant le caractère politique de la CGT liée au PCF.

Au département 49, les grévistes emmenés par la CNT-AIT courent arrêter le moteur principal, qui commande les chaines de montage. On en vient aux mains avec les staliniens du PCF qui veulent les en empêcher. Gil DEVILLARD, militant anarchiste de la CNT-AIT, est désigné pour représenter le département au comité de grève. Il deviendra par la suite le porte parole du Comité de grève quand celle ci s étendra au secteur Colas de Pierre Blois [militant trotskyste de la tendance « Lutte Ouvrière »].

Foule des grévistes, le 28 avril 1947.
En bas à gauche, le regard farouche, Gil Devillard.
Grévistes de Renault, avril 1947

TRACT DU COMITE DE GREVE

Ce que nous voulons ? Un salaire minimum vital, c’est-à-dire, pour nous limiter au chiffre de la C. G. T., de 7.000 francs par  mois, 10 francs d’augmentation sur le taux de base. La direction nous répond qu’elle n’est pas autorisée par le gouvernement pour augmenter les salaires. Mais la direction a bien trouvé le moyen d’obtenir l’autorisation du gouvernement quand il lui a fallu payer la note de 30 % d’augmentation sur les produits sidérurgiques (voir bulletin Lefaucheux). Mais, s’il y a de l’argent pour payer une augmentation de 30 % aux potentats milliardaires de la sidérurgie, il faut obliger le patronat à payer aussi notre force de travail, qui a subi une dévalorisation bien supérieure à 30 %. On nous présente souvent la puissance des trusts comme un épouvantail qui doit toujours nous écraser. Mais la classe ouvrière, unie dans la défense de ses revendications, n’est-elle pas plus puissante qu’un trust ? Nous avons le monopole de la force de travail, sans laquelle ces messieurs ne peuvent plus récolter des bénéfices. Malgré toutes les calomnies et toutes les manœuvres avec lesquelles on essaie de nous diviser, nous sommes décidés à mener notre lutte jusqu’au bout.

Pouvons-nous continuer à vivre en faisant toujours plus de sacrifices pour voir tous les jours notre situation s’aggraver ? La revendication que nous formulons est une revendication générale qui intéresse tous les ouvriers. Les organisations dites ouvrières non seulement ne nous défendent pas, mais encore s’opposent à notre lutte. C’est à nous qu’il appartient de défendre nous-mêmes nos revendications :

  •  1° 10 francs de l’heure sur le taux de base ;
  • 2° Paiement intégral des heures de grève.

Seule, l’action peut nous donner satisfaction.

LE COMITÉ DE GRÈVE élu par les grévistes en assemblée générale.

Le Premier Mai 1947 intervient alors que l’usine Renault était encore en pleine grève, la CNT-AIT décide d’organiser de façon autonome sa propre démonstration. L’acte se fera en deux temps :

  • une réunion publique salle des société savantes
  • une manifestation de rue, distincte de celle de la CGT et du PCF (laquelle a toujours des ministres dans le gouvernement à cette date, ils ne quitteront le gouvernement que le 5 mai suivant).

De son côté la Fédération Anarchiste, qui soutenait alors unanimement la CNT-AIT, tirait un numéro special de son journal Le Libertaire, sous titré AIT, destiné à être distribué dans la manifestation officielle.

Le libertaire « AIT », 1er mai 1947

Bien entendu, la manifestation de la CNT-AIT fut interdite par le Préfet de Police, au nom de la « constitution » de la toute nouvelle 4ème république, qui venait juste d’être adoptée en octobre 1946. Ne manquant pas d’humour, le préfet invita même la CNT-AIT à se rapprocher de la CGT pour s’intégrer dans leur cortège …

Bien entendu, les militants de la CNT-AIT ne tinrent pas compte de l’interdiction polici-re, et bravèrent les forces de l’Ordre en organisant une manifestation sauvage qui fut réprimée sans ménagement. Huit militants furent même arrêtés, comme le relate un article paru dans le Combat Syndicaliste numéro 3 de Juin 1947 :


La liberté en IVème République

A l’occasion du 1er mai la 2ème UR [Union Régionale Paris et Banlieue de la CNT-AIT] avait décidé d’organiser, à la suite du meeting [organisée à la salle] des Sociétés Savantes, une manifestation de la Place Saint-Michel à la Bastille afin de donner à cette journée sa véritable physionomie de lutte revendicatrice.

Mais !es Pouvoirs publics représentés par M. le Préfet de Police, représenté à son tour par deux de ses sbires, nous firent notifier l’interdiction de celle-ci, en vertu de la Constitution, laquelle stipule pour chaque citoyen le droit de libre expression de sa pensée.

Par la même occasion, il nous conseillait de nous mettre en rapport avec les responsables de l’Union des Syndicats de la CGT, afin que notre organisation s’intègre à leur mascarade autorisée par le gouvernement.

M. le Préfet de Police est un petit plaisantin.

Passant outre à cette interdiction, malgré les forces policière massées en nombre imposant, quelques centaines de camarades décidèrent de manifester et empruntèrent le boulevard de Sébastopol pour rejoindre la place de la République, afin que les curieux et les participants au carnaval officiel entendent autre chose que les boniments cégétistes.

C’est ainsi que nos camarades clamèrent nos mots d’ordre : « Pas de canons, du Pain ! Action directe ! Echelle mobile des salaires ! Défense des 40 heures » et manifestèrent aux chants de l’lnternationale, de Révolution ! de Grève des Mères. Alors que nos camarades s’engageaient dans la rue Turbigo, les « camarades flics » syndiqués à la CGT barrèrent la rue et roulant leurs pèlerines [manteau des policiers] se précipitèrent et leur arrachèrent leurs banderoles et pancartes, arrêtèrent huit d’entre eux qui ne furent relâchés que cinq heures après et se virent confisquer leur matériel.

Si de plus graves incidents ne se sont pas produits, c’est grâce au calme dont firent preuve nos camarades.

En définitive, nous pouvons être satisfaits de cette démonstration qui nous permit une large diffusion de [notre journal, le ] « Combat syndicaliste », et suscita la sympathie des promeneurs.

Camarades encore dans la CGT, quittez cette organisation au service exclusif d’un parti politique et de l’Etat, venez grossir les rangs de notre jeune CNT-AIT afin d’intensifier la lutte avec succès pour la libération complète du prolétariat.


La participation de la CNT-AIT aux célébrations du 1er Mai 1947, sous la forme d’un rassemblement distinct de la manifestation organisée par le PCF et la CGT ne passa pas non plus inaperçue des journalistes. Ainsi le journal Combat – auquel participe Camus à l’époque – termine son article sur la journée du Premier Mai en évoquant « le défilé de la CNT «  :

«  On a pu remarquer, hors du parcours officiel, un meeting de la petite phalange des militants de la Confédération Nationale du Travail. Précédés d’un calicot noir et rouge, chantant « l’Internationale », les militants anarcho-syndicalistes défilaient aux cris de « pas des canons, du pain ! », « A bas l’armée ! »,  » CGT vendue !  » et « Action Immédiate !« 

La CGT et la parti Communiste français verront d’un mauvais oeil cette concurrence révolutionnaire et feront tout ce qui sera en leur pouvoir pour entraver le développement de la CNT-AIT française. Comprenant que celle ci pouvait bénéficier du soutien matériel et militant de la CNT-AIT espagnole en exil en France et de ses milliers de militants, elle organisa notamment l’expulsion de l’organisation espagnole de son local parisien réquisitionné lors de la Libération de Paris, de façon à priver le mouvement anarchosyndicaliste de moyens logistiques. Mais ceci est une autre histoire …


(1) Pour en savoir plus sur les première années de la CNT-AIT, se rapporter à notre brochure :

Histoire de la CNT-AIT, de 1945 à 1993

Téléchargeable en ligne : http://cnt-ait.info/2019/12/15/la-cnt-ait-une-histoire-a-ecrire

Pour recevoir la version papier, écrire à CNT-AIT, 7 rue St rémésy 31000 TOULOUSE, France

(2) BIARD Roland relève dans cette même usine une grève “à direction C.N.T.” en décembre 1946.


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