https://asf-iwa.org.au/burmas-revolution-and-the-role-of-beijings-imperialism
16 janvier 2024
Dès le début du coup d’État au Myanmar, la Junte militaire (SAC, State Administration Council) a été confrontée à une série de sanctions et de pressions diplomatiques imposées par les superpuissances occidentales. La Junte militaire, isolée de l’Occident, n’a eu d’autre choix que d’accroître sa dépendance à l’égard de la Russie, de la Chine et de l’Inde. En outre, la fragilité de l’économie au cours de la période post-coup d’État a conduit à la crise de la balance des paiements. Le SAC s’est tourné vers le bloc économique des BRICS[1] pour résoudre la crise du dollar, obtenir son soutien et une éventuelle adhésion. Le SAC a mis en œuvre un processus de dédollarisation en autorisant et en promouvant l’utilisation du yuan (la monnaie chinoise) et d’autres monnaies pour l’import-export. D’une part l’alliance bonapartiste Kremlin-Naypyidaw[2] (alliance entre la Russie et la Junte) s’est également resserrée pour échapper à l’isolement. D’autre part, la Chine n’a pas dénoncé le coup d’État militaire et continue d’afficher son soutien diplomatique. Cependant, la Chine entretient toujours de bonnes relations avec les organisations armées ethniques – officiellement opposées à la Junte – le long de sa frontière.
Pendant ce temps, la situation tourmentée devient un endroit idéal pour les organisations criminelles qui souhaitent gérer leurs activités de cyber-escroquerie, de drogue et de trafic d’êtres humains. Les crimes organisés sont commis publiquement, principalement dans la partie nord de l’État Shan, près de la frontière chinoise. Historiquement, ces zones sont un refuge pour les barons de la drogue et le crime organisé puisque la plupart de ces zones sont sous l’autonomie de seigneurs de guerre eux-mêmes sélectionnés par la Tatmadaw (armée birmane). Le réseau du crime organisé est dirigé par les mafias chinoises ainsi que par les milices parrainées par l’État (pyi-thu sit), les dirigeants des Forces des Garde-Frontières (BGF)[3] et les responsables de l’administration des zones auto-administrées de l’État du Shan du Nord. Ces « syndicats criminels » font allégeances aux commandants militaires respectifs dans ces zones en échange de leur protection. L’activité de ces organisations a des impacts significatifs sur la Chine, car les organisations de cyber-escroquerie leur ont siphonné des millions de victimes à arnaquer et nombre de leurs ressortissants sont kidnappés, arnaqués et forcés de travailler pour des activités d’escroquerie. Le taux de chômage croissant en Chine et la fragilité de son économie sont devenus une opportunité pour les syndicats du crime. Pékin s’est exprimé contre ce qu’elle perçoit comme une menace nationale, susceptible de provoquer de l’instabilité en Chine même.
En octobre 2023, « l’Alliance des Trois Fraternités », l’alliance entre l’Armée d’Arakan, l’Armée de l’Alliance démocratique nationale du Myanmar et l’Armée de libération nationale de Ta’ang, a lancé l’opération 1027. Ils ont été rejoints par la Force de défense populaire de Mandalay, l’Armée populaire de libération (PLA, People Liberation Army, la branche armée du Parti Communiste) et l’Armée populaire de libération des Bamars qui combattent à leurs côtés. L’alliance s’est manifestée non seulement pour renverser le régime militaire, mais également pour éradiquer les organisations de cyberarnaque. Le message concernant la cyberarnaque indiquait clairement que leurs intérêts s’alignaient sur ceux de Pékin. La Junte s’est retrouvée dans une situation très délicate, car on peut constater qu’elle n’est pas en mesure de s’attaquer au problème de la cyber-arnaque pour plusieurs raisons : ses officiers militaires dans ces régions sont corrompus en assurant la protection de ces activités, et s’ils livrent à la Junte les dirigeants du BGF, les chefs de milice et les responsables de l’administration corrompus, leur statu quo dans ces régions sera remis en question. L’Alliance des Trois Fraternités a saisi cette opportunité d’agir alors que la Junte était hésitante et impuissante.
Il est crucial que l’Alliance des Trois Fraternités montre qu’elle a des intérêts communs avec Pékin, car il existe des scénarios dans lesquels elle devra compter sur la Chine pour pouvoir lancer une guerre à grande échelle. L’Alliance des Trois Fraternités et d’autres forces révolutionnaires du nord de la Birmanie utilisent des fusils d’assaut Type-81 fabriqués en Chine. Si la Chine imposait des mesures commerciales plus strictes aux frontières, la disponibilité d’armes, de munitions, de nourriture et de fournitures médicales pour les groupes armés de l’Alliance serait minime. Comparés aux Forces révolutionnaires du Chinland, un autre groupe armée de la minorité Chin qui opère le long de la frontière indienne, les approvisionnements sont limités depuis que la force frontalière indienne, Assam Rifles, a restreint ce qui traverse ses frontières. On peut également constater que ce groupe ne dispose pas d’armement moderne et dépend toujours de fusils à verrou (non automatiques), du fait d’un approvisionnement en armes limités. Il existe donc des différences dans la nature de la révolution entre les frontières chinoise et indienne.
Malgré la guerre civile qui les opposent, les deux parties en conflit laissent indemnes les projets publics financés par la Chine. Pékin, qui [tel un joueur de poker bluffant] couvre ses paris auprès des deux parties, protège également son projet de corridor économique Chine-Myanmar. Le porte-parole chinois du ministère des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a déclaré lors d’une conférence de presse le le 21 décembre 2023: « … La Chine poursuivra ses efforts pour aider à mettre fin aux combats et promouvoir les pourparlers dans le nord du Myanmar et travaillera conjointement pour un atterrissage en douceur de la situation dans le nord de la Birmanie. Nous espérons également que les parties concernées au Myanmar maintiendront la paix et la stabilité dans la zone frontalière sino-birmane et protégeront la sûreté et la sécurité des projets et du personnel chinois au Myanmar »
Pékin a organisé des négociations de cessez-le-feu entre la Junte et l’Alliance des Trois Fraternités à Kunming (capitale de la province du Yunnan, dansle Sid de la Chine) et un accord de cessez-le-feu a été conclu dans l’État du Shan du Nord. En outre, le 1er janvier 2024, le gouvernement de la diaspora – le Gouvernement d’Unité Nationale (NUG, National Unity Governement) formé après le coup d’État de 2021 par des parlementaires élus, des militants et certains ministres du gouvernement quasi-démocratique dirigé par la NLD (National League for Democracy, Ligue Nationale Démocratique) – a montré son allégeance à Pékin dans sa déclaration en déclarant son soutien à la politique d’une seule Chine[4] et assurant que les investissements économiques de la Chine seront sauvegardés.
En tant qu’anarchistes, nous nous associons à la résistance contre le régime fasciste, en prônant une véritable libération, l’autodétermination et l’autonomie de la région.
Nous mettons en garde contre les organisations étatistes dissimulées dans un programme de « libération nationale », car elles ne peuvent que reconstituer la classe dirigeante sans parvenir à une véritable libération pour les masses opprimées.
Il est impératif de reconnaître la présence de diverses Forces de Défense Locales (LDF, Local Defense Forces), enracinées dans diverses régions et communautés de Birmanie, qui résistent courageusement au régime fasciste sans compter sur le soutien des puissances impérialistes.
Pour réaliser une révolution qui émancipe pleinement la classe ouvrière opprimée de la région, il devient primordial de favoriser la solidarité transfrontalière au sein de la classe ouvrière et d’adopter l’internationalisme.
Plutôt que de sauvegarder les intérêts économiques et géopolitiques de Pékin en échange de soutien, il est crucial d’exprimer sa solidarité avec la classe ouvrière opprimée sous le régime du PCC (Parti Communiste Chinois), de soutenir les Ouïghours et de plaider en faveur de la libération de Hong Kong.
Compagnon Kay
[1] Brésil – Russie – Inde – Chine – Afrique du Sud
[2] Naypyidaw est le nom de la nouvelle capitale du Myanmar
[3] Border Guard Forces : groupes scissionnistes d’organisations ethniques armées qui se sont retournées contre elles et qui fonctionnent comme une division sous la junte
[4] La république Populaire de Chine exige que ses interlocuteurs reconnaissent la politique d’une seule Chine, c’est-à-dire que Taiwan fait partie de la Chine, et que donc la
République Populaire de Chine doit à terme avoir la souveraineté y compris sur Taiwan.
Cet article est issu de la seconde édition de la brochure « La révolution du printemps au Myanmar :Une révolution oubliée en cours » (seconde édition, 2024)
https://cnt-ait.info/2023/05/04/revolution-printemps-bro
Cette brochure a été publiée pour le 1er Mai 2023 par la CNt-AIT France, en solidarité avec l’Initiative AIT de Yangon, première organisation anarchosyndicaliste crée en Birmanie début 2023. L’objectif de cette brochure est de mieux faire connaitre l’histoire sociale récente de ce pays d’Asie du Sud est et de faire le point sur le développement de la révolution en cours depuis mars 2021.
La brochure peut être téléchargée en ligne : https://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2024/06/BRO_2023-BIRMANIE-1.pdf
Elle peut aussi être commandée au format papier en écrivant à contact@cnt-ait.info ou par courrier : CNT-AIT 7, rue St Rémésy 31000 TOULOUSE. Le prix est libre, cependant un don minimum de 8 euros est apprécié, pour couvrir les frais d’impression et d’envoi. L’argent surnuméraire récolté servira a alimenter la caisse de solidarité avec les anarchistes d’Asie du sud-est
Table des matières :
La révolution du printemps au Myanmar : Une révolution oubliée en cours.
La lutte anarchiste en Birmanie.
La lutte des travailleurs de Myanmar Pou Chen, sous-traitant d’Adidas.
Bref résumé historique du Parti Communiste de Birmanie.
Création d’une initiative de l’AIT au Myanmar.
Convergence des travailleurs du WSLB : la force de la solidarité dans des temps difficiles.
Pourquoi les anarchistes ne soutiennent pas Aung San Suu Kyi ?
La révolution birmane et le rôle de l’impérialisme de Pékin
Introduction
Le Myanmar (autrefois désigné sous le nom de Birmanie) est un pays d’Asie du Sud-qui reste méconnu en France. L’éloignement géographique, historique et culturel ne suffisent pas à expliquer le mésintérêt pour ce pays. Le fait que le pétrolier français Total ait été pendant plus de 20 ans [1]l’un des principaux exploitants du riche gisement pétrolier birman, explique aussi sûrement que ce pays n’ait jamais vraiment l’objet d’une grande attention des médias français. Pays sous la férule des militaires depuis 1989, l’opposante Aung San Suu Kyi a longtemps été une icône mondiale de la démocratie, avant de voir son étoile pâlir quand elle a nié les exactions des militaires contre la minorité musulmane des Rohingyas.
En février 2021, les militaires ont fait tomber la façade démocratique qui couvrait leurs agissements et ont repris officiellement le pouvoir. Mais contrairement à leur attente, ils ont rencontré une vive contestation populaire. Depuis, ce mouvement s’est transformé en résistance diffuse, qui expérimente un large panel de modes d’actions, de la guérilla aux jardins partagés en passant par l’action revendicative des travailleurs. Un des enjeux du mouvement est de réussir à dépasser les divisions ethniques et culturelles dans un pays de plus de 135 ethnies et langages. C’est dans ce contexte qu’a émergé un petit noyau de jeunes gens, intéressés par les propositions anarchistes et anarchosyndicalistes, à la fois fédéralistes et universalistes. Cette brochure compile des articles qu’ils ont écrits, pour donner à lire aux francophones des informations de première main sur la révolution en cours au Myanmar, et sur les propositions et les questions que se posent les jeunes anarchistes birmans. Cette brochure est un acte de solidarité avec la révolution en cours et avec toutes celles et ceux qui luttent pour la Liberté, là-bas comme ici.
[1] Total a annoncé se retirer du pays en janvier 2022
4 commentaires sur La révolution birmane et le rôle de l’impérialisme de Pékin