Utopia, ABC, Les Carmes, BABYLON KINO, etc.
DANS LES ENTREPRISES CULTURELLES,
DES PATRONS COMMES LES AUTRES …
Dans certaines entreprises de projection cinématographique, derrière les discours radicaux citoyennistes, altermondialistes voire anti-néo-libéraux, il y a parfois des pratiques plus conciliantes avec l’exploitation salariale …. La lutte déclarée au libéralisme économique et à l’uniformisation culturelle prend alors une tournure anti-lutte de classes ; et devant l’objectif ultime de la Culture et de sa promotion militante des patrons – avec l’assentiment de certains militants de gôche – s’arrangent finalement de l’exploitation salariale et ses extravagances. Mais la Résistance s’organise … Récits de luttes dans différents cinémas en France et en Allemagne.
« La classe ouvrière et la classe patronale
n’ont rien en commun. »
Préambule à la constitution des IWW, 1905
Ces mots qui introduisent le préambule des IWW, organisation syndicaliste révolutionnaire américaine sont plus que centenaires mais sont toujours d’actualité : « la classe ouvrière et la classe patronale n’ont rien en commun ».
Ce qui est une évidence pour tout militant de gauche, et a fortiori révolutionnaire, s’évanouit pourtant souvent quand on aborde le secteur de la « culture » … Ah la Culture ! La Culture – ou plutôt devrait-on dire l’industrie du divertissement avec un habillage plus ou moins intello – serait un secteur « à part », où les lois du marché ne s’appliqueraient pas vraiment, où – sous couvert de faire réfléchir le gens – tout serait permis. On trouve dans le secteur du divertissement culturel une multitude de structures économiques : certaines sont un peu plus dégagées de la profitabilité économique directe comme les associations, d’autres sont un peu moins inégalitaires et hiérarchique dans la prise de décision comme les coopératives, mais on y trouve aussi une pléthore d’entreprises commerciales de statut classique, notamment des SARL. Il est fréquent que ces SARL développent, pour faire la promotion de leur production, un discours citoyenniste, altermondialiste, écologiste, anti-néo-libéral voire même anticapitaliste. Ces entreprises déclarent la guerre au libéralisme économique et à l’uniformisation culturelle. Mais en interne c’est souvent une autre histoire …
Sous prétexte que certaines entreprises « culturelles » auraient une démarche « militantes », cela leur permettrait de s’affranchir des règles en matière de travail … d’ailleurs ce n’est plus un travail ni une exploitation, mais un plaisir et un véritable don de soi pour la cause … Des pratiques qui sont intolérables –avec raison – dans le moindre Mac Do (heures non payées, hiérarchie autoritaire, embrigadement et adhésion à l’idéologie portée par le patron), deviennent soudainement « normales » et même des vertus.
On nous rétorquera que les entreprises culturelles s’en tirent souvent difficilement économiquement. Certes, mais pas plus que les PME de l’agroalimentaire, ou les artisans plombiers-zingueurs. Est-ce que cela excuse pour autant l’exploitation qu’ils font subir à leurs salariés ? Comme le disaient les salariés grévistes du Cinéma des Carmes d’Orléans « On nous a reproché de sous-estimer les difficultés financières du cinéma, que ce n’était pas le bon moment d’entamer une crise (sociale) au sein d’une entreprise dont la pérennité n’est pas assurée : nous aimerions savoir alors à quel moment nous devions nous “plaindre” ? et faut-il tout accepter quand une entreprise a des difficultés ? »
Oui mais c’est que les entreprises culturelles ne génèreraient pas de capital autre que « culturel ». Cela reste à voir : dans le cas des cinémas par exemple, il arrive que les patrons militants soient par ailleurs les propriétaires – via une SCI – des murs, ce qui leur assure – quand ils seront revendus une fois la retraite venue – un joli pactole, accumulé grâce à l’extorsion de la plus-value du travail de leurs salariés pour parler comme un vulgaire marxiste … Et quand bien même, est ce que la fin justifie les moyens ? Comme le disaient toujours les grévistes des Carmes : « On nous a aussi reproché de méconnaître voire d’ignorer la spécificité attendue de fonctionnement d’un cinéma d’art et d’essai, d’une entreprise indépendante, d’une programmation audacieuse: si nous sommes d’accord sur le constat, nous pouvons diverger sur la méthode : être salarié d’un cinéma d’art et d’essai implique-t-il une disponibilité et un investissement personnel plus importants que dans un autre cinéma ? dans quelle mesure, et avec quelle limite ? faut-il enfin ne pas critiquer une organisation du travail interne parce que le projet final (montrer des films différents) serait plus décisif ? »
Il nous semble donc important de rappeler cette évidence : une entreprise culturelle c’est avant tout une entreprise, c’est-à-dire des propriétaires / patrons et des salariés ; or la classe ouvrière et la classe patronale n’ont rien en commun. Cela nous semble d’autant plus important à rappeler aujourd’hui : après la crise dramatique du Covid19, l’industrie du divertissement culturel fait face à une crise économique majeure, d’une ampleur inouïe. Déjà des voix s’élèvent dans l’intelligentsia pour exiger le sauvetage de l’industrie culturelle, c’est-à-dire le sauvetage de ses entreprises, appelant l’Etat à la rescousse à coup de subventions. Mais il y a fort à parier qu’en contrepartie l’Etat demande aux entreprises de réduire leurs « charges » (et pas leurs profits …). Déjà l’Etat fait appel à l’esprit de l’Union Sacrée, il nous demande d’oublier les divergences d’intérêts de classes entre patrons et salariés. Dans un mouvement paradoxal, on peut s’attendre à ce que les entreprises culturelles « militantes » cherchent à nous faire croire qu’elles ont dépassé leur statut d’entreprise privée pour se hisser au rang de « symbole de résistance culturelle » qu’il faut sauver, à tout prix, pour montrer qu’un des bastions de l’ « anti-néo-libéralisme » tient encore et contre tout. Et au nom de la lutte contre l’Union Sacrée on demandera aux salariés … de faire l’union avec leurs patrons militants… pour le plus grand profit de ces derniers !
Encore une fois, il y a fort à parier que ceux qui payeront réellement la note du « sauvetage économique » de cette industrie ce seront les salariés à qui on va demander d’accepter de faire des heures non payées, de réduire leurs salaires, de travailler plus pour gagner moins … avec ces arguments imparables propres à cette industrie « c’est pour la culture ! », « c’est de la Résistance au néolibéralisme ! ».
Nous avons voulu dans cette brochure rappeler un cycle de luttes, que la CNT-AIT avait activement soutenues, menées dans les années 2004-2010 dans le secteur de la projection cinématographique. Ce secteur est emblématique de cette industrie du divertissement culturel, qui prend un alibi militant pour couvrir ses pratiques managériales brutales. Ces luttes, qui se sont déroulés dans plusieurs villes de France et même en Allemagne, ont connues des scénarios sommes toutes assez semblables :des patrons « militants », exigeant une adhésion totale des salariés au projet managérial, impliquant leur dévotion corps et âmes à l’entreprise (horaires extensibles et non payés, primes à la gueule du patron, licenciement des éléments récalcitrants, …) et avec des pratiques hiérarchiques et salariales identiques voire pire que dans des entreprises non militantes, un rideau de fumée organisé par le copinage patrons / organisations de gauches, chacun trouvant son intérêt dans la promotion pour son propre compte d’une image de questionnement social voire de contestation, mais qui n’est en fait que la consommation d’un spectacle pour public de gauche averti mais qui ne fait pas le lien entre ce qu’il voit à l’écran et la réalité de sa production.
La répétition de ces faits dans des entreprises qui n’ont aucun lien entre elles, montre qu’il ne s’agit pas d’un problème de personnes, mais bien d’un problème structurel, ancré de longue date dans l’industrie du divertissement culturel. Ce problème ne pourra être dépassé que par un changement structurel profond, d’un niveau global, qui fasse disparaitre l’Etat et le Capitalisme, et leurs soubassements idéologiques tels que la propriété et la hiérarchie. Bref, une Révolution. Et en attendant, rien n’interdit que dans le domaine « culturel » et du divertissement, d’autres formes que celle de l’entreprise commerciale soient expérimentées, même si elles n’ont pas à elles-seules la capacité de remettre en cause le modèle social et économique dominant.
La lutte ce n’est pas du cinéma. Que ceux qui veulent être acteurs de leur destin et non des figurants, sachent que la CNT-AIT sera toujours au côté de ceux qui luttent contre ceux qui les exploitent.
Des travailleurs de la CNT-AIT
TABLE DES MATIERES
– INTRODUCTION : « La classe ouvrière et la classe patronale n’ont rien en commun. »
LUTTE A UTOPIA TOULOUSE
– La maladie du Docteur Utopia
– Cinémas UTOPIA : danger patrons de Gôche (2005).
– Quelle est la différence entre un patron de « Gôche » et un patron…
– A propos d’un « droit de réponse patronal » : Danger : Faizant de gauche !
– Cracher dans la soupe et mordre la main qui nourrit
– Courrier de spectateur solidaire
– La fabrique de l’Opinion … Tentative d’enfumage gauchiste
– Utopia, l’envers du discours (Bordeaux)
LUTTE AU CINEMA DES CARMES
– Rappels aux spectateurs du cinéma les Carmes d’Orléans (2004) ; 2 salariés du cinéma les Carmes d’Orléans sont en grève ce mercredi 28 juillet ; Suite et fin de grève au cinéma les Carmes
– Cinéma des Carmes – Orléans (45) : Il y a compromission et compromission ; Nous soutenons les grévistes dans les films … et dans les cinémas
– ATTAC 45 et les Amis du Monde Diplo : pour soutenir une SARL, c’est la lutte des places
– Exploitation… cinématographique ! (2005)
LUTTE AU CINEMA ABC
– Licenciement à l’ABC : j’y tiens pas … (2008)
– ABC : polémique autour des licenciements
LUTTE AU CINEMA BABYLON (BERLIN)
– La lutte des travailleurs du Cinéma Babylon de Berlin (2010)
– La révolte des travailleurs des cinémas
– TRAVAILLEUR, CHOMEUR, ETUDIANT
14 commentaires sur LA LUTTE C’EST PAS DU CINEMA !