Quand la SAC choisit de prendre partie pour les USA lors de la guerre froide

« La lutte contre la guerre »

Article d’Evert Arvidsson dans Dagstidningen Arbetaren (journal de la SAC), légèrement abrégé.

Traduit et paru dans Noir & Rouge n°1, mars 1956

L’activité de la SAC pour la cause de la paix est aussi vieille que l’Organisation elle-même. Probablement, il n’y a aucun mouvement dans notre pays qui, proportionnellement, a fait un si grand travail pour la paix et la fraternisation internationale que la SAC. Cet intérêt continue d’exister dans le même degré. La base actuelle pour la lutte de la SAC en faveur de la paix est donnée par la déclaration de principes votée en 1952. Dans celle-ci il est constaté que le mouvement lutte pour un ordre de droit international fédéraliste qui supprime le nationalisme et rend le militarisme superflu. Il y est dit en outre que la SAC considère la lutte contre le militarisme et la guerre comme une des taches culturelles les plus importantes, et il est aussi souligné que les syndicalistes membres de la SAC sont partisans d’actions communes des mouvements populaires libres contre la guerre.

Dans la résolution de tactique acceptée par le congrès de 1953, qui définit et interprète le contenu de la Déclaration de principes dans ce point, que la SAC fait appel à la solidarité populaire partout où il est possible de la mobiliser pour assurer la paix entre les peuples par moyen de négociations. Au cas où cela ne réussit pas, la SAC recommande l’action. directe contre, la guerre. Cela veut dire que la SAC, au cas où le peuple dans le pays qui représente la menace de guerre puisse faire la même chose, tâchera d’empêcher la guerre par le sabotage de la mobilisation, la grève générale contre le propre Gouvernement, etc.

Voilà l’attitude connue de la SAC qui a toujours été la même. Nous sommes prêts à l’appliquer sous les conditions qui la font possible. Au cas où la situation est tout à fait différente, la tactique de la SAC change aussi. En effet, la situation a changé radicalement depuis l’apparition du totalitarisme moderne, du despotisme nouveau de notre temps. Nous citons la résolution de tactique :

« La différence entre la situation sociale de la démocratie et de la dictature est tellement grande qu’elle acquiert une importance décisive pour le syndicalisme libertaire. Le despotisme de l’État liquide tous les mouvements populaires libres et détruit, par cela, les bases de la lutte du syndicalisme libertaire pour la paix (c’est-à-dire la lutte pacifiste dans ses formes traditionnelles). Dans la mesure où une activité pour la paix est réalisée sous la dictature elle sera l’oeuvre de l’État lui-même. Mais la défense de la démocratie comme institution est la condition de base non seulement pour la lutte pacifiste du syndicalisme libertaire, mais aussi pour toute activité de notre mouvement. Voilà pourquoi le syndicalisme libertaire prend sans hésiter le parti de la démocratie s’il s’agit de la lutte contre la dictature dans toutes ses formes. »

Voilà l’attitude de la SAC qui est tout à fait d’accord avec sa position dans toutes les autres questions. Le syndicalisme de la SAC n’a jamais été pacifiste dans un sens superficiel ; mais un mouvement de lutte. Sa lutte se dirige contre toute forme d’injustice, de violence et d’oppression. Nous avons démontré cela dans la pratique. Les syndicalistes et anarchistes se sont toujours trouvés dans les premiers rangs de la défense contre tout pouvoir d’oppression, fut-ce de la violence capitaliste de vieux style, du bolchevisme ou du fascisme. Il suffit de se souvenir des initiatives des syndicalistes, et des anarchistes espagnols, de leurs importantes interventions dans la lutte contre l’agression du fascisme espagnol et des fascismes allemands et italiens. Du sang a coulé beaucoup de vies ont été sacrifiées.

Mais il faut observer bien l’idée de la défense acceptée par le syndicalisme libertaire. Nous ne lutterons jamais pour « la patrie », pour un territoire déterminé. Il s’agit pour nous des systèmes sociaux sans prendre en considération des frontières nationales. Le syndicalisme libertaire défend des libertés là où il y en a et il se dirige contre l’oppression d’où qu’elle vienne. « Cela vaut aussi au cas », pour citer encore une fois la résolution. de tactique « où le despotisme d’État envahit le pays pour écraser toute forme de liberté au sens du syndicalisme libertaire ».

Voilà quelque chose d’essentiel pour nous. Le syndicalisme libertaire ne veut pas combattre des forces oppressives qui puissent apparaître au sein du pays, mais rester passif quand il s’agit d’une oppression qui vienne d’en dehors. Voilà l’origine de la résolution de tactique de la SAC. Puisque la SAC ne désirait jamais jouer le rôle d’un « Qvisling »(1) elle était obligée d’éclaircir ces idées pour trouver une position qui était acceptable devant la nouvelle situation. Déjà en 1938, confrontée avec la menace de l’hitlérisme, la SAC constata qu’une nouvelle situation exigeait une nouvelle tactique et en 1953, la résolution de tactique que nous venons d’expliquer fut votée par le congrès national du mouvement avec 64 contre 8.

Evert Arvidsson

[Voir ci-après la réponse de Christian Lagant à cet article dans le numéro 2 de noir et Rouge]
======================== (1) Quisling : fondateur du parti fasciste norvégien avant le Seconde guerre mondiale, principal artisan de la collaboration en Norvègre avec l’occupant nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Son nom est passé dans le langage courant en Norvège et dans le monde scandinave comme synonyme de « traître » ========================

Les prolétaires n’ont pas de patrie

Noir & Rouge n°2, été 1956

Dans notre dernier (et premier) numéro, nous avons publié deux textes du mouvement syndicaliste libertaire suédois, la S.A.C. (Sveriges Arbetares Centralorganisation) concernant : 1) le problème de la nationalisation d’une entreprise, 2) la position de nos camarades face à la guerre.

Si nous revenons sur le premier de ces problèmes dans notre no2, le cas de la S.A.C. face à un conflit international nous semble également justifier la parution d’une étude plus approfondie sur un sujet dont l’actualité peut devenir brûlante d’un instant à l’autre, et ce, malgré les toasts amicaux d’un Khrouchtchev ou le bon sourire d’un Eisenhower…

Il va sans dire que le point de vue des camarades de Suède a suscité maintes réactions et discussions dans les milieux libertaires. En deux mots, rappelons celui-ci :

– La S.A.C. a toujours lutté pour la cause de la paix. En cas de guerre ou de menace de guerre entre deux pays démocratiques, la S.A.C. se battra pour exiger des négociations. Si échec de celles-ci, la S.A.C. recommande l’action directe des masses des pays antagonistes contre leurs propres gouvernements. – Au cas d’un conflit entre une démocratie et une dictature (fascisme, bolchevisme, etc.) la S.A.C. se range aux côtés de la démocratie, sans toutefois opter pour une notion de « Patrie » quelconque. La S.A.C. Choisit simplement la démocratie comme un moindre mal.

Nous ne pensons pas avoir déformé la pensée des camarades en rappelant aussi succinctement leur position. En affirmant ici la nôtre nous ne pensons pas plus trancher définitivement la question car s’il est relativement facile d’exprimer des principes généraux, combien d’entre nous peuvent dire avec certitude ce qu’ils feront au moment du suprême choix ? N’importe, le mérite des camarades de S.A.C. sera d’avoir ouvert un dialogue en précisant très nettement une position avec laquelle les libertaires de nombreux pays risquent d’être en désaccord.

C’est le cas des G.A.A.R., par exemple, et nous exprimions déjà notre opposition au texte de S.A.C. en écrivant dernièrement :

« Le texte tend à préparer « L’Union Sacréé avant même le déclenchement d’un conflit. Récemment une dépêche d’agence annonçait que selon un sondage d’opinion effectué en Suède, environ 80 % de la population était prêt à défendre le pays en cas d’attaque. Il est donc pour le moins étonnant pour nous de voir le syndicalisme libertaire ne pas se ranger parmi les 20 % qui, par conséquent, « ne marchent pas ».

En effet, comment ne pas se sentir étonnés, pour ne pas dire plus, du choix de libertaires en faveur de la « démocratie » en fait du capitalisme. Oui, bien sur, nous entendons bien que la S.A.C. fait abstraction de toute idée de « patrie », de toute idée de défense d’un territoire déterminé prend sans « hésiter le parti de la démocratie contre la dictature » mais le résultat est là et toutes les précisions et justifications rassurantes pour notre concept internationaliste n’y changeront rien. Et d’abord, qu’entendent nos camarades par « démocratie » ? Le droit de se réunir dans une arrière-salle de café pour discuter politique alors que la réciproque est interdite dans les pays dits du Rideau de Fer ? Que le droit de réunion, de parole, de publication soit plus grand dans nos « démocratie », d’accord, nous serions stupides de le nier (encore que ces droits élémentaires en démocratiques s’amenuisent de jour en jour, voir la situation en France par exemple) mais c’est là que commence précisément la méprise. Oui, pour un certain nombre de camarades libertaires, constater cette différence entre les régimes capitalistes et bureaucratiques équivaut à « choisir » le moindre mal. Toute une partie de notre optique se trouve faussée par un dilemme erroné, par une formulation archi-boiteuse : « Choisirai-je la peste ou le choléra ? » alors qu’il-serait peut-être plus logique d’essayer de ne pas être malade.

Il y a quelques années, un certain nombre d’entre nous contribuèrent au lancement d’une campagne en faveur du 3e front. Qu’entendions-nous par là ? Simplement qu’il était temps d’essayer de démystifier les travailleurs et qu’à la notion d’un choix-suicide inéluctable entre les blocs russes et américains, existait un 3e front de combat commun, celui des exploités. Sans doute, notre formule n’était-elle pas parfaite car elle fut maintes fois diversement interprétée. Toutefois, les G.A.A.R. n’en ont pas abandonné l’esprit s’ils en sont légèrement changé la forme. Ils Constatent en effet le partage du monde en 2 blocs antagonistes, l’impossibilité pour des révolutionnaires de s’inféoder à l’un ou l’autre de ces blocs, ni de les soutenir. Le seul terrain de lutte est celui des classes, laquelle est menée sur le front international et prolétarien, (extrait d’une résolution sur la guerre adoptée au premier congrès des G.A.A.R.).

Certes, on nous répondra qu’il s’agit de quelques mots et que la réalité est plus simple. En effet, il est très simple de prendre le fusil en cas de guerre pour défendre la démocratie contre la dictature. Il est par contre bien plus compliqué d’essayer de ne pas se conduire en valets des ÉTATS où nous vivons, que quels qu’ils soient (puisqu’il n’existe pas encore de pays en régime libertaire, à ce que nous sachions) et cette deuxième attitude est évidemment en relation direct. avec les « grands mots » cites plus haut.

Nous nous méfions des « Unions sacrées » et la défense d’un régime du moindre mal fit sombrer maints révolutionnaires dans un militarisme aux étranges sous-jacentes, y compris Kropotkine et Jean Grave au début de le « Grande Guerre » (sic) et en 1939 le danger hitlérien pouvait également être une justification à prendre les armes et la livrée kaki pour défendre la « démocratie ». On nous permettra de dire qu’envisager le problème sous cet angle est bien primaire pour des libertaires car avant les effets, il faut voir les causes et nous ne croyons pas que les camarades qui partirent en 1936 en Espagne pour se battre dans la colonne Durutti furent moins antifascistes que les troupes gouvernementales se battant pour une république « démocratique ». Si les camarades de S.A.C envisagent, l’antifascisme en Espagne selon cette optique, nous sommes évidemment d’accord. Quant à l’hitlérisme et pour prendre la situation en France, certains ont lutté dans les maquis sans pour cela s’engager chez Leclerc ou dans les F.F.L., en essayant de donner à leur combat le maximum de caractère de classe. Il est vrai que sur ce dernier point, les étatistes que sont les trotskistes donnèrent souvent la leçon aux anarchistes, mais cela est une autre histoire sur laquelle nous espérons revenir plus en détail.

En résumé, il ressort de ces différentes observations que nous sommes en désaccord avec la position des camarades de S.A.C. Nous aimerions que le dialogue se poursuive et s’élargisse, l’enjeu en est suffisamment grave.

Christian

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