Dans les médias ou dans les quartiers généraux des partis politiques, tout le monde se félicite de l’inscription de l’avortement dans la Constitution : de nouveau la République éclaire le Monde et libère la Femme …
Par ce geste, l’Etat et ses serviteurs cherchent surtout à se donner le beau rôle et à faire oublier que pendant plus de cents ans, depuis la loi infamante de 1920 interdisant toute méthode de contraception, ils se sont surtout farouchement opposés à toute idée même de limitation des naissances, au nom de la Patrie et du Capitalisme qui avaient besoins de petits soldats et de petits travailleurs. TOUS les partis sans exception – des partis progressistes ou libéraux aux partis conservateurs en passant par le Parti Communiste même[1] – ont lutté activement CONTRE ceux qui diffusaient cette idée de limitation des naissance, et dont les les anarchistes furent les pionniers …
Aujourd’hui, la reconnaissance Etatique de l’IVG ne doit pas endormir notre vigilance : comme le rappelait en 1937 Solidaridad Obrera, le journal anarchosyndicaliste de Barcelone, après que l’IVG ait été légalisé pendant la Révolution espagnole par un décret pris par le Conseiller de la santé -un anarchoyndicaliste -: « Rien ne s’obtient en publiant des lois et des décrets dans les journaux officiels si le peuple ne les fait pas siens »[2]
Or précisément, le rideau de fumée de l’inscription dans la Constitution ne doit pas nous faire oublier qu’en décembre dernier, le même Président de la République a promulgué un décret qui visait précisément à restreindre le droit de l’accès à l’IVG : ce décret autorisait certes les sages-femmes à pratiquer l’IVG instrumentale mais surtout imposait la présence de quatre médecins superviseurs : un médecin compétent en matière d’IVG instrumentale, un gynécologue-obstétricien, un anesthésiste-réanimateur et un radiologue interventionnel !!! En ces temps de pénurie de personnel (Le nombre de gynécologues a en effet chuté de 52,5% entre 2007 et 2020, soit 1022 médecins en moins en 13 ans), cela revenait à restreindre, de fait, la capacité de ces professionnelles de santé à pratiquer l’acte, et donc aux femmes d’y accéder. Cette entrave à l’accès à l’IVG, dans un contexte où la demande est en hausse puisque en 2022 près de 232.000 avortements ont été pratiqués contre 216.000 en 2021, est particulièrement criante dans les petits centres situés dans les déserts médicaux qui parviennent déjà difficilement à proposer suffisamment de rendez-vous d’IVG aux femmes qui souhaitent avorter. Devant le scandale prévisible de ce en même temps qui inscrivait d l’IVG dans la constitution tout en le restreignant de fait dans la loi, le gouvernement a été obligé de réécrire le décret juste avant de faire son show constitutionnel. Mais son intention initiale était bien de restreindre la pratique de l’IVG.
Le prétexte du gouvernement pour mettre en place cette restriction était la possibilité de complications graves, certes réelles mais « qui restent rarissimes. Elles sont moins fréquentes que lors d’un accouchement » comme le rappelle Caroline Combot, présidente du principal syndicat des sages-femmes, l’ONSSF (Organisation nationale syndicale des sages-femmes).
Cette exagération de la part de l’Etat du risque n’est pas anodine et correspond à une stratégie établie de longue date qui vise à effrayer les femmes voulant recourir à l’IVG. Déjà dans les années 1900 (!!!) Paul Robin, le pédagogue anarchiste et précurseur de la lutte pour le contrôle des naissances, avait décrit cette stratégie de diabolisation de l’avortement: « Sans doute la presse serve et servile fait grand étalage des accidents d’avortement (…). C’est un mot d’ordre de police et de politique, une vieille habitude, jalousement entretenue, de maltraiter les « faiseuses d’anges », d’invectiver contre les « mères coupables ». Si elle signalait avec la même attention et la même ardeur les accouchements qui se terminent par la mort des parturientes, la presse s’encombrerait. Les accidents mortels qui peuvent survenir au cours de la grossesse, lors de l’accouchement et après, sont en effet fort nombreux et les traités d’obstétrique consacre des chapitres à leur énumération, au moyen de les prévenir et d’en triompher. Le « bluff » anti-abortif n’a qu’un but : empêcher le peuple de profiter des progrès de la médecine et de la chirurgie, réserver aux riches la suppression des maternités indésirées. »[3]. On le voit, même aujourd’hui que l’IVG a été reconnu par la loi, ce sont toujours les mêmes vieilles ficelles plus que centenaires qui sont utilisées …
Car l’intérêt de l’Etat n’est pas celui de la population. On ne peut pas compter sur l’Etat pour nous protéger, et l’inscription de l’IVG dans la constitution n’est qu’une manœuvre pour que nous relâchions notre vigilance. L’appel récent de Macron au « réarmement démographique » est un appel à augmenter la natalité et donc des attaques sont à prévoir de la part de l’Etat contre l’accès à la contraception et singulièrement à l’IVG, alors que dans le même temps le même Etat promeut l’accès à la Gestation pour autrui (GPA) et autres technologies de marchandisation des corps. Nous ne pouvons pas compter non plus sur les partis politiques pour nous défendre car tous sans exception – de l’extrême gauche à l’extrême droite – ils sont TOUS pour le maintien du monstre froid de l’Etat qui nous opprime et nous prépare à la guerre.
L’inscription dans le marbre de la Constitution de la « liberté de l’IVG » veut faire oublier que cette liberté – comme toutes les autres – a été arrachée par des années de luttes et d’affrontements sans compromis, ni avec l’Etat ni avec les partis politiques. Et pour que cette liberté ne reste pas une formule gravée dans le marbre froid, comme le tryptique « liberté égalité fraternité » du fronton de nos mairies, pour qu’elle ne soit pas seulement « la liberté des riches » et de celles et ceux qui auront les moyens de se la payer, il nous revient de défendre l’exercice de cette liberté pour toutes et tous en nous organisant pour la faire respecter. Mais une organisation à la base, sans leader ni cheffesse, sans compromission avec le Pouvoir ni participation à aucune aux mascarades électorales et autres rideaux de fumée institutionnels, sans subventions qui sont autant de laisses pour nous tenir muselées. A nous de rester mobilisées et vigilantes pour que cela ne reste pas sans suite …
Texte tiré de « Un autre futur pour la santé », bulletin des travailleuses et travailleurs de la santé de la CNT-AIT
Disponible sur simple demande à sante-social@cnt-ait.info, ou en écrivant à CNT-AIT, 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE
Au sommaire :
- Macron file 413 milliards pour l’Armée … La santé et l’éducation peuvent attendre
- Coup de gueule … jusqu’où allons nous dégringoler ?
- ASH : humanitude ou performance ?
- # Metoo Hôpital, prendre le problème à la racine : l’esprit de hiérarchie !
- ESPAGNE : Manifestation en défense de la santé publique et contre la privatisation
- Irlande : Les syndicats poussent les fonctionnaires à accepter les réductions de salaires, les infirmières refusent et créent une brèche
- IVG : opération « récup » et rideau de fumé constitutionnel
- Espagne : La Fondation Asispa condamnée à payer 3 000 € pour non-reconnaissance d’une section syndicale CNT-AIT
- Halte à la barbarie ! (Palestine / Israël)
- Solidarité Soudan
- Réarmons nous [tract affiche]
[1] Lors de l’affaire des « stérilisés de bordeaux » en 1935 – un réseau de vasectomie clandestine organisé par les anarchosyndicalistes locaux, l’Humanité déplorait en parlant de « la question de la natalité » : « les travailleurs anarchistes sont détournés par leurs dirigeants, au profit de pareilles billevesées, de la lutte contre leurs exploiteurs … Alors que toutes les forces des travailleurs doivent être tendues vers la lutte pour le pain, contre le fascisme, pour la révolution prolétarienne, la bourgeoisie ne demande pas mieux que de voir des exploités s’égarer dans de pareilles histoires». CF. la brochure « les anarchosyndicalistes et la vasectomie dans les années 1930 : réseaux internationaux, pratiques et débats » disponible à télécharger en ligne https://cnt-ait.info/2024/03/07/vasectomie-1930 ou au format papier en écrivant à CNT-AIT 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE
[2] Conquêtes de la Révolution :Légalisation de l’avortement, Solidaridad Obrera, 13 janvier 1937, numéro 1483, https://cnt-ait.info/2024/03/06/conquetes-avortement
Pour les documents historiques et une analyse de la légalisation de l’avortement pendant la Révolution espagnole, on peut se référer à notre brochure : « La légalisation de l’avortement pendant la Révolution espagnole », disponible à télécharger en ligne https://cnt-ait.info/2024/03/07/avortement-1936 ou au format papier en écrivant à CNT-AIT 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE
[3] Gabriel GIROUD, Paul Robin et l’avortement, L’En-Dehors, Mars 1937, numéro 304 ; en ligne : https://cnt-ait.info/2024/03/07/Paul-robin-et-lavortement