Argentine 2001 : leçons pour l’anarchisme

Première publication dans le Combat Syndicaliste CNT-AIT Midi-Pyrénées n° 73 – Avril/mai 2002

Depuis cet hiver ; les habitants de l’Argentine attaquent l’Etat, ridiculisent ses complices de gauche et d’extrême gauche, défient le capital, mettent en pratique les assemblées générales à une échelle jamais revue depuis l’Espagne de 1936, et tout cela sans qu’apparaisse quelque leader que ce soit. Ils ont choisi de lutter de manière libre contre le terrorisme de l’Etat et du capital. A Buenos Aires les habitants s’organisent dans les assemblées générales de quartier et essayent de prendre leur vie en main.

Quelle que soit son issue, ce mouvement a déjà fracassé les vieux moules idéologiques en mettant en pratique deux nouveaux atouts (qui seront désormais ceux de la lutte de classe internationale) : la démocratie directe, le rejet des institutions étatiques [1].

Cette nouvelle donne de la révolution internationale devrait réjouir le mouvement anarchiste. Mais, en France comme ailleurs, il est trop souvent empêtré dans des pratiques qui démontrent sa perméabilité à l’idéologie dominante : participation au spectacle de l’antimondialisation, réformisme dans les entreprises sous prétexte de « syndicalisme efficace », alliances minables, ici avec les régionalistes, là avec des gauchistes… Il est temps, si nous voulons vraiment pro-poser et participer à la construction d’une autre société, libre et juste, de revenir à nos sources, c’est-à-dire à une pratique en cohérence avec nos idées, une pratique horizontale, autonome et non spectacu-laire. En ce sens les événements d’Argentine donnent aux anarchistes du monde entier une leçon.

Etonnante position de quelques libertaires

Le 20 Décembre 2001 la population s’affronte à l’Etat et l’alliance des classes les plus pauvres et des classes moyennes se produit. C’est pour une bonne part le résultat d’une manoeuvre politicienne ratée.

Au départ, les classes moyennes voulaient simplement récupérer leurs placements bancaires et se moquaient bien de la misère des autres. Pendant ce temps, les plus pauvres, réduits à la fami-ne, se servaient directement depuis plu-sieurs semaines dans les grands magasins. Le gouvernement argentin pour préserver les intérêts du capitalisme international avait mis en route un nou-veau coup d’état et se préparait à se poser en défenseur de l’ordre contre « l’anar-chie ». Il pensait que les classes moyennes se regrouperaient autour de lui en acceptant ce marché : être ruinées mais sans insécurité . Clef de voûte de cette stratégie, la promulgation de l’état de siège a eu l’effet contraire : elle a scellé l’alliance de tous les mécontents. La cause en est simple : en Argentine, une foule immense a compris comment fonc-tionnait le système et a décidé de rompre avec lui et avec tout ce qui le représente. C’est pourquoi, dès le 20 décembre, la lutte se caractérise par le rejet des partis politiques et des syndicats. Ce rejet va donner lieu à une étonnante prise de position de la part d’une fraction du mouvement anarchiste. L’OSL (Organisation socialiste libertaire, tendance plateformiste) d’argentine déclare : « Mais curieusement, un des signes distinctifs de la manifestation (du 20/12/2002) fut le refus absolu des partis. Cette attitude, promue par les médias, jouait en faveur de la désorganisation et de la fragmentation, terrain favorable a la droite ». Cette position a été répercutée, sans commentaire, par l’OSL Suisse, et par d’autres organes de presse anarchiste comme « Alternative Libertaire » en France [devenue depuis UCL] et « Tierra y Lîbertad » en Espagne. Elle prend lamentablement la défense du parlementarisme. Elle véhicule l’idée contre-révolutionnaire que sans les appareils politiciens et syndicaux les mouvements populaires ne peuvent avoir d’existence ! Or que ce passe-t-il le 20 Décembre ? La foule est dans la rue, l’état est débordé, les partis et les syndicats sont rejetés, la police tue sauvagement trente et une personnes, la confusion règne. Faut-il s’effrayer de cette confusion ? C’est le lot de tout mouvement révolutionnaire que de devoir se structurer au milieu des contradictions de ceux qui font la révolution. C’est le rôle de chaque militant anarchiste de se retrousser les manches, d’apporter toutes ses forces pour clarifier et unifier ; grâce au projet communiste-libertaire, les classes exploitées en lutte contre l’état et le capitalisme.

En quoi, dans cette tâche révolutionnaire les partis ou les syndicats peuvent-ils jouer un rôle ? Qu’est ce que cela veut dire de poser le problème en termes de « droite » ou « gauche » quand manifestement il se situe en termes de « révolu-tion » et de « contre-révolution » ? Il faudrait nous donner quelques explications ! Au contraire, nous, nous disons merci aux argentins révoltés d’avoir accompli ce premier pas nécessaire, cette première étape authentiquement révolutionnaire.

Clarification et détermination de quelques autres

Il y a donc en Argentine des « militants libertaires » qui ont rejoint le raison-nement des groupuscules gauchistes dans leur volonté de saboter toute tentative d’auto-organisation populaire.

Face à eux, la Fédération libertaire argentine, la FORA (Section argentine de l’A.I.T.) et d’autres militants ont pris la mesure des aspects positifs de la lutte. Dès janvier 2000, « Organizacion Obrera » (Organisation ouvrière), la feuille de la FORA explique les principaux aspects de la lutte. Elle dénonce très clairement les syndicats et les politiciens de gauche et d’extrême gauche, adversaires des ouvriers. Donc, leur rejet par la population est un signe encourageant. Puis « Organisazion Obrera » insiste sur la définition des concepts anarchistes et leur méthode. Elle rappelle que si l’état et les institutions dénoncent la situation argentine comme l’anarchie pour le moment, ce n’est pas l’anarchie dans le pays ! Ce qui se produit, c’est une étape de la décomposition du pouvoir. En fait le chaos dans lequel sont plongés les habitants de l’Argentine est dû à l’Etat et au capitalisme et non aux idéaux anarchistes.

Les anarcho-syndicalistes argentins savent que si la période est importante il reste aux masses beaucoup de pain sur la planche pour organiser une société sur des bases sociales et libertaires. C’est pourquoi ils insistent pour donner à leur projet une réalité bien concrète . « Nous antres militants de la FORA nous consti-tuons une organisation ouvrière qui a pour finalité sociale le communisme- anarchisie et cela ne signifie pas que toute la journée nous cassions des vitres. Cela, c’est ce que veulent faire croire ceux qui mentent pour conforter leur bien-être économique et leur pouvoir politique. L ’anarchisme au contraire signifie une nouvelle société avec une structure horizontale, sans bénéfices pour les uns au détriment des autres, où chacun puisse décider en assemblée libre des orientation économiques et quotidiennes. Cette société n’est possible que dans un cadre d’égalité économique et sociale pour tous ceux qui la composent … ». Toujours dans cette feuille, un article propose que soient impulsées des assemblées générales de lotissements, une assemblée de délégués de quartiers mandatés révocables, des délégués locaux, régionaux, et internationaux, toujours révocables et le contrôle de la production et de la consommation par les dites assemblées.

Enseignements pour le futur

Ces contributions sont non seulement cohérentes avec nos idées mais elles correspondent à la réalité. La preuve, la voici. Alors que les moyens de la FORA ne lui permettent qu’une diffusion confidentielle de ses idées, la population argentine retrouve, invente, des fonctionnements qui entrent en résonance avec les propositions Foristes. Dès la mi-février des témoignages abondent sur l’étonnant niveau d’auto-organisation de la population argentine. Par exemple, un article du Monde du 20/02/02 nous signale les faits suivants « A Buenos Aires les habitants s’organisent en Assemblées de Quartier (..). « Qu’ils s’en aillent tous ! » ce slogan vise aussi bien les politiciens, les juges, les banquiers ou les syndicalistes argentins (…). Tous les dimanches les différentes délégations de quartiers tiennent leurs Etats Généraux où les orateurs se succèdent pour informer du travail dons chaque quartier et proposer de nouvelles consignes de lutte…Toutes les décisions se prennent par un vote à main levée, aucun orateur ne peut parler au nom d’un parti politique, les postes de délégués sont rotatifs … « . D’autres témoignages suivront décrivant la position inconfortable des politiciens et des syndicalistes, qui, pour la plupart se voient obligés de se déguiser pour pouvoir sortir dans la rue. Bien sûr. on imagine ce que tout cela peut faire comme peine aux apprentis leaders !

La population argentine mène une lutte magnifique. Mais il nous faut tempérer notre optimisme. Pour plusieurs raisons. La principale est que ceux qui sont assez forts pour se présenter habituellement comme les défenseurs des exploités alors qu’ils n’en sont que les proxénètes cherchent déjà à pénétrer, noyauter, pervertir les structures de bases en accentuant les multiples contradictions et difficultés qu’elles ont a résoudre au quotidien. Car la pratique de la démocratie directe est difficile. Surtout lorsque les conditions sociales, comme la réappropriation collective des moyens de production, ne sont pas réalisées. Les canailles de la bourgeoisie, de la politique et syndicalisme, avalent quelques couleuvres. Elles attendent. Si la lutte fléchit, si ceux qui doivent travailler pour vivre se fatiguent, s’ils retournent regagner leur pain quotidien, alors elles pourront manoeuvrer pour reprendre le pouvoir et relancer le capitalisme. Cela jusqu’au jour où les prolétaires du monde, prenant exemple sur ce qui se passe en Argentine, se donneront les moyens d’abolir l’esclavage économique.

Yvon

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