Le mouvement anarchiste juif apparaît sur la scène politique à la fin du XIXe siècle, organisé par les travailleurs d’origine russe et polonaise qui émigreront, à partir de l’Empire tsariste, vers la France et l’Angleterre et par la suite vers l’Amérique du Nord et l’Argentine. La vague d’émigration, largement provoquée par les pogroms et par l’oppression politique et économique, poussera à l’exode, en l’espace d’une génération, un tiers des Juifs « russes ». En Russie, les jeunes juifs qui vivaient selon des modèles traditionnels avaient découvert, grâce à des lectures clandestines et à l’influence de cercles militants, le monde extérieur et la révolution. En lutte contre l’autorité, y compris les autorités traditionnelles au sein de leur communauté, ils percevaient la vraie nature de la société dans laquelle ils vivaient, qu’ils jugeaient fondée sur l’injustice, à travers le prisme des valeurs traditionnelles juives, c’est-à-dire une tradition profondément marquée par l’espérance messianique. Mais le mouvement libertaire juif ne s’implanta jamais véritablement au cœur de l’univers prolétaire juif de l’Europe de l’Est. Rejetant la Torah et adoptant le drapeau rouge (ou noir), ils optèrent pour l’émigration vers le Nouveau Monde, dans l’espoir de trouver de meilleures conditions de vie. Cette émigration juive d’Europe de l’est donnera des intellectuels libertaires de haut niveau et d’une grande originalité de pensée tels Emma Goldman, Sasha Shapiro, Paul Goodman, Julian Beck et, plus proche de nous dans le temps, Noam Chomsky, Murray Bookchin ou Paul Avrich.[1]
« Les anarchistes juifs, qui eurent le courage de sortir des chemins tracés, durent affronter bien des épreuves pour défendre les principes auxquels ils croyaient. Mais, ce faisant, ils connurent aussi, à l’intérieur de leurs cercles, de leurs groupes, de leurs journaux, de leurs forums, une très riche vie sociale et culturelle et développèrent un chaleureux et généreux esprit de camaraderie et de dévouement à la cause commune. Mieux encore, en défiant les conventions du système social et politique dominant, ils entrevirent les contours de ce monde plus libre auquel ils aspiraient si ardemment. » (Paul AVRICH)
Nous avons compilé quelques portraits[2] de ces anarchistes juifs qui furent persécutés à double titre – politique et raciste – par les nazis français et les collaborationnistes français, ainsi que de certains anarchistes qui leur prêtèrent secours au mépris du danger pour leur propre vie.
Sacha SCHAPIRO, (1889 – 1942), insurgé anarchiste ukrainien, membre de la Colonne Durruti, assassiné par les Nazis à Auschwitz
Alexandre Schapiro dit Sacha Schapiro, connu aussi sous la fausse identité d’Alexandre Tanaroff ou sous les noms de plume de Sacha Piotr ou Sacha Peter, né le 11 octobre 1889 ou le 6 août 1890 à Novozybkov (Gouvernement de Tchernigov, Empire russe)
Jeunesse
Né dans une famille de la classe moyenne juive d’Ukraine, Alexandre Schapiro s’en éloigne, en 1904, dès ses quatorze ans pour adhérer à un groupe anarchiste, engagement passionné qui marque toute sa vie.
Il participe à la Révolution russe de 1905.
Prisons tsaristes
Deux ans plus tard, il est arrêté avec d’autres membres de son groupe et échappe à la peine de mort, en raison de son jeune âge, pour être condamné à la prison à vie. Il est incarcéré à Moscou, avant d’être transféré à Iaroslavl (Gouvernement de Iaroslavl), où les conditions de vie sont ne sont pas aussi mauvaises et où il est incarcéré pendant une dizaine d’années.
En 1909, lors d’une de ses nombreuses tentatives d’évasion, il est blessé au bras gauche, qui doit être amputé. Il tente vainement de se suicider. En 1914, il est placé à l’isolement pendant un an.
Révolution Russe
Libéré à la faveur des événements de 1917 et il est fêté comme un héros. Il est alors proche de l’individualiste libertaire Lev Tcherny (exécuté par la Tcheka en 1921) et de Maria Nikiforova (laquelle fut fusillée en 1919 à Sébastopol par les armées blanches). Il rencontre sa première femme, Rachel Schapiro, avec qui il a un fils prénommé Dodek.
Jusqu’en 1921, il combat en Ukraine, à la tête d’un groupe autonome de partisans anarchistes.
Exils à Paris et Berlin
En 1921, poursuivi par les bolcheviques, il fuit à Minsk, où il rencontre Alexandre Berkman qui lui fournit de l’argent pour franchir la frontière russo-polonaise avec des faux papiers, sous l’identité de Alexandre Tanarov. Il devient apatride pour le reste de sa vie.
Il séjourne successivement à Paris, en Belgique puis à Berlin, où il gagne sa vie comme photographe de rue.
À Paris, il fréquente le romancier Sholem Asch et le peintre et journaliste Aron Brzezinski, qui réalise un buste en bronze de Sacha.
Il a des contacts occasionnels avec Nestor Makhno et le cercle des exilés anarchistes russes.
En mai 1924, il est parmi les fondateurs de l’Œuvre internationale des éditions anarchistes (où il représente le mouvement libertaire russe) avec entre autres Sébastien Faure, Ugo Fedeli, Séverin Ferandel et Isaak Gurfinkiel (Walecki). En 1924 et 1925, il collabore à la Revue internationale anarchiste, « revue mensuelle polyglotte » (en fait trilingue), où il publie au moins deux articles sous le nom de Sacha Peter. En 1925, il est hébergé à Fontenay-sous-Bois chez l’anarchiste italien Onofrio Gilioli. En 1936, il réside toujours dans cette commune où il est revenu s’installer.
En 1926, il rejoint Berlin, où se trouve le siège de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), l’internationale anarchosyndicaliste, où il est très actif sous le nom de Sacha Piotr (ou Sascha Pjotr). Il fréquente les milieux libertaires russes autour de Alexandre Berkman (qui anime le fond de secours de l’AIT pour les anarchistes russes emprisonnés et exilés), se lie avec l’écrivain libertaire Theodor Plievier qui lui consacre une nouvelle, Stienka Rasin publiée en 1927.
En 1928, il se lie d’amitié avec Buenaventura Durruti et Francisco Ascaso. Il rencontre également l’anarchiste italien Francesco Ghezzi (mort dans un camp de concentration soviétique en Sibérie en 1942).
À Berlin, il rencontre Johanna Grothendieck (ou Hanka Grothendieck). Elle est née dans une famille de la classe moyenne à Hambourg. Elle travaille comme journaliste pour le journal progressiste Der Pranger (Le Pilori). Elle est sympathisante de mouvement libertaire où elle rencontre Sacha.
En 1933, après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il quitte Berlin pour Fontenay-sous-Bois, où il est rejoint, en décembre, par Hanka. Ils laissent en Allemagne leurs enfants : une fille de Hanka et leur fils Alexander Grothendieck.
Révolution espagnole
À l’annonce du déclenchement de la révolution sociale espagnole de 1936, le couple part en Espagne, à Barcelone. Ils sont aux côtés des anarchosyndicalistes de la Confédération nationale du travail (CNT-AIT) et de la Fédération anarchiste ibérique. En 1937, sous le nom de Sacha Pietra, lors d’une assemblée de volontaires étrangers de la Colonne Durruti de la CNT-AIT, il déclare :
« Moi je ne suis pas milicien, mais j’ai été en Russie où j’ai vécu la Révolution et j’ai pu remarquer la façon dont on s’est débarrassé des anarchistes là-bas »[3].
A la défaite de la République espagnole, il prend la route de l’exil en France, lors de la Retirada de février 1939. Il s’établit à nouveau en région parisienne où il est hébergé par la famille de Julien Malbet. En mai, ils récupèrent leur fils Alexandre Grothendieck laissé en Allemagne en 1933, aux bons soins d’une famille amie. En septembre, ils se rendent tous les trois à Nîmes où ils font les vendanges. Hanka, réfugiée politique, est employée comme « domestique » par le commissaire de la ville.
Déportation et mort à Auschwitz
Le 29 octobre 1939, sous la Troisième République, le commissariat central de Nîmes dresse une liste de quatorze Espagnols et d’un « réfugié russe », « anarchiste », « désignés pour être internés au camp de concentration du Vernet Ariège ».
Le 31 octobre 1939, il est interné au Camp du Vernet d’Ariège (ouvert en février), où un jour l’anarchiste May Picqueray, venue visiter le militant italien Fernando Gualdi, le rencontre et parvient à lui donner de la nourriture, bien qu’il soit dans la section des punis. Les régimes changent, Vichy remplace la République, mais Sasha reste emprisonné au camp du Vernet, comme nombre d’antifascistes étrangers bientôt rejoints par les Juifs raflés par la police française. Sa compagne Hanka et leur fils sont internés au Camp de Rieucros (ouvert en janvier 1939), puis, parviennent à se cacher dans les Cévennes pendant l’occupation. Sacha quant à lui transféré les 16 juin 1941 vers le camp de Noé (Haute Garonne) avant d’être transféré à Drancy.
Sacha Piotr est arrêté par la Gestapo (qui aurait alors saisi une valise contenant de nombreux documents sur l’histoire du mouvement Makhnoviste). Le 14 août 1942, sous le nom d’Alexander Tanaroff, il est l’un des 991 déportés du convoi numéro 19, le premier à transporter des enfants de moins de 10 ans, parti du Camp de Drancy vers Auschwitz. 875 d’entre eux sont gazés dès leur arrivée au camp.
Postérité
Sa compagne, Hanka, qui survit à la guerre et s’est installée près de Montpellier (Hérault) a écrit une nouvelle inédite Eine Frau sur leur vie à Berlin. Elle est décédée en 1957 des suites d’une tuberculose contractée au camp de concentration.
Leur fils Alexander Grothendieck (1928-2014), considéré comme l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle, a consacré plusieurs pages à son père.
Parlant de Sacha dans Récoltes et Semailles, son fils précise : « […] mon identification à mon père, dans mon enfance, n’a pas été marquée par le conflit […] en aucun moment de mon enfance, je n’ai ni craint ni envié mon père, tout en lui vouant un amour sans réserve. Cette relation-là, la plus profonde peut-être qui ait marqué ma vie (sans même que je m’en rende compte avant cette méditation […]), qui dans mon enfance a été comme la relation à un autre moi-même à la fois fort et bienveillant – cette relation n’a pas été marquée par le sceau de la division et du conflit. » ; et plus loin : « Les valeurs dominantes dans la personne de chacun de mes parents, tant ma mère que mon père, étaient des valeurs yang : volonté, intelligence (au sens : puissance intellectuelle), contrôle de soi, ascendant sur autrui, intransigeance, « Konsequenz » (qui signifie, en allemand, cohérence extrême dans (ou avec) ses options, idéologiques notamment), « idéalisme » au niveau politique comme pratique. ».
David Grigorievich Polyakov, (1892 – 1942), anarchiste ukrainien, assassiné par les Nazis à Auschwitz
David Grigorievich Polyakov (Polyakoff) était né le 25 décembre 1892 à Smolensk. Issu d’une famille de la classe moyenne, il reçoit une éducation à domicile. En 1911, il vivait à Tachkent om il rejoint le mouvement anarchiste syndicaliste et milite clandestinement. Le 11 mai 1917, il retourne en Russie, vivant quelque temps à Petrograd, à Bobruïsk (Belarus), puis il s’installe à Smolensk.
En 1918, il était membre de la Fédération des anarchistes de Smolensk et du syndicat « Union des tanneurs ». Après la défaite du mouvement anarchiste en Grande Russie, il part pour l’Ukraine. À partir d’août 1918, il travaille dans diverses villes (Kharkov, Odessa, Kiev). Fin septembre 1918, il est contraint de retourner à Smolensk, où il travaille comme inspecteur des prisonniers de guerre. À partir d’avril 1919, il travaille dans divers groupes de la Confédération des organisations anarchistes d’Ukraine Nabat, et à partir de juillet 1919 il mène des activités clandestines souterraines dans la ville de Poltava.
Il collaborait aussi à distance à la publication du journal anarchiste La Libre fédération (Lausanne, 1915-1919). Il est arrêté par les bolchéviques à Poltava le 25 novembre 1920, il est libéré un mois plus tard. Il a de nouveau été arrêté préventivement en mars 1921 dans le cadre du soulèvement de Cronstadt, mais est libéré 4 jours plus tard.
En 1922, il organise des réunions dans des ateliers de couture. Il est élu au syndicat des tailleurs et à un comité d’usine. Mais il est poursuivi par les autorités du Guépéou. En mai 1922, il part pour Smolensk, puis le 20 juin 1922, il s’installe à Moscou. Le 27 février 1923, il est arrêté à Moscou,
accusé de liens avec les groupes anarchistes clandestins. Le 21 avril 1923, il est condamné à l’exil dans la région de Mary au Turkestan, à la frontière avec l’Afghanistan, mais déjà le 4 mai 1923, une nouvelle décision est prise : il lui est fait interdiction de vivre à Moscou et dans les grandes villes pour une période de 2 ans. Sur le chemin de Smolensk, il s’enfuit, selon le Guépéou, en juillet 1923 et se trouvait à Petrograd d’où il s’enfuit.
En 1924, il était en Pologne, puis il émigra en France. Il habita les 20e et 11e arrondissements de Paris. Il travaillait comme tailleur et plus tard comme mécanicien. Il était membre de l’Union anarchiste ainsi que de groupes anarchistes russes et juifs à Paris. En avril 1925, il se rendit illégalement à Berlin et participa à l’organisation de l’évasion de Nestor Ivanovitch Makhno de la prison de Moabit. Il aida ensuite Makhno à passer clandestinement la frontière belge et l’emmena à Paris.
En 1925, Il participait à l’Organisation à l’étranger des anarchistes-communistes russes, qui publiait le journal « Delo Truda » (La Cause du Travail), auquel participent de nombreux anarchistes russes exilés en France comme Piotr Archinov, Nestor Makhno Ida Mett, Nicolas Lazarévitch, Marie Goldsmith, Grigori Maximov, Valesvsky et Linsky …
Lorsque le groupe des anarchistes communistes russes en exil scissionne, en 1928 autour de la « Plate-forme d’organisation de l’Union Générale des Anarchistes » (dont Archinov est le principal artisan), il rejoint les opposants à la Plateforme, qui refusent de bolchéviser l’anarchisme, dont Nicolas Lazarévitch et Ida Mett avec qui ils forment le Collectif des travailleurs anarchistes et anarcho-syndicalistes russes (Kollektiv russkikh rabochikh anarkhistov i anarkho-sindikalistov).
En novembre 1928, ils essayèrent de publier d’un journal syndical à l’usage des réfugiés russes, La Libération syndicale, (Osvobozhdenie Profsoiuzov), mais qui n’eut qu’un numéro faute de moyens. En 1931, ils publient ensemble dans le journal de la CNT-AIT d’Espagne, Solidaridad Obrera une mise en garde contre Archinov et sa volonté d’union avec le Parti Communiste (Enseñanzas : para que la revolución española no acabe como la experiencia rusa, Enseignements pour que la Révolution Espagnole ne finisse pas comme l’expérience russe, Solidaridad Obrera, 13 juin 1931).
À partir de novembre 1930, Polyakov participe aux activités de l’Internationale Anarchosyndicaliste, l’AIT (Association internationale des travailleurs). Il était notamment membre de son « Fonds de secours pour les anarchistes et anarcho-syndicalistes emprisonnés ou exilés en Russie » ; à ce titre, il correspondait entre autre avec les anarchistes exilés A.A. Kolemasov, S.A. Ruvinsky. En tant que représentant du Fonds, il participa au IVe Congrès de l’AIT (Madrid, 21 juin 1931).
Appel du Fonds de secours de l’AIT pour les anarchistes emprisonnés en Russie,
en Yiddish et en Anglais.
A la veille de la prise de Paris par l’armée allemande en mai 1940, il s’enfuit vers l’ouest de la France, mais doit ensuite retourner dans Paris occupé. Il refusa de porter l’étoile jaune. Arrêté dans la rue et, en tant que juif, il fut déporté le 22 juin 1942 à bord du convoi n° 3 du camp de transit de Drancy vers Oświęcim (Auschwitz). Le convoi est arrivé à Auschwitz le 24 juin 1942. Polyakov avait le numéro de matricule du camp 41050. Il fut exécuté par les nazis à Auschwitz le 12 août 1942.
Source : traduction d’un article de Sergyeï Ovsianikov par la CNT-AIT France
Deborah « DORA » YANKEL – FRIEDMAN (1899 – 1943), makhnoviste, assassinée par les Nazis à Auschwitz
Deborah « DORA » YANKEL est née le 22 juin 1899 à Berdichev, en Ukraine. Elle était la compagne de Sam Friedamn avec qui pendant la révolution russe de 1917 elle avait milité la Confédération Anarchosyndicaliste « Nabat » (le Tocsin) à Odessa.
A l’été 1923, après la répression sanglante des anarchistes et du mouvement insurgés ukrainien Makhnovistes par les Bolchéviques, le couple émigre d’abord à Constantinople puis à Paris où ils s’installent au Pré Saint-Gervais et participent aux activités du groupe anarchiste juif de Paris.
Les 3/4 des membres de ce groupe qui en comportait une vingtaine, furent déportés (Dans une correspondance après-guerre Mollie Steimer, qui avait pu fuir au Mexique en 1941, donne 16 noms dont « David et sa femme, Bek, Engel …»).
Dora et son mari Sam, parents d’une petite fille Michèle, furent raflés en 1942, internés au camp de Drancy, puis le 24 août déportés (transport n°23) vers le camp d’extermination d’Auschwitz Birkenau où Sam fut gazé en novembre 1942. Dora Friedamn fut assassinée à Auschwitz Birkenau en septembre 1943.
Sources : Notice de Kiril Limanov in Kate Sharpey Library
Sam « SEMKA » [Zalmen Khaimovich] FRIEDMAN (1891 – 1942), makhnoviste, assassiné par les Nazis à Auschwitz
Sam Friedman (orthographié aussi Sema Frydman), est né le 6 octobre 1891 en Ukraine, à Zarembi-Kostsel’nye, Octrovsky (Lomzhinsky). Il avait sans doute émigré jeune aux Etats-Unis où au début des années 1910 il était membre à Chicago de l’Union des travailleurs russes. Au moment de la révolution de février 1917, il rentra en Russie avec le premier groupe d’ouvrier russes de Chicago et s’installa à Odessa où il était membre de la fédération anarchiste locale et de la Confédération Anarchosyndicaliste « Nabat » (le Tocsin). Au printemps 1919 il s’était intégré à l’Armée Insurgée Ukrainienne (la Makhnovtschina) et participe aux combats contre les troupes blanches.
A l’automne 1919, suspecté par les bolchéviques d’appartenir au mouvement anarchiste clandestin, il est arrêté à Moscou. Selon les mémoires de Boris Yelensky : « En tant que végétarien absolu, il exigeait un régime en prison de fruits et légumes… se montrant, tout à fait indifférent au fait d’être emprisonné par la redoutable Tcheka, un nom qui produisait un sentiment de terreur partout à cette époque. Un jour, tous les anarchistes emprisonnés avaient été sortis de leurs cellules et alignés dans une grande salle. Peu de temps après, la porte s’était ouvert et la terreur de la Tcheka, son chef Dzerzhinski, avec toute sa coterie, était entré. Sans tenir compte des risques, Semka s’était directement adressé à lui, exigeant qu’en tant que végétarien, il soit nourri d’un régime végétarien » (cf. B. Yelenski » In the social storm : memoirs of rhe Russian revolution « ).
En février 1921 il fit partie des prisonniers anarchistes autorisés par les communistes à sortir de prison pour assister aux funérailles de Kropotkine et à la fin du mois il avait regagné Odessa.
En 1923 avec sa femmes ils parvenaient à quitter la Russie et en juin se trouvait à Constantinople où Yelenski le rencontra. Puis il émigra en France et s’installa à Paris où il intégra le groupe anarchiste juif.
Dans les années 1930 il demeurait 33 avenue Jean Jaurès au Pré Sait Gervais et participait aux travaux et activités du Fonds de secours de l’AIT pour les compagnons emprisonné en Russie (Fond Berkman). Selon le témoignage de Boris Yelenski : « de petite taille, ouvrier tailleur en vêtement, il ne pouvait tolérer une erreur. Lorsque Sam découvrait une erreur, la personne qui l’avait commise avait de la chance si elle réussissait à échapper à sa colère. En dehors de cela et d’autres petites excentricités qu’il possédait, Sam était un bon ami. Il y a peu de personnes comme lui, nous chérissions beaucoup son amitié. Son dévouement au Mouvement était sans limite et il exigeait des autres qu’ils se donnent dans la même mesure. »
En 1942, il fut arrêté à Paris avec sa femme Dora et interné au camp de Drancy d’où, le 24 août 1942 il fut déporté (transport n°23) vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau où il fut gazé en novembre 1942. Sa compagne Dora Friedman sera assassinée à Auschwitz Birkenau en septembre 1943.
Depuis le train qui les emmenait à la mort, ils avaient écrit une note, jetée par la fenêtre : « Nous sommes emmenés ; nous ne savons pas où. Prenez soin de notre enfant ».
Après la guerre le Fond Alexandrer Berkman et d’autres organisations anarchistes portèrent assistance à leur fille Michèle.
Sources : Notice de Kiril Limanov in Kate Sharpley Library
Anita DAMONTI (1912 – 1960), anarchiste, partisane antifasciste, survivante d’Auschwitz
Anita DAMONTI est née à Brescia, Italie, en 1912. Fille d’Angelo Damonti, lui-même militant anarchiste, Anita Damonti participé pendant la guerre à la résistance dans les rangs des partisans anarchistes aux côtés de son père. Arrêtée par les Nazis, elle est déportée à Auschwitz mais réussi à survivre. Toutefois, elle décèdera à Milan en 1960 des suites de maladies contractée en déportation.
Sources : Franco Bertolucci, « Gli anarchici italiani deportati in Germania durante il secondo conflitto mondiale », dans Revista Anarchica, n°415, avril 2017
Moïse RODINSON ( ? – 1943), anarchiste, assassiné par les Nazis à Auschwitz
Moise Rodinson était un proche de Rudolf Rocker, un des fondateurs de l’AIT à Berlin en 1922. Il était membre du groupe anarchiste juif de Paris dans les années 1930. Pendant l’occupation Nazi de la France, il fut arrêté et déporté à Auschwitz où il est mort en 1943.
Ernest LEROY (1872 – 1962), anarchiste pacifiste, dreyfusard, volontaire pour porter secours aux raflés du Vel d’Hiv
Ernst Leroy est né le 16 août 1879 à Paris Xe arr. Militant pacifiste, qui se définissait comme « anarchiste parce que chrétien » avait participé en 1898-1899 à la campagne en faveur de Dreyfus aux côtés de Sébastien Faure. Lors du procès de la bande à Bonnot, il fut le témoin de Raymond Callemin alias Raymond la science dont il soutiendra la mère après son exécution.
Rédacteur à La Guerre Sociale, il fut réformé au moment de la guerre de 1914 et ne se rallia pas à l’Union Sacrée, traversant la tourmente sans transgresser sa foi pacifiste et en aidant de nombreux camarades. A la fin de la guerre il se consacra à la défense des objecteurs de conscience.
Au début de la Seconde Guerre mondiale il défendit l’objecteur Pierre Martin puis, avec sa compagne, créa chez les Quakers une cantine mise au service des internés des prisons et des camps. Il fut aussi à cette époque l’un des visiteurs des lépreux à l’hôpital Saint-Louis. Il aida également plusieurs personnes refusant le Service du travail obligatoire (STO) et avec sa compagne échappa de peu à une arrestation par les Allemands. Lors de la rafle du Vel d’hiv en juillet 1942, et selon M. Laisant, il accepta, pour pouvoir y pénétrer et y porter assistance aux juifs internés, « une tâche refusée par tous : la création et l’entretien des WC ».
Ernest Leroy est décédé en décembre 1962 et a été incinéré au Père Lachaise.
Gilberte de PUYTORAC alias « DAVAS » (1919 – 1999), anarchiste, cachait des juifs persécutés par les Nazis.
Gilberte de Puytorac – pseudo Davas – est née en 1919 à Paris. Elle militait dans les années 1930 à la Fédération des Jeunesses Anarchistes qui publiaient le journal Le Révolté. Pendant l’occupation elle participa en 1941 à la fondation d’une coopérative de jouets en bois, sans statut légal, qui permit jusqu’à l’été 1943 de fournir un travail à quelques compagnons anarchistes juifs et/ou étrangers en situation irrégulière. Elle cacha également à son domicile la compagne et la fille du compagnon Moïse Lichtsztejn (lui-même un ami de Nestor Makhno), évadées en juillet 1942 du Vel d’Hiv et qui, suite à une dénonciation, furent ensuite déportées à Auschwitz.
Gilberte de Puytorac est décédée en 1999.
Sources : J. M. Izrine « Les libertaires du yiddishland… » // Entre nous, n°30, mars 2000 (Témoignage de Roger Bossière)
Louis Eugène LAURENT, (1883 – 1972 ), fabriquait des faux papiers pour sauver des Juifs
Louis Laurent revint de la Première guerre mondiale farouchement antimilitariste et anarchiste. En 1932 il fondait à Aulnay-sous-bois, avec Mohammed Saïl, le mensuel anarchiste L’Eveil Social. Militant actif de la CGTSR, section en France de l’AIT, il était aussi très impliqué dans le secours aux anarchistes espagnols et aux réfugiés (il fut l’administrateur de L’Espagne Antifasciste). En 1939, ayant dépassé la cinquantaine, il ne fut donc pas mobilisé. Secrétaire du Syndicat des Commis d’Agents de Change, son emploi lui permis de couvrir certains activités dangereuses, notamment la fabrication de faux-papiers lesquels, selon le témoignage de KLEIN rapporté par Louis DORLET en 1950, permis de sauvés de nombreux Juifs. Après-guerre, Il continua de militer au sein du mouvement anarchiste et notamment à la CNT-AIT Française.
Sarah Lichtsztejn-Montard, (1928 – 2022), fille de militants anarchistes, évadée de la rafle du Vel d’Hiv, rescapée d’Auschwitz, témoin de l’Holocauste
Sarah Lichtsztejn est née le 16 mars 1928 dans la ville libre de Dantzig et déclarée polonaise. Ses parents, Moïse (Moyshé-Kaïm) et Maria (Marjem), née Korenbaum, se sont mariés en 1927. Ils sont laïcs et anarchistes. Le père est journaliste, la mère couturière. Leur appartenance aux milieux anarchistes et leur judaïté rendaient leur vie difficile en Pologne[4].
Dans un témoignage enregistré, Sarah explique : « Mes parents ont quitté la Pologne car les conditions économiques étaient terribles, mon père n’avait pas beaucoup de travail. Et puis aussi à cause des pogroms, de l’antisémitisme. Pour mon père, la France c’était la Patrie des Droits de l’Homme et de la Révolution. Il fallait donc aller en France. La guerre d’Espagne [et la révolution espagnole de 1936] justement, qu’on voyait aux actualités [cinématographiques], m’avait tellement impressionnée. On voyait des enfants morts et les bombes qui tombaient. Ça me hantait »
En France, la famille Lichtsztejn vit de façon très modeste grâce aux travaux de couture de Maria Lichtsztejn.
En octobre 1930, la famille est à Paris à Belleville qui est pour Sarah un moment heureux de souvenirs enfantins : « Le long de la rue de Belleville stationnaient les voiturettes des marchandes des quatre saisons remplis de fruits et légumes de toutes les couleurs répandant leurs odeurs de vergers et de potagers. Les marchandes s’égosillaient à qui crierait le plus fort pour vanter sa marchandise. Dans notre rue Piat passaient régulièrement des artisans ou des vendeurs ambulants, chacun scandant sa mélopée particulière : « Vitrier ! Vitrier ! », « Du mouron pour les p’tits oiseaux ! Mouron pour les p’tits oiseaux ! », « Marchand d’habits, chiffons ! Ferraille à vendre ! », « Le rémouleur ! Couteaux, ciseaux ! » Venaient également dans notre cour des chanteurs des rues. Nous leur jetions des sous enveloppés dans du papier journal et moi, je visais toujours leurs têtes pour voir ce que cela donnerait. Je n’étais pas la seule à faire ce genre de bêtises ! […] Mais nos yeux d’enfants étaient surtout fascinés par l’homme-orchestre qui arpentait les rues, s’arrêtant de temps en temps pour mettre en route tous ses instruments à la fois : des cymbales entre les genoux, une grosse timbale dans le dos sur laquelle venait taper un gong, sur la tête un tambourin tintinnabulant, un harmonica à la bouche, un bandonéon entre les mains. Il circulait très peu de voitures à moteur dans les rues, aussi nous pouvions jouer sur les trottoirs, les filles à la marelle et à la balle, les garçons aux billes. Avec une planche et quatre petites roues à roulements à billes, les garçons se fabriquaient une espèce de chariot sur lequel, couchés à plat ventre, ils dévalaient les bordures de l’escalier de la rue Vilin et toutes les rues en pente. Malgré la pauvreté, la vie était très gaie dans ce quartier. »
A la veille de la guerre, la famille s’installe au 306, rue des Pyrénées. Le logement de deux pièces en rez-de-chaussée est modeste. L’atelier de couture est dans la chambre parentale. Les parents se lavent aux bains-douches municipaux situés au 296 de la même rue. Sarah fréquente l’école communale de la rue Olivier-Métra avant de passer son examen d’entrée en 6ème et d’être acceptée au Lycée de Jeunes Filles du Cours de Vincennes (aujourd’hui Lycée Hélène-Boucher). L’établissement, flambant neuf, fascine la jeune fille qui doit y commencer sa scolarité en octobre 1939. Durant l’été 1939, Sarah et ses parents partent pour la première fois en vacances ensemble. Ils font du camping dans un petit village près de Pithiviers…
Au retour des vacances, Moïse est mobilisé dans l’armée polonaise stationnée dans les Deux-Sèvres. Sarah est évacuée à Mers-les-Bains par la mairie de Paris. Elle fera sa rentrée au lycée en novembre.
En janvier 1940, en compagnie de ses cousins, elle est envoyée à Boulouris-sur-Mer où elle est accueillie à la Feuilleraie, établissement géré par l’ l’Œuvre de secours aux enfants, une association humanitaire qui vient au secours des enfants juifs persécutés. Marjem vient la rechercher en septembre 1940.
Le 27 septembre 1940, le Militärbefehlshaber (commandement militaire nazi) publie la première ordonnance enjoignant impérativement aux Juifs de la zone Nord (français ou étrangers) de se faire recenser avant le 20 octobre. Le premier statut des Juifs est établi par le gouvernement de Vichy le 1er octobre 1940. Il exclut les Juifs de tous les postes de la fonction publique, de la presse et du cinéma, prévoit leur exclusion des professions libérales et proclame la notion de race juive, alors que l’ordonnance allemande du 27 septembre ne fait référence qu’à la religion juive. Selon ce statut, « est regardée comme Juif toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint est lui-même juif. » Les 2 et 3 octobre également, la préfecture de police communique, par voie de presse et d’affiches sur les murs que « « La déclaration prescrite par ordonnance du chef de l’administration militaire en France concernant les Juifs sera reçue, à Paris et dans le département de la Seine, par les commissaires de police. Les ressortissants juifs devront, en conséquence, se présenter dans les commissariats des quartiers ou circonscriptions de leur domicile, munis de pièces d’identité. » Moïse obéit à l’ordre de recensement des Juifs. Lui et Marjem reçoivent le tampon rouge « Juif » sur leurs papiers d’identité. Ils ne déclarent pas leur fille. Moïse ne répond néanmoins pas à la convocation du billet vert en mai 1941. Le 23 juillet 1941, juif étranger et anarchiste, son père est arrêté à Paris et interné au camp de Pithiviers dans le Loiret, d’où il réussit à s’évader début septembre 1941. Il entre alors dans la clandestinité.
« Quand mon père a été arrêté [en enfermé au Camp de Pithiviers], il ne pouvait pas rester là-bas. Il nous a écrit, en yiddish d’ailleurs, des lettres clandestines, parce que de Pithiviers ils avaient le droit d’écrire une lettre par semaine mais en français, sur une espèce de carte prévue pour cela. [L’administration du camp] avait demandée des jardiniers – qui était jardinier ? Alors il a levé la main – alors qu’il n’avait jamais touché une pelle de sa vie – et il est parti faire le jardinier pendant quelques jours. Il a repéré les lieux et le troisième ou quatrième jour, cela n’a pas duré longtemps, il s’est caché derrière des buissons. Il a laissé rentrer les autres au camp et lui il est parti. Il est rentré dans la clandestinité, après cela il s’est caché il avait des faux papiers. Il était devenu alsacien, à cause de son accent yiddish ». Il se cache loin de son domicile qu’il rejoint en secret. Il emmène parfois sa fille pour des sorties aux apparences insouciantes à travers Paris.
A partir de ce moment-là, il vit au 19, passage d’Eupatoria, « dans un immeuble vétuste près de l’église Notre-Dame-de-la- Croix, dans le XXème arrondissement de Paris. Là se cachaient de nombreux Juifs, que jamais les concierges d’ont dénoncés.[5] » Muni de faux-papiers, il expose sa fille à la vie culturelle que Paris offre encore à cette époque. « Pendant presque deux ans, jusqu’à notre déportation, tu as bravé toutes les interdictions faites aux Juifs : aller au cinéma, sortir après 20 heures le soir. Tu disais que cela n’avait pas d’importance, puisque nous ne portions pas l’étoile et que nous avions de faux papiers. Tu agissais comme si tu voulais compenser le fait que tu ne pouvais pas me nourrir en m’ouvrant sur le monde intellectuel et artistique. Grâce à toi, j’ai pu entendre et voir, à la salle Pleyel, le trio Alfred Cortot, Jacques Thibaud et Jean-Pierre Fournier. (…) Tu m’emmenais également à la Grande Chaumière, rue Vavin. J’étais heureuse, j’aimais cette ambiance bohème. Après les séances, nous allions prendre un verre à la Rotonde ou au Dôme, tous ensembles, les peintres et les dessinateurs, et je pouvais donner libre cours à mes fantasmes, car je tombais amoureuse de l’un ou de l’autre (…) Il fallait bien sortir de temps en temps de cette chape de plomb où nous enfermaient les nazis, aidés du gouvernement de Vichy. Il fallait oublier la grisaille de ce temps de guerre. [6]».
La mère et la fille logent toujours dans l’appartement de la rue des Pyrénées. Sarah se rend au lycée par le bus 26. C’est dans ce bus qu’une passagère lui exprimera sa solidarité en mai 1942 lorsqu’elle doit porter l’étoile jaune pour la première fois.
Le 15 juillet 1942, Sarah célèbre la fin de l’année scolaire. Claudine W., une camarade de classe, la met en garde : un ami commissaire a prévenu sa famille qu’une rafle aura lieu le lendemain et les femmes, ainsi que les enfants, seront arrêtés. Sarah en informe sa mère qui hausse les épaules. Maria ne veut pas croire que la France puisse commettre un tel crime mais, pour rassurer sa fille, décide de faire le guet toute la nuit. A l’aube, alors qu’épuisée elle venait de s’assoupir sur sa chaise, des policiers français frappent à la porte. Par automatisme, Maria répond. À 14 ans, l’enfance de Sarah bascule.
« A 6 heures du matin, on a frappé à la porte, Maman a répondu « qu’est-ce que c’est ? » – « Police, ouvrez ! » Est entré un inspecteur de police en civil, avec l’imperméable et le chapeau. Il dit à ma mère « vous êtes bien Madame Lichtsztejn ? », il a une liste dans la main. Elle dit « oui ». « Et cette jeune fille, là ? » Ma mère répond « eh bien, c’est ma fille ». « Mais elle est pas sur ma liste ! » Et il rajoute mon nom sur la liste. Ma mère lui dit « pourquoi vous l’ajoutez si elle n’est pas sur votre liste, pourquoi voulez-vous l’ajouter, laissez-là, ce n’est qu’une enfant » « Non, non, non, elle est sur la liste, elle sera emmenée également ». Et ma mère le supplie presque à genoux, il lui dit « Madame, si vous faites du scandale, j’appelle Police-Secours » Et ce jour-là je dois dire que je n’ai vu aucun soldat allemand dehors. Tout a été fait par la police française ».
Amenées à pieds jusqu’au 297 rue des Pyrénées, au coin de la rue de Belleville, dans un garage où sont regroupées les personnes arrêtées, elles y restent 2 heures jusqu’à l’embarquement dans les autobus de ligne où elles sont entassées, sans connaître sa destination. « On a traversé Paris. Je n’ai vu aucun soldat allemand dans les rues. » Ces autobus déchargent leurs passagers rue Nélaton où se trouve à l’époque le stade du Vélodrome d’Hiver. Dans le Vélodrome, un gendarme explique à sa mère que les détenus vont être envoyés dans le Troisième Reich pour y travailler. Mais voyant aussi arriver des grabataires moribonds sur des brancards et des handicapés en chaise roulante, Maria Lichtsztejn comprend qu’on leur a menti et que leur destination sera plus grave. Armée d’une volonté de fer et d’une présence d’esprit à toute épreuve, Maria encourage sa fille à profiter de la foule de plus en plus dense pour s’échapper et rejoindre une adresse chez des amis sûrs. Après plusieurs tentatives, Sarah réussit à franchir les barrages en trompant la vigilance des policiers français qui bouclaient le quartier autour du Vélodrome. Elle se dirige vers la Station de métro la plus proche, Grenelle (aujourd’hui Bir-Hakeim), puis descend à la station Glacière, où elle retrouve sa mère qui avait réussie à s’échapper quelques minutes après elle. Elles entrent à leur tour dans la clandestinité. Elles sont notamment cachées par un sculpteur espagnol et par Gilberte de Puytorac (Davas), une militante de la Fédération des Jeunesses Anarchistes, boulevard Saint-Jacques. Elles vont se cacher dans l’Yonne, au sud de paris, plusieurs mois, puis reviennent à Paris avec de faux papiers. Elles vivent 78, avenue de la République, au 4ème étage, porte 6, munies de faux papiers. Sarah poursuit néanmoins sa scolarité sous une fausse identité au lycée de jeunes filles du cours de Vincennes à Paris. Maria Lichtsztejn tente de réinstaller la plus discrètement possible un atelier de couture dans la cour de l’immeuble.
Mais, le 24 mai 1944, à 7 heures du matin, deux inspecteurs en civil, tenant à la main une lettre de délation écrite par leurs voisins de paliers, viennent arrêter Sarah et sa mère. Les deux femmes partent escortées par les inspecteurs de police, depuis la station de Métro Parmentier, jusqu’au dépôt du palais de justice sur l’Ile de la Cité. En chemin, avenue de la République, Marjem reconnaît son mari qui descend la rue sur le trottoir d’en face. Heureusement pour lui, il ne les voit pas et échappe à une nouvelle arrestation.
Conduites au dépôt du palais de Justice, elles sont internées le lendemain au camp de Drancy. Le 30 mai elles sont déportées pour Auschwitz dans le convoi 75 (contenant plus de 1 000 personnes). Le train arrive à Auschwitz-Birkenau le 2 juin, après un voyage dantesque.
À la suite du tri à l’arrivée effectuée par le Dr. Mengele, Sarah Lichtsztejn et sa mère échappent à la chambre à gaz et sont conduites dans un bâtiment où on leur appose un tatouage.
Les deux déportées, qui font tout pour ne pas être séparées, sont affectées dans les Kommandos extérieurs dans lesquels elles effectuent d’exténuants travaux de terrassement d’une ligne de chemin de fer, dans des conditions terribles. Elle assiste à l’arrivée des Juifs du ghetto de Lodz et de Hongrois, tous gazés à leur arrivée.
Fin octobre 1944, Sarah Lichtsztejn est séparée de sa mère. Elle est reconduite à Birkenau mais se retrouve sous la protection de prisonnières ukrainiennes et russes. Elle est affectée à la mise en place de canaux pour des travaux agricoles. Le 18 janvier 1945, le camp est évacué. Pendant la « marche de la mort » elle retrouve sa mère et elles arrivent ensemble au camp de Bergen-Belsen. Sarah va notamment croiser Anne Frank.
Les prisonnières parviennent à la suite de cette marche au camp de Bergen-Belsen. Elle survit au typhus qu’elle attrape le jour de ses 17 ans, en mars 1945. Le 15 avril 1945, les forces anglaises libèrent le camp. Maria et Sarah Lichtsztejn sont évacuées. « Je pesais 40 kilos, maman 35», décrit la fille. Le 24 mai 1945, un an jour pour jour après leur arrestation, elles arrivent à Paris. De la gare, les déportés des camps sont transportés en autobus à l’hôtel Lutetia puis dispersés dans différents centres municipaux. La mère et la fille sont envoyés à la Mairie du 19ème arrondissement, sans suivi psychologique aucun.
Néanmoins le retour est amer. Elles retrouvent Moïse qui avait pu se cacher[7]. Toutefois Maria refuse de retourner vivre avec son mari. Elle lui laisse l’appartement de l’avenue de la République et ses amis lui trouve un logement : « (…) un petit deux-pièces minable près du métro Goncourt, dans le XIème arrondissement, mais pour nous c’était encore du luxe. Ma mère était trop faible pour travailler et nous vivions de la charité d’organismes juifs qui nous donnaient des vêtements, et du peu d’argent que nous avait octroyé l’Etat. La famille nous aidait également. Nous, les rescapés, avons été très choqués d’apprendre que la préfecture de police de Paris avait reçu la Fourragère de l’Ordre de la Libération. En somme, les policiers qui nous avaient arrêtés étaient récompensés. Déçus également, nous l’étions par la discrimination dont faisait preuve à notre égard le gouvernement. Les cartes que l’on nous avait attribuées portaient la mention « Déportés raciaux » et la pension assortie plus tard était bien plus faible que celle des « Déportés politiques ». Il a fallu se battre longtemps pour obtenir la parité. Le sentiment d’une trahison de la France, que nous avions éprouvé au retour, continuait à se faire sentir. »[8]
Sarah retourne au lycée en tant que boursière mais elle ne peut redevenir celle qu’elle était avant sa déportation. Elle écrit dans une dissertation : « Au camp, nous avions de l’espoir, l’espoir d’être libérées et de revivre, mais maintenant, je vois que la vie n’apporte rien du tout et l’espoir n’est plus là. »
Sara travaille dans un premier temps comme marionnettiste pour le théâtre de marionnettes en yiddish Hakl-Bakl de Simche Schwarz. Puis elle intègre l’agence Reuters entre 1952 et 1956 et enfin dirige le secrétariat d’un laboratoire de recherche fondamentale du Muséum d’histoire naturelle. Elle reprend des études et passe son bac. En 1947, elle rencontre Philippe Montard issu d’une famille catholique royaliste. Malgré l’incompréhension parentale des deux côtés, les deux jeunes gens se marient en 1952. Ils ont deux enfants : Claire et Laurent. Claire est le prénom d’une camarade de Sarah morte en déportation. « De la déportation, elle ne parlait jamais », témoigne sa fille.
Pourtant, de cette vie après les camps, elle a dit : « On fait semblant d’être normaux, mais on ne l’est pas, même soixante-dix ans après. Toute notre vie se déroule en confrontation avec celle des camps. Nous ne sommes jamais sortis des camps. » Elle adhère dès 1946 à l’Amicale d’Auschwitz et en 1979 à l’association des Fils et Filles de déportés juifs de France, assistant aux côtés de Serge Klarsfeld au procès de Cologne en 1980.
A la fin de sa vie, sa mère Maria est atteinte d’Alzheimer : alors que sa mémoire s’efface inéluctablement, elle revit tous les jours le cauchemar des camps. Maria s’éteint en 1983. Cette année-là, Sarah s’est donné le droit et le devoir de témoigner de ce qu’elles avaient vécu, notamment des collégiens et lycéens et ce jusque sa mort. Sarah Montard publie en 2011 son témoignage aux éditions Le Manuscrit dans la collection Témoignages de la Shoah, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah : « Chassez les papillons noirs. Récit d’une survivante des camps de la mort nazis. ». Le titre est en référence au refrain d’une chanson d’Edith Piaf, que chantaient Sarah et ses camarades dans le camp de Birkenau : « Tant qu’y’a d’la vie, y’a d’l’espoir, Vos désirs, vos rêves, Seront exaucés un soir Avant que votre vie s’achève. Le bonheur viendra vous voir, Il faut l’attendre sans trêve, Chassez les papillons noirs, Tant qu’y’a d’la vie, y’a d’l’espoir. »
Elle témoignera de nouveau en 2015 dans un autre ouvrage écrit avec cinq autres rescapées, « Les Traces de l’enfer. Survivre pour raconter, raconter pour ne pas oublier », aux éditions Larousse. Sarah s’éteint à son tour à 93 ans, le 21 février 2022, au Tremblay-sur-Mauldre, dans les Yvelines.
Natale PASSERI (1898 – 1942), paysan anarchiste puis communiste, italien naturalisé puis déchu de sa nationalité française par Vichy, assassiné par les Nazis à Auschwitz
Natale Passeri est né le 29 décembre 1898 à Gualdo Tadino (Italie). Il est le fils de Carolina Benetti et de Luiggi Passeri, ouvrier agricole, son époux. Après l’entrée en guerre de l’Italie en 1915 pendant le Premier Conflit Mondial, il est mobilisé dans l’infanterie Italienne dès qu’il à l’âge d’être incorporé, entre 1916 et 1920. Il arrive en France le 10 décembre 1921, et résidera jusqu’à sa mort en Moselle, dans la région d’Hayange.
Natale Passeri, qui était sans doute d’origine juive, obtint la nationalité française ainsi que sa femme et leurs 4 enfants par le décret collectif du 12 mars 1929.
Ouvrier dans la sidérurgie, il participe aux grèves de juin 1936, et adhère à la CGT puis tardivement au Parti communiste Français, « durant les quatre mois qui précèdent la déclaration de guerre » selon la Préfecture de Meurthe et Moselle, qui précisera dans un courrier au Garde des Sceaux en vue du retrait de sa nationalité française : « membre de la CGT, de l’Union populaire Italienne et des combattants républicains ».
Après la rupture du pacte germano soviétique du fait de l’invasion de l’URSS par les Nazis, il est arrêté une première fois en juillet 1941 pour distribution de tracts communistes. Suite à cette arrestation, le Préfet de Meurthe-et-Moselle propose sa déchéance de la nationalité française. Le dossier transmis par le Préfet le 2 novembre 1941 au Garde des sceaux est bien mince : « Il assistait aux réunions et aux cortèges extrémistes, sans toutefois y jouer un rôle important. Depuis septembre 1939, il n’a pas attiré l’attention des autorités de police au point de vue politique. Il a toutefois été interné administratif le 15 juillet dernier à la suite d’une distribution de tracts communistes dans la commune. (…) J’estime en raison de ses antécédents au point de vue politique et de son assimilation insuffisante, qu’il y a lieu de lui retirer la nationalité française en application des dispositions de la Loi du 22 juillet 940. Cette nationalité pourrait être conservée à sa femme et à ses enfants ». La nationalité française leur est retirée collectivement à toute la famille par le Décret du 3 août 1942, publié au Journal officiel du 18 août 1942
Entretemps, suite au sabotage du transformateur d’Auboué le 4 février 1942, privant d’électricité pendant plusieurs jours la ville mais surtout les 17 mines de fer du bassin de Briey et les usines sidérurgiques, entrainant la rage des Nazis[9]. Hitler ordonne que 20 otages soient fusillés. Il est de nouveau arrêté avec d’autres militants déjà connus et fichés. A la suite des interventions de l’ambassadeur d’Italie, du gouvernement français et de Speer, ministre allemand de l’Armement qui redoute les conséquences prévisibles des exécutions d’otages sur la production du bassin minier de Briey, Hitler accepte le 2 avril 1942, de renoncer aux fusillades. Mais les arrêtés seront déportés.
Natale Passeri est arrêté par la police française et est remis aux autorités allemandes à leur demande. Interné à Compiègne, il fait partie d’un convoi de 1175 déportés à destination d’Auschwitz. Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45.950 ». Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Natale Passeri meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942, d’après les registres du camp, probablement après avoir été pris dans une « sélection pour la chambre à gaz ». Jacques Jung, seul rescapé du convoi habitant Homécourt, a témoigné de sa mort.
Sources : Franco Bertolucci, « Gli anarchici italiani deportati in Germania durante il secondo conflitto mondiale », dans Revista Anarchica, n°415, avril 2017 // Valeria Morelli « I deportati italiano nei campi di sterminio… », Claudine Cardon-Hamet, « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 et le site https://deportes-politiques-auschwitz.fr/2010/08/passeri-natale-alfonso-tomaso/
Martha WÜSTERMANN LEWIN (1907 – 1992), anarchiste, allemande anti-nazi, exilée en Espagne révolutionnaire, résistante en France, militante anti-apartheid en Afrique du Sud.
Martha Wüstemann est née le 12 avril 1907 en Allemagne. C’est aux Jeunesses Anarchistes de Leipzig que Martha avait rencontré son compagnon Arthur Lewin, avec lequel elle eut en 1928 une fille, Vera. A partir de février 1929 la famille s’installe à Düsseldorf, où Martha et Arthur Lewin créent, avec Paul et Gees Helber, une imprimerie qui réalisait entre autre les documents de la section allemande de l’Association Internationale des Travailleurs, la FAUD. En 1932, Martha et Arthur divorcèrent officiellement afin de soulager Martha et sa fille, dans un contexte de montée de l’antisémitisme et en prévision des persécutions contre les Juifs si jamais les Nazis arrivaient au pouvoir. Lewin quitta effectivement l’Allemagne en 1933 pour se mettre à l’abri et se rendit en Espagne ; Martha le suivit avec l’enfant un an plus tard.
Elle ne put obtenir de permis de travail et fut obligée pour gagner sa vie de laver le linge de familles judéo-allemandes. Grâce à une camarade espagnole, domestique dans une riche famille espagnole, elle put également lui servir d’adjointe pendant quelques temps. Elle noua rapidement des contacts avec le syndicat anarchiste, la CNT-AIT et les Jeunesses libertaires (FIJL) du quartier de Las Corts et fut membre des Groupes anarchosyndicalistes allemands en exil, DAS (Deutsche Anarchosyndikalisten).
Le DAS avait succédé à la FAUD, que les Nazis avaient dissous dès mars 1933 – soit deux mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Tout en essayant de maintenir une activité clandestine en Allemagne, la plupart des militants actifs avaient émigrés et créés des groupes en Suède, en France, aux Pays-Bas et surtout en Espagne.
Dernière rangée, troisième en partant de la gauche : Martha
Après le déclenchement de la révolution en juillet 1936, le DAS s’impliqua immédiatement activement dans les événements de Barcelone. (Martha : « Nous n’avons pas dormi pendant les deux premières nuits. ») La tâche du DAS était de contrôler les activités nazies des Allemands présents à Barcelone et de contrôler l’afflux de volontaires étrangers. Cela s’est fait en étroite collaboration avec la CNT-AIT espagnole, qui exerçait le contrôle des frontières avec la France, ainsi que le contrôle portuaire à Barcelone. D’ailleurs, au grand dam du Parti Communiste espagnol, qui n’a donc pas permis aux Brigadistes Internationaux de débarquer à Barcelone et qui n’y a pas déchargé d’armes soviétiques. Le groupe DAS a ainsi assumé une responsabilité et exercé une influence politique qui dépassait de loin sa force numérique que l’on estime à 45 adhérentes et adhérents, ainsi qu’un cercle de 50 à 80 sympathisantes et sympathisants.
Dès le début de la révolution, Martha assuma la responsabilité de la librairie du DAS à Barcelone. Elle utilisait parfois le pseudonyme Julia Alino. La librairie collectivisée appelée Nueva Cultura était située 72 Rambla de Catalunya dans un local confisqué à des nazis allemands installés à Barcelone.
La libraire diffusait notamment le journal du DAS, Die soziale Revolution (La révolution sociale), ainsi que le « Livre rouge et noir de l’impérialisme hitlérien » (Schwarzrot) qui – publiant les documents secrets découverts lors de la neutralisation de l’appareil nazi à Barcelone (la section du Parti Nazi NSDAP, du Front du Travail allemand, de la Gestapo) ainsi que de perquisitions et expropriations dans les appartements de sympathisants et militants nazis allemands, de bâtiments culturels ainsi que du Consulat allemand de Barcelone Espagne – révélait l’infiltration des milieu politiques et économiques espagnols, ainsi que le travail d’influence et de propagande nazie en Espagne. Ce livre était distribué clandestinement en Allemagne et aussi dans les pays de langue germanique (Suisse notamment) par les militants anarchistes, de façon à contrecarrer la propagande nazie. Ce document eut une importance réelle et pratique dans le contexte de l’époque car il contribua à révéler la dimension internationale des organisations du parti nazi à l’étranger. Les militantes et militants du DAS ont saisi des documents qui prouvaient que le NSDAP en Espagne avait surveillé et intimidé les opposantes et opposants au régime nazi et influencé la politique intérieure de l’Espagne, mettant en évidence des accointances politiques entre la Generalitat de Catalogne ou même le Comité central des milices antifascistes et l’appareil nazi à Barcelone.
Après les Journées de Mai 193 à Barcelone, au cours desquelles il y eut un affrontement entre communistes et policiers d’un côté et anarchistes et POUMistes (opposants marxistes non staliniens) de l’autre, presque tous les anarchistes étrangers furent arrêtés. Ils sont devenus les premières victimes anarchistes d’une situation politique dans laquelle la CNT espagnole avait perdu son influence politique mais était encore trop importante pour être directement liquidée par le Parti Communiste. Martha fut arrêtée dans la librairie et a pu envoyer son enfant chez des amis avec une lettre et un ticket de bus.
Le premier arrêt des anarchistes raflés fut la prison secrète communiste (cheka) de la célèbre Puerta del Angel, dont l’ancienne cave à vin servait de chambre de torture. Ironiquement, lorsqu’ils furent amenés, un milicien de la CNT montait la garde devant la maison, pensant qu’il gardait des « fascistes ». Entre-temps, tout ce qui se trouvait dans son appartement a été confisqué. Lorsque cette prison est devenue trop « chaude » pour la Tcheka communiste et que ces derniers ont craint une opération de la FAI anarchiste pour libérer les prisonniers, les communistes décidèrent de relocaliser les détenus. Pendant le transfert, les femmes dans le fourgon qui les emmenaient se mirent à crier comme si elles étaient sur la voie publique, ce qui força les geôliers communistes à les transférer non dans une prison secrète mais dans une prison officielle pour femmes, dont le directeur était – à ce moment-là, étonnamment – membre du POUM.
Peu de temps après une intervention d’Emma Goldman auprès des autorités républicains espagnoles en faveur de Katja Landau qui avait été arrêtée en même temps que son mari, le trotskiste autrichien Kurt Landau[10],) par laquelle Katja Landau avait attiré l’attention sur Martha, celle-ci fut libérée. Cependant, ses papiers avaient été confisqués par la Tcheka, et à partir de ce moment-là, elle dû vivre illégalement en Espagne. Ce qui lui causa des problèmes lorsque fuyant l’arrivé des troupes franquistes, elle atteignit la frontière française sans papiers. Elle causa un scandale à la frontière et fut remise à la Commission internationale pour les réfugiés au lieu – comme c’était l’habitude pour les « sans papier »– d’être renvoyée en Espagne.
À partir de 1938, Martha vécut à Paris et participait aux activités du groupe DAS, dans une atmosphère pesante de démoralisation extrême après la défaite en Espagne. Le DAS organisait comme il pouvait le soutien à ses membres et aussi compagnons internés dans les camps en France, recevant de la solidarité d’organisations sœurs à l’étranger. Martha commença à travailler comme couturière, rejoignant une petite coopérative montée par des anarchistes de Bulgares exilés et qui s’étaient organisés comme tailleurs.
Après la défaite de la France, elle parvient à confier sa fille à un internat catholique, où elle se cachera sous un faux nom pendant toute la durée de la guerre ; puis elle s’enfuit de Paris le 12 juin 1940 via Limoges et Toulouse jusqu’au village de Grenade en Haute Garonne, un voyage de sept mois à pied. Arthur Lewin quant à lui sera déporté à Auschwitz.
A Grenade, les autorités de Vichy la placent en résidence surveillée. Elle vécut ici du 13 janvier 1941 au 9 décembre 1944, fut au contact de la Résistance, se cachant dans les forêts, participant à l’organisation d’actes de sabotage et en même temps constamment en fuite. En novembre 1942, les troupes allemandes occupent le sud de la France. Martha vit dans une pièce et demie, sans couvertures ni chauffage dans une maison vide. A côté d’elle un Espagnol et deux Juifs. Un gendarme alsacien les dénonce à la Gestapo. «Ils ont essayé de m’attraper vers 16 heures du soir. Je n’ai pas ouvert la porte, et lorsque ma porte a été presque complètement brisée par des coups de pied, mon voisin espagnol est intervenu courageusement et leur a assuré que je n’étais pas dans l’appartement depuis des jours, ce qui m’a sauvé la vie. (D’ailleurs, cet espagnol a été abattu en ville par les Allemands peu avant la fin de la guerre.) Ils sont venus une deuxième fois dans la journée, mais j’étais alors dans la rue et j’ai pu m’enfuir à temps. À partir de ce moment-là, je dormais principalement dans le grenier, caché sous la paille… »
Le 18 mars 1943, elle s’effondre et est secrètement emmenée par des Français résistants à l’hôpital gardé par les SS à Toulouse et y est opérée. Après sa convalescence, après deux mois, elle se faufile devant les SS et s’enfuit vers Grenade. En mai 1944, le processus se répète. Les médecins français partisans de la Résistance veillent à ce que Marthe n’attire pas l’attention. Après un séjour de trois semaines à l’hôpital, elle parvient à nouveau à s’enfuir à Grenade. De là, elle s’enfuit à Moissac (Tarn), où elle se cache dans une maison abandonnée jusqu’à la fin de la guerre.
A la Libération elle retrouva à Paris son compagnon de retour de déportation, et tous les deux militèrent dans le mouvement libertaire français. Très rapidement le couple se sépara et Martha, en 1954, émigra avec sa fille en Afrique du Sud, où elle reprit son activité de couturière. Elle reprit aussi le militantisme, participant très activement à la lutte contre l’apartheid, tant et si bien, que pour échapper à la répression, elle dut revenir en Allemagne en 1964 et s’installa à Munich.
Martha Lewin est décédée à Munich en 1992.
Sources : D. Nelles, H. Pietrowski, U. Linse & C. Garcia « Antifascistas alemanes en Barcelona… » // Wolfgang Haug, Schwarzer Faden, Heft 4 (1992)
Arthur LEWIN, (1907 – 1976), espérantiste, anarchiste, allemand anti-nazi, exilé en Espagne révolutionnaire, survivant d’Auschwitz
Arthur Lewin, qui était d’origine juive, militait aux Jeunesses anarchistes de Leipzig. C’est dans ce groupe qu’il fit connaissance de sa future femme Martha. Fervent espérantiste il fut délégué au congrès mondial espérantiste qui se tint à Leningrad en 1925. En 1929, après la naissance de leur fille Vera l’année précédente, il s’installa à Düsseldorf avec Martha. Là, ils créèrent une petite imprimerie avec les compagnons Paul et Gees Helberg, et qui travaillait imprimait entre autre pour la section allemande de l’Association Internationale des Travailleurs, la FAUD. Lewin était membre du conseil d’administration de la Bourse du travail de la ville.
Début 1933, devant la montée du nazisme, il émigra à Barcelone où il sera rejoint l’année suivante par sa compagne et leur fille. Grâce à l’espéranto il établissait très vite le contact avec le syndicat anarchiste CNT-AIT et après avoir obtenu un permis de travail commençait à travailler comme graphiste publicitaire pour des entreprises. Puis il alla à Madrid pour y travailler pendant 6 mois environ comme représentant. Ayant appris l’espagnol il s’intégra très vite aux activités de la CNT-AIT et des Jeunesses libertaires (FIJL) du quartier de Las Corts et le couple participa activement aux activités et aux sorties champêtres organisées par la FIJL.
Dès le début de la guerre civile, Arthur qui était membre des Groupes anarchosyndicalistes allemands en exil DAS, participa aux patrouilles de contrôle chargées notamment de la surveillance et des réquisitions de logements, locaux et entreprises appartenant à des nazis. Puis il fut avec Ernst Appel et Isak Aufseher l’un des représentants du DAS au Comité international des émigrés antifascistes (CIDEA) fondé en août 1936 à l’initiative du DAS. Le CIDEA, qui comprenait également deux représentants du Parti communiste allemand KPD et deux membres du parti marxiste non stalinien (mais pas trotskyste) POUM, réquisitionna notamment les locaux de l’ordre catholique allemand des Thérésiennes et le mit à la disposition des émigrés antifascistes. Puis, en avril 1937, il remplaça Elli Götze comme porte-parole du DAS après la révocation de ce dernier.
En juin 1937, après les affrontements de Mai avec les staliniens, il fut arrêté à la frontière espagnole alors qu’il revenait de Paris avec de l’argent du groupe DAS de Paris destiné aux émigrés antifascistes. Il fut emprisonné et accusé de « contrebande de devises », puis expulsé à l’automne vers la France. A cette même époque il fut proposé par le secrétariat du DAS à Stockholm comme délégué pour assister au congrès de l’AIT à Paris.
Pendant la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation Arthur Lewin fut arrêté en France et déporté au camp d’extermination d’Auschwitz où il parvint à survivre. Au moment de l’arrivée de l’armée rouge au camp, il était quasi moribond. A la Libération il retourna à Paris où il retrouva Martha et tous deux militèrent dans le mouvement libertaire français, avant que le couple ne se sépare.
Arthur Lewin est décédé à Paris en 1976.
Sources : D. Nelles, H. Pietrowski, U. Linse & C. Garcia « Antifascistas alemanes en Barcelona… »
demain, le Monde ».
Salvatore GAGLIANI (1904 – 1990), anarchiste, ouvrier antifasciste, survivant d’Auschwitz
Le compagnon Salvatore Gugliano était né le 29 février 1904 à Portici, dans la métropole de Naples. Militant anarchiste ouvrier, sous le fascisme italien il avait été emprisonné à plusieurs reprises. Il fut déporté en 1944 (ou 1945) au camp d’extermination d’Auschwitz où il parvint à survivre jusqu’à la libération. A son retour de déportation il s’était installé à Carrare. En 1949, il avait aidé les compagnons Mancuso et Busico lors de leur attaque du consulat d’Espagne à Gênes.
En 1960 il regagnait Turin où il continua notamment au soutien financier du Seme anarchico dont il était l’un des diffuseurs. A la fin de sa vie il avait été soutenu par le compagnon Pino Caporale et sa famille. Salvatore Gagliani est décédé à Turin le 11 décembre 1990.
Sources : Umanità nova 27 janvier 1991
Georges SIMON ( ? – 1944), anarchiste individualiste, assassiné par les Nazis à Auschwitz
Avocat au barreau de Reims, Georges Simon était membre avant-guerre du groupe d’anarchistes individualiste des « Amis de Han Ryner ». (Jacques Élie Henri Ambroise Ner, dit Han Ryner, né à Nemours le 7 décembre 1861 et mort à Paris le 6 janvier 1938, est un philosophe et journaliste français, anarchiste individualiste, pacifiste, anticlérical). Pendant la seconde guerre mondiale, il fut déporté avec sa mère au camp d’extermination d’Auschwitz où tous deux disparurent en 1944.
Morthel, Leiba OUPITER, alias “Léon OUTER” ou “Pierre FLORENTIN” (1903 – 1943), anarchiste, migrant clandestin en France, assassiné par les Nazis à Auschwitz
Morthel Oupiter était né le 20 juillet 1903 à Wolkovisky (Russie). D’origine juive, il avait émigré en France où il travaillait comme ouvrier imprimeur à l’imprimerie La Fraternelle de l’anarchiste Sébastien Faure. Demeurant 8 rue Rampal (19e arr.) avec Armand Grabit depuis 1919, il fut cette même année le fondateur et le secrétaire du groupe Ni Dieu ni maître des Jeunesses anarchistes. Début juin 1919, avec notamment Havane et Péache, il fit partie du noyau fondateur de la Fédération des jeunesses anarchistes qui, ultérieurement publia le journal La Jeunesse anarchiste (Paris, n°1 mars 1921). En janvier 1920, avec Péache, Havane et Léon Louis, il avait participé à la reconstitution du groupe libertaire par la chanson La Gerbe au local du 34 rue Henri Chevreau. Il collaborait sous le pseudonyme de Léon Outer au journal Le Libertaire où il fut l’auteur, selon la police, d’au moins 11 articles. Il utilisa également le pseudonyme de Pierre Florentin notamment à la rubrique « Tribune de jeunes ». Il aurait été l’objet d’un avis d’expulsion en mars 1920, mais revint ou resta sans doute en France. Vers mars 1921 il avait été arrêté au Perthus dans les Pyrénées, en tentant de passer illégalement en Espagne et avait été poursuivi pour infraction à son arrêté d’expulsion. Il fut de nouveau arrêté en mars 1922 où il aurait utilisé le nom de Charles Bonvalet. En 1924, des listes de souscriptions en sa faveur apparaissaient dans le Libertaire. En juillet 1935 il avait bénéficié d’un sursis renouvelable à l’arrêté d’expulsion.
Pendant l’Occupation il fut interné semble-t-il à Drancy puis déporté (convoi n°63) au camp d’extermination d’Auschwitz où il fut gazé le 22 décembre 1943.
Sources : APpo BA 1660, rapport de 1932 // CAC Fontainebleau 20010216/170// // Le Petit Parisien, 17 mars 1921 // Paris Soir, 23 mars 1922
[1] Pour en savoir plus cf. Une approche du Mouvement libertaire juif, d’après un texte de Jean-Marc Izrine, https://cnt-ait.info/2003/07/19/mouvement-libertaire-juif/
[2] La plupart des notices ont été rédigés grâce au site http://militantsanarchistes.com
[3] Révolution ou Front antifasciste ? Le débat au sein du Groupe international de la Colonne Durruti en 1937 https://cnt-ait.info/2023/07/18/debat-juin-1937/
[4] Paris sous l’occupation, https://pennds.org/melanieperon/exhibits/show/vha/sarah-montard–n–e-lichtsztej
[5] Chassez les papillons noirs (2011), p 92
[6] Ibid., p. 138-139
[7] Après la guerre Moïse fut membre du groupe anarchiste juif de Paris et fut dans les années 1950 le responsable de la revue culturelle mensuelle yiddish libertaire L’Homme libre (Paris). Il s’éteint en 1969.
[8] Chassez les papillons noirs (2011), pp. 278-9.
[9] https://deportes-politiques-auschwitz.fr/2010/05/le-sabotage-du-transformateur
[10] Alors qu’il était hébergé par la CNT-AIT suite aux évènements de mai, selon George Orwell, « Kurt Landau […] et sa femme […] furent arrêtés vers le 17 juin et immédiatement Landau « disparut ». Cinq mois plus tard sa femme était toujours en prison, n’avait pas été jugée et n’avait aucune nouvelle de son mari. Elle annonça son intention de faire la grève de la faim ; le ministre de la Justice lui fit alors savoir que son mari était mort. Peu de temps après elle fut relâchée, mais pour être presque immédiatement ré-arrêtée et à nouveau jetée en prison ».
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4 commentaires sur Des lumières dans la nuit : portraits de quelques anarchistes déportés à Auschwitz