L’AUTRE FACE DE LA GUERRE : ARGENT, PROFIT, EXPLOITATION, PILLAGE (1998)

(article paru en 1998 dans le Combat Syndicaliste de la CNT-AIT de Toulouse]

L’Algérie est en guerre depuis sept ans. Totalitarisme d’Etat contre totalitarisme religieux. Le nombre de morts donne par les croque-morts officiels est de 500 000.

Sept ans de luttes de pouvoir entre des clans ! 200 morts par jour Et cela ne s’arrêtera pas tant que l’appropriation des biens, de tous les biens, par une clique ou l’autre ne sera pas réalisée. Après cela, la guerre se terminera peut-être, a moins qu’un soulèvement social ne se produise, tant est immense le délabrement des conditions de vie du peuple. Derrière cette guerre, qui s’habille de démocratie ou d’islamisme, se cache un cynique dépeçage de l’Algérie. Et cela, les médias prennent soin de ne jamais en parler. Alors, de retour d’Alger et de quelques villes du sud, je veux dénoncer l’autre face de cette guerre, celle de l’argent, du profit, de l’exploitation, du pillage.

Grace a cette guerre, le FMI (Fonds monétaire international) met en place en toute tranquillité un plan de restructuration qui consiste à libéraliser le marché, privatiser les entreprises, licencier les travailleurs (70 000 licenciements en quatre ans). Sous Boumediene et consorts, grâce aux ressources énergetiques du pays (gaz, pétrole), le peuple, s’il n’avait pas droit a l’opulence du clan au pouvoir, ne mourait pas de faim. L’Etat subventionnait tous les produits d’importation de première nécessité, l’école était réellement gratuite, ainsi que la sant. Le khalife Boumediene et sa cohorte de militaires règnaient en pères et maitres, sans instabilité politique, sans soulèvements sociaux. A l’heure de la mondialisation, cette lutte de pouvoir était certainement la bienvenue. Rien n’est autant inhibiteur que la peur. « La terreur rend les peuples muets », bien des dictateurs vous le diront. Grace a cette guerre, des concessions pétrolières ont été cédées aux capitalistes américains, allemands, canadiens, français et italiens.

Dans ces sites, pas un attentat, pas un faux barrage, pas une boucherie, pas un carnage. Le pétrole et le gaz coulent a flots. La surveillance est infaillible. Les Américains ont amené dans leurs bagages leurs propres chiens de garde. Aucun civil ne peut y pénétrer sans un sauf-conduit. « Un pays dans le pays. » On a découvert des gisements d’or dans le Sahara central. Une entreprise d’exploitation a déjà été mise en place en partenariat avec les Sud-africains. Durant l’hiver 1998-99, une équipe d’americains, de canadiens et d’australiens a été invitée par les autorités algériennes pour la visite d’autres sites et pour la négociation des concessions futures. Il parait que ceux-la sont plus gourmands et ne veulent pas des traditionnels 49 % des parts de l’entreprise, mais 50 %.

Grace a cette guerre, des militaires et des représentants de l’Etat se sont accaparés tous les gros marchés (pharmaceutique, immobilier, café, sucre, bananes), et la société nationale de production de médicaments (ENPHARM), après avoir été coulée par cette clique, a été mise en Bourse en février 1999, les gros actionnaires étant toujours les mêmes militaires et politicards.

Grace a cette guerre, les multinationales, Coca-Cola, Daewoo, se sont enfin implantées en Algérie.

Grace a cette guerre, et avec l’aide du FMI, l’inflation a atteint des proportions insupportables pour la plupart des gens. Et ce n’est pas fini, ce n’est que le début. La misère s’est installée partout. Il n’existe plus de classe moyenne. Il y a les riches, les très riches, il y a les moyennement pauvres et il y a les totalement démunis. Le fosse entre riches et pauvres se creuse a une allure vertigineuse.

En effet comment peut-on-s’en sortir lorsque le salaire d’un smicard est de 5 000 dinars, celui d’un cadre moyen de 15 000 dinars, alors que la baguette de pain coûte 9 dinars, le litre de lait 22, le kilo de semoule 40, le kilo de riz 60, les pâtes 70, les légumes secs entre 50 et 80, le kilo de viande 500, les crevettes entre 500 et 1 000, le poulet 150, la sardine (le poisson des pauvres dans les années 70-80) 70, et l’oeuf 6 dinars ? Comment peut-on se soigner lorsqu’une ordonnance médicale des plus banales (les soins pour une grippe ou une angine) revient au bas mot a 1 000 dinars et que la sécurité sociale n’en rembourse que 20 a 40 % ? Une amie médecin m’a dit que les gens n’achetaient plus que les médicaments les plus « nécessaires ». Pour le reste, « prends ton mal en patience ! »

Comme l’Etat se désengage de plus en plus de tous les services publics (santé, éducation, logement, emploi ….), il y a aussi le problème dramatique du logement qui n’a fait qu’empirer depuis la guerre. Avec la privatisation et la libéralisation du marché, les prix des loyers se sont envolés ! Pour un F2 dans la banlieue pauvre d’Alger, on paie entre 8 000 et 13 000 dinars par mois. Certaines agences font des contrats d’un an renouvelables et exigent le prix d’une annee de loyer d’avance

Pour s’en sortir, il reste encore le réseau familial, quand les enfants sont en âge de travailler, et s’ils arrivent à décrocher un boulot. Sinon, il reste le système D. Dans tout Alger, il y a des jeunes qui vendent des cigarettes au détail parce que les gens ne peuvent plus se permettre de s’acheter un paquet entier. Il y a la vente à la sauvette de tout et de rien (bien sûr des articles d’importation). Il y a ces vieilles femmes et ces petits enfants qui vendent, autour des marches Closel et Messonier, du pain, du couscous, des bricoles. Il y a la mendicité, qui, en quatre ans, s’est répandue partout dans Alger. Des enfants entre 8 et 12 ans, des vieux, des vieilles femmes qui arpentent les rues à longueur de journée, qui rentrent dans les magasins, les restos, les agences de voyage et à qui on n’a pas encore le courage de dire d’aller mendier dehors. Il y a aussi ceux qui ont pêté les plombs, les « fous », de plus en plus nombreux, qui errent en gueulant en parlant, en tenant des discours politiques pas si incohérents qu’on pourrait le penser.

Et tout cela n’est que le début, le pire n’est pas encore arrive. Il reste encore au pouvoir a s’accaparer le foncier. Les textes relatifs a la privatisation des terres sont ficelés. Mais qui en seront les bénéficiaires ?

Les fellahs, qui ont travaillé ces terres pendant la période de la révolution agraire avec le slogan « la terre est a celui qui la travaille » ? Les anciens propriétaires d’avant la guerre d’indépendance (puisque, à cette époque, le système social était de type « tribal » et que les terres communautaires appartenaient aux tribus) ? Ou les grosses fortunes liées au pouvoir (militaires et autres mafias) ? Il faut peut-être souligner ici que le fameux « triangle de la mort », comme la presse occidentale le nomme, n’est rien d’autre que la grande plaine de la Mitidja : les terres les plus fertiles d’Algérie. Est-ce une tactique de la guerre économique qui consiste par la terreur et les massacres de familles entières a vider ces terres de ses occupants pour faciliter leur appropriation par ceux qui sont en train de se partager le pays ?

Ce qui se cache derrière cette guerre, comme derrière toutes les autres, d’ailleurs (la guerre du Golfe, le Kosovo, le Rwanda, la Palestine occupée), ce sont des intérêts économiques et des enjeux géostrategiques. Un nouveau partage du monde est en train de se faire, avec une lutte acharnée entre Américains et Européens. Les peuples peuvent crever, de bombes, de coups de sabre ou de faim : 30 millions de personnes meurent chaque année de faim. Voila le plus grand des génocides de notre siècle, mais cela leur importe peu. Ce qui les intéresse, c’est d’établir leur nouvel ordre policier et économique, avec la complicité des gouvernants sur place, qu’ils soient fachos, intégristes ou totalitaires, et la collaboration active des médias, qui taisent tout cela consciemment.

Je voudrais terminer par une phrase que m’a dite un ami d’Alger. « Plus que tout c’est le tissu social, la solidarité, la convivialité, la chaleur, le sens de l’hospitalité que l’on est en train de detruire. ». Et, quand ce sera totalement fait, ils auront réussi leur coup. Chacun ne pensera qu’a sa peau pour sortir de la galère. Nous deviendrons des individualistes. Et l’individualisme est l’une des bases fondamentales du capitalisme.

Fadila

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