FREIE ARBEITER STIMME, le doyen des journaux anarchistes du monde
Espoir CNT-AIT, 28 février 1971, numéro 474
FREIE ARBEITER STIMME a 80 ans. C’est le doyen des journaux anarchistes du monde. Des centaines de journaux sont nés et ont disparu pendant la longue période d’existence de ce vieux journal. Quelques-uns, comme « La Protesta », de Buenos Aires, ont tenu assez longtemps avec une parution régulière. De journaux quotidiens, ils sont devenus hebdomadaires pour finir comme mensuels. D’autres tels « Tierra et Libertad », depuis sa naissance à Barcelone, en sa publication journalière de Madrid 1902-1903 — jusqu’à la formule actuelle au Mexique, subsistent avec des éclipses et des destinations diverses depuis plus de 70 ans.
Aucun cependant n’a pu avoir la régularité exemplaire du Freie Arbeiter Stimme. Ce qui est le plus admirable, le plus extraordinaire, c’est que ce journal a été toujours animé, soutenu, diffusé parmi une communauté en exil.
Car les camarades juifs, en Amérique, constituent, depuis toujours, un groupe ethnique aussi distinct que celui que nous formons, nous, les exilés espagnols disséminés de par le monde. Car, même ayant adopté la citoyenneté américaine, l’unité de langage les a maintenus associés autour de ce que Freie Arbeiter Stimme représente dans l’histoire du mouvement anarchiste en Amérique.
Aucun racisme dans ce maintien d’une communauté ethnique. Les espagnols ont toujours été des internationalistes. Mais cet internationalisme qui apparaît à travers la longue existence du mouvement anarchiste espagnol, en France, au Mexique, au; Venezuela, en Argentine, en Angleterre on en Belgique, il y a eu, il y a des communautés espagnoles qui survivent et entretiennent la vie d’une organisation, dont les racines sont en Espagne mais dont les branches fleurissent là où nous nous trouvons. Cela a pu donner l’exemple, aussi extraordinaire que celui des juifs de la Diaspora, d’une émigration politique qui soutient, depuis 1939, une organisation en exil et depuis 1944 des organes dans la presse : CNT devenu ESPOIR, hebdomadaire bilingue, à cause de la pression du franquisme, à Toulouse ; Solidaridad Obrera, devenue Le Combat Syndicaliste pour les mêmes raisons, à Paris. Avec déjà 25 ans d’existence en exil. Sans compter plusieurs revues : Cénit, Umbral, Tierra y Libertad, etc.
Freie Arbeiter Stimme est le plus frappant exemple de ce que peuvent la volonté et la persévérance dans la propagande des idées et dans l’action d’un mouvement. Freie Arbeiter Stimme est aussi, pour nous tous, le journal pour lequel ont écrit, depuis 1890, les personnalités les plus en vue du mouvement anarchiste international. Kropotkine, Nettlau, Johan Most, Rudolf Rocker, Alexandre Berkman, Emma Goldman, parmi les plus connus, y ont collaboré assidûment. Rocker et Goldman surtout en ont été pendant longtemps les plus importants animateurs. Il faudra toujours se référer aux pages de l’imposante collection de Freie Arbeiter Stimme pour connaître toute l’œuvre de ces deux gloires de l’anarchisme mondial. La barrière de la langue nous a privés, internationalement, de connaître ce qu’ont créé, en yiddish, plusieurs autres camarades qui ont soutenu et animé Freie Arbeiter Stimme. Nous le regrettons profondément.
Les communautés juives ont été soumises à dure épreuve dans le monde entier. Aux U.S.A. leur sort a été meilleur qu’en Europe. Cela leur a permis de poursuivre une œuvre de propagande que les persécutions en Europe auraient stoppé net. Mais les possibilités d’existence légale, les moyens économiques même, ne sont rien, si n’existent pas la volonté, la constance, l’acharnement d’un groupe d’hommes autour d’une organisation, d’un journal, d’une idée. Tout cela a existé dans le mouvement anarchiste américain en langue yiddish et parmi les membres de la communauté anarchiste juive aux U.S.A.
Pour nous, espagnols, Freie Arbeiter Stimme représente aussi le souvenir du combat mené à faveur de la Révolution espagnole, des collectes de fonds, de l’effort solidaire accompli pour l’aide à l’Espagne révolutionnaire en 1936, 37, 38 et au marnent de la débâcle. Nous gardons présent ce souvenir et cela a contribué, en grande partie, à nous faire comprendre l’effroyable tragédie des communautés juives d’Europe centrale, au moment de la montée de l’antisémitisme nazi.
Des milliers d’Espagnols et de juifs se sont retrouvés, pour mourir ensemble, dans les camps d’extermination, en France, en Allemagne, en Pologne. Mauthausen, Gusen, Buchenwald. Dachau, Auschwitz, sont autant de stations d’un calvaire gravit ensemble. Des liens indestructibles se sont tissés entre vous et nous… Tous les juifs qui moururent à notre côté n’étaient pas des libertaires; tous les espagnols morts ne l’étaient pas non plus. Mais tous étaient victimes d’une même réaction, d’une même haine, d’une même entreprise de destruction des forces vives et progressistes de l’humanité. Et cela, il ne faut pas l’oublier.
Combien de camarades d’origine Israélite combattirent aussi avec nous, sur les fronts de l’Espagne républicaine ! Eux, comme nous, savions que le combat commencé à Madrid, ne finirait qu’à Berlin… Il n’a même pas fini à Berlin, car ce combat ne peut prendre fin qu’avec la destruction de toutes les forces malfaisantes qui, depuis des millénaires, font le malheur de l’humanité.
Vous, anarchistes, comme nous, anarchistes, nous savons bien que tant que le capitalisme et son fidèle soutien, l’Etat, ne disparaîtront; que tant qu’une société d’hommes libres et égaux ne sera pas instaurée, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Le combat continue, car le fascisme, le nazisme, les forces de la réaction mondiale changent de nom, mais elles persistent et n’ont cessé de s’organiser. Encore une fois, nous devons défendre les libertés les plus élémentaires contre toutes les entreprises réactionnaires. Nous devons combattre aujourd’hui comme hier pour la défense de notre droit à vivre, du droit de tous les hommes à la liberté, au bonheur, à la justice, à l’égalité.
Mots très simples, mots aussi galvaudés; mots qui gardent seuls leur sens profond quand ce sont les anarchistes qui les utilisent pour définir leur combat. Le vieux, le glorieux Freie Arbeiter Stimme, avec ces quatre-vingts ans de vie, toujours jeune, continue à la pointe du combat. Qu’il y reste, jusqu’à la victoire finale !
Federica MONTSENY
Texte publié en yiddish dans le numéro anniversaire de Freie Arbeiter Stimme,
de New York, (U.SA.).
Article issu de la brochure » AUSCHWITZ : NE PAS OUBLIER ! Contre l’antisémitisme, ni oubli ni circonstances atténuantes ( https://cnt-ait.info/2024/05/03/bro-auschwitz/ )
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3 commentaires sur Le combat commun des anarchistes espagnols et des juifs contre le nazisme