Les mains entrelacées, un symbole anarchiste de lutte et de solidarité

Chaque jour un peu plus  dans les médias libertaires – imprimés ou en ligne-, le poing levé, symbole socialiste et communiste, est utilisé comme salutation à la place de celui historique et spécifique de l’anarchisme : les mains jointes au-dessus de la tête, qui symbolisent la solidarité et le soutien mutuel.

Il est courant de voir de plus en plus dans notre propagande anarchiste le symbole du poing levé et fermé, au détriment des mains entrelacées. Pourtant le poing levé est typique des mouvements socialistes et communistes et de la gauche réformiste. Il exprime l’unité, la force ou le défi. Les mains entrelacées  sont  celles les anarchistes et anarcho-syndicalistes ont historiquement utilisé, il exprime la solidarité et le soutien mutuel. [Leur origine viendrait du fait que quand ils étaient arrêtés par la police, les anarchistes étaient menottés, et donc pour lever le poing de force il fallait aussi lever l’autre main, de cette façon ceux qui étaient salués commençaient à imiter ceux qui étaient arrêtés.].

Il y a des raisons de fond et de forme pour renoncer au symbole du poing levé au sein de l’anarchisme et privilégier plutôt celui les mains jointes, notre symbole de toujours, évitant ainsi la confusion si souvent promue par les mouvements dits « plateformistes » et post-marxistes.

Du point de vue du fond et de ce que représente le poing levé (unité, force, pouvoir populaire) il y aurait beaucoup à dire, car dans l’anarchisme nos idées empruntent un chemin différent. Ainsi, face à l’unité, qui implique généralement le centralisme, l’autoritarisme et la hiérarchie, nous proposons le fédéralisme, quelque chose de mieux représenté par des mains entrelacées, des mains différentes qui s’unissent librement. Face au symbole de la force et du pouvoir que représente le poing fermé, les mains jointes nous parlent de soutien mutuel, de collaboration entre opprimés, d’une connexion libre qui n’implique pas une structure de fer, mais plutôt un accord qui ne doit pas nécessairement être permanent et inamovible. De plus, les mains entrelacées au-dessus de la tête forment un cercle que rien ne peut interrompre, représentant l’union – qui veut dire le syndicat en espagnol comme en anglais – dans son ensemble et au-dessus de tout.]

D’après l’usage historique, il est vrai que le poing levé coexistait parfois avec le salut anarchiste. En 1917, le poing levé  fut même utilisé comme logo par l’organisation syndicaliste américaine des IWW. [Néanmoins le poing levé a été réellement popularisé dans les années 1930 par le Roter Frontkämpferbund, organisation paramilitaire issue du Parti communiste d’Allemagne, en réaction au succès rencontré par la Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold, une organisation paramilitaire socialiste crée pour contrer les milices nazies : « Les communistes dépassèrent largement les socialistes pour ce qui était de l’appropriation d’éléments symboliques. A l’uniforme et aux divers ingrédients de la parade militaire, ils ajoutèrent un serment prêté au drapeau, un cri — Rot Front !, Front rouge ! —, enfin un salut promis à un grand avenir, le poing levé à hauteur de la tête, qu’un dessin de John Heartfield transforma en emblème de l’organisation »[1]. D’après l’historien Philippe Burrin, il « commença à marquer le paysage politique français en 1933, et il faut probablement prendre en compte le rôle joué, sur ce point comme sur d’autres, par les exilés antihitlériens. En tout cas, le Parti Communiste Français fut le véhicule principal de sa propagation (…) A partir du tournant de 1934, la diffusion du nouveau geste semble avoir été encouragée par la direction du Parti Communiste.(…) Contre-gestuel du salut fasciste, le poing levé était devenu l’expression corporelle par excellence de l’antifascisme. Les militants y trouvaient le moyen de figurer leur résolution, leur volonté de combat, leur dévouement au parti, à ses chefs et à ses morts.  »[2]. En tout cas il est indéniable que l’histoire du poing levé est indissociable de celle du léninisme, du stalinisme et de tous ses avatars trotskystes, maoïstes etc … qui ont toujours été des ennemis acharnés des anarchistes.]

Cependant, ce symbole du poing levé est devenu populaire plus tard, pendant la guerre civile espagnole, lorsqu’il a été utilisé par le côté républicain comme salutation, recevant ainsi le nom de « salutation du Front populaire » ou de « salutation antifasciste ». Déjà en 1937, nous constatons qu’au sein de la CNT les deux coexistaient en raison de l’influence croissante d’éléments staliniens au sein des structures de pouvoir de la République en guerre, à laquelle participait la CNT. Postérieurement, ce salut s’est ensuite étendues aux gauchistes et aux antifascistes de toute l’Europe.

Meeting de la CNT-AIT à Barcelone, 1937

Le symbole des mains jointes au-dessus de la tête, utilisé par les anarchistes tout au long de l’histoire, nous différencie des organisations qui, au sein du mouvement ouvrier, promeuvent le communisme autoritaire ou le socialisme parlementaire et réformiste.

Cette manière anarchiste de saluer a fait le tour du monde lorsque l’un des premiers soldats à avoir participé à la libération de Paris des nazis a été représenté pour la postérité en train de faire ce salut. C’était un militant libertaire espagnol intégré à la 9e compagnie de la 2e division blindée de la France libre, également connue sous le nom de division Leclerc. Il s’agissait d’une Compagnie assez importante puisqu’elle était composée presque entièrement d’e nviron 150 républicains espagnols, dont beaucoup d’anarchosyndicalistes de la CNT-AIT. (pour en savoir plus : MYTHOLOGIE DE LA LIBERATION https://cnt-ait.info/2024/02/21/mythologie-de-la-liberation )

Je crois que la culture anarchiste est très riche en symbole et a toujours consacré beaucoup d’importance à son iconographie, une maniè re d’expliquer les idées d’éma ncipation (…). Par conséquent, par respect pour notre histoire et pour exprimer nos différences et nuances importantes avec d’autres mouvements issus de la classe ouvrière mais poursuivant des objectifs différents des nôtres, il est de plus en plus nécessaire de récupérer dans nos actes, dans nos actions, dans notre propagande. le salut des mains jointes, la seule marque d’affirmation  véritablement anarchiste.

D’après un texte de ROMERO, CNT-AIT Asturies (Espagne)

Fernando Fernán Gómez, le grand acteur espagnol, également scénariste, metteur en scène de cinéma et de théâtre, avait été membre de la CNT-AIT pendant sa jeunesse durant la Révolution espagnole. Il ne manquait jamais de faire le signe anarchiste lors des cérémonies où il participait, notamment l’équivalent des Oscars du cinéma espagnol, pour rappeler son attachement aux idéaux libertaires, porteurs d’espoir d’un monde meilleurs.


[1]    Kurt G.P. Schuster, Der Rote Frontkämpferbund 1924-1929. Beiträge zur Geschichte und Organisationsstruktur eines politischen Kampfbundes, Düsseldorf, Droste Verlag, 1975, p. 41, note 1. cité in Philippe Burrin, « Poings levés et bras tendus. La contagion des symboles au temps du front populaire »

[2] Philippe Burrin, « Poings levés et bras tendus. La contagion des symboles au temps du front populaire », Vingtième Siècle : Revue d’histoire, vol. 11, no 1, ‎ 1986, p. 5-20


Texte extrait de la brochure « Un CHAT NOIR,UN A CERLE, UN DRAPEAU ROUGE ET NOIR …ET UN RATON LAVEUR, une petite histoire des symboles anarchistes … »

Lire et télécharger en ligne : https://cnt-ait.info/2025/04/29/symboles-anar

Sommaire :

Pourquoi cette brochure ?

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Fétichisme révolutionnaire

L’aliénation de la consommation des symboles révolutionnaires

Du drapeau rouge au drapeau noir

Louise Michel et le drapeau noir

1968 : Le drapeau noir contre le drapeau tricolore

« Mort à tous ceux qui s’opposent à la liberté des travailleurs » : A propos d’un faux drapeau Makhnoviste devenu symbole de l’Anarchie

Les origines du drapeau rouge et noir

Tout ce qui est rouge et noir n’est pas anar …

Le logo de l’AIT, de 1922 à aujourd’hui

De la Croix-Rouge Anarchiste à la Croix Noire Anarchiste : plus d’un siècle de solidarité avec les prisonniers.

Le label syndical

Ni Dieu ni Maitre !

Histoire du A cerclé

L’emblème historique de la CNT espagnole :  Hercule et le Lion de Némée

D’où vient le symbole du Chat Noir anarchiste ?

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Le sabot

No Pasaran, les trois flêches, Siamo tutti antifascisti : des symboles de défaites …

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