Le 9 mars 1883, le syndicat des menuisiers de Paris organise un meeting en solidarité avec les « sans-travails ». S’ensuit une manifestation spontanée aux Invalides, emmenée par Émile Pouget et Louise Michel, qui désormais se réclame de l’Anarchisme. Louise Michel a l’idée d’improviser un drapeau, à partir d’un vieux jupon noir fixé sur un manche à balai. Rapidement, la manifestation dégénère en pillages de trois boulangeries et en affrontement avec les forces de l’ordre. Au procès qui s’ensuivit, le 22 juin 1883 et où elle iut condamnée à à six ans de prison assortis de dix années de surveillance de haute police, pour « excitation au pillage », Louise Michel y fit une émouvante défense du drapeau noir.
Texte de la Défense de Louise Michel, prononcée le 22 juin 1883, devant la Cour d’Assise de la Seine ; in Ecrits sur l’Anarchisme – Editions Seghers, 1964
« Il y a quelque chose de plus important, dans ce procès, que l’enlèvement de quelques morceaux de pain. II s’agit d’une idée qu’on poursuit, il s’agit des théories anarchistes qu’on veut à tout prix condamner.
On insiste sur la fameuse brochure : « A l’armée ! » à laquelle le ministère public semble s’être appliqué à faire une publicité à laquelle on ne s’attendait guère. On a agi autrement durement envers nous en 1871. J’ai vu les généraux fusilleurs ; j’ai vu M. de Gallifet faire tuer, sans jugement, deux négociants de Montmartre qui n’avaient jamais été partisans de la Commune ; j’ai vu massacrer des prisonniers, parce qu’ils osaient se plaindre. On a tué les femmes et les enfants ; on a traqué les Fédérés comme des bêtes fauves ; j’ai vu des coins de rue remplis de cadavres. Ne vous étonnez pas si vos poursuites nous émeuvent peu.
Ah, certes, monsieur l’avocat général, vous trouvez étrange qu’une femme ose prendre la défense du drapeau noir. Pourquoi avons-nous abrité la manifestation sous le drapeau noir ? Parce que ce drapeau est le drapeau des grèves et qu’il indique que l’ouvrier n’a pas de pain.
Si notre manifestation n’avait pas dû être pacifique, nous aurions pris le drapeau rouge ; il est maintenant cloué au Père-Lachaise, au-dessus de la tombe de nos morts. Quand nous l’arborerons nous saurons nous défendre. Nous n’avons pas fait appel à l’Internationale morte parce qu’on n’a pu en réunir les tronçons et parce que l’Internationale est un pouvoir occulte et qu’il est temps que le peuple se montre au grand jour.
On parlait tout à l’heure de soldats tirant sur les chefs : Eh bien ! à Sedan, si les soldats avaient tiré sur les chefs, pensez-vous que c’eût été un crime ? L’honneur au moins eût été sauf. Tandis qu’on a observé cette vieille discipline militaire, et on a laissé passer M. Bonaparte, qui allait livrer la France à l’étranger. Mais je ne poursuis pas Bonaparte ou les Orléans ; je ne poursuis que l’idée.
J’aime mieux voir Gautier, Kropotkine et Bernard dans les prisons qu’au ministère. Là ils servent l’idée socialiste, tandis que dans les grandeurs on est
pris par le vertige et on oublie tout. Quant à moi, ce qui me console, c’est que je vois au-dessus de vous, au-dessus des tribunaux se lever l’aurore de la liberté et de l’égalité humaine.
Nous sommes aujourd’hui en pleine misère et nous sommes en République. Mais ce n’est pas là la République. La République que nous voulons, c’est celle où tout le monde travaille, mais aussi où tout le monde peut consommer ce qui est nécessaire à ses besoins…
On nous parle de liberté : il y a la liberté de la tribune avec cinq ans de bagne au bout. Pour la liberté de réunion c’est la même chose En Angleterre le meeting aurait eu lieu ; en France, on n’a même pas fait les sommations de la loi pour faire retirer la foule qui serait partie sans résistance Le peuple meurt de faim, et il n’a pas même le droit de dire qu’il meurt de faim. Eh bien, moi, j’ai pris le drapeau noir et j’ai été dire que le peuple était sans travail et sans pain. Voilà mon crime ; vous le jugerez comme vous voudrez.
Vous dites que nous voulons faire une révolution. Mais ce sont les choses qui font les révolutions : c’est le désastre de Sedan qui a fait tomber l’empire, et quelque crime de notre gouvernement amènera aussi une révolution.
Cela est certain. Et peut-être vous-mêmes, à votre tour, vous serez du côté des indignés si votre intérêt est d’y être. Songez-y bien.
S’il y a tant d’anarchistes c’est qu’il y a beaucoup de gens dégoûtés de la triste comédie que depuis tant d’années nous donnent les gouvernements. Je suis ambitieuse pour l’humanité moi je voudrais que tout le monde fût assez artiste, assez poète pour que la vanité humaine disparût. Pour moi, je n’ai plus d’illusion. Et tenez, quand M. l’avocat général parle de ma vanité. Et bien ! j’ai trop d’orgueil même pour être un chef : il faut qu’un chef à des moments donnés, s’abaisse devant ses soldats, et puis, tout chef devient un despote.
Je ne veux pas discuter l’accusation de pillage que l’on me reproche, cela est trop ridicule. Mais, si vous voulez me punir, je commets tous les jours des délits de presse, de parole, etc. Eh bien ! Poursuivez-moi pour ces délits.
En somme, le peuple n’a ni pain ni travail, et nous n’aurons en perspective que la guerre. Et nous, nous voulons la vie en paix de l’humanité par l’union des peuples. Voilà les crimes que nous avons commis.
Chacun cherche sa route ; nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour où le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux ».

Texte extrait de la brochure « Un CHAT NOIR,UN A CERLE, UN DRAPEAU ROUGE ET NOIR …ET UN RATON LAVEUR, une petite histoire des symboles anarchistes … »
Lire et télécharger en ligne : https://cnt-ait.info/2025/04/29/symboles-anar
Sommaire :
Les rites de communication politique (Serge Tchakhotine)
Fétichisme révolutionnaire [1937]
L’aliénation de la consommation des symboles révolutionnaires
Du drapeau rouge au drapeau noir
Louise Michel et le drapeau noir
1968 : Le drapeau noir contre le drapeau tricolore
Les origines du drapeau rouge et noir
Tout ce qui est rouge et noir n’est pas anar …
Le logo de l’AIT, de 1922 à aujourd’hui
Le label syndical
Ni Dieu ni Maitre !
Histoire du A cerlé
L’emblème historique de la CNT : Hercule et le Lion de Némée
D’où vient le symbole du Chat Noir anarchiste ?
Les mains entrelacées, un symbole anarchiste de lutte et de solidarité
Pourquoi les anarchistes s’appellent entre eux compagnons et pas camarades ?
Le sabot
No Pasaran, les trois flêches, Siamo tutti antifascisti : des symboles de défaites …
3 commentaires sur Louise Michel et le drapeau noir