jeudi 19 octobre 2006
A travers ces cinquante ans d’anarcho-syndicalisme, la CNT-AIT constitue un courant bien spécifique pour l’histoire du syndicalisme et de l’anarchisme. Cette spécificité s’exprime par l’organisation de l’anarcho-syndicalisme au sein d’une centrale qui se réclame de ce courant. Elle concerne le syndicalisme dans la mesure où étant un des plus vieux courants du syndicalisme, son action se déroule dans le champ syndical, et dans le même temps elle propose aux anarchistes un mode d’organisation pour arriver à leur objectif commun, le communisme libertaire. Continuité de la CGTSR d’avant guerre (elle même dans la continuité du syndicalisme anarchiste révolutionnaire d’avant 1914) ou importation du modèle espagnol, la CNT-AIT est la représentante en France de ce courant déterminé en 1922 avec la création à Berlin de l’AIT, qui n’est autre qu’une internationale anarcho-syndicaliste.
La singularité de la CNT-AIT se traduit par un rejet strict de toutes les autres formes d’organisation politique. Par sa critique systématique à l’égard des grandes centrales syndicales et de leurs modes d’action, par son refus du jeu institutionnel visant selon elle à intégrer les syndicats par l’association capital-travail, elle fut rapidement marginalisée du champ syndical et n’y joue plus aucun rôle dès 1950. Par ses reproches adressés aux anarchistes qui préfèrent adhérer aux grandes centrales, elle se voit isolée au sein du mouvement libertaire. Esseulée, sur le déclin et par conséquent de plus en plus sectaire, elle doit son salut à la CNT-AIT espagnole en exil. Sans cette dernière, la CNT-AIT aurait pu dans les années soixante se dissoudre et disparaître définitivement. Mais sa sœur espagnole lui permet de garder une structure à travers deux journaux, le Combat syndicaliste et Espoir.
Si ce « sauvetage » ne se traduit pas par un renouveau des activités syndicales, il assure néanmoins son existence et ce jusqu’en 1968. A partir de mai 68, l’arrivée d’une nouvelle génération, trop turbulente pour les « anciens », marque une rupture entre les deux générations. La lassitude pour certains de ces vieux militants se conclut par leur départ, alors que dans le même temps, les jeunes « soixante-huitards » délaissent une organisation devenue anéantie et quasi-inexistante. Les lendemains de mai 68 marquent ainsi la fin d’une première CNT-AIT. née en 1946 et morte en 1973.
Seule une poignée de militants s’obstine à faire revivre leur organisation. Il s’agit pour la plupart de jeunes, sans expériences syndicales et de quelques survivants de la première CNT-AIT tels que Joseph Vincent, Antoine Turmo et Emile Travé. Cette reconstruction se fait sur une vingtaine d’années. Le bilan de ce renouveau est assez positif si l’on s’en tient aux chiffres : un peu moins d’une cinquantaine d’adhérents en 1973 contre un peu plus de cinq-cent en 1993. Malgré un état qui reste groupusculaire, il s’agit d’une progression non négligeable. Pour connaître cette croissance, la CNT a su profiter de la crise du syndicalisme et de sa recomposition qui débute dès la fin des années quatre-vingts. Elle a en effet bénéficié de l’arrivée de syndicalistes issus pour la plupart de la CFDT : il s’agit d’adhésions souvent idéologiques, mais aussi de l’adhésion de travailleurs qui rejettent tout simplement le syndicalisme tel qu’ils peuvent le connaître sur leur lieu de travail. La CNT s’implante alors dans quelques secteurs du public, les P.T.T. et l’éducation, et créé également de solides syndicats dans le privé, essentiellement dans le nettoyage (à la COMATEC, à la SPES) et à la Fnac (section disparue depuis). Cependant ces nouveaux syndicats induisent de nouvelles pratiques qui sont plus syndicalistes qu’anarcho-syndicalistes, dans le sens où la dimension idéologique, à savoir l’identité anarchiste de la CNT, est très souvent écartée quand elle n’est pas niée (cf. l’article pary dans Libération, « la CNT n’est pas qu’anarchiste » en 1998). Or l’idéologie et la pratique doivent être intimement liées. Il n’existe pas de mouvement social sans idéologie. Ceux qui veulent désidéologiser le mouvement social ont tout de même une idéologie qui se rattache à une famille politique, et cette tentative de dissimuler l’idéologie cacherait en réalité un jeu de politiciens. Ainsi l’affiliation de la CNT à l’anarchisme doit être clairement affirmée tout en préservant sa spécificité syndicaliste. Deux courants émergent alors à la CNT, un (la CNT-AIT) qui a pour priorité le développement de noyaux de militants conscients, c’est à dire anarcho-syndicalistes, et un autre ‘la CNTVignoles, qui depuis a scissionné en é avec la CNT-SO) qui privilégie la construction d’une organisation syndicale en excluant la dimension anarchiste. Ces deux courants scissionnent en 1993 et donnent naissance à deux CNT.
Cette scission fera l’objet d’une brochure dans laquelle nous expliciterons plus en détail les oppositions et conceptions des deux (et aujourd’hui 3) CNT.
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Article tiré de la brochure : Histoire de la CNT-AIT Française, les 50 premières années (de 1946 à 1993)
Chapitre précédent : III. Une longue reconstruction (1973-début des années 90).
4 commentaires sur Les 50 premières années de la CNT-AIT, en résumé et en guise de conclusion provisoire …