En 1978, la CNT-AIT, section en France de l’Association Internationale des Travailleurs, est groupusculaire. Crée en 1946 à partir d’une scission de la CGT par la rencontre de vétérans anarchosyndicalistes français d’avant-guerre, de jeune amenés à l’anarchisme après un passage par la Résistance et de militants espagnols exilés suite à l’échec de la Révolution espagnole, elle a quasiment disparue de la scène politique française pendant les années 50 et 60, son discours et sa pratique sans compromis étant en total déphasage avec les aspirations de la masse des travailleurs à bénéficier des bienfaits de l’abondance promise par les
« trente glorieuses ». Toutefois, après 68 qui remet en cause le modèle de société de consommation et avec les débuts de « la crise économique », elle connait un petit renouveau, qui est encore accentué par la renaissance de la CNT-AIT en Espagne même après la mort de Franco en 1975 [1].
La presse anarchosyndicaliste française en 1978
La CNT-AIT dispose en 1978 de deux journaux hebdomadaires, ESPOIR CNT-AIT, édité à Toulouse, et le Combat Syndicaliste, édité à Paris. Ces journaux sont officiellement ceux de la CNT-AIT française, mais ils servent surtout de paravent à la CNT-AIT espagnole en exil dont les journaux ont été interdits par le régime gaulliste dans les années 1960, suite aux pression du régime fasciste franquiste espagnol[2]. Ainsi les pages de couvertures de ces journaux étaient rédigées en français, et les pages intérieures en espagnol.
Après 1968, et encore plus porté par l’espoir né de la résurgence spectaculaire de la CNT-AIT en Espagne à la mort de Franco en 1975, le mouvement anarchosyndicaliste français renait de ses cendres et un frémissement se fait sentir. Les pages en français des deux journaux s’étoffaient et donnaient plus de place aux militants français de la CNT-AIT pour s’exprimer sur des thèmes qui dépassent le contexte strictement espagnol.
Une attention particulière pour l’Argentine de longue date
La situation sociale et politique en Argentine était régulièrement abordée dans les colonnes de la presse anarchosyndicaliste française. Historiquement l’Argentine fut l’autre pays – avec l’Espagne – où l’anarchisme exista comme mouvement de masse : pendant le premier quart du XXème siècle, la FORA (Fédération Ouvrière Régionale Argentine) regroupa des centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs et exerça une réelle influence sur la politique et la société Argentine, influence idéologique qui irradia sur toute l’Amérique latine. Régulièrement des articles dans Espoir rappellent la grandeur passée de la FORA. Même si en 1978 elle a quasiment disparue d’Argentine, réduite à un noyau de vétérans âgés témoins de la grandeur passée de l’organisation ouvrière anarchiste, elle continue néanmoins de subir une répression policière féroce, qui s’est accrue après le coup d’état de 1976. Espoir en espagnol se fait l’écho des appels à la solidarité de ces compagnons dans son numéro de début février 1978[3], article repris par le Combat Syndicaliste en français en avril 1978.
Au-delà de la nostalgie, Espoir se fait aussi l’écho des luttes en cours en Argentine. Ainsi dans son numéro 797, de janvier 1978, Espoir consacre un article aux disparus d’Argentine et aux manifestations des Mères de la Place de mai ; dans le numéro 801 un article est consacré à la répression politique et culturelle, etc.
Cette inquiétude vis-à-vis des exactions de la junte militaire argentine explique que la campagne de boycott de Mundial 1978, initiée par le COBA (Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du monde de football ) ne pouvait laisser insensible les militants de la CNT-AIT française.
Toutefois, à la différence des autres tendances du milieu gauchiste français (trotskystes, maoïstes et autres marxistes), il ne semble pas à la lecture de sa presse que la CNT-AIT participa directement – en tant qu’organisation – aux actions unitaires au sein du COBA, préférant garder sa liberté de parole et de point de vue, exprimé notamment à travers sa presse militante.
Le Mundial 78 dans les colonnes du Combat Syndicaliste
Le thème du Mundial fut assez peu abordée dans les colonnes du Combat Syndicaliste : il est vrai que ce journal est moins ouverts aux militants français qu’Espoir, et qu’il se consacre quasi-exclusivement aux actualités espagnoles. Les informations en français y sont réduites à la portion congrue. Les compagnons n’ont d’yeux que pour ce qui se passe outre-Pyrénées avec la résurgence de l’anarchosyndicalisme et la répression qui s’abattait sur les militants de la CNT-AIT espagnole.
Enfin, peut être aussi une autre raison tient au fait que le groupe de Paris de la CNT-AIT française, d’orientation plus syndicaliste révolutionnaire qu’anarchosyndicaliste, est plus engagé dans la construction d’une organisation syndicaliste, moins ouvert aux questions qui ne concernaient pas directement le monde du travail ? D’autant plus que les sondages de la SOFRES et de l’IFOP[4] montraient que la majorité des ouvriers étaient favorables à la participation de l’équipe de France ?
Dans les pages en Espagnol du Combat Syndicaliste un article écrit par un correspondant anonyme de Buenos Aires est consacré à la Coupe du Monde, pour décrire la terreur que fait régner en Argentine la Junte militaire [5].
Une coupe (du monde) qui ne débordera pas
Argentine (province de Buenos Aires)
« Nous tuerons ceux qui pratiquent la subversion, puis leurs collaborateurs, puis leurs sympathisants et, enfin, nous tuerons tous ceux qui sont indifférents » (Ibérico San Juan, gouverneur « civil » de la province)
Les spécialistes de la répression en Algérie, en Indonésie, au Vietnam se sont affrontés dans une concurrence féroce pour former les seigneurs militaires d’Argentine à l’application de leurs méthodes.
Et tandis que les préparatifs de la Coupe du monde se poursuivaient, chaque gouverneur, chaque préfet de police, chaque policier, chaque informateur policier appliquait à sa manière la liberté de pression qui leur est accordée par les militaires au pouvoir. Peu importe quel soldat indigne à galons, quel commissaire imbu de fausses valeurs peut arrêter, torturer et tuer en toute impunité. La loi dégénérée le couvre. Les guérillas, l’université, la presse, les milieux ouvriers, tout le peuple argentin est la victime propriétaire du sadisme militaire.
« Vols de la mort »[6], tortures, arrestations, disparitions… vont constituer les ciments moraux des grands stades où complices inconscients du crime, les professionnels d’un sport iront donner un quitus sportif aux criminels qui surpassent ceux qui furent jugés à Nuremberg il y a de nombreuses années.
Les avocats qui prétendent faire leur travail sont éliminés, persécutés, torturés, assassinés ou disparaissent. Il suffit souvent d’un nom juif ou à consonance juive pour que la rigueur du crime répressif s’abatte sur vous. Ici même les fanatiques du nazisme sont en action.
Pour mener à bien cette action criminelle, les gangs du Monde ont apporté des fonds. Aujourd’hui, ce ne sont pas les banques. Le sport professionnel apporte sa garantie et son sceau.
Pour la plus grande gloire des multinationales américaines, allemandes et françaises, les salaires de misère sont la garantie du grand banquet capitaliste Et à leurs côtés, [on trouve] des grandes familles qui sont derrière le régime. Depuis mars 1976, usines, ateliers et sites de production sont la cible de l’intérêt des militaires. Tout est aux mains de l’armée. Des éléments jugés subversifs sont assassinés par centaines. Sans aucun procès. Malgré les disparitions dont [la presse] a parlé, malgré l’exécution des grévistes du métro de Buenos Aires, malgré la disparition de cent cinquante grévistes des usines Renault de Córdoba. C’est ainsi que les capitaux étrangers reviennent. Se baigner dans le sang des victimes du génocide.
Vingt mille disparus, huit mille assassinés, dix mille prisonniers, qui ne pourront assister à cette Coupe qu’aucune goutte d’eau ne fera déborder, malgré le déluge de personnes [qui se rendront en Argentine] aveuglées par la bêtise et la brutalité aberrante derrière les directeurs de la répression et qui, donneront par leur présence, une seconde satisfecit aux criminels de l’armée argentine.
Que le premier satisfecit ait été donné par les grandes firmes, les grands capitaux, la richesse dorée du monde, cela ne nous surprend pas ; pour le second, on comprend moins. Malgré le rabâchage lourdingue de la campagne publicitaire en cours.
Le Mundial est encore abordé via la publication d’un appel d’Umberto Marzocchi, le secrétaire de l’Internationale des Fédérations Anarchistes (IFA), qui exhorte – mais un peu tardivement car son appel est daté des premiers jours de la compétition – les sections et groupes de l’IFA (Internationale des Fédérations Anarchistes) à participer aux actions de boycott[7].
« LA CRIFA ET LE « MONDIAL »
En ce moment ont lieu en Argentine les championnats du monde de football organisés par la junte Militaire qui cherche, par un tel moyen, à obtenir une reconnaissance internationale de la dictature du général Jorge Rafael Videla et de son régime tyrannique imposé comme modèle aux gouvernements réactionnaires aujourd’hui au pouvoir en Amérique du Sud.
Cette initiative a éveillé à l’intérieur du pays une polémique assez vive car – malgré l’affirmation du général Antonio Luis Merio, président de l’Institut autarcique qui la patronne, « les championnats du monde de football sont un choix politique et prioritaire de toute la nation » – l’on se plaint de l’excessive dépense, 850 milliards de lires, pour bâtir 3 nouveaux stades à Mendoza, Cordoba et Mar de Plata que l’opinion publique « défini » comme des monuments aux chômeurs et qui grèveront l’économie argentine en plein inflation, malgré l’aide publicitaire assurée par la « Coca-Cola » (avec 25 millions de dollars »), la « Philips », le « Café du Brésil » (déjà étiqueté « El Café del Mundial ») et d’autres multinationales.
Les réactions internationales ne se sont pas faite attendre. En Allemagne, en France, en Suède et aux Pays-Bas, des Comités pour le boycottage des championnats ont pris naissance et même « Amnesty International » s’est engagée pour sensibiliser l’opinion publique mondiale et l’orienter à rompre le silence qui entoure le régime dictatorial argentin et faire œuvre de contre-information.
La CRIFA fait appel aux fédérations, groupes et militants adhérents à l’IFA (Internationale des fédérations anarchistes) pour qu’ils s’intéressent de près à la situation politique et répressive en cous en Argentine et fassent usage de cette circonstance pour la retourner contre le régime, en organisant une campagne –s’unissant aux autres, là où cela est possible – sur ces données que nos camarades nous ont directement fournies.
Dans cette période plus de 10.000 personnes ont été séquestrées, torturées, assassinées ; 15.000 personnes ont disparues. Le nombre des prisonniers politiques dépasse les 20.000. Aux cours de deux années de dictatures militaires, la production industrielle a diminué de 50 pour cent, le déficit de l’Etat est évalué à environ 23 milliards de dollars, les chômeurs sont un million et demi.
Cette circulaire a été envoyée, outre qu’aux adhérents à l’IFA (Internationale des Fédérations Anarchistes), à toutes les publications anarchistes que la CRIFA reçoit, pour être traduite dans la langue du pays, dans le plus bref délai, car les championnats ont commencé les premiers jours du mois de juin 1978.
Bien fraternellement,
Pour la CRIFA (Commission de relations de l’Internationale des fédérations anarchistes), Umberto Marzocchi »
Le boycott du Mundial 78 à la une d’Espoir CNT-AIT
L’autre journal de la CNT-AIT, Espoir, consacre par contre une couverture importante au boycott du Mundial . Le sujet est même en une du journal pendant trois semaines sur les quatre que dure la compétition.
Les premières mentions du Mundial apparaissent dans les pages en espagnol sous la forme de caricatures. On doit ces dessins à KLL, alias de Joan Call Bonet. Son premier dessin , publié dans les pages en espagnol du numéro 807 d’Espoir CNT-AIT (13 au 19 mars 1978) n’illustrait pas un article en particulier, se suffisant à lui-même. Le logo officiel de la compétition est détourné et remplacé par une paire de mains menottées, avec comme légende : « Argentina ’78 : camps de concentration, centres de torture, 17 000 prisonniers politiques, 6 000 assassinés. Videla ne cesse d’être un grand sportif ! »
Un second dessin paru dans Espoir 819 du 5 au 11 juin 1978, représente Videla en gardien de but et gardien de prison, menaçant les joueurs en cas de défaite. Il faut dire que le sujet du foot tenait particulièrement à cœur du caricaturiste attitré de la CNT-AIT espagnole en exil, passionné de football et ancien joueur du FC Barcelona et ayant lui-même une expérience des camps : il fut incarcéré par la République Française au camp de concentration du Vernet en 1939 lors de son exil en France[8].
“Videla : si mi equipo no es campeón del mundo, los encierro a todos en un campo de concentración, además, hago fusilar al árbitro »
Videla : si mon équipe n’est pas championne du monde, je les enferme tous dans un camp de concentration, et en plus je fais fusiller l’arbitre.
(Espoir CNT-AIT, numéro 819, 5 au 11 juin 1978)
Comme pour une « mise en jambe », la une du journal de la première semaine d’avril est consacré à un long article sur « l’Argentine enchainée »[9], qui décrit les crimes et les méfaits de la dictature militaire et dresse le panorama de l’opposition, depuis la résistance ouvrière spontanée jusqu’aux mouvements de guérilla inspirés par le péronisme en passant par le jeu équivoque de l’Eglise.
Dans le numéro paru mi-mai, dans une brève intitulée « après le football, la cancérologie », Espoir relaie l’appel de médecins à boycotter le congrès international de cancérologie qui se tenait à Buenos Aires en même temps que le Mundial
Dans le numéro de fin mai, un article relate la manifestation organisée le 11 mai précédent à Toulouse par le COBA, et à laquelle l’auteur semble avoir manifestement participé[10]. Cette manifestation, qui a regroupé 300 personnes, visait à protester contre le match officiel « France Iran ». Outre les militants de la COBA, des étudiants iraniens contestataires participaient à la manifestation. Un vaste dispositif policier, qui comptait
2 flics par manifestants, était déployé pour empêcher tout débordement en marge de ce match hautement symbolique et politiquement sensible, dans une ville où à l’époque la mouvance libertaire était particulièrement « agitée ». L’article était illustré d’une caricature de Jean-Louis Phan-Van, le dessinateur attitré de la CNT française, montant un footballeur en colère disant « le sport est apolitique », en tapant dans une balle au-dessus d’un policier égorgeant un manifestant.
Puis dans le numéro suivant, publié au moment de l’ouverture de la compétition, la couverture reprend en une et sur 3 colonnes l’appel à boycott du COBA in extenso « Pas de football dans les camps de concentration ». L’article est illustré un dessin de Phan Van, qui montre un policier au faciès de bouledogue, montant la garde sur un ballon de foot avec un camp de concentration en arrière-plan.
Cet appel du COBA « pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la coupe du Monde de football » ne vise pas le football en tant que tel mais le fait que la Coupe du Monde soit organisée dans une dictature.
Dans le numéro de la semaine suivante, qui couvrait la première semaine de la compétition, de nouveau la une du journal est consacrée pour moitié à l’appel au boycott du Mundial.
Toutefois la CNT-AIT marque sa différence avec la campagne unitaire de boycott en étendant sa critique dans deux directions :
- D’une part l’appel au boycott s’élargit à toutes les compétitions organisées dans toutes les dictatures. Si l’affiche proposée pour la campagne en une du journal et éditée par l’Union Locale de Grenoble, reprend bien le dessin d’Auclair pour l’affiche du COBA[11] la légende est différente : en plus de mentionner le Mundial Argentin elle cite aussi les jeux olympiques à venir à Moscou en 1980, avec la mention finale « les sports et les dictatures se portent bien ».
Ce faisant, la CNT-AIT marque sa différence avec le COBA et rompt avec l’unité de l’extrême-gauche et son anti-américanisme exclusif, « l’anti-impérialisme des imbéciles » pour reprendre l’expression du militant marxiste non orthodoxe iranien Mansoor Hekmat. En effet, pour les militants anarchosyndicaliste de la CNT-AIT, il ne s’agissait pas de restreindre la dénonciation des dictatures à la seule junte militaire argentine et à ses tuteurs américains, mais de l’étendre à toute les dictatures, y compris la dictature du prolétariat à l’œuvre à l’époque encore en Union Soviétique[12], sans oublier les agissements néo-coloniaux de la France en dénonçant l’intervention de l’armée française qui venait juste de se dérouler au Katanga.
Ainsi dans un article paru le 8 juin, dans un communiqué ironique[13], le bureau confédéral de a CNT-AIT s’étonne que l’armée française justifie son intervention à Kolwezi pour aller y libérer des otages français, mais par contre pratique la « non intervention auprès de l’Argentine où 20 français sont portés » disparus » ». Et de conclure : « nous réclamons l’envoi en Argentine du bataillon de Joinville[14] appuyé par un régiment de la Légion étrangère en lieu et place de l’équipe de France de football »
2) D’autre part, au-delà de l’appel au boycott de ces compétitions, c’est le sport en lui-même qui est critiqué par la reprise d’une citation de Sébastien Faure sur le « sportisme abrutisseur » fauteur de guerre.
Pour la dernière semaine de la compétition, l’intégralité des 4 pages en français d’Espoir est consacrée au boycott du Mundial ainsi que l’éditorial des pages en Espagnol
Le long article bilan de la partie française du Mundial a pour titre « il faut qu’on sache », une référence claire au slogan du COBA qui avait repris à son compte la phrase attribuée à Berthold BRECHT « celui qui ne sait pas est un imbécile, mais celui qui sait et qui ne dit rien est un criminel ».
L’auteur commence par dénoncer le Parti Communiste Français, qui n’a pas appelé au boycott du Mundial, car l’URSS maintien de bonnes relations avec le régime des tortionnaires argentins : « la vérité cachée c’est que le Parti Communiste Argentin apporte un soutien critique à la dictature sanglante de Videla ! La vérité cachée c’est aussi que l’Union Soviétique est devenue l’un des principaux partenaires commerciaux depuis l’instauration de ce régime de terreur ». Ainsi, en creux, on comprend que tous ceux qui apportent un soutien même critique à l’URSS – cet Etat ouvrier dégénéré pour reprendre la phraséologie gauchiste – de fait se rendent complices.
Puis sont dénoncés la France, troisième fournisseur d’arme à l’Argentine, mais aussi les Bleus, équipe d’hypocrites opportunistes à l’image de leur capitaine Platini : « le sport est neutre ! Cocorico ! Platini (allez les verts !) est neutre, lui aussi ! Aux jeux Olympiques de Berlin les sportifs ont joué près de Dachau, alors pourquoi ne jouerions-nous pas à 800 mètres d’un haut lieu de torture, où des centaines de femmes et d’hommes ont été suppliciées, brûlées au chalumeau, coupés vifs à la scie électrique, écorchés vivants … Platini aurait dû aller jusqu’au bout de ses comparaisons (…) Platini, comme tant d’autres, ce n’est pas d’aujourd’hui que sa neutralité est réputée. En novembre 1977, lors du match conte les Bulgares qui a appelé à « bouffer du Bulgare » ? Qui a lancé sur les ondes cet appel « ce sont les bulgares qu’il faudra indisposer et siffler sans cesse pendant 90 minutes. Je voudrai que le public se comporte un peu comme celui de Saint-Etienne ». Alors c’est ça le sport ? C’est ça se sport dont Pierre de Coubertin disait « tu es la paix », « l’important n’est pas de gagner mais de participer » ? Vaste blague, vaste fumisterie. »
L’article ensuite fait remarquer que « si celui qui sait et ne dit rien » peut être qualifié effectivement de criminel, on ne saurait qualifier d’imbécile « celui qui ne sait pas », car tout est fait dans les médias pour que justement il ne sache pas : « nous n’avons pas le droit de traiter tous ceux qui ne savent pas d’imbéciles, parce que dans la jungle mensongère de l’information il faut pouvoir- et même parfois savoir – s’y retrouver ». Et dans cette bataille pour une information libre et directe, de souligner « par son excellente préparation, le tirage à 60 000 exemplaires des numéros de L’Epique, la campagne pour le boycott aura été un précédent bénéfique ».
Et de conclure « pendant que vous applaudirez le onze de France vous couvrirez les bruits des personnes qu’on torture. Et demain, Moscou ? »
Dans son éditorial des pages en espagnol, Federica Montseny quant à elle rappelle la position des anarchosyndicalistes espagnols sur le sport en général, et fait le bilan du boycott du Mundial en particulier.
«Après la coupe du monde
Nous ne sommes donc pas contre le sport, en tant que pratique d’exercices physiques, adaptés et sains pour le corps humain. Nous sommes, oui, contre la commercialisation indécente du sport, qui en fait un simple spectacle, sans morale ni scrupules d’aucune sorte… Pour le reste, cela s’est clairement vu jusque dans ce qui évoque les « problèmes » de l’équipe française, partagée par une question de
« pot de vin » et de primes.S’il y a une Charte des droits de l’homme, s’il y a des engagements signés au niveau international, la décence la plus essentielle exigeait le boycott de la Coupe du monde de football, disputée dans un pays soumis à la plus sanglante des dictatures. Il n’y a pas eu de décorum dans les clubs de football qui se sont présentés, sans exception, à Buenos Aires. Mais il n’y en a pas eu non plus dans les gouvernements des nations qui, se disant démocratiques et ayant signé la Déclaration internationale des droits de l’homme, n’ont pas officiellement boycotté cette fête de l’ignominie. (..)
Pour les Espagnols et les Français, leurs « succès » ne justifient pas tous les abandons de dignité faits. Ils reviennent sans lauriers, n’ayant servi qu’à déchaîner l’enthousiasme hystérique des foules de Buenos Aires, à qui le triomphe de l’équipe argentine a servi d’alibi à certains éclats, bien connus de ceux qui ont vécu les quarante années de dictature franquiste et qui ne pouvait que crier et donner des coups de pied dans les stades.
La dictature argentine n’a rien perdu avec cette fête du sport. Et les prisonniers, les familles des disparus, n’ont rien gagné. Quant aux milliers de personnes immolées, au moins n’ont-elles pas eu à voir ce spectacle honteux, qui pour tous, protagonistes et spectateurs, devrait représenter la participation, la complicité dans un crime.
Si le sport ne sert qu’à abaisser le sens moral des hommes, il faut le condamner et le répudier… Et cela vaut pour tous les « fans » qui ne manquent pas même dans les rangs libertaires
Federica Montseny »
En résonnances avec ces appels au boycott lancé par la CNT-AIT en exil, en Espagne même la CNT-AIT appelait au boycott du Mundial , à l’image du syndicat du spectacle de Barcelone et de sa section syndicale dans l’industrie du sport, même si cette information n’apparait pas explicitement dans les pages d’Espoir.
Conclusion
Les anarchosyndicalistes français de la CNT-AIT ont participé activement à la campagne de boycott du Mundial 78 en Argentine, reprenant mais sans s’y diluer les appels du collectif unitaire COBA, et gardant leur liberté de point de vue. Ils se sont distingués des autres organisations de gauche et d’extrême gauche notamment en liant ce boycott avec celui des JO de Moscou en 1980 et en amorçant une critique non seulement de l’organisation des compétitions mais bien du sport en lui-même.
Cette campagne est illustrative de la stratégie des anarchosyndicalistes de partir d’une situation concrète pour à l’étendre au maximum et globaliser la réflexion critique.
Article de la brochure : « Le boycott de la coupe du monde d’ARGENTINE 1978 : Enjeux, acteurs, résultats » précédé de : « le mai 68 des footballeurs »
Téléchargeable en ligne ici : https://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2024/06/BRO_ARGENTINE-78.pdf
ou a commander au format papier (8 euros, port compris, chèques à l’ordre de CDES) en écrivant à CNT-AIT 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE
Le Boycott de la coupe du monde d’ARGENTINE 1978 : Enjeux, acteurs, résultats
« le mai 68 des footballeurs »
SOMMAIRE
Le foot aux footballeurs ! (Mai 1968 et le Foot …)
( https://coupedumondefricimmonde.wordpress.com/1968/06/10/le-foot-aux-footballeurs)
Argentine 1978 : Videla poubelle.
1978 : Manifestation des Autonomes contre la Coupe du Monde.
Argentine : football et assassinats.
( https://coupedumondefricimmonde.wordpress.com/1978/06/09/argentine-1978-la-coupe-des-morts)
La CRIFA et le « Mondial ».
La coupe est pleine Videla ! Le Mundial 1978 entre politisation et dépolitisation
Le boycott du Mundial 1978 dans la presse anarcho- syndicaliste française.
( https://cnt-ait.info/2024/06/12/mundial-1978 )
[1] Pour en savoir plus : « Histoire de la CNT-AIT Française, les 50 premières années (de 1946 à 1993) », éditions CNT-AIT, téléchargeable en ligne :
https://cnt-ait.info/2021/05/25/cnt-resume
[2] De Gaulle avant demandé au régime franquiste son soutien dans la lutte contre les
clandestins de l’OAS, terroristes pro-algérie française réfugiés pour la plupart en
Espagne. Le régime fasciste espagnol avait accepté, demandant en réciprocité le soutien de la République française dans sa lutte contre les organisations espagnoles anti-franquistes exilées en France, dont la CNT-AIT espagnole
[3] AIT información enero-febrero 1978, in Espoir n° 802, du 6 au 12 février 1978
[4] « les sondages d’opinions réalisés par la SOFRES et l’IFOP indiquaient que plus de 65 % des Français étaient favorables à la participation de l’équipe de France. Cette tendance était particulièrement marquée chez les ouvriers. », Xavier Breuil, Les mouvements de boycott de la coupe du monde 1978, Hors jeu We Are Football , Université d’Orléans
[5] una copa del Mundo que no llegara a desbordar, Le Combat Syndicaliste CNT-AIT, 1978
[6] Les vols de la mort sont une forme d’exécution sommaire consistant à jeter la victime depuis un avion ou un hélicoptère. D’abord pratiquée par l’armée française durant les guerres d’Indochine puis d’Algérie (où cette pratique prend le nom de « Crevettes Bigeard »), cette forme de meurtre réapparaît dans divers autres conflits, notamment la guerre sale, sous la dictature militaire en Argentine (1976-1983) : lors de ces vols de la mort (espagnol : vuelos de la muerte), des milliers de desaparecidos furent alors jetés dans l’Océan Atlantique vivants et drogués, depuis des avions militaires.
[7] La CRIFA et le Mondial, Le Combat Syndicaliste CNT-AIT, numéro 987 1er juin 1978
[8] Joan Call Bonet est né à Barcelone en 1914. Passionné de dessin et de foot dans sa jeunesse, il est enseignant dans la Colonne Durruti pendant la Révolution espagnole. Prenant les chemins de l’exil en 1939, il est interné au camp de concentration du Vernet, mis en place par la République française pour accueillir les réfugiés espagnols. Ce sont ses talents de dessinateur et son passé de jeune joueur au Football Club de Barcelone, qui lui permirent de pouvoir sortir du camp pour rejoindre le club reconnu de Luzenac, non loin du camp du Vernet, dont il finit par être le leader naturel. Après-guerre, il devient un des caricaturistes vedette de la Dépêche du Midi, tout en maintenant une intense activité militante, livrant dès les années 1950, rue de Belfort à Toulouse, siège de la CNT-AIT en exil, ses dessins pour les diverses publications de la Confédération, notamment la revue Espoir. Il fréquente la diaspora anarcho-syndicaliste et côtoie ses animateurs les plus emblématiques comme Federica Montseny. Il entretient dès 1953, des relations amicales et épistolaires avec Renée Lamberet, secrétaire de l’AIT (Association internationale des travailleurs), habitant à Puteaux, en région parisienne. Après avoir pris sa retraite professionnelle en 1979, il s’éteint à Toulouse en 2002.
D’après Sylvie Call-Fidan, « Joan Call Bonet (1914-2002) Réfugié politique espagnol,
dessinateur de presse », Exils et migrations ibériques aux XXe et XXIe siècles 2014/1
(N° 6), https://www.cairn.info/revue-exils-et-migrations-iberiques-2014-1-page-88.htm
[9] L’Argentine enchaînée, Espoir CNT-AIT, numéro 810, 4- 9 avril 1978.
[10] France Iran : 2 (flics) à 1 (manifestant), Espoir CNT-AIT, numéro 817, 22-28 mai 1978.
[11] L’illustration représente un match de foot sur lequel plane l’ombre d’un militaire tirant une balle dans la nuque d’un prisonnier agenouillé
[12] Dictature du prolétariat que nombre de groupuscules léninistes, trotskyste sou maoïstes se refusent toujours à condamner plus de 30 ans après la chute du mur de Berlin …
[13] Confédération nationale du travail, section française de l’Association Internationale des Travailleurs, ESPOIR CNT-AIT, Numéro 819, 8-11 juin 1978
[14] Le bataillon de Joinville est une unité militaire de l’armée française accueillant des sportifs de haut niveau.
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