Il y a 80 ans, le premier convoi de déportation de France partait du Camp du Vernet d’Ariège. N’oublions pas !

Alors que la République française est friande de commémoration en tous genres, censées faire le « devoir de mémoire » tout en « ressoudant le corps de la nation », cet « anniversaire » là n’aura pas le droit à une commémoration officielle.

Et pour cause : il se pourrait que la République Française se sente un peu merdeuse sur ce coup.

25 juillet 1940. L’encre de l’armistice entre la République française et le Reich Nazi, signé le 22 juin, est à peine sèche. Pétain vient à peine de se faire attribuer, le 10 juillet, les pleins pouvoirs par les Députés issus de la Chambre du Front Populaire qui ont voté à la quasi-unanimité pour le « sauveur de la France » (selon les paroles de la chanson pétainiste « Maréchal nous voilà »). Les entêtes de courriers administratifs portent toujours le devise « République française », les nouveaux avec la mention « Etats français » n’ont pas encore eu le temps d’être imprimés …

L’Etat français vient à peine de se substituer à la République et un de ses premières mesures est de livrer aux autorités nazies 178 exilés et réfugiés qu’il extrait du camp de concentration du Vernet d’Ariège. C’est le début de la COLLABORATION française avec l’occupant allemand.

Ce convoi d’hommes était composé de : 125 Allemands, 12 Autrichiens, 12 Belges, 10 Polonais, 10 Tchécoslovaques, 2 juifs allemands, 2 Luxembourgeois, 2 Sarrois, 1 Estonien, 1 Français, 1 de nationalité indéterminée. Nous ne savons pas ce que ces hommes sont devenus, mais ils ont dû rejoindre les milliers d’opposants politiques et de personnes de « races impures » (Juifs, tziganes, …) dans les camps de concentration allemands, dont les premiers avaient été ouverts dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 33. On ne pouvait donc pas dire qu’on ne savait pas le sort qui les attendrait.

Cette déportation a été réalisée par des fonctionnaires français, qui étaient déjà en poste sous la République. Les régimes changent, le personnel reste. Servir est leur devise, quel que soit la nature de leur Maître …

le camp du Vernet d’Ariège

Ce fut assez facile pour eux au demeurant : il leur a suffit d’aller piocher parmi les réfugiés entassés au camp de concentration du Verne d’Ariège. Ce n’est pas Pétain qui les avait mis dans ce camp. C’est la République qui avait ouvert ces camps pour y concentrer derrière des barbelés ceux que, dans une loi de 1938 elle appelait les « indésirables ». Plutôt que d’ouvrir les bras à ces antifascistes de la première heure qui avaient fuit les persécutions politiques et raciales en Allemagne ou qui avaient combattus contre le fascisme en Espagne, la République les parquait dans des camps.

Pourtant, même enfermés et traités comme des chiens (il faut lire le livre d’Arthur Koestler, lui-même interné au Vernet, « La lie de la terre »), ces « indésirables de la république » n’ont pas abandonné la lutte. Le camp du Vernet concentre notamment de nombreux anarchistes, italiens ou espagnols, dont les miliciens de la colonne Durruti. Ils n’ont pas attendus 1941 et l’invasion de l’URSS pour entrer en résistance. Dans ces camps du mépris, ils retissent des liens, se regroupent, réussissent pour certains à s’enfuir, ou à rejoindre les Groupes de Travailleur étrangers. Ils seront des premiers maquis, comme au Barrage de l’aigle dans le Cantal. A Toulouse, ils montent l’un des réseaux d’évasion les plus actif de la seconde guerre mondiale,  le réseau Ponzan(1), qui passera clandestinement plus de 1 500 personnes (résistants, juifs, aviateurs alliés …) à travers les Pyrénées.

Le cimetière du camp du Vernet est représentatif de cette Internationale de l’Humanité qui s’était rendue en Espagne en 1936, pour aller y défendre une certaine idée de la Liberté et de la Solidarité ; On y trouve côté à côte des anarchosyndicalistes espagnols, des communistes allemands ou autrichiens, des italiens antifascistes, jusqu’à des éthiopiens venus se battre coude à coude avec leurs frères européens contre le fascisme international.

Alors que des nuages sombres continuent d’agiter les airs, nous – anarchosyndicalistes – n’oublions pas ce train du 25 juillet 1940 ni les suivants, et restons déterminés dans notre lutte avec la liberté comme base, l’égalité comme moyen, et la fraternité comme but.

Des militantes et militants de la CNT-AIT

(1) Du nom de son principal animateur, Francisco Ponzan, anarchosyndicaliste espagnol, militant de la CNT-AIT,  sera interné au camp du Vernet après d’être réfugié en France en 1939. Il s’en évadera grâce à la complicité de l’Ariégeois Jean Bénazet et mettra tout en œuvre pour libérer des prisonniers… Appréhendé en 1943, à Toulouse, par la police française, il sera emprisonné à la prison Saint-Michel de Toulouse. Le 17 août 1944, deux jours avant la Libération de Toulouse, il est fusillé par les nazis à Buzet (Tarn), avec cinquante autres victimes.


Circulaire du 10 janvier 1941 de Marcel Peyrouton, ministre secrétaire d’État à l’Intérieur

Vichy, le 10 janvier 1941,

Ministère de l’Intérieur, Direction générale de la sûreté nationale, Section de la police du territoire et des étrangers, 7e bureau

Le ministre secrétaire d’État d’intérieur à Messieurs les préfets de la zone libre

Je vous indiquais par la circulaire 369 P en date du 25 octobre 1940 que le camp du Vernet, considéré comme une formation répressive, ne devait recevoir que des étrangers particulièrement indésirables ou dangereux. Or il m’a été signalé que les étrangers sont dirigés par Le Vernet pour des motifs peu graves tels que : défaut de carte d’identité, contrat de travail expiré, etc.

Je vous rappelle :

1° que l’internement d’un étranger au Vernet ne peut être provoqué sans l’accord préalable de mon département ;

2° que monsieur le préfet de l’Ariège doit être informé du transfert sur Le Vernet d’un étranger indésirable et saisi d’un dossier faisant connaître avec précision, les antécédents de l’intéressé, les condamnations par lui encourues et les motifs de son internement.

Désignement des groupements d’internés

Vous voudrez bien désormais pour éviter toute nouvelle confusion, utiliser les termes si après précisés pour désigner les divers groupements d’internés

  • Les formations du Vernet et de Riocros doivent être appelées camp de concentration, les étrangers qui s’y trouvent sont des internés

Gurs – Argelès (et toutes nouvelles formations qui seraient créé dans l’avenir) doivent être appelé : centre d’hébergement- les étrangers qui s’y trouvent sont des hébergés


VICHY,
NOTE Pour Monsieur le DIRECTEUR GENERAL de la SURETE NATIONALE

sur la terminologie en matière d’internement

[en accompagnement de la Circulaire du 19 janvier 1941 ; côte aux Archives Nationales à Paris : F/7/16034]

L’effet regrettable produit à tort dans certains pays, par notre politique « d’internement » provient en partie de la terminologie utilisée pour désignation des lieux où sont dirigés les internés.

Le terme « camp d’internement » est couramment employé. Or, il s’agit le plus souvent, en réalité, de centres d’hébergement pour étrangers en surnombre ou démunis de ressources et qui n’ont commis aucun acte de caractère répréhensible. Certes les lieux où sont réunis les internés présentent encore le plus souvent, et pour des raisons de force majeure, les caractéristiques d’un internement plutot (sic) que celles d’un hébergement. Ce n’est pas néanmoins une raison suffisante pour consacrer la chose par une dénomination officielle, d’autant plus que cette situation ira en s’améliorant au fur et à mesure des aménagements prévus ou en cours.

Il ne s’agit pas simplement d’une question de mots.

Le fait de déclarer que des étrangers sont conduits dans des « camps d’internement » et de les appeler (sic) « internés » pour la seule raison qu’ils sont nécessiteux heurte l’opinion qui, à l’étranger (et même en France) n’est pas informée des réalités qui correspondent ou correspondront à ces termes.

On sait l’usage fait dès les années 1933-1934 contre l’Allemagne nazie de ses camps de concentration.

Nos camps ont déjà suscité des campagnes à l’étranger, par exemple aux Etats-Unis ou en Suisse. On connait (sic) également la propagande menée au dela (sic) des Alpes à l’aide des prétendus mauvais traitements infligés aux Italiens dans ces camps. Rien ne doit être négligé pour éviter qu’une mauvaise interprétation soit donnée à la politique que les évènements nous contraignent de suivre à l’égard des étrangers qui se trouvent sur notre sol.
…..
C’est pourquoi la terminologie suivante sera désormais employée :
– Les camps du VERNET et de RIEUCROS, qui sont effectivement répressifs, et où sont dirigés les individus dangereux, seront toujours désignés par les termes de « camps de concentration » et ceux qui y résident par le terme « internés ».

– Les autres camps, GURS, ARGELES, ceux que les circonstances nous amèneront à organiser, seront désignés par le terme « centre d’hébergement » et les réfugiés qui s’y trouvent par les termes « hébergés ».


Ces précisions seront portées à la connaissance des Préfets par la circulaire ci-jointe

Désignement des groupements d’internés

Vous voudrez bien désormais pour éviter toute nouvelle confusion, utiliser les termes si après précisés pour désigner les divers groupements d’internés

  • Les formations du Vernet et de Riocros doivent être appelées camp de concentration, les étrangers qui s’y trouvent sont des internés
  • Gurs – Argelès (et toutes nouvelles formations qui seraient créé dans l’avenir) doivent être appelé : centre d’hébergement- les étrangers qui s’y trouvent sont des hébergés

Autre article sur le même sujet :

A PROPOS DES « CAMPS ESPAGNOLS », CAMPS DE CONCENTRATION FRANCAIS ET REPUBLICAINS

http://cnt-ait.info/2019/06/07/camps-concentration-francais


Article issu de la brochure  » AUSCHWITZ :NE PAS OUBLIER ! Contre l’antisémitisme, ni oubli ni circonstances atténuantes ( http://cnt-ait.info/2024/05/03/bro-auschwitz/ )

Article précédent : Mai 1944 : le sauvetage périlleux des 60 membres de l’Organisation Juive de Combat ( http://cnt-ait.info/2020/07/21/mai-1944-le-sauvetage-perilleux-des-60-membres-de-lorganisation-juive-de-combat/ )

Article suivant : 14 décembre 1941 : « Cent juifs, communistes et anarchistes seront fusillés … »  ( http://cnt-ait.info/2024/02/22/14-decembre-1941 )

Télécharger la brochure en ligne : http://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2024/05/BRO-Auschwitz-2024-05-03.pdf

Pour recevoir la version papier de la brochure, écrire à CNT-AIT, 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE

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