Septembre. 11.2023
Auteur : Joséphine
Article original : https://iwa-yas.org/labor-rights-neglected-under-the-coup-and-revolution/ Traduction CNT-AIT France
« Je n’aime pas ce travail, c’est juste pour pouvoir acheter mes aliments quotidiens » a déclaré Win War Hlaing (alias), 26 ans et mère d’un élève de 1re année. Son mari travaille temporairement comme pêcheur. Il travaillait auparavant comme journalier à Yangon et pêche actuellement en attendant qu’un nouvel emploi soit disponible un jour. Leur village est situé au bord de la rivière, près de l’entrée de la mer, dans la région d’Ayeyarwady , la nouvelle capitale du Myanmar.
Win War Hlaing aide généralement son mari à pêcher des larves de homard, qui ressemblent à des petites crevettes. Les entrepreneurs en élevage de homards achètent ces larves, les élèvent jusqu’à ce qu’elles deviennent des homards et les vendent à un prix beaucoup plus élevé sur le marché des fruits de mer. Un homard coûte plus de 30 000 kyats sur le marché.
Le couple de pêcheurs a gagné 400 kyats pour 100 petites larves qu’ils ont cédé aux entrepreneurs éleveurs de homards. Win War Hlaing travaillait dans le domaine industriel depuis la fin de son adolescence. Elle a travaillé pour deux usines de confection textile dans la zone industrielle de Shwe Phyi Thar à Yangon. En 2019, elle a eu un accident aux doigts de la main droite alors qu’elle travaillait pour l’usine HuaSheng du groupe GTIG. À cause de l’accident, ses quatre doigts, à l’exception du pouce, ne peuvent plus bouger correctement. Elle travaillait à la fabrication des vêtements de la marque Primark.
Dès que l’accident s’est produit, elle a été envoyée à l’hôpital de la commune d’InSein par le personnel et le directeur de l’usine. Elle a été immédiatement opérée à l’hôpital. Le directeur de l’usine a payé les frais de l’opération, qui incluent également le salaire du personnel médical impliqué dans son opération. L’hôpital InSein est un hôpital public et prend en charge les soins médicaux fondamentaux et d’urgence, ainsi que certains produits médicaux. Pour l’opération, les patients doivent payer les salaires des médecins ou du personnel médical et doivent acheter les médicaments eux-mêmes.
Win War Hlaing a du payer le reste des frais de son traitement médical à l’hôpital InSein pendant un mois entier, lesquels incluaient les dépenses quotidiennes, notamment la nourriture, les médicaments nécessaires, la nourriture pour sa famille [qui l’assistait à l’hôpital] et les autres frais. Win War Hlaing a du choisir entre payer ses frais médicaux, ou payer les dépenses quotidiennes causées par l’accident qui l’a envoyée sur un lit d’hôpital au lieu d’être à son lieu de travail à l’usine.
L’usine n’a toujours pas assumé la responsabilité pour l’accident qui a changé la vie de son employée. L’usine n’a pris en charge que le coût de sa première opération à l’hôpital InSein. « Peut-être que c’était aussi simplement parce que les responsables de l’usine étaient là et que j’étais dans la salle d’opération et inconscient. Ils n’avaient donc pas le choix que de payer pour cela » a affirmé Win War Hlaing.
C’est seulement par le payement de l’opération que l’usine montre sa responsabilité et son obligation de rendre des comptes suite à l’’accident pourtant dû à son le travail. De plus, le coût de l’opération couvert par l’usine est minime comparé au long et difficile voyage que Win War Hlaing devra entamer pour se remettre de cet accident, tant physiquement que mentalement.
Après l’opération immédiate, elle a reçu un traitement médical intensif à l’hôpital pendant un mois. Ensuite, elle a été autorisée à quitter l’hôpital. Ses doigts auraient dû recevoir un traitement médical léger, et un suivi mensuel à l’hôpital InSein ou ailleurs où un service de traitement médical est disponible. Mais plus aucun responsable de l’usine ne s’est présenté à elle pour démontrer la continuité de l’entreprise dans la responsabilité de l’accident. C’est Win War Hlaing elle-même qui a payé non seulement un mois de traitement intensif à l’hôpital, mais également un traitement de suivi mensuel pendant un an.
Après ce traitement mensuel de suivi d’un an, ses doigts se sont améliorés par rapport au début de l’accident. Mais, principalement à cause de problèmes financiers, elle ne pouvait pas se permettre un réel traitement adéquat. Sa main n’a donc pas pu complètement récupérer comme avant. Elle ne peut plus utiliser ses doigts normalement. L’articulation de quatre doigts s’est déformée après l’opération d’urgence qu’elle a reçue. Elle n’a aucune idée de blâmer le personnel médical pour une erreur médicale, car elle ne comprend pas pleinement la situation de ses doigts en termes médicaux.
En moins d’un an, certains médecins qu’elle a rencontrés lui ont conseillé de subir une nouvelle opération, alors que d’autres lui ont conseillé de ne pas prendre le risque d’une aggravation en subissant une autre opération. Parmi ces conseils, il n’est pas difficile pour Win War Hlaing de se prononcer. « Même si j’aimerais me faire opérer, je ne peux pas me le permettre », dit-elle en riant.
Bien que ses doigts ne puissent pas bouger avec souplesse, ils sont capables de monter et descendre tous ensemble en même temps. Win War Hlaing a signalé régulièrement et mensuellement son congé de maladie sans salaire, simplement pour s’assurer qu’elle aurait toujours un emploi à son retour. Au bout d’un an, Win War Hlaing a voulu reprendre son travail à l’usine, mais le directeur lui a dit qu’elle avait été licenciée en raison de ses jours d’absence.
Win War Hlaing a déclaré qu’elle pensait que les employeurs de l’usine auraient manqué à ce point d’empathie pour sa situation qu’ils l’auraient licenciée de l’usine. Elle a ajouté qu’ils n’avaient pas non plus soutenu le traitement médical de son doigt. Après avoir reconnu son licenciement, elle est allée rencontrer un responsable gouvernemental (du régime putschiste) de l’inspection du travail dans la municipalité de ShwePyiThar.
Win War Hlaing a déclaré que le responsable de l’inspection du travail qu’elle a rencontré a reconnu l’état de ses doigts comme un handicap répertorié légalement. Ce rapport de l’inspection du travail l’a aidé à obtenir une compensation du budget de soutien social, abondé grâce aux impôts qu’elle avait payé mensuellement sur son salaire. Elle a reçu deux millions de Kyats du Myanmar en guise de soutien social pour son accident.
Jusque-là, en absence de revenus, elle avait fait face à ses besoins financiers pour se soigner les doigts en s’endettant. Elle s’était adressé à des entrepreneurs de microfinance non officiels de son voisinage, qui pratiquent des taux d’intérêts usuraires. Presque tout l’argent qu’elle a reçu a servi à payer ses dettes, a-t-elle déclaré. « Les créanciers ont vite su que j’avais de l’argent », a-t-elle poursuivi.
Heureusement, elle a également retrouvé son emploi dans l’usine grâce au soutien d’activistes pour les travailleurs, et aussi des membres du syndicat de son usine. Le syndicat a négocié entre les employeurs et les employés. Ko Min Naing, membre du syndicat de l’usine Huasheng du groupe GTIG, a déclaré qu’il devait faire face au régime putschiste et aux employeurs lorsqu’il s’agissait de défendre les employés sur leurs problèmes. Il a ajouté que cela devient difficile parce que, sous le régime du coup d’État, les employeurs utilisent les réglementations légales du travail comme ils le souhaitent et que cela est devenu pire depuis que le système juridique de gouvernance s’est effondré après le coup d’État.
Les employeurs ont parfois effrayé les salariés en leur disant « allez-vous plaindre où vous voulez [on s’en moque] » selon Min Naing. Car après l’effondrement du système juridique de gouvernance, il devient difficile pour les salariés de parler de leurs droits. Au point qu’ils peuvent être insultés oralement dans le cadre du travail et licenciés [sans aucun recours] selon Min Naing.
Toutes les organisations liées au travail ont été inscrites sur la liste noire du gouvernement du régime militaire. De nombreux membres du personnel des organisations syndicales et des militants ont dû quitter le pays en raison des problèmes de sécurité. Les travailleurs restés dans le pays sont confrontés à des problèmes plus importants qu’auparavant et reçoivent moins d’aide des organisations de développement et ONG concernées [par les questions du travail et de droits des travailleurs).
« Même si cela représente un risque pour ma sécurité, je ne peux pas refuser de discuter avec les responsables du régime putschiste lorsqu’il s’agit de résoudre les problèmes actuels du travail », a déclaré Ko Htoo Htoo, un militant syndical resté dans la région et travaillant toujours pour le militantisme syndical. . Il collabore également avec les syndicats dans les usines.
Ils ont tenté de se tenir aux côtés de Win War Hlaing pour exiger que l’usine et la marque internationale Primark soient tenues responsables du coût des traitements médicaux et de sa résilience vitale. Mais ils sont encore négligés par l’entreprise et n’ont pas encore reçu de réponse. À l’èpoque du gouvernement élu [avant le coup d’Etat], il était possible de faire pression sur les employeurs des usines et sur la marque Primark. Dans la situation politique actuelle du Myanmar, il semble qu’il n’y ait aucun moyen de demander et de revendiquer de manière efficace.
En mars 2023, l’usine HuaSheng a été fermée. Win War Hlaing est devenue chômeuse et devait chercher un emploi dans une nouvelle usine. Une ouvrière d’usine âgée de 26 ans et expérimentée se voit refuser l’accès à toutes les usines pour lesquelles elle a postulé en raison de ses doigts qui ne peuvent pas bouger de manière flexible. Sans même l’espoir de trouver un emploi à Yangon, elle n’a pas osé continuer à rester dans cette ville.
« Le coût de la vie est trop élevé pour moi, alors je suis revenue ici », a-t-elle expliqué. A côté d’elle, se trouvent les grands bols en plastique qui servent à sélectionner les petites larves pêchées par son mari.
Ko Min Naing, membre du syndicat de l’usine HuaSheng, et les militants syndicaux locaux tels que Ko Htoo Htoo tentent toujours d’exiger la responsabilité appropriée quant au coût de son traitement médical et à sa résilience future, veut-elle croire.
Mais les représentants de Primark au Myanmar et les responsables de l’usine ne leur répondent toujours pas. Lors de leur dernière réunion en mars 2023, avec les employeurs de l’usine et les représentants nationaux de l’usine de HuaSheng, les membres des syndicats ont exigé la responsabilité appropriée dans l’accident de Win War Hlaing.
Les représentants de l’usine et les employeurs de l’usine ont offert 2 millions de kyats du Myanmar pour son traitement médical et sa résilience future, au nom du programme «Soutien Financier de Misericorde». Le montant proposé est non seulement très inférieur au coût réel de son traitement médical, mais il ne semble pas non plus qu’ils l’aient proposé pour assumer leur responsabilité, mais plutôt comme un acte de charité. Win War Hlaing et les militants ont rejeté l’offre et continuent d’exiger une compensation appropriée.
« Ils ont dit qu’ils m’apporteraient un soutien financier en guise de miséricorde (en birman ကရုဏာကြေး, karunar kyay). On m’a dit de décider par moi-même et j’ai refusé de l’accepter », a déclaré Win War Hlaing. Elle espèrait que cette indemnité qui lui est due lui permette de relancer sa carrière et continue de croire que les militants syndicaux qui sont à ses côtés à Yangon continueront à porter ses exigences à sa place. Elle rêve de relancer sa carrière en ouvrant une petite épicerie dans son village lorsqu’elle aura reçu l’indemnisation. À Yangon, Ko Min Naing et Ko Htoo Htoo se retrouvent confrontés à de nombreux cas de problèmes de travail, similaires à celui de Win War Hlaing. Bien qu’ils continuent de se tenir au côté des travailleurs pour résoudre leurs problèmes, depuis le coup d’État il leur est de plus en plus difficile de faire pression sur les employeurs afin que ces derniers respectent les droits des travailleurs les droits de l’homme. Le système de gouvernance continue de s’effondrer et les employeurs en profitent en violant un à un le droit international du travail. Et le gouvernement intérimaire de l’Unité Nationale (NUG, national unity governement, le gouvernement de l’opposition) issu de la Révolution du printemps au Myanmar, reste également silencieux quant à ses actions contre les violations des droits du travail et des droits humains des travailleurs dans les zones industrielles. [ils ne veulent pas effrayer les investisseurs étrangers qui installent des centres de production au Myanmar, profitant d’une main d’œuvre bon marché].
Cet article est issu de la seconde édition de la brochure « La révolution du printemps au Myanmar :Une révolution oubliée en cours » (seconde édition, 2024)
https://cnt-ait.info/2023/05/04/revolution-printemps-bro
Cette brochure a été publiée pour le 1er Mai 2023 par la CNt-AIT France, en solidarité avec l’Initiative AIT de Yangon, première organisation anarchosyndicaliste crée en Birmanie début 2023. L’objectif de cette brochure est de mieux faire connaitre l’histoire sociale récente de ce pays d’Asie du Sud est et de faire le point sur le développement de la révolution en cours depuis mars 2021.
La brochure peut être téléchargée en ligne : https://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2023/05/BRO_2023-BIRMANIE-1.pdf
Elle peut aussi être commandée au format papier en écrivant à contact@cnt-ait.info ou par courrier : CNT-AIT 7, rue St Rémésy 31000 TOULOUSE. Le prix est libre, cependant un don minimum de 8 euros est apprécié, pour couvrir les frais d’impression et d’envoi. L’argent surnuméraire récolté servira a alimenter la caisse de solidarité avec les anarchistes d’Asie du sud-est
Table des matières :
La révolution du printemps au Myanmar : Une révolution oubliée en cours.
La lutte anarchiste en Birmanie.
La lutte des travailleurs de Myanmar Pou Chen, sous-traitant d’Adidas.
Bref résumé historique du Parti Communiste de Birmanie.
Création d’une initiative de l’AIT au Myanmar.
Convergence des travailleurs du WSLB : la force de la solidarité dans des temps difficiles.
Pourquoi les anarchistes ne soutiennent pas Aung San Suu Kyi ?
La révolution birmane et le rôle de l’impérialisme de Pékin
Introduction
Le Myanmar (autrefois désigné sous le nom de Birmanie) est un pays d’Asie du Sud-qui reste méconnu en France. L’éloignement géographique, historique et culturel ne suffisent pas à expliquer le mésintérêt pour ce pays. Le fait que le pétrolier français Total ait été pendant plus de 20 ans [1]l’un des principaux exploitants du riche gisement pétrolier birman, explique aussi sûrement que ce pays n’ait jamais vraiment l’objet d’une grande attention des médias français. Pays sous la férule des militaires depuis 1989, l’opposante Aung San Suu Kyi a longtemps été une icône mondiale de la démocratie, avant de voir son étoile pâlir quand elle a nié les exactions des militaires contre la minorité musulmane des Rohingyas.
En février 2021, les militaires ont fait tomber la façade démocratique qui couvrait leurs agissements et ont repris officiellement le pouvoir. Mais contrairement à leur attente, ils ont rencontré une vive contestation populaire. Depuis, ce mouvement s’est transformé en résistance diffuse, qui expérimente un large panel de modes d’actions, de la guérilla aux jardins partagés en passant par l’action revendicative des travailleurs. Un des enjeux du mouvement est de réussir à dépasser les divisions ethniques et culturelles dans un pays de plus de 135 ethnies et langages. C’est dans ce contexte qu’a émergé un petit noyau de jeunes gens, intéressés par les propositions anarchistes et anarchosyndicalistes, à la fois fédéralistes et universalistes. Cette brochure compile des articles qu’ils ont écrits, pour donner à lire aux francophones des informations de première main sur la révolution en cours au Myanmar, et sur les propositions et les questions que se posent les jeunes anarchistes birmans. Cette brochure est un acte de solidarité avec la révolution en cours et avec toutes celles et ceux qui luttent pour la Liberté, là-bas comme ici.
[1] Total a annoncé se retirer du pays en janvier 2022
3 commentaires sur Les droits des travailleurs négligés tant par le régime du coup d’État que par le gouvernement issu de la révolution