La santé dans la Révolution sociale et libertaire de 1936

Le 18 juillet, explosa la guerre civile espagnole. Elle fut initié par un coup d’état menée par des militaires factieux (et fascistes). Mais ce coup échoua dans certaines régions d’Espagne, principalement en raison de la réaction le 19 juillet de la classe ouvrière, organisée pour sa majeure partie au sein d’une organisation anarchosyndicaliste, la Confédération nationale du travail (CNT-AIT), section espagnole de l’Association Internationale des Travailleurs. Les ouvriers initièrent alors une véritable Révolution sociale, qui allait bouleverser le cadre d’organisation de la société espagnole. Le secteur de la santé fut aussi impacté par cette tentative révolutionnaire. Même si la période révolutionnaire dura au final assez peu, les révolutionnaires cherchèrent à développer une organisation de la santé en accord avec leurs principes anarchistes.

Avec le surgissement révolutionnaire du 19 juillet 1936, dans le camp « républicain » l’ensemble des différents organismes gouvernementaux (services d’état, mairies, Généralité de Catalogne, etc.) perdirent leur pouvoir de facto.

Surtout en Catalogne, les anarchosyndicalistes ont joué un rôle clé pour étouffer la rébellion militaire. Ces ouvriers militants s’organisèrent spontanément au sein de Comités de Défense, qui se convertirent par la suite en milices ouvrières, pour aller combattre au front les fascistes.

Dans différentes localités ou quartiers, des Comités Révolutionnaires se formèrent pour établir un nouvel ordre révolutionnaire. La coordination politique à un niveau supérieur était plus erratique, malgré l’émergence de diverses organisations régionales en collaboration avec les forces politiques du Front populaire.

Sur le plan économique, de nombreuses entreprises furent saisies et collectivisées par la classe ouvrière, organisant des Conseils ouvriers pour gérer la production. Dans certains cas, une étape supplémentaire fut franchie avec la socialisation des moyens de production, en créant des Groupes d’entreprises (Agrupaciones) qui rassemblaient diverses entreprises issues d’une même branche ou secteur productif.

 Dans les zones non industrialisées – comme dans la province d’Aragon – des collectivités agricoles se mirent en place après l’expropriation de propriétaires terriens. Là aussi dans chaque localité des Comités Révolutionnaires s’occupaient de la gestion collective.

En définitive, à la fin de juillet 1936, en plus d’une guerre civile, s’était initiée une révolution sociale anarcho-syndicaliste avec des transformations sociales véritablement profondes dans pratiquement tous les domaines.

La culture sanitaire dans le mouvement libertaire

La culture de la santé a toujours été présente dans le mouvement libertaire, comme nous le verrons plus loin. Cependant il s’agissait surtout d’une culture populaire et non savante. En effet, dans le mouvement anarchosyndicaliste, il y a toujours eu une méfiance considérable envers les « intellectuels », y compris envers les professionnels de la santé. Le mouvement anarchosyndicaliste espagnol de la première moitié du XXème siècle avait une conception restrictive de la classe ouvrière, dans laquelle l’ouvrier industriel était la référence principale.

À cela s’ajoute la position idéologique anarchosyndicalisme qui repose sur l’usage exclusif de l’action directe[1] comme méthode tactique. Il y avait donc une opposition majoritaire au sein de la CNT-AIT au syndicalisme de base multiple, conception dans laquelle il était possible de recourir à des tactiques non fondées sur l’action directe telles que la création de fonds de résistance, de coopératives ou de sociétés de secours mutuels . Cependant, les secteurs les plus réformistes de la CNT-AIT (comme par exemple la fraction des « Pestañistes ») étaient plus ouverte à ce type de méthodes.

Malgré cette méfiance de principe et cette approche peu conciliatrice, il y eu d’éminents médecins anarchosyndicalistes parmi lesquels on peut citer Isaac Puente, Félix Martí Ibáñez, Emilio Navarro Beltrán ou Amparo Poch y Gascón.

Les deux premiers se sont distingués par leur collaboration dans différentes publications libertaires comme Eticos  ou Initiales (parues à Barcelone entre 1927 et 1937) ou encore Generación Consciente puis Estudios (parues à Valence entre 1923 et 1937), et qui étaient diffusés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Dans ces publications, une série d’approches actuellement oubliées ont été diffusées, parmi lesquelles nous soulignerons le néomalthusianisme et ce qui s’appelait alors « l’eugénisme positif » (sans lien avec l’eugénisme négatif des nazis, nous y reviendrons)[2].

Le néo-malthusianisme – popularisé par le pédagogue français Paul Robin[3] – a été introduit en Espagne via l’anarchiste Luis Bulffi de Quintana, qui a ouvert à Barcelone (92 rue d’Urgell) le premier centre espagnol de planification familiale en 1904, la clinique « Santé et Force ». Le néomalthusianisme avait compris que la surpopulation de la classe ouvrière conduisait inévitablement à la misère. Le contrôle des naissances était donc conçu comme une approche révolutionnaire.

De fait, ces groupes se chargeaient de la distribution des contraceptifs sous forme de préservatifs ou d’obturateurs intra-utérins. [4]

Brochure, « Ce que doit savoir chaque jeune fille » (ill. de Monleon) Une brochure sur la contraception, révolutionnaire pour l’époque et pour le pays très religieux qu’était l’Espagne. A noter pour que le dessin soit explicite les deux papillons qui attirent le regard de la jeune femme.Femme ! Ton bonheur conjugal est entre tes mains (ill. de Monleon) Affiche choc pour l’Espagne de 1936… et pour le reste du monde aussi. Un appel vers les femmes à s’affranchir de l’obscurantisme religieux et du machisme ambiant.

L’eugénisme positif quant à lui préconisait l’amélioration du genre humain mais, contrairement à l’eugénisme négatif des nazis allemand qui reposait sur la stérilisation des « inaptes »-, le mouvement libertaire prône quant à lui l’amélioration des conditions physiques et intellectuelles par la pratique sportive amateur, la vie en plein air, une alimentation saine (végétarisme) ou la pratique du naturisme.

En complément, il était nécessaire de neutraliser les facteurs dysgéniques tels que la consommation d’alcool, de tabac ou d’empêcher la propagation de maladies vénériennes. Toutes ces idées se retrouveraient dans la politique de santé menée par les libertaires pendant la révolution espagnole.

Affiche du syndicat des industries agricoles, de la pêche et de l’alimentation contre l’alcool et les jeux

« Ouvrier ! Le vice te conduira au désespoir et à la folie. Evite-le !

CNT-AIT »

Exemples de campanes antivénériennes en direction des milices

Nous commenterons ci-après les événements dans les premiers jours de juillet 1936 dans le secteur de la santé et comment la situation a évolué au cours des mois suivants, dans le contexte de ce grand exploit historique représenté par la révolution espagnole, principalement animée par l’anarchosyndicalisme.

La Révolution en Catalogne et son impact sur le système de santé

En Catalogne, le soulèvement militaire fut écrasé dans l’œuf dès le 19 juillet. La victoire fut éclatante et la classe ouvrière se trouva devant une situation inédite : le pouvoir avait disparu ! Mais il fallait désormais agir pour que les activités reprennent et en premier lieu les activités vitales telles que celles de santé. D’autant plus que la guerre amenait ses lots de blessés. La classe ouvrière, et singulièrement ceux qui étaient organisés au sein de la CNT-AIT et qui se préparaient à cette éventualité depuis des dizaines d’années, pris le contrôle de l’économie en collectivisant la plupart des industries et des services, dont ceux de santé.

Dans le cadre de cette œuvre constructive, les hôpitaux existants passèrent dans un premier temps sous contrôle syndical. La politique de santé de la CNT-AIT en Juillet 36 avait la volonté de garantir à l’ensemble de la population l’accès à une santé publique de qualité. Pour cela, elle fit la promotion de la collectivisation des hôpitaux, des cliniques, des sanatoriums, etc., supprimant ainsi le secteur privé et surtout le secteur religieux qui avait la quasi exclusivité des établissements de santé auparavant. Ainsi, le principal hôpital de la ville,  l’Hôpital Santa Creu i Sant Pau, fut débaptisé de son nom catholique pour devenir l’Hôpital Général de Catalogne. La CNT-AIT était le syndicat majoritaire dans l’établissement. Immédiatement, tous les symboles religieux tels que les croix furent supprimés des chambres des patients comme des parties communes. Plusieurs monuments religieux furent détruits, telle que la statue de Pablo Gargallo, qui se situait à l’entrée, et dont les 4 tonnes de métal servirent à fabriquer des munitions dont manquaient cruellement les miliciens.

Le corps médical de l’hôpital accepta publiquement cette nouvelle organisation administrative et coopéra sans hésiter avec le nouveau mode de fonctionnement de l’hôpital[5].

Le personnel religieux quant à lui dû choisir entre le service à Dieu ou celui aux malades : quelques-unes des religieuses retirèrent leur voile religieux pour continuer de se consacrer aux patients dans les salles de soin ou d’opération. La plupart préférèrent démissionner et travailler dans des maisons privées comme gardes malades. Le curé de l’hôpital, ainsi que 12 séminaristes (étudiants curé) et 2 infirmières, qui avaient manifesté leur ralliement à la rébellion militaire fasciste, furent passés par les armes [6]par les révolutionnaires.[7]

Le contrôle syndical mis en place dans les hôpitaux dès les premiers jours fut crucial  pour initier la mise en place d’une politique de santé innovante et moderne. Par exemple dans le pavillon 6 (ex pavillon San Rafael) : le pavillon était une grande salle, avec un plafond de huit mètres de haut et où les lits des patients étaient alignés en batterie comme cela se faisait à l’époque, l’appui-tête reposant contre le mur. Il n’y avait pas de chambres individuelles ni partagées. Au pied du lit, là où normalement sont accrochées les fiches des constantes vitales du patient (température, fréquence cardiaque, …), avant la révolution était affichée à la place une image religieuse d’encouragement signée par « quelques fidèles de la Vierge des douleurs ». De même,  les malades devaient, en entrant puis en sortant du pavillon, s’agenouiller devant la statue du Saint et vénérer son histoire telle qu’écrite dans la bible : Saint Raphael enseigna Tobie qu’en brûlant le foie et le cœur d’un pauvre poisson cela chasserait l’esprit mauvais du démon lubrique Asmodé, qui avait tué les sept maris précédents de la femme que voulait épouser Tobie. D’où le nom de Raphaël, ‘Dieu guérit » en hébreu. La révolution remplaça cet abracadabra plus proche la magie noire que de la médecine, par des méthodes scientifiques, et commença en remplaçant les images pieuses par des données chiffrées et mesurées.

Le pavillon 6 de l’Hôpital Général de Catalogne, dans les années 1920

Cette période de gestion publique, qui se prolongea jusqu’à la fin de la guerre en 1939, permit d’importants progrès médicaux. Preuve en est la technique de chirurgie de guerre élaborée par le docteur Josep Trueta, chef de service de l’hôpital, qui fut ensuite très largement adoptée pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait d’une méthode de traitement des fractures et des blessures ouvertes visant à éviter la gangrène et par conséquent l’amputation des membres touchés. Suite à la victoire franquiste, le docteur Trueta partit pour l’exil en France et en Angleterre, tandis que plusieurs médecins de l’hôpital furent écartés et démis de leurs fonctions par les nouvelles autorités.

L’Hôpital Général a joué un rôle central dans la santé civile et militaire dans la Barcelone de la guerre civile, soignant les blessés de guerre, les civils touchés lors des bombardements fascistes et les autres malades habituels. Il traita plus de 17 000 blessés de guerre en trois ans[8], dont le fameux écrivain anglais Georges Orwell, pris en charge après une blessure par balle au cou sur le front Aragonais fin mai 1937, et plus de 2000 blessés par bombardement. Les 16, 17 et 18 mars 1938 furent  particulièrement dramatiques lorsque l’aviation italienne se déchaina contre Barcelone. Le Dr Trueta expliqua, lors d’une conférence à Londres en 1939 alors qu’il était déjà exilé, qu’en ces jours fatidiques, plus de 60 médecins travaillèrent sans interruption pendant trois jours, effectuant 731 interventions chirurgicales.

A côté de la collectivisation des structures médicales existantes, furent créés des « Hôpitaux de campagne » (Hospitales de sangre), dont l’activité principale se centrait sur les transfusions et le traitement des blessés et des malades blessés au front.

Hospital de sangre CNT-AIT du quartier de Gracia

L’importance de la Croix-Rouge était cruciale, car elle disposait de ses propres hôpitaux, parmi lesquels se distinguait l’hôpital central de la Croix-Rouge (rue Dos de Mayo).

La CNT-AIT de son côté avait organisé un réseau d’hôpitaux tels que l’Hôpital du Peuple (Hospital del Pueblo, rue de Provence), d’une capacité de 200 lits ; l’Institut de Puériculture et de Maternité Louise Michel (236 rue almerón) d’une capacité de 125 lits ; ou encore la Polyclinique Chirurgicale d’Urgence Bakounine, d’une capacité de 50 lits. Tous ces hôpitaux étaient contrôlés par le Syndicat Unique de la Santé et de l’Hygiène de la CNT-AIT.

Carte postale éditée en 1936, par les Éditions CNT FAI, représentant un milicien blessé soigné à l’hôpital à Barcelone. Vendue à l’étranger pour la solidarité internationale, ces cartes sont commentées en quatre langues : castillan, français, anglais, suédois.

Casa de la Maternidad de Barcelona (Mujeres Libres, n°11)

C’est au mois de septembre 1936 que se constitua, à Barcelone, le Syndicat des services sanitaires de la CNT-AIT. Le texte « Socialisation de la médecine » indique que, 5 mois après sa création, il comptait 1020 médecins de toutes spécialités, 3206 infirmières/iers, 330 sage-femmes, 633 dentistes, 71 spécialistes en physiothérapie, 153 herboristes, 203 stagiaires, 180 pharmaciennes/iens, 663 aide-pharmaciennes/iens, 335 préparateurs/trices de matériel sanitaire, 220 vétérinaires, 10 spécialistes indéfinis et un nombre incertain de masseuses/eurs. Un peu plus tard, en 1937, ce ne sont pas moins de 40 000 membres qui composaient la section des travailleurs et travailleuses de la santé de la CNT.

Le travail de ce personnel spécialisé, et des quelques noms que l’on retient encore, fut non-négligeable dans la guerre civile. Félix Martí Ibáñez commente d’ailleurs :

« Dès le premier jour du combat, nous, médecins de la CNT-AIT, avons constitué, grâce à l’organisation sanitaire ouvrière, le premier contrôle sanitaire qui fut également le premier effort de cohésion organique des services sanitaires de la Catalogne. Quand le moment sera venu, nous décrirons ces journées frénétiques au cours desquelles le contrôle sanitaire de la CNT-AIT improvisait, à une vitesse vertigineuse, les solutions que réclamaient les innombrables problèmes qui surgissaient sans arrêt. »

Sous l’impulsion de Martí Ibáñez, le « socialisateur de la médecine », de nombreuses politiques d’avant-garde furent mises en place : promotion des méthodes de prévention (prophylaxie) [9] pour lutter contre certaines maladies, création de centre d’éducation sexuelle pour la jeunesse, ouverture de nouveaux centres hospitaliers (Maxim Gorki, Santa Coloma, Tres Torres, Sarrià, Sargento, Huerta, Dispensaire Central, Centre Préventif Antituberculeux), service d’incinération des cadavres[10], légalisation de l’avortement, réorganisation du corps des infirmiers psychiatriques, création avec l’appui des Mujeres Libres des liberatorios de prostitución, restructuration au niveau local (comarcal) des services sanitaires.

La Catalogne se couvrit alors de centres de santé primaires et secondaires autonomes (non toutefois absolument indépendants), pour que tous les individus des villes, villages et hameaux puissent recevoir des soins de santé adéquats. Il y avait une coordination entre les centres primaires et secondaires par des délégués révocables et une coordination intersectorielle. Les prises de décision étaient égalitaires, rationnelles et loin des intérêts de la médecine du secteur privé. Ces centres ont mis beaucoup d’ardeur dans la prévention des maladies, leur détection rapide et l’hygiène. Plusieurs médecins ont également travaillé, via la presse, à détruire les préjugés sociaux concernant divers troubles et maladies comme les maladies vénériennes et l’alcoolisme.

Dès le 21 juillet se mit en place le  Comité central des milices antifascistes (CCMA), organe régional en Catalogne composé des partis de gauche du Front populaire, ainsi que du syndicat socialiste UGT et de la CNT-AIT. Cet organisme était de fait le véritable gouvernement en Catalogne, car la Généralité – l’organisme officiel de gouvernement de la Catalogne – n’avait guère de pouvoir réel au début de la Révolution.

Un Comité de la santé fut créé, qui dépendait du Comité des Milices (et non de la Généralité). Il fonctionna jusqu’au 19 septembre 1936. Cet organisme avait son siège au Théâtre de Barcelone (sur la fameuse Rambla de Barcelone), et s’occupait des aspects sanitaires de la guerre, notamment les hospitalisations. Même si ce Comité était présidé par le docteur Jaume Aiguader i Miró – un indépendantiste catalan de gauche (ERC) – l’influence anarchosyndicaliste était prépondérante dans le Comité Sanitaire.

Quand la CNT-AIT finalement rejoint la Généralité le 27 septembre 1936, le Comité des Milices fut dissout. Le Comité de Santé laissa la place au Conseil de santé de guerre (Consell de Sanitat de Guerra) et au Conseil Général de la santé (Consell General de Sanitat), qui coordonnaient et centralisaient les opérations dans le domaine de la santé. Au début octobre 36, les deux hôpitaux les plus importants de Barcelone devinrent propriété de la Généralité de Catalogne : l’Hôpital Clínic et l’Hôpital Général.

Le cénétiste Antonio García Birlán assuma le premier les fonctions de Conseiller pour la santé et l’assistance sociale, fonction assumée ensuite par d’autres cénétistes au cours des mois suivants, et notamment celui qui joua certainement le rôle le plus important, le docteur anarchosyndicaliste Félix Martí Ibáñez, Directeur général de la santé et de l’assistance sociale, poste qu’il occupera jusqu’à la fin juin 1937.

En outre, il convient de mentionner la campagne abolitionniste contre la prostitution menée par les anarchistes – et en premier lieu les Mujeres Libres (les femmes libres). Elles mirent en place, sous la coordination de la féministe anarchosyndicaliste Amparo Poch y Gascón, des « liberatorios de prostitución », maisons destinées aux affiche, 1937, Lobo ?, Prostitution, une existence humaineprostitués, où elles pouvaient recevoir des soins de santé, de la psychothérapie et une formation professionnelle pour leur permettre d’acquérir une indépendance économique par des moyens socialement acceptables

Affiche d’information pour les Liberatorios de Prostitución

Les événements de mai 1937 – quand le parti communiste espagnol attaqua la CNT-AIT – et le retrait consécutif des anarchosyndicalistes de la Généralité mirent fin au projet collectiviste et de socialisation de la santé. La politique de santé fut dès lors dominée par les partis politiques, indépendantistes catalans de gauche de l’ERC et communistes du PSUC. De crise gouvernementale en crise gouvernementale, le conseil de Santé de guerre fut absorbé par le Service de Santé Militaire de la République (Sanidad Militar Republicana), sous l’autorité du Ministère de la Défense (ou de la Guerre). Le conflit avec les franquistes n’atteindra pas le territoire catalan avant la fin de 1938, mais le projet libertaire avait été sérieusement mis à mal après les événements de Mai 1937.

Miliciennes armées avec des brassards sanitaires, été 1936

La Révolution à Valence et son impact sur le système de santé

A Valence aussi, suite à l’écrasement du soulèvement militaire par les ouvriers, se mis en place dès le 22 juillet 1936 un organisme régional de gestion, le Comité exécutif populaire de Valence (Comité Ejecutivo Popular de Valencia). Il intégrait des membres des partis politiques du Front populaire ainsi que des représentants des organisations syndicales (CNT-AIT et UGT).

Ce Comité nomma un Comité Sanitaire Populaire avec à sa tête le dirigeant régionaliste valencien Francisco Bosch Morata. Cependant, le Département des Hôpitaux et des Sanatoriums qui en dépendait était placé sous le contrôle de la CNT-AIT, avec comme directeur le médecin cénétiste Emilio Navarro Beltrán.

La CNT-AIT avait créé, indépendamment du reste des forces, un organe purement confédéral appelé Contrôle sanitaire (Control Sanitario), chargé de tâches telles que la tenue des registres du personnel travaillant dans les hôpitaux, les sorties et les sorties des patients, la comptabilité, etc. Dans les bâtiments du Contrôle sanitaire (rue Guillem de Castro), se trouvait également un Hôpital de campagne, sous la direction du médecin cénétiste José Lanuza Bonilla. D’autres installations cliniques ou hôpitaux étaient contrôlés par les travailleurs de la santé » affiliés à la CNT-AIT : la Maison de la maternité (Casa de la Maternidad) et le Sanatorium de la Villa María. On peut ajouter la Mutuelle Confédérale, située dans la zone portuaire, qui avait été créée à l’initiative du célèbre médecin cénétiste Emilio Navarro Béltran dès 1931.

L’Hôpital Provincial de Valence, le plus important de la région, était également sous la direction de Beltran. Cependant, cet hôpital passât à la fin de l’année 36 aux mains de la gauche républicaine. En janvier 1937, le Comité exécutif populaire fut dissous pour être remplacé par un organe gouvernemental traditionnel, le Conseil Provincial de Valence, dans lequel Emilio Navarro occupait le poste de Conseiller à la santé. Quoi qu’il en soit, il était clair que les forces du Front populaire avaient gagné du terrain contre les anarchosyndicalistes, une situation devenue irréversible après les événements de mai 37 en Catalogne. L’expérience sanitaire cénétiste ne put continuer non plus à Valence.

La Révolution en Aragon et son impact sur le système de santé

Timbre du Conseil d’Aragon pour les blessés

En Aragon, la situation était sensiblement différente en raison de la domination indiscutable des anarchosyndicalistes. Dans les zones libérées, surgirent environ 450 collectivités agricoles, comprenant plus de 300 000 personnes. Lors de l’Assemblée extraordinaire des syndicats de la CNT-AIT tenue à Bujaraloz le 6 octobre, il fut décidé de la constitution d’un organe administratif appelé le Conseil Régional de Défense d’Aragon (Consejo Regional de Defensa de Aragón), dont Joaquin Ascaso fut désigné président. Fin décembre 1936, les autres forces politiques du Front populaire rejoignirent le Conseil. Le conseiller pour la santé et l’assistance sociale était José Duque, du Parti communiste.

Aragon étant une zone de guerre, les colonnes des Milices ouvrières qui montaient au front pour combattre les franquistes ont joué un rôle important dans les zones libérées. On estime à environ 30 000 le nombre de miliciens se battant sur ce front. Nous soulignerons le rôle de deux colonnes de miliciens anarchosyndicalistes : la colonne Durruti et la colonne de fer.

La colonne Durruti avait quitté Barcelone le 23 juillet 1936, était doté d’ambulances et d’une équipe de santé composée d’environ 70 membres de la Croix-Rouge (médecins, infirmières, etc.). Le rôle de la Colonne de fer, qui avait quitté Valence début août, fut particulièrement intéressant. Le délégué médical de la colonne était Ramón Sanchís. La colonne organisa cinq postes de santé à Puerto Escandón. À Puebla de Valverde, trois autres postes de santé avancés équipés de matériel chirurgical furent organisés, ainsi qu’un hôpital de 50 lits. En ce qui concerne les hôpitaux de l’arrière, les travailleurs du Syndicat Unique de la Santé de la CNT-AIT organisèrent l’Hôpital de campagne de Sarrión (près de Castellón), qui recueilli de nombreux blessés de la Colonne de fer. Cette colonne fut la dernière à être militarisée (pour plaire aux communistes et aux républicains) et à s’intégrer à l’armée républicaine.

En ce qui concerne le Conseil Régional de Défense, il fut dissout le 11 août 1937 par un décret du gouvernement républicain de Negrín, dissolution contre révolutionnaire rendue effective par la 11ème Division « Líster » (du nom du général communiste qui la dirigeait) et qui fit appliquer cette décision manu militari n’’hésitant pas à décimer les récalcitrants comme ils le firent pour les collectivités qui refusaient de rentrer dans le moule républicain.

Conclusion

Comme nous l’avons indiqué, depuis le milieu de 1937, la perte de capacité des anarchosyndicalistes était évidente. Le développement défavorable de la guerre, surtout après la bataille de l’Èbre (juillet-novembre 1938), qui marqua un tournant, entraîna l’invasion de la Catalogne par l’armée rebelle franquiste. La fin de la guerre survint début 1939 et signa le début d’un long et douloureux exil d’une grande partie de la population notamment les classes populaires, et parmi eux de nombreux anarchosyndicalistes. Malgré tout, après l’exil, après des décennies de traversée dans le désert, la CNT-AIT est restée en vie et elle est toujours là.

Les enfants jouent dans les rues de Barcelone la Révolutionnaire à l’été 1936.
Les petits garçons jouent aux miliciens, les petites filles aux infirmières

Nous espérons que ce grand espoir initié par la révolution espagnole pourra se répéter un jour et être cette fois : victorieux.


[1] Action directe : action des ouvriers directement contre leur exploiteur, sans passer par des intermédiaires (tels que élus syndicaux ou politiques, représentants, etc. …)

[2] « L’eugénisme positif, soucieux d’élever la qualité physique et morale des individus s’attache à promouvoir l’hygiène et l’éducation Son pendant l’eugénisme négatif, pessimiste quant aux possibilités d’améliorer l’individu, cherche à éliminer les « tares héréditaires » en prévenant leur passage à la génération suivante par l’imposition d’un certificat d’aptitude au mariage ou de manière plus radicale par la stérilisation des populations considérées comme dynamiques (jusqu’à opérer par assassinat dans le cas de l’Allemagne nazie) » Arnaud Baubérot, Histoire du naturisme, 2004, Presses Universitaires de Rennes, p. 248

[3] « Bonne naissance, bonne éducation, bonne organisation sociale »

[4] « Les médecins affiliés aux Jeunesses Libertaires (FIJL) ou aux Mujeres Libres réussissaient à nous procurer des appareils [ovules] à base d’argent. Tous les six mois, nous allions consulter le médecin qui extrayait le dispositif intra-utérin, le stérilisait, nous examinait puis le remettait en place, et ainsi nous ne tomberions pas enceintes. »

[5] http://memoriabcn.cat/horta/index/1/fr

[6] El Hospital de Sant Pau, como nadie lo recuerda, Carles Cols, Barcelona, El Periodico, 23/11/2017

[7] A noter qu’après la victoire des franquistes en 1939, les médecins, les personnels infirmiers comme administratif, durent tous rendre des comptes de ce qu’ils avaient fait entre 1936 et 1939. Le régime fasciste exigea qu’ils dénoncent les « rouges », et l’ensemble du personnel fut épuré. Beaucoup des membres du personnel médical furent ainsi interdit d’exercer leur métier.

[8] La vanguardia, Los archivos del hospital de Sant Pau relatan la historia del centro durante la Guerra Civil, Santiago Tarín, Barcelona, 25/03/2019

[9] Les programmes de prophylaxie portaient sur les maladies suivantes : lèpre, tuberculose, trachome, cancer, rage, rhumatismes, paludisme, maladies vénériennes,  etc.

[10] La crémation est formellement interdite par la religion catholique, laquelle imprégnait très fortement la culture et la société espagnole de cette époque …

1 commentaire sur La santé dans la Révolution sociale et libertaire de 1936

Laisser un commentaire