L’anarchisme espagnol dans le débat sur la santé en Espagne: santé, maladie et médecine (1930-1939)

Alejandro Lora Medina

L’objectif de cet article est d’analyser la vision que les médecins propagandistes de l’anarchisme espagnol des années 30 avaient de la santé, de la salubrité et de la maladie. La vision que ce groupe avait de la médecine partait d’une critique de l’État, du capitalisme et de l’Église catholique comme causes ultimes de la plupart des maladies. La critique s’est également étendue à la médecine traditionnelle, l’accusant de perpétuer une vision de la maladie plus centrée sur le microbe que sur l’environnement social et économique dominant du moment. Le débat sur la santé est inséré dans une lutte morale entre l’anarchisme et le reste des puissances et des idéologies dominantes. A travers la lutte syndicale et la diffusion culturelle de la presse libertaire, ils cherchaient à créer une conscience révolutionnaire pour la défense de la santé universelle dont tous les travailleurs pourraient bénéficier. Au fond, à côté du débat médical, se trouvait sous-jacente l’idée qu’une véritable transformation de la médecine et de la santé ne serait possible qu’avec l’implantation du communisme libertaire.

1.Introduction : le débat autour de la santé, de la salubrité et de l’hygiène

Pour l’anarchisme, la santé ne représente pas seulement l’état idéal dans lequel l’être humain est dans la plénitude de ses conditions physiques, mais elle symbolise un état mental, quasi spirituel, de plénitude individuelle qui se construit à partir d’une confiance aveugle dans le potentiel créatif de la nature

 Sa vision de la nature le conduit à la considérer comme une conjonction de lois ordonnées qui font partie d’un ordre supérieur inviolable et dans lesquelles l’être humain est une partie centrale.

En revanche, et comme le souligne le docteur Roberto Remartínez dans la revue anarchiste du médecin Isaac Puente Estudios[1] : « La maladie est un mode de vie disharmonieux, destructeur de la force et du potentiel naturel de l’être humain, capable de diminuer la capacité révolutionnaire de l’individu et de le condamner à une vie improductive ». Les propagandistes libertaires abordent le sujet de la santé et ses différentes implications dans la vie quotidienne à partir d’une vision prosélyte de l’anarchisme avec l’apologie de la raison et la promotion de la science comme piliers suprêmes sur lesquels construire la nouvelle société[2].

Ciencia y Caridad, science et charité, tableau peint par le alors jeune Picasso (il avait 15 ans) à Barcelone en 1897. C’est l’une des œuvres essentielles de sa période de formation. Dans ce tableau, un médecin vérifie le pouls d’une femme mourante tandis que, de l’autre côté du lit, une religieuse tient son enfant.[3]

Le positionnement en faveur de la médecine conduit les anarchistes à la considérer comme la plus importante des sciences, capable de mettre fin aux maux subis par la classe ouvrière, conduisant la CNT-AIT à défendre la socialisation de la santé comme un engagement pour l’avenir. C’est le seul moyen de garantir un état de santé optimal de la société. Ainsi le mouvement anarchiste, pour qui toutes les maladies avaient une composante sociale, condamnait-il tout ce qui sortait d’un mode de vie harmonieux – et par conséquent libertaire.

La dialectique anarchiste réprouvait, en plus de l’appareil d’État, le système économique en vigueur et la morale dominante, les conditions de vie existantes, jugées mauvaises en raison de la nourriture rare  et de mauvaise qualité, de l’insalubrité des maisons ouvrières et des lieux de travail. L’absence de réglementation protectionniste du travail a non seulement empêché la prévention des maladies, mais a également accru leur nombre, augmentant ainsi d’autant la mortalité et la faiblesse physique de la population. Tout cela, malgré le fait que le gouvernement de la République ait affirmé la nécessité de mettre en œuvre une politique de santé capable de renverser la situation.

Parmi les autres mesures défendues figure la création de dispensaires médicaux permettant de stopper la propagation de maladies, telles que la tuberculose, par la vente à un prix bas ou la livraison gratuite de médicaments. Cependant, des anarchistes comme le docteur Isaac Puente étaient sceptiques quant à ces expériences mutualistes car les mesures adoptées ne s’attaquaient pas, de son point de vue, aux véritables causes du problème qui étaient les  difficultés économiques, la pauvreté et les inégalités sociales[4] : « Qu’importent ces enthousiasmes exhibitionnistes [pour les mutuelles ouvrières], face à la terrible réalité irréductible qui émerge des inégalités sociales et économiques? […] La tuberculose continuera de triompher sur son chemin de mort; les champs, les usines, le chômage continueront vomissant des poumons cassés, des organismes ruinés; des estomacs épuisés; et la multitude exploitée poursuivra famélique sur son chemin de sacrifices terrifiants »[5].

L’importance accordée à la médecine et l’altruisme qu’implique sa pratique invitent à l’admiration sociale du médecin en tant que figure de grande valeur et qui représente des attitudes morales correctes. C’est précisément pour cette raison que son point de vue sur ces questions a été particulièrement pris en compte. En revanche, les professionnels de la santé qui, selon la rhétorique anarchiste, utilisent la santé uniquement comme moyen d’enrichissement personnel ou de simple promotion sociale sont publiquement condamnés. José Búa Carou, lors d’une conférence organisée en 1936 par le Centre culturel Germinal de La Corogne, défend que la médecine doit nécessairement avoir une fonction éminemment sociale et sans but lucratif[6].

Cette opinion est basée sur le fait que pour les anarchistes, les professionnels de la santé devraient vivre de la santé de leurs patients et jamais de leurs maladies. Au début des années trente, le médecin de Saragosse, Augusto Alcrudo, l’un des promoteurs d’une Fédération nationale des syndicats de la santé au sein de la CNT-AIT, a critiqué le  « le sanitarisme sans santé »[7] comme un concept bourgeois étranger à la dénonciation sociale et, par conséquent, en dehors de l’esprit de la CNT-AIT et du communisme libertaire. Pour cette raison, il appela à ce que tous les professionnels se prolétarisent et qu’ils défendent ce qu’il appela le «communisme sanitaire».

Dans cette même ligne on retrouve également Isaac Puente pour qui un médecin doit nécessairement être subversif contre l’État, le système économique et la morale en vigueur, car ces facteurs et pas d’autres sont les principaux facteurs de pauvreté, de misère, de faim et de maladies infectieuses[8].

Isaac PUENTE

Cette vision de la médecine, opposée à une relation médecin-patient de nature économique et hiérarchique, passe par la prolétarisation des professions de santé et la défense d’une politique d’action préventive à travers des directives d’hygiène garantissant un mode de vie sain. De cette façon, de nombreuses maladies seraient évitées et l’étendue des autres serait limitée. Cette politique prophylactique défendue par ces médecins anarchistes et recommandée par la presse et les publications libertaires, concentre ses efforts sur la prise de conscience collective de l’importance de certains organes, la non-interférence de substances nocives pour la santé et les soins, entre autres mesures, du système respiratoire. Cependant, il convient de noter que tous les médecins ne professent pas des idées naturistes, bien que la plupart soient d’accord pour adopter une attitude pré-écologique qui proposait d’éloigner l’individu des villes et de sa pollution industrielle. Il s’agissait de favoriser un retour à la nature vu en termes de revitalisation de la santé[9].

Des produits comme le tabac sont considérés comme nocifs, non seulement parce qu’ils polluent les poumons, mais parce qu’ils augmentent le risque de maladies cardiovasculaires.

Il est également conseillé d’accorder une attention particulière aux soins de la peau, en recommandant de maintenir la vigueur corporelle avec des activités de plein-ait, des bains de soleil et d’eau périodiques[10].

Estudios, Oct. 1936 : nudisme, plein-air, bain de mer et bain de soleil

Les conseils médicaux s’étendent au domaine de l’alimentation. De plus, la consommation d’aliments naturels, tels que les fruits ou les légumes, a été proposée pour, entre autres, prendre soin des dents car c’est le point d’entrée de possibles affections futures. En revanche, bien que la consommation de viande ne soit pas interdite, des médecins comme Isaac Puente la déconseillent, notamment en cas de douleur ou .de maladie. Pour le médecin basque, manger de la viande est un processus « contre nature » qui découle de la mort violente et cruelle d’un animal. Une telle contre-nature entraîne une augmentation de l’acidité gastrique dans le corps et un apport excessif de protéines qui accélère la détérioration organique du corps[11].

Pendant ce temps, Roberto Remartínez, médecin libertaire et naturopathe, défend un régime complètement naturiste, partant de l’idée selon laquelle, à l’origine, l’homme était un animal frugivore et non carnivore[12]. De même, certaines publications anarchistes ouvertement naturistes se distinguent pour défendre un régime végétarien, telles que Iniciales et Pentalfa, qu’ils défendent dans leurs pages les avantages alimentaires et médicinaux d’un tel régime[13].

La revue Iniciales

Dans cet ordre de choses, l’exercice physique est considéré comme vital pour les soins du corps et des muscles, en particulier chez les jeunes. Il doit être pratiqué tantôt à l’extérieur tantôt dans des espaces couverts tels que les gymnases[14], favorisant ainsi également la pratique de la sociabilité entre les sexes, ainsi que le renforcement des liens de solidarité et de coopération intergroupes. Pour cette raison, de nombreuses fédérations locales des jeunes libertaires, à travers leurs sections culture, sport et montagne, organisent des activités d’alpinisme ou des excursions dans la nature, pratiquent le tennis, le cyclisme, la natation ou l’athlétisme. Ce sont des pratiques visant à favoriser la fraternité et une conscience révolutionnaire, d’où la préférence pour les sports collectifs et ceux qui, de l’avis de ces propagandistes libertaires, ont un caractère utilitaire pour la vie quotidienne – comme la gymnastique, la marche, la natation, la course à pied ou les sauts, contre ceux qui promeuvent la simple compétitivité[15]. Le rejet partiel du divertissement sportif, courant dans le monde socialiste[16] est dû au fait qu’ils sont considérés comme des outils du capitalisme et de la bourgeoisie. Dans ce sens, les sports de masse tels que le football sont considérés comme violents et tumultueux en raison des incidents qu’ils déclenchent parmi les fans et de l’usure physique qu’ils causent à leurs pratiquants.

Groupe de prisonniers sociaux de la prison de Barcelone, 1933
« La prison est également un bon endroit pour la pratique du nudisme, ce peut également être un terrain de sport financé par l’État. »
Article du journal anarcho-individualiste et naturiste Iniciales

Maîtriser un état d’esprit pragmatique pour lequel l’individu a un objectif vital qui est de prendre soin de soi et d’améliorer la société. Il est donc entendu que même les activités récréatives ou ludiques devraient servir à l’avènement du communisme libertaire et non à nourrir l’ego ou les loisirs personnels[17].

2. La CNT et le concept de médecine sociale

La position pro-hygiéniste des médecins libertaires converge à bien des égards avec les approches naturistes de la médecine, dessinant des limites floues. Ils s’accordent sur une vision plus humaine du patient qui est résumée dans la phrase de Roberto Remartínez: «il n’y a pas de maladies, mais des malades»[18].

Cette réalité est entrevue dans le cas de médecins comme Javier Serrano, qui ont évalué positivement la valeur du naturisme comme moyen préventif, bien que, contrairement aux opinions de Remartínez ou Puente, il ne le considère pas efficace pour guérir les maladies:

« Cependant, il est indéniable que, écartant les exagérations, le naturisme est la médecine du futur, plus pour ce qui stimule l’hygiène et pour ce qui est préventif, que pour ce qui peut être guéri« [19]

De l’avis de ces médecins, l’utilisation de remèdes naturels ou de thérapies non agressives – comme la phytothérapie, l’air chaud, les rayons du soleil, la diathermie ou la «balnéation» [20]– sont considérés comme meilleurs que de nombreux médicaments et préparations chimiques.

Il n’y a pas non plus de déni de l’utilité de la vaccination pour les traitements médicaux de maladies telles que la rage, le paludisme ou la syphilis, bien que le discours se concentre davantage sur les remèdes qui n’ont pas besoin du recours à l’industrie pharmaceutique.

L’insalubrité des logements, le surpeuplement et les graves carences nutritionnelles sont les conditions idéales pour la propagation de toutes sortes de maladies chroniques et infectieuses qui déciment la population; surtout dans les rangs ouvriers[21].

Dans les journaux de la CNT-AIT, il était fréquent de publier de courtes biographies ou de courts articles à la mémoire des anarchistes décédés des suites de l’une de ces « maladies sociales ». La critique de l’organisation anarchosyndicaliste portait sur la critique envers l’État et le système économique qui provoquait (ou n’évitait pas) ces décès. Le caractère évitable de ces décès conduisit à la création d’un vrai martyrologue, composé, entre autres, de militants décédés de certaines maladies contractées en prison ou du fait des mauvaises conditions de vie existantes. Ceux-ci étaient considérés comme des martyrs de la cause anarchiste car ils étaient tombés en défenseurs de leurs convictions morales[22]. L’un de ces innombrables exemples est celui de l’anarchosyndicaliste galicien Joaquín Santamaría, décédé le 14 juin 1934 de la tuberculose :

« À 23 ans, ce camarade a été descendu dans la fosse commune, fauché dans la fleur de l’âge par la maudite phtisie[23], maladie généralisée, qu’une société perverse et injuste donne en héritage, comme patrimoine quasi exclusif, aux enfants du travail« [24].

Les enterrements deviennent ainsi une forme de protestation de plus, insérée dans un contexte de fort conflit social et de mobilisation syndicale, c’est un mécanisme de pression et de manifestation publique de force. Il s’agit de manifestations de masse au cours desquelles des membres de syndicats, des athénées ou des groupes anarchistes parcourent les rues en escortant le cercueil jusqu’au cimetière. Il s’agit d’actions agitées, dotées d’un certain caractère transgressif, dans lesquelles le contrôle religieux de la mort est critiqué et condamné et un esprit laïc et une lutte constante sont défendus[25].

L’enterrement d’Elisa Valls, une jeune femme de 21 ans à peine décédée de la tuberculose à Barcelone en 1934, montre que la situation de bouleversement social était si élevée que tout événement pouvait être le déclencheur d’altercations violentes. Selon Solidaridad Obrera, le journal de la CNT-AIT en Catalogne, lorsque son cercueil passa dans une rue près du cimetière, un frère franciscain, quand il se rendit compte qu’il s’agissait d’un enterrement civil et non religieux, n’a pas ôté son chapeau en signe de respect pour le cortège, manifestant par ce geste son animosité. Ce fait bien qu’anecdotique faillit provoquer le lynchage de l’ecclésiastique par plusieurs jeunes cénétistes qui l’interprétèrent comme une offense[26].

Le concept de médecine sociale défendu par la CNT dans les années 30 fait du travailleur le centre de la prophylaxie médicale. Étant donné le manque de moyens financiers pour payer des soins adéquats, l’organisation confédérale a soutenu la création de mécanismes subsidiaires qui tentent d’atténuer ce problème. La prise de conscience de la nécessité de pratiquer la fraternité et l’entraide conduisent à l’émergence d’initiatives particulières, visant à fournir un service médico-social jugé indispensable et nécessaire. Pendant ce temps, des cliniques très bon marché ou gratuites voient le jour, promues par des médecins libertaires et annoncées par la presse de la CNT-AIT[27]. Ainsi, en février 1936, l’organe de presse de la CNT-AIT galicienne rapporte que, dans la province d’Orense, tous les membres et leurs familles pourraient bénéficier d’une réduction de 50% dans les consultations des ophtalmologues J. Pardo Babarro et Serafín Malvar[28].

Pendant ce temps, Solidaridad Obrera, annonce que Javier Serrano offre des services de radiographie gratuits aux cénétistes qui se retrouveraient dans une situation de chômage forcé. En outre, l’hebdomadaire de Barcelone rapporte qu’il tentait d’étendre la remise aux médicaments afin que l’aide soit beaucoup plus importante[29]. De son côté, la revue Estudios de Valence, initiée par le docteur Isaac Puente et à laquelle participent de nombreux médecins, offre également à ses lecteurs la possibilité de recevoir une compensation s’ils consultent les médecins annoncés  dans ses pages[30].

Au début des années trente et dans un climat de ferveur et d’enthousiasme avec l’avènement de la République, la CNT a tenté de structurer une action syndicale unie et homogène sur la question de la santé. Dans cette optique, le premier Congrès des syndicats uniques de la santé s’est tenu en décembre 1931 à Madrid. Plutôt que d’avoir des syndicats organisés par métiers (médecins, pharmaciens, infirmiers, aides-soignants, dentistes, vétérinaires, …) ils voulaient réunir tous les professionnels de la santé au sens le plus large dans le même collectif professionnel afin que leurs revendications aient plus de force et d’incidence[31].

Cependant, l’appel n’a été suivi que par des représentants des syndicats de Saragosse, d’Álava et de Teruel, en plus du syndicat de Madrid, ce qui a rendu impossible une politique syndicale commune à un niveau général. Le résultat de cette première assemblée a été la création d’une Fédération de santé au niveau de l’État qui a cependant souffert dès le départ de problèmes d’organisation interne et de confrontations difficiles entre les syndicats signataires et ceux qui n’étaient pas représentés.

Plusieurs fédérations, dirigées par celle de Barcelone, accusent le syndicat de la santé de Madrid d’avoir tenté de contrôler la fédération; Cela finira par provoquer la dissolution définitive de la fédération en 1932. Cependant, l’idée de créer une structure unifiée, capable de conjuguer les efforts pour défendre une médecine plus sociale et plus proche des besoins de la population, perdurera tout au long des années 30[32].

En 1935, une deuxième tentative a lieu. Mais cette fois à la marge de l’espace cénétiste avec la création de l’Organisation pour la Santé Ouvrière (OSO, Organización Sanitaria Obrera), basée en Catalogne, qui poursuivait des objectifs plus directs tels que l’extension des consultations gratuites pour les travailleurs sans ressources, effectuées par des médecins qui ne facturaient pas les consultations et dispensaient les médicaments gratuitement. Mais l’objectif principal était la création d’un hôpital ouvrier36.

Ces initiatives se déroulaient hors du cadre de l’action de la CNT-AIT, bien que cette dernière permette à ses membres d’y participer à titre individuel, pour la raison que nombre de ses initiateurs étaient directement ou indirectement liés à l’organisation syndicale et même à la FAI. Malgré tout, le projet finit par échouer par manque de moyens, tant financiers que matériels, bien qu’il ait reçu un appui financier soutenu sous formes de dons, d’abonnements, de vente de timbres et d’autres activités. Cette façon de procéder finit par transformer l’OSO en une organisation de type mutualiste qui a suscité la réticence des secteurs les plus orthodoxes de l’anarchisme espagnol[33].

En mai de la même année, les commissions pro-cliniques gratuites et pro-hôpital ouvrier commencèrent une action de propagande qui s’est étendue l’année suivante lorsqu’elle a réussi à rassembler des personnalités éminentes du monde cénétiste catalan de l’époque, dont Jaime R. Magriñá, Tomás Cano Ruiz et Javier Serrano. Jusqu’en juin 1936, un total de 22 événements de propagande furent organisés dans toute la région, consistant en des rassemblements, des conférences et des festivals de charité, dans lesquels participaient des orateurs tels que Félix Martí Ibáñez, Juan Mut, José Jiménez, Francisco Carreño et Bernardo Pou[34].

Cependant, le projet OSO finit par échouer en raison du manque de soutien. L’idée d’un mutualisme intégral capable de remédier aux carences de l’assistance sociale n’obtint pas le soutien nécessaire au sein de la CNT.

Bien que ces idées ne supposaient aucune nouveauté doctrinale, puisqu’elles étaient déjà présentes dans la pensée proudhonienne, en pratique elles se distanciaient clairement de l’idée de communisme libertaire défendue par la CNT-AIT depuis sa fondation en 1910 et, par conséquent, elles ne purent pas – avant la Révolution – devenir des structure de santé de référence pour le mouvement[35].

Le contrôle par la CNT-AIT des institutions sanitaires catalanes permit que pendant la guerre non seulement la collectivisation de la médecine soit réactivée, mais que cette action soit complétée par la réquisition de moyens et d’espaces privés tels que les églises, qui furent convertis en centres de santé contrôlés directement par l’organisation anarcho-syndicaliste. Enfin, comme le souligne Jorge Molero-Mesa, tout cela permit que, en mars 1937, la Fédération nationale des syndicats uniques simples de santé soit enfin créée.

3. Le discours anarchiste sur les «maladies sociales»

La tuberculose, fléau social numéro un

Parmi les maladies qui généraient le plus de préoccupation dans la presse libertaire, se faisant ainsi l’écho de l’inquiétude populaire, la première place revenait à la tuberculose, également connue sous le nom de phtisie ou de peste blanche, en raison du nombre élevé de décès qu’elle causait, ainsi que des conséquences sociales qu’elle entraînait. Pour Camillo Berneri, c’était la « maladie prolétarienne »  par excellence[36], alors que des médecins comme Aguado Escribano ou Roberto Remartínez la considèrent comme la maladie représentative du système capitaliste[37]. Les facteurs de causalité de la tuberculose incluent le manque d’hygiène et la misère sociale dérivée des mauvaises conditions économiques dans lesquelles vit la classe ouvrière, ainsi que le régime alimentaire déficient généralisé et la persistance de la morale sexuelle traditionnelle. Ces facteurs reliés ensembles, l’Etat est accusé  de ne pas offrir une solution certaine au problème, étant donné qu’il ne traite que les symptômes du problème et non ses causes. Du point de vue libertaire, l’éradication de la tuberculose ne saurait être  seulement une question sanitaire, car nul ne peut nier les causes originelles et sociales de la maladie. Ainsi, des médecins comme Isaac Puente, très actifs dans les médias confédéraux pour la diffusion et la dénonciation de ces maladies infectieuses, défendent la nécessité d’aborder le problème avec une vision purement révolutionnaire. Selon le médecin basque, son remède était, non pas dans la découverte d’une médecine ou d’un vaccin préventif, mais en surmontant «l’organisation sociale, par la construction révolutionnaire que nous, communistes libertaires, préconisons»[38].

Cependant, la conception de la tuberculose comme maladie sociale n’est pas d’origine libertaire, mais elle s’élabore dès la fin du XIXe siècle et, dans les années 1930, cette pathologie était considérée comme la maladie sociale par définition. Cette conclusion sera également ratifiée lors du premier Congrès national de la santé tenu à Madrid en 1934, événement qui impliquera définitivement la reconnaissance de la professionnalisation médico-sociale en Espagne[39].

Ils laissaient au second plan les thèses proprement infectieuses qui plaidaient pour la prédisposition héréditaire à la maladie. La nécessité de tout interpréter d’un point de vue plus ou moins directement anarchiste signifiait que, pour souligner l’étiologie de la tuberculose, l’influence de l’environnement social et, en particulier, les mauvaises conditions de vie, prévalaient. Les contraintes sociales étaient prises en compte de manière très forte en raison de leur composante politique évidente. Pour ces médecins, l’existence d’organismes dans un état de santé moins bon et dépourvus de la vigueur nécessaire pour lutter contre la maladie était utilisée politiquement pour justifier le discours anarchiste. Les causes purement médicales n’étaient pas  valorisées dans leur juste mesure car, au fond, elles n’avaient pas suffisamment de force de dénonciation pour le véritable objectif de la propagande anarchiste : désigner l’État comme le coupable de l’expansion et de l’appauvrissement de la population.

Pour cette raison, des médecins comme Isaac Puente ou Aguado Escribano, sans nier l’importance du germe dans la maladie, soutiennent des positions « terrenistes »[40] qui accréditaient leur position politique considérant que toutes les mesures préventives prescrites sont inutiles sans changement de l’environnement social, de l’exploitation au travail ou de la pauvreté[41] : «La tuberculose est une question de terrain et de germe. Il est produit par l’implantation dans l’organisme du bacille de Koch. Mais cette invasion de l’organisme par le germe nécessite un terrain approprié, d’un organisme déjà préparé par l’hérédité, la constitution physique ou les conditions physiologiques pour recevoir et tolérer le microbe »[42].

Malgré leur militantisme, les médecins anarchistes maintiennent leur esprit scientifique  et fondent leurs affirmations doctorales sur  l’état de l’art médical en vigueur, qu’ils adaptent à leurs revendications.

Ainsi, en général, les médecins anarchistes sont favorables à la prophylaxie et au fait qu’elle ne doit pas être exclusivement dirigée vers le microbe, ni ne doit être basée sur l’isolement total du patient. De nombreux médecins considéraient nécessaire un isolement total ou partiel, afin que les patients prennent conscience de la maladie et évitent d’avoir des enfants, limitant ainsi son extension par des enfants susceptibles d’hériter de la maladie.

Cependant, à certaines occasions, des médecins anarchistes comme Isaac Puente défendent l’isolement du patient comme stratégie; mais seulement quand cela est strictement nécessaire, comme par exemple dans l’enfance, un temps particulièrement propice à la contagion. Cette position, celle du Dr Puente, s’inspire, comme il le souligne lui-même, des termes énoncés par le médecin Jaume Queraltó i Ros lors du premier Congrès international espagnol sur la tuberculose qui s’est tenu à Barcelone en octobre 1910[43]. Alors  il déclara :

«Pour nous, ce problème n’est pas exclusivement médical, ni exclusivement sanitaire, mais principalement social. Sa solution ne peut donc pas dépendre de la découverte par un médecin d’une médecine curative ou d’un vaccin préventif, ni des mesures de protection qu’une organisation de santé publique parfaite peut mettre en œuvre, mais doit être résolue en surmontant l’organisation sociale, à travers la construction révolutionnaire que nous, communistes libertaires, préconisons »[44].

 [Dans un article de la revue liée à la FAI Tiempos Nuevos de mars 1936, « la tuberculose, maladie sociale », la Dr Amparo Poch y Gascón décrit les facteurs sociaux, qui, de son avis, jouent un rôle clé dans la propagation de cette maladie[45] : (…) tous les facteurs qui privilégient la promiscuité, le contact persistant et intime, et donc la surinfection; et tous ceux qui diminuent la vigueur et la santé, et donc les défenses organiques.

L’un des facteurs les plus importants de la contagion sont les agglomérations humaines. Soit dit en passant, Amparo s’écarte du sujet pour proclamer les dangers de la civilisation face aux maladies vénériennes, en les reliant à des habitudes vicieuses: « (…) dans les groupes indemnes, l’infection tuberculeuse est introduite par les éléments que la civilisation entend porter, avec d’autres maladies, telles que les maladies vénériennes; et certains vices, comme l’alcoolisme et le tabac. « 

Elle analyse ensuite d’autres facteurs:

-Vie familiale : (…) la vie de famille est une source abondante de surinfections continues … Le contact le plus dangereux se produit lorsque la source de l’infection est la mère. Pas de tuberculose aussi dangereuse pour l’enfant que celle de sa mère!

– Vie scolaire : (…) Concernant la tuberculose de l’enseignant, la solution à ce problème est difficile dans la société bourgeoise; parce que l’enseignant atteint de tuberculose ouverte doit être séparé de l’enseignement; et dans ce cas, il perd généralement son gagne-pain, donc il essaie de cacher sa maladie aussi longtemps que possible.

-L’environnement militaire était considéré par Amparo comme un promoteur de la contagion : L’âge de la jeunesse, les mauvaises conditions d’hygiène de la pièce, la promiscuité, les surcharges physiques (…) après leur sortie, les jeunes infectés ramènent leur maladie au milieu familial; généralement au milieu rural dans lequel ils résident, où, malgré l’abondance du soleil et de l’air, ils se trouvent souvent dans des logements insalubres. Elle attribuait l’augmentation de la morbidité tuberculeuse dans les campagnes au retour dans leurs foyers des militaires tuberculeux.

Dans son article, elle insiste sur la lutte contre l’alcoolisme, tout en reconnaissant sa faible influence sur la pathologie tuberculeuse :(…) sans que le rôle de l’alcoolisme soit exagéré en ce qui concerne la tuberculose, il fait suffisamment de mal à l’homme pour trouver plus qu’assez d’arguments pour le combattre.

Le chômage et la misère sont aussi analysés comme favorisant l’incidence et la transmission de la tuberculose, en raison des conditions insalubres dans de nombreux foyers, du surpeuplement et de la nourriture insuffisante : (…) bien sûr, la tuberculose ne punit pas moins les riches, lorsqu’ils sont exposés à la contamination. Cependant, le chômage signifie une augmentation de la morbidité et une aggravation des cas existants.]

Pour Aguado Escribano, adepte des thèses du Dr Gregorio Marañón, le développement de la tuberculose est la conséquence directe d’une prédisposition de constitution fondée sur la détérioration organique causée par les conditions sociales[46].

D’autres, comme Roberto Remartínez, ont changé leur approche de la maladie, pour se rapprocher de l’interprétation d’Escribano. Toutefois, en 1931, il rejette l’importance de l’hérédité comme facteur causal, soulignant l’existence d’un « habitus tuberculeux » comme unique cause. Quatre ans plus tard, en 1935, il reconnaissait déjà l’importance de sa transmission génétique ainsi que la propension à l’acquérir chez des personnes à la santé fragile[47]. Ainsi, la théorie de la contagion, parce qu’elle se centrait sur des facteurs biologiques et non sociaux ou économiques, fut moins valorisée entre les professionnels anarchistes. La considération générale était que le développement de cette théorie ne réussissait pas à diminuer son incidence ou ralentir la propagation de la maladie; au contraire, cela aggravait la santé du patient avec des solutions qui ne résolvaient pas le problème. Les anarchistes tiendraient l’État bourgeois et la santé officielle responsables de cette vision de la maladie, insistant sur le fait que la seule solution viable se trouvait dans la construction révolutionnaire de la société[48].

Les maladies vénériennes, fruits de la tradition et la morale religieuse

Estudios, février 1931

Les autres maladies qui dominaient les débats dans la presse anarchistes étaient les maladies vénériennes (syphilis, gonorrhée et chancre mou), affections que les anarchistes considèrent non seulement comme ayant leur origine dans la structure économique du pays, mais surtout dans l’existence d’une morale traditionnelle; une morale qui consent à l’existence du bordel, à l’absence d’hygiène sexuelle et au mépris des moyens prophylactiques.

Le souci de réduire les maux de la population, particulièrement nocifs dans un environnement social pauvre avec des maisons surpeuplées et des environnements de travail malsains, les amène à situer la solution au problème dans ce que le travailleur exerce un contrôle strict sur sa propre activité sexuelle comme mécanisme préventif pour limiter la maladie[49].

Cependant, ce genre de recommandation rencontrait une observance limitée, si bien que le problème résidait également, dans l’extrême difficulté d’éviter les contacts indirects avec les malades en raison du manque de connaissances des porteurs sur les symptômes causés par la maladie, ce qui augmentait de façon exponentielle le nombre de patients. À cela s’ajoutait la peur de la stigmatisation sociale, ce qui rendait ces maladies particulièrement dangereuses et difficiles à contrôler. Ainsi, l’éducation sexuelle était considérée comme le seul mécanisme viable pour réduire leur contagion[50].

En ce sens, le groupe le plus vulnérable était celui des femmes, objet d’une attention particulière de la part des propagandistes libertaires, qui les considéraient comme des victimes indirectes de la maladie et de la moralité sexuelle traditionnelle[51]. Camillo Berneri avait mis en garde, déjà en 1930, contre le fait que les grossesses chez les femmes malades sont très dangereuses en raison du risque évident de contact direct avec les enfants :

«La terrible habitude d’embrasser les enfants sur les joues et sur la bouche doit être abandonnée. Une éraflure récente, une fissure, une coupure suffit pour que l’infection trouve un chemin libre et franc»[52]

Pour promouvoir ces idées, les anarchistes publièrent des articles informatifs et organisèrent des événements éducatifs pour inculquer à la population les vertus d’une vie saine et hygiénique. Des conférences comme celle tenue en août 1935 par le docteur membre de la CNT-AIT Diego Ruiz devant le groupe naturiste Helios, visent à informer et alerter sur les maladies. Dans son exposé intitulé «138 ans de médecine terroriste. La question de la syphilis », il défendait l’idée, en utilisant une rhétorique anarchiste, que la seule solution pour mettre fin aux problèmes de santé était la Révolution[53]. Le militantisme excédait ainsi le professionnalisme d’une activité  supposément « impartiale », laquelle était au contraire utilisée dans sa lutte contre l’Etat.

[Dans Tiempos Nuevos de Mai 1936, la Dr Ampora Poch écrit un article pour toucher les jeunes femmes sur un point jugé sensible : La syphilis ennemie de la beauté[54]

De nouveau, elle dénonçait que l’ignorance conduisait les femmes à procréer aveuglément, sans que la société ne se soucie des conséquences. Elle s’inquiétait des graves déformations que la syphilis produit chez les enfants, qu’elle n’hésitait pas à qualifier de «grande variété de monstres non viables ou alors avec des possibilités très limitées. »

« la beauté et la jeunesse sont deux victimes de la syphilis … Des trésors humains qui sont anéantis par la syphilis dans son œuvre d’avilissement de la vie … A tout moment de la vie et dans toutes les parties de l’organisme, la syphilis peut mettre sa main pleine de malheurs et faire d’un être normal et parfait un étal de laideur. La syphilis est la créatrice du laid »« 

Pour essayer de convaincre, elle décrit les déformations dues à la syphilis congénitale:

« – Le nez prend une forme de selle, ou nez en forme de jumelles  de théâtre).

– La peau du nouveau-né peut être affectée par le pemphigus syphilitique sous forme de grosses cloques plus ou moins nombreuses.

– Altération des glandes hormonales qui provoquent des troubles de la croissance à l’origine de nanismes : stature plus courte que la normale.

– Les os souffrent également de déformations nombreuses et laides: os des membres et / ou de la poitrine. Les déformations du thorax, sont d’une plus grande importance, non seulement parce qu’elles rendent l’individu laid, mais parce qu’elles entraînent des difficultés à respirer normalement.

– Les atrophies dentaires qui produisent un aspect très répugnant de la bouche du sujet, et aussi des écarts par rapport à la morphologie, notamment des incisives et des canines.

– Altérations des yeux : kératite interstitielle qui donne à la cornée un aspect trouble, perturbant également la fonction visuelle « .

– Le crâne augmente en épaisseur: front olympique, (…) le crâne natiforme en raison de la proéminence exagérée des poches frontales et pariétales. »]

Les festivals de théâtre jouent également un rôle important dans la propagande anarchiste avec la création de drames écrits par les militants eux-mêmes et, par conséquent, avec un message éminemment moraliste. Le théâtre social est conçu comme un outil d’intérêt général dans lequel le message, soutenu par la force de la représentation visuelle, permet une propagande morale anarchiste tout en divertissant le public. La nécessité de sensibiliser à la prophylaxie médicale correcte conduira à des performances telles que « Syphilis! », interprétée en septembre 1936 par la compagnie de l’acteur Salvador Sierra au théâtre Apolo à Barcelone, annoncée par Solidaridad Obrera comme une œuvre transcendante qui sera déclarée d’utilité sociale par le gouvernement central[55].

L’alcool, le tabac et le jeu des vices à combattre. Le débat autour des bals.

Enfin, parmi les «maladies sociales», indiquées dans le discours anarchiste comme provoquant une augmentation de la misère sociale et la destruction biologique du corps et de la population, figurent l’alcool et le tabac. Les deux sont considérés comme des vices, pas aussi nocifs que les maladies précédentes, mais tout aussi répréhensibles. Parallèlement à cela, mais à un niveau secondaire, le jeu et les bals apparaissent comme des promoteurs des fléaux sociaux du tabac et de l’alcool.

Les jeux de hasard sont considérés comme faisant partie de la stratégie de la société capitaliste pour favoriser dans la classe ouvrière un esprit de défaite, de faiblesse de caractère et de manque d’esprit révolutionnaire.

Alors que les bals sont critiqués pour l’excitation nerveuse et sexuelle qu’ils provoquent, ainsi que pour avoir dissimulé la pratique de la prostitution[56].

Pendant la guerre, le journaliste allemand Hanns-Erich Kaminski s’est fait l’écho de ce que les music-halls qui se sont répandus dans toute la zone portuaire de Barcelone étaient, en fait, « des sortes de bordel »[57]. Ce type d’avertissement s’adressait surtout aux jeunes, considérés par les médias confédéraux comme un groupe à risque en raison des implications que ce type de pratique pourrait avoir si elle se pratiquait dans un âge jeune. L’insatisfaction sexuelle ou l’affaiblissement du corps à la suite de l’alcoolisme était également considéré comme provoquant des altérations physiologiques notables favorisant le développement ultérieur d’autres maladies.

Affiche des Jeunesse libertaires de la région centre :

Le bar sclérose, c’est anti-chambre de l’arrogance, FERMONS LE !

La taverne atrophie et dégénère l’esprit combatif, FERMONS LA !

Le bal est l’antichambre de la prostitution épuisant les énergies des jeunes lutteurs. FERMONS-LES !

Cinémas et théâtres : une mission : l’oeuvre antifasciste ! dans le cas contraire FERMONS LES !
Tous ceux qui fréquentent ces lieux ne méritent pas le respect.
Chaque homme n’a qu’une mission : la guerre contre le fascisme
Guerre à l’immoralité, A bas le parasitisme !

[Mais au contraire d’autres estiment qu’en favorisant les flirts entre jeunes, ils réduisent le recours à la prostitution et sont donc leur fermeture aurait des répercussions sociales et sanitaires néfastes  :

La demande de fermeture des bals – notamment ceux qui servaient à financer l’Organisation – par les Mujeres Libres entraîna un vif débat. Dans le bulletin CNT-AIT d’Igualada, les militants du syndicat demandent aux Mujeres Libres :

« Que cessent les bals ? D’accord. Mais cela aura des conséquences …

Ne croyez-vous pas qu’il serait plus nécessaire de fermer les maisons d’entremetteuses que de supprimer les bals ? Vous qui vous voulez faire femmes libres, vous pourriez accepter que en échange de la virginité de donzelles hystériques embourgeoisées et des « jolies jeunes filles », se sacrifie une partie de l’humanité ? En comparaison de ce fléau, un bal est absolument secondaire et inoffensif. La prostitution corrompe et dégrade. Un bal est seulement stupide. »

Pour Javier Serrano, mieux connu dans la presse anarcho-syndicaliste sous le nom de « Docteur Klug », l’alcool est plus puissant qu’un poison car il affecte la progéniture, il est donc considéré comme un problème social d’une importance publique particulière[58].

 L’alcoolisme et la prostitution sont des habitudes qui se sont massivement propagées car, à la fin du XIXe siècle, avec le double processus d’industrialisation et d’urbanisation des masses d’origines rurales, ce qui eut pour conséquence d’augmenter les troubles sociaux. En Espagne, Bernabé Malo Écija soulignait déjà ces problèmes dans sa brochure « Alcool et alcoolisme face à l’hygiène »publiée en 1900[59]. L’écriture est un bon exemple de la façon dont les propagandistes anarchistes ont réévalué certaines de ces questions pour diffuser leur message. Le triomphe de l’eugénésisme et du darwinisme social, si dominants dans la pensée anarchiste, a développé une image de l’humanité comme une espèce biologique soumise à des états d’appauvrissement, de faiblesse et d’impuissance physique[60]. Des maladies telles que l’alcoolisme sont interprétées par la psychiatrie à partir de thèses organistes et dégénérationnistes. Selon cette perspective, la cause de nombreuses affections réside dans une dégénérescence génétique et héréditaire. La campagne anti-alcoolique, comme arme de lutte contre l’appauvrissement physique des travailleurs, conduisit une fois de plus l’anarchisme à se concentrer sur son aspect le plus purement pédagogique[61].

Un poison, l’alcool. Article de la Dr. Ampora Poch y Gascón
 paru dans Tiempos Nuevos, juillet 1936

Illustrations publiées dans la presse libertaire sur les effets de l’alcool sur la population. Gauche: logique irréfutable. Source: Solidaridad Obrera. 12 août 1938; (1671). À droite: de la logique. Estudios. Février 1935; (138): 32.

Pour Félix Martí Ibáñez, qui pendant la Révolution a été nommé directeur général du Conseil de la santé et de l’assistance sociale de la Generalitat de Catalogne, la meilleure façon de guérir un alcoolique est d’éviter la stigmatisation et de corriger sa faiblesse organique par un traitement médico-psychiatrique[62]. En ce sens, la nouveauté « discursive » anarchiste dans le traitement de l’alcoolisme est, comme c’est le cas pour la tuberculose ou les maladies vénériennes, l’identification des responsables. L’État est de nouveau accusé d’empoisonnement passif de ses citoyens en légalisant sa consommation afin de mieux les contrôler. De même, les anarchistes étendent leurs condamnations à l’aubergiste et au commerçant qui profitent de la vente, sans se soucier de la santé de la population[63]. Le médecin sévillan Pedro Vallina les appelle, dans ses mémoires, des « empoisonneurs publics » et des êtres méprisables pour ne s’occuper que de leur propre avantage économique[64]. Dans la presse et à travers des articles et des illustrations, les militants anarchistes tentent d’inculquer leur morale et de sensibiliser les travailleurs aux conséquences de la consommation continue d’alcool, indiquant qu’un véritable anarchiste doit être un abstinent. Par exemple, en mars 1937, dans le magazine Revolución Social, un organe des jeunes libertaires du quartier du centre de Madrid, critiquent publiquement le manque d’intégrité des militants des athénées et des groupes libertaires qui visitent régulièrement les tavernes et les bars[65].

Ainsi, chez les anarchistes, nous trouvons une dualité de comportement, entre rigueur et laxisme, qui se reflète en particulier dans l’exemple laxiste des figures publiques majeures du mouvement. Par exemple, Juan García Oliver admet dans ses mémoires qu’il buvait du vin[66] et Gregorio Gallego déclare qu’il consomme de la bière, bien qu’immédiatement après le cénétiste de Madrid se corrige, soulignant qu’il est un abstinent[67]. Isaac Puente souligne même que, même si c’est un poison pour le foie, le mal ne réside pas tant dans sa consommation que dans son abus[68].

Quelque chose de semblable se produit avec le tabagisme, qui, bien qu’il soit connu pour être nocif pour la santé, était considéré comme un mal mineur[69]. Il y a aussi ceux qui non seulement ne voyaient aucun inconvénient éthique dans leur consommation de tabac mais étaient eux-mêmes des fumeurs déclarés, comme par exemple Benigno Bejarano[70], Francisco et Joaquín Ascaso[71] ou García Oliver lui-même. Cette ambivalence comportementale du militantisme rendait inefficaces les appels en faveur d’une morale libertaire plus rigide propre à ce que devait être un « vrai » anarchiste[72].

Lors de la révolution de 1936 les eaux minérales médicinales de la source Saint Narcisse (San Narcis), boisson hautement recommandable pour la santé, furent collectivisées. Néanmoins, comme on le voit sur ce papier à en-tête, la référence au terme « saint » dans le nom de la source fut rageusement barrée et la rature dûment tamponnée par le Syndicat pour officialiser le changement de nom  … pour que l’eau soit parfaitement propre à la consommation sans doute !

4. Le problème de santé pendant la guerre civile : la CNT et le contrôle de la santé catalane

La position de critique et de protestation, maintenue par la CNT contre l’action sanitaire de l’Etat durant les six premières années de la République, subit un renversement radical avec le déclenchement de la guerre civile.

La prédominance anarchiste en Catalogne permet, une fois l’entrée des ministres et conseillers dans les gouvernements autonomes et centraux, le contrôle libertaire du Conseil de la Santé et de l’Assistance sociale de la Generalitat de Catalogne de septembre 1936 à juin 1937. Dix mois au cours desquelles cinq conseillers au total —Antonio García Birlán, Pedro Herrera, Josep Juan Domènech, Aurelio Fernández et Valerio Mas — se succéderont dans une position à partir de laquelle ils essayeront de mettre en œuvre l’idée d’une médecine sociale, qui avait été tant réclamée par la presse anarchiste au cours des années précédentes[73].

Il convient de noter que, bien que pendant la République les propagandistes qui traitaient des thèmes sanitaires étaient principalement des médecins, pendant la Révolution cependant, les postes élevés, tels que ceux de conseiller ou de ministre de la Santé, n’étaient pas exclusivement occupés par cette corporation, mais furent ouverts aussi à des simples militants éminents de la CNT-AIT ou de la FAI, [mais sans compétences techniques particulières en la matière. La direction politique n’était donc pas préemptée par les experts, mais restait sous le contrôle des politiques même si ces derniers et notamment Federica Montseny pris grand soin de s’entourer des meilleurs spécialistes et experts du camp républicain, sans attacher trop d’importances aux étiquettes idéologiques. NdT]. Les experts furent ainsi cantonnés dans des postes secondaires de gestion technique et de conseil, comme ce fut notamment le cas de Félix Martí Ibáñez.

Les conseillers anarchistes de la santé et de l’assistance sociale de la Generalitat de Catalogne pendant la guerre civile, de gauche à droite et de haut en bas: Antonio García Birlán, Pedro Herrera, J.J. Domènech, Aurelio Fernández et Valerio Mas. Source: Mi Revista (Barcelone). 1 janvier 1937; (6) / 15 sept. 1937; (23)

Depuis les institutions de l’État, les actions de la CNT-AIT et de la FAI visent à socialiser l’aspect professionnel de la santé, à étendre ses services auprès de toute la population et, surtout, étendre et développer la prévention. L’orientation technique et les conseils incomberont principalement à la figure de Martí Ibáñez. Sous sa direction, il justifie la fusion des Conseils de Santé et d’Assistance Sociale [qui étaient auparavant dans des ministères différents NdT] car le problème de la santé doit être abordé, non seulement du point de vue de la guérison, mais aussi de celui de la resocialisation des patients guéris. Comme premier pas, les anciens syndicats de santé sont désormais intégrés à la Fédération Nationale des Industries Sanitaires, sous le contrôle de la CNT-AIT, qui englobe tous les professionnels du secteur, [dans une approche extrêmement moderne de la médecine intégrée.
Ainsi le Syndicat de l’industrie de la Santé, l’Assistance sociale et l’Hygiène de Catalogne comptait en 1937 les sections professionnelles suivantes : Médecins – Pharmacies et Laboratoires – Produits pharmaceutiques et biologiques [vaccins] – Vétérinaires – Odontologues – Sages-femmes – Aides-Soignants – Internes médicaux – Infirmières auxiliaires et spécialisées – Prothèses dentaires – Orthopédie et prothèses médico-chirurgicales – Assistants de désinfection – Dératisation et lutte contre les chiens enragés – Techniciens sanitaires et de biochimie – Matériel médical et réparation – Personnel administratif – Personnel et établissements d’hydrothérapie – Herboristes – Grossistes en pharmacie et spécialités pharmaceutiques – Barbiers – Coiffeurs – Manucure – Massage – Blanchisserie industrielle – Fournitures électro médicales – Pompes funèbres – Cimetières – Collecte des ordures. NdT[74]]

Lettre à en-tête du Syndicat de l’industrie de la santé, de l’assistance
sociale et de l’hygiène, Barcelone, Septembre 1937

L’une des premières mesures adoptées a été de limiter les abus qui pourraient se produire dans le système de santé de Barcelone, pour lesquels tous les centres et complexes hospitaliers étaient soumis au contrôle direct de la direction générale de la santé et de l’assistance sociale. Il fut également exigé la constitution d’équipes professionnelles mixtes – composées de médecins, de pédagogues et de sociologues – dans les différents établissements hospitaliers catalans pour réaliser des thérapies globales permettant une réinsertion correcte de l’individu dans la société. Cette centralisation visait non seulement à améliorer les soins aux patients, mais aussi à réduire les dépenses occasionnées par ces centres[75].

Entre octobre et novembre 1936, la période pendant laquelle García Birlán fut à la tête du Conseil de santé catalan, le montant reçu sous forme de crédits extraordinaires pour couvrir les dépenses quotidiennes s’éleva à 2 670 900 pesetas. Ce sont des chiffres bien inférieurs à ceux des ministères de la défense ou ceux de la présidence qui totalisèrent 501 417 967 millions de pesetas. Avec de si maigres revenus, la CNT sera matériellement dans l’impossibilité de mener à bien une réforme complète du système de santé catalan. À cela s’ajoute que, avec le contrôle des principaux ministères – tels que la présidence et les finances -par les nationalistes catalans de l’ERC qui, avec le soutien tacite du Parti Communiste Catalan (PSUC), cherchait à minimiser le pouvoir factuel de la CNT-AIT dans la société catalane, l’octroi ou non de crédits extraordinaires devint une arme politique de premier ordre, en plus d’un élément de démoralisation pour l’organisation anarchosyndicaliste. Le tableau 1 indique les sommes reçues et leur répartition par le Conseil la santé catalan sous le contrôle de la CNT-AIT[76].

Tableau 1 : Montant total des crédits extraordinaires accordés au ministère de la Santé et de l’Assistance sociale de la Generalitat de Catalogne pendant le contrôle anarchiste

Montants reçuDateConseiller
2.670.900 pesetas. (8,28%)Du 26/10/1936 au 30/11/1936Antonio G. Birlán
12 679 000 pesetas. (39,31%)Du 19/12/1936 au 27/03/1937Pedro Herrera
4 000 000 pesetas. (12,40%)Du 19/04/1937 au 26/04/1937A.Fernández
11 900 668 pesetas. (36,89%)Du 15/05/1937 au 23/06/1937Valerio Mas
TOTAL: 31 250 568 pesetas.Du 26/10/1936 au 23/06/1937 

Le total investi entre octobre 1936 et juin 1937 dans la promotion de la santé publique s’élève à près de 32 millions de pesetas. Ce montant était clairement insuffisant pour promouvoir un système de santé qui cherchait à se renouveler presque entièrement. Le projet ambitieux rencontra des ressources limitées dans lesquelles la grande majorité des lignes budgétaires était destinée à couvrir des dépenses fixes, telles que les salaires du personnel médical, ou le Comité d’aide aux réfugiés et le Comité d’approvisionnement. Donc, la possibilité de l’introduction de changements ou de modernisations était très limitée.

Toutefois, cela n’a pas empêché la promotion d’initiatives concrètes telles que la création de cliniques spécialisées (par exemple, la clinique Germanor à Badalona[77]) ou le Centre de maternité et de garde d’enfants à Igualada[78], le transfert d’anciens hôpitaux vers de nouveaux complexes plus hygiéniques et ensoleillés à Badalona[79] et la réhabilitation des bâtiments saisis après le 18 juillet pour leur transformation en sanatoriums antituberculeux (l’ancien couvent des Chartreux de Badalona ou l’asile San Juan de Dios de Barcelone transformé en hôpital Prolétarien[80].

Rafael Vilarrubias, 8 juillet 1937, Clínica de maternidad de Igualada, Enfant en traitement de luminothérapie


Le complexe baptisé « Hôpital du Peuple », hospital del pueblo,  était situé dans un ancien couvent-asile qui avait été saisi le 19 juillet par le syndicat du Bois, puis transmis le 22 avril 1937 au syndicat de la Santé. Sous sa charge, il a été transformé en hôpital avec un sanatorium attenant, un dispensaire de soins, des salles d’opération, 400 lits et un personnel de 13 médecins et 40 infirmiers et aides-soignants.

Vue de la salle de chirurgie masculine de l’hôpital prolétarien. Solidaridad Obrera, 20 janvier 1938

Face aux difficultés matérielles et économiques de la guerre, ces initiatives visaient à montrer que la proposition anarchiste, malgré son penchant pour le débat théorique, disposait également d’une large marge d’applicabilité[81].

La position révolutionnaire de la CNT-AIT impliquait également une lutte idéologique qui s’étendait également au monde de la santé, pour défendre une morale sociale différente de la morale chrétienne. L’organisation confédérale s’opposait au caractère caritatif et de « bienfaisance » jusque-là dominant et qui avait imprégné jusque-alors la manière de concevoir l’aide sociale en Espagne. Les anarchistes, pour leur part, défendent l’idée de santé à laquelle tous les individus ont droit et, par conséquent, elle doit être librement accessible, pour une question purement humanitaire.

La nouvelle politique s’étendait donc également au symbolisme public, traditionnellement associé à la religion, et dont la modification est considérée comme urgemment nécessaire pour construire un nouveau cadre d’interprétation de la réalité dans tous les domaines de la vie. Ainsi, l’intention est de modifier la mémoire publique par l’adoption de nouveaux éléments imaginaires qui serviront à créer une nouvelle conscience collective à travers la modification nominale de l’espace public. Les saints chrétiens qui donnent le nom aux hôpitaux, asiles et abris sont remplacés par ceux de référents de l’idéologie anarchiste avec des noms tels que ceux de Pi et Margall, Salvador Seguí ou Ferrer i Guardia, ou d’éminents intellectuels, artistes ou politiciens de la gauche espagnole, ébauchant ainsi une sorte de nouvelle galerie de «saints laïcs et revendicatifs»[82].

Tableau 2 : Liste des complexes médicaux de Barcelone dont, en octobre 1936,
 le Conseil de la Santé et de l’Assistance sociale de changé le nom[83]

Ancienne dénominationNouvelle dénomination
Asile de San Rafael

Maison de convalescence San I.de Loyola

Asile de Sainte-Lucie

Hôpital et école de Nazareth

Hôpital pour enfants pauvres et Auberge de Saint Antoine

Asile pour personnes âgées de la rue Caspe

Asile pour personnes âgées de la rue Borrell

Asile pour personnes âgées rue San Salvador

Asile pour personnes âgées de la rue d’Argentine, nº12

Asile pour personnes âgées de la rue Desierto de Sarrià

Couvent des salésiens

Couvent « les feux du ciel » (los dardos)

Hôpital Sanatorium du Saint-Esprit
Refuge pour enfants Salvador Seguí

Maison de convalescence Francesc Layret

Maison des aveugles Pi i Margall

Sanatorium pour enfants Ángel Guimerà

Foyers de l’Enfance et des Malades Ignacio Iglesias

Maison pour personnes âgées Ferrer i Guardia

Maison pour personnes âgées Luis Sirval

Maison pour personnes âgées Mariana Pineda

Maison pour personnes âgées Nicolás Salmerón

Maison pour personnes âgées Henri Barbusse


Maison de l’enfance J.-J. Rousseau

Foyer de l’enfance Joaquín Costa

Sanatorium Maxim Gorky

La prophylaxie promue par la CNT allait également se propager au monde du travail. Après un accord signé en février 1937 entre les syndicats de l’industrie de la CNT-AIT et de l’UGT, il fut décidé la mise en œuvre obligatoire du contrôle des malades dans toutes les industries et usines catalanes[84]. Les syndicats souhaitaient prévenir par cette mesure la prolifération des maladies susceptibles de réduire la productivité d’un secteur qui, en temps de guerre, nécessitait de maintenir une production très élevée.

[NdT : En matière de santé au travail, des séances de vaccination sur les lieux de travail étaient aussi organisées, notamment la vaccination contre le typhus. NdT Mundo Gráfico, 12 mai 1937]

La précaution pour le maintien des normes d’hygiène et de prévention s’étendait également au front de guerre, pour lequel il était établi que chaque milicien devait disposer de savon, de serviettes de toilettes, de dentifrice et d’une brosse à dent.

Consignes sanitaires pour les milices, 1936

Dans de nombreux cas, le manque de ressources rendait une telle exigence irréalisable, ce qui conduisit plusieurs syndicats à envoyer des produits au front pour couvrir les besoins hygiéniques de leurs soldats. Ainsi, en novembre 1936, le Syndicat des Professions Libérales de la CNT-AIT ouvrit une collecte d’appareils sanitaires pour approvisionner les milices catalanes. Cette mesure visait non seulement à améliorer l’équipement des soldats, mais aussi à éduquer la population sur la nécessité de prendre soin de l’hygiène personnelle comme exigence de base pour la santé[85].

Malgré les difficultés de la guerre civile, il est important de noter que tout ce travail de remodelage du système de santé s’est effectué quasiment sans planification préalable. Ainsi, au cours des années 1930 et dans le secteur anarchiste, s’opéra un changement dans la conception de la santé qui passa de la défense de postulats théoriques dans un cadre idéaliste, à l’application d’aspects concrets à un niveau plus réaliste. Cependant, le moyen de développer toutes ces mesures passait par une sorte d ‘ »élite militante » qui agissait comme une classe dirigeante sans être nécessairement soutenue par la militance au niveau des assemblées locales. L’immédiateté d’agir au milieu du conflit a limité ou considérablement réduit la participation des affiliés et militants qui soit était à l’avant au front pour se battre, ou soit essayait de survivre à l’arrière. Cependant, nous considérons que cette élite militante est un groupe dans lequel la pratique et la fidélité à l’idéal ont toujours été présentes, même si elle a subi de profondes modifications motivées par la réalité du pays et le moment politique.

Campagne sur l’augmentation
des capacités d’accueils de malades tuberculeux

Pour Pedro Herrera, qui fut Conseiller de la santé de la généralité entre décembre 1936 et mars 1937, le principal combat mené à bien pendant son administration concernait les mesures promues contre la tuberculose. Le plus important fut la création du Dispensaire central et préventif antituberculeux de Barcelone, Dispensario Central y Preventivo Antituberculoso de Barcelona, qui, selon l’anarchiste de Valladolid, n’était dépassé en Europe que par un autre situé en Hollande. Jusqu’en décembre 1937, il réalisa plus de quatre-vingt-quatre mille vaccinations préventives. En raison de la guerre et du surpeuplement dans les villes, cependant, la maladie en tant que problème social ne connut pas de diminution.

Un autre champ d’action remarquable pendant le mandat de Herrera a été la lutte contre la dissimulation des maladies vénériennes avec l’intensification des campagnes de propagande et la création d’un bureau spécifique. Les festivals, les cinémas, les radios et la presse ont été utilisés pour diffuser la nécessité de prendre conscience du risque lié à ces maladies[86]. Le Conseil fit des campagnes de promotion sanitaire contre des affections telles que la lèpre, le paludisme, la rage, la varicelle ou le cancer, qui faisaient également des ravages dans la population. Ceci était complété par la promotion d’une réforme complète du système des stations thermales, la réorganisation des services psychiatriques catalans et un contrôle accru de l’État sur les sociétés pharmaceutiques[87].

5. Conclusions

Pour l’anarchisme, la santé, interprétée dans une perspective naturaliste de la vie, représente une valeur de premier ordre. Non seulement parce qu’elle permet l’existence et la participation d’individus en bonne santé mentale et physique, capables de mener un mode de vie révolutionnaire, mais parce qu’elle est considérée comme la base du bonheur humain. Sans cela, aucun des objectifs anarchistes ne serait possible à atteindre; Il est donc nécessaire de disposer d’un système de santé garantissant un niveau de santé et de bien-être à la majorité de la population.

Le débat anarchiste s’inscrit dans un environnement de lutte contre la morale catholique dominante, misant sur une idée basée sur la régénération morale de l’être humain pour créer une femme et un homme véritablement révolutionnaires capables de lutter pour eux-mêmes et pour le meilleur de la société. La défense d’une éthique personnelle loin des vices et des comportements malsains est considérée comme une condition sine qua none pour vivre en société et se battre pour ses droits.

Dans cet ordre de priorités, pour les anarchistes, l’État et le capitalisme sont les principaux responsables de la détérioration physique et mentale de la population, de la détérioration de la société et de sa capacité révolutionnaire, ainsi que de la propagation de bon nombre de ces maladies « sociales ». Cependant, nous sommes confrontés à un discours qui, malgré ce qui précède, n’est pas homogène, ni cohérent à bien des égards. Il n’y avait pas non plus de cohérence au sein du groupe de professionnels de la santé attaché à cette idéologie, ce qui montre que malgré l’existence d’une ligne d’action commune, l’existence de différents courants qui défendaient différentes idées et pratiques était tolérée.

Selon l’origine de ces docteurs propagandistes, leurs textes sont imprégnés, dans une plus ou moins grande mesure, des différents courants naturistes ou néo-malthusiens de l’époque.

Hygiène sexuelle, livre de Felix Marti Ibañez

Cependant, la diversité dans la conception de la santé et de la salubrité par les professionnels est estompée car toutes les approches étaient couvertes par le parapluie protecteur de l’organisation de la CNT-AIT, qui leur offre un cadre d’action spécifique auprès de ses membres. Pour cette raison, la défense de la Révolution était considérée comme le cadre idéal et parfait pour le développement correct et viable de toutes les mesures morales et matérielles nécessaires au traitement ou à la solution de nombreuses maladies qui affectent la population. La santé est conçue comme la connaissance scientifique par excellence et le principal outil au service de l’homme pour qu’il soit dans la plénitude de ses capacités physiques qui conduira au triomphe du communisme libertaire. Dans cette ligne, les médecins sont donc perçus comme les héros anonymes du peuple ; leur profession est considérée comme l’excellence de l’altruisme humain.

C’est pourquoi les  anarchistes critiquaient fortement les professionnels mercantiles qui – bien que possédant les connaissances nécessaires pour atteindre le but de se consacrer entièrement aux soins aux malades sous le prisme de cette médecine vitaliste et humanitaire qu’ils défendaient – étaient guidés uniquement par la recherche du bénéfice économique et du statut social. Pour les anarchistes, ces médecins-là dévalorisaient la potentialité d’assistance de leur profession. [Les anarchistes restaient attachés à la formule de la première internationale « de chacun selon ses capacités », qui signifie que chacun se doit de donner – dans son domaine propre de compétence – le maximum de ses capacités à la collectivité. NdT]

Pour les anarchistes, la médecine n’est pas exclusivement de type naturiste, compte tenu de la diversité existant au sein du mouvement lui-même et du rejet du dogmatisme. Cependant les remèdes naturels, l’application de l’hygiène à la vie quotidienne et surtout la prévention sont valorisés positivement pour éviter la contraction des maladies.

Les maladies qui ont généré le plus d’inquiétudes et de débats dans la presse libertaire furent principalement celles dont l’expansion est attribuée à la mauvaise gestion de l’État, au système économique ou à la morale dominante. Parmi ceux-ci figuraient la tuberculose et les maladies vénériennes. Pour les anarchistes, plus qu’une solution ou un remède qui résoudrait ce problème, ils faisaient la promotion d’une vision idéologique qui passait par un changement moral et éthique dans la population à long terme. À des fins pratiques, et par le biais des médecins-propagandistes qui ont écrit dans les journaux et magazines anarchistes, la tâche principale de la lutte contre la tuberculose était d’empêcher l’individu en bonne santé d’acquérir le bacille. Selon eux, l’explication que la médecine « officielle » donnait des modes de contagion était une tromperie pour exonérer l’État de sa responsabilité dans la propagation de l’épidémie. Ces dénonciations n’étaient pas dépourvues d’un solide fondement politique sous-jacent.

C’est dans l’engagement en faveur de l’abolition des boissons alcoolisées ou de la condamnation du tabagisme que l’action moralisatrice de la culture du travail se montra la plus sévère et alla au-delà de son orientation purement de conscientisation pour exiger un comportement éthique rigoureux. Cette exigence cependant faisait retomber sur la conscience du travailleur la responsabilité ultime de son comportement, tant public que privé.

La réorganisation des pouvoirs publics et la menace de guerre ont favorisé une réalité jusque-là inconnue qui a permis à la CNT-AIT de gouverner dans de nombreuses villes et villages de l’État espagnol. Cela a été possible, principalement, dans des régions comme la Catalogne où les anarcho-syndicalistes ont essayé de promouvoir une nouvelle politique de santé. La réorganisation du système de santé pendant la guerre civile a visé à établir une médecine sociale qui humanise la figure du médecin et le rapproche du patient. De plus, ce travail a été complété par la création de cliniques spécialisées en puériculture ou dans le traitement des maladies infectieuses.

Tout ce travail, promu par la CNT-AIT, la FAI et les Mujeres Libres, n’a été possible que grâce à la conscientisation silencieuse d’une militance active, maintenue et développée pendant des années, sans la participation et la collaboration desquelles les campagnes de santé promues par le Conseil de santé aux mains de la CNT-AIT n’auraient pas été possibles : application de la législation sur l’avortement gratuit, collectivisation de la santé en Catalogne, meeting et conférences et d’autres activités organisées à partir des athénées libertaires. Cependant, le manque de ressources et le fait d’être en état de guerre, ainsi que les affrontements au sein des rangs républicains eux-mêmes, furent des obstacles insurmontables qui finirent par entraver cet effort sanitaire mené à la fin des années 30. . Les luttes internes au sein du camp républicain ont inexorablement érodé la capacité de mettre en œuvre avec succès un système de soins de santé plus efficace et social, comme le souhaitaient les anarchistes.


[1] Remartínez, Roberto. La enfermedad. Postulados y deducciones. Estudios. 1931; (89): 29.

[2] Álvarez Junco, José. La ideología política del anarquismo español (1868-1910). Madrid: Siglo Veintiuno de España; 1991, p. 43-62; Puente, Isaac. Higiene individual o privada. Valencia: Cuadernos de Cultura; 1930, p. 5.

[3] La Epopeya De La Medicina, Felix Marti Ibanez,, MD en Español, 1964, Vol. II (N°2).

[4] Puente, Higiene individual o privada, ibid., p. 7, 8; Un homenaje bien merecido. Solidaridad Obrera (La Coruña). 30 Jun 1934; (164): 2; Huertas García-Alejo, Rafael. Vivir y morir en Madrid. La vivienda como factor determinante del estado de salud de la población madrileña (1874-1923). Asclepio. 2002; 54 (2): 253-276.

[5] Serrano, Javier. Exceso de modestia. Solidaridad Obrera (La Coruña). 21 Jul 1934

[6] Una interesante conferencia en «Germinal». Solidaridad (La Coruña). 18 Ene 1936

[7] Comunismo sanitario. Estudios (Valencia). Sep 1931; (97): 24.

[8] Puente, Isaac. Inconformismo de un médico. La Medicina ante el régimen capitalista. Estudios (Valencia). Oct 1931; (98): 18.

[9] Serrano, Javier. La medicina al alcance de todos. Lo que debe hacerse mientras llega el médico y por qué debe hacerse. Barcelona: Publicaciones La Revista Blanca; s.d., p. 3, 9.

[10] Serrano, La medicina al alcance de todos , ibid., p. 3, 4

[11] Puente, Higiene individual o privada, ibid.  p. 10-14, 17-21, 27-30

[12] Remartínez, Roberto. Algunos argumentos en defensa de la alimentación vegetariana. Estudios (Valencia). Mar 1930; (79): 10, 11.

[13] La vigorosidad del régimen vegetariano. Pentalfa (Barcelona). 29 Ene 1937; (251); La fruta refuerza las reservas alcalinas de nuestro organismo. Iniciales (Barcelona). May 1936; (5): 14, 15.

[14] A ce titre, il faut noter le gymnase qui se trouvait dans les sous-sols de l’Athénée libertaire, Ateneo libertario,  du quartier des Corts à Barcelone. Berenguer, Sara. Entre el sol y la tormenta. Treinta y dos meses de guerra (1936-1939). Barcelona: Seuba; 1984, p. 72

[15] Los deportes. El Sembrador (Igualada). 29 Jun 1930; (2): 1, 2; Puente, Higiene individual o privada, ibid., p. 41-44; Algo sobre gimnasia. Estudios (Valencia). Abr 1929; (68): 17-23; Los deportes. Estudios (Valencia). Dic 1929; (76): 25, 26.).

[16] De Luis Martín, Francisco. La cultura socialista en España: de los orígenes a la Guerra Civil. Ayer. 2004; (54): 217.

[17] Navarro, Francisco Javier. A la Revolución por la cultura. Prácticas culturales y sociabilidad libertarias en el País Valenciano. Valencia: Servicio de Publicaciones de la Universitat de València; 2004, p. 337-342.

[18] Remartínez, Roberto. La gripe. Estudios (Valencia). Abr 1935; (140): 6, 7.). Cette approche, ainsi que l’accent mis sur l’hygiène et la prévention n’est pas non plus sans rappeler la médecine traditionnelle chinoise. NdT

[19] Serrano, Javier. La medicina al alcance de todos, ibid., p. 8-10, 30-41.

[20] La balnéation était spécialement recommandée pour les maladies comme la fièvre typhoïde cf. Vallina, Pedro. Mis memorias. Sevilla: Centro Andaluz del Libro: 2000, p. 182, 183.

[21] La libertad individual ante la Medicina. Estudios (Valencia). Dic 1933; (124): 6-8; Dos conceptos de salud. Estudios (Valencia). Oct 1933; (122): 11, 12; Puente, Higiene individual o privada, ibid., p. 66; La medicina sin medicamento. Estudios (Valencia). Abr 1933; (128): 20, 21

[22] Necrología. Vía Libre (Badalona). 29 Nov 1936; (9): 3; Lora Medina, Alejandro. La vivencia del ideal anarquista en la España de los años treinta. Hispania Nova. 2018; 16: 134-163.

[23] NdT : tuberculose pulmonaire

[24] Necrológicas. Solidaridad Obrera (La Coruña). 23 Jun 1934; (163): 2.)

[25] Cruz Martínez, Rafael. Protestar en España, 1900-2013. Madrid: Alianza Editorial; 2015, p. 75-79.

[26] Entierro civil accidentado. Solidaridad Obrera (Barcelona). 14 Ago 1934; (892): 5

[27] Navarro, Francisco Javier. El paraíso de la razón. La revista Estudios (1928-1937) y el mundo cultural anarquista. Valencia: Edicions Alfons el Magnànim; 1997, p. 147.

[28] Grupo Sindical Obrero de Orense. Solidaridad (La Coruña). 6 Jun 1936; (50): 3.

[29] Dr. J. Serrano. Solidaridad Obrera (Barcelona). 29 Feb 1936: (1211): 3.

[30] Par exemple : M. Aguado Escribano (Cerro Muriano) y J. Pedrero Vallés (Valladolid) décompte de 50% du prix de la consultation ; L. Álvarez (Valladolid) déduction de 3 pesetas du total ; tandis que Isaac Puente (Maestu au Pays basque), Royo Lloris ou Félix Martí Ibáñez (tous deux de Barcelona), soit parce qu’ils étaient éloignés, soit parce qu’ils étaient en prison à cause de leurs actions révolutionnaires, ne percevaient que le paiement des timbres pour les contacter. in Navarro, El paraíso de la razón., ibid., p. 147, 148.

[31] El Congreso de sindicatos únicos de sanidad. Estudios (Valencia). 1931; (100): 5-7; Navarro, El paraíso de la razón., ibid., p. 141.

[32] Molero-Mesa, Jorge; Jiménez Lucena, Isabel. «Brazo y cerebro»: las dinámicas de inclusión-exclusión en torno a la profesión médica y el anarcosindicalismo español en el primer tercio del siglo XX. Dynamis. 2013; 33 (1): 29-30, 40.

[33]Molero-Mesa, Jorge; Jiménez Lucena, Isabel; Tabernero Holgado, Carlos. La «acción directa» y el mutualismo en el seno de la Confederación Nacional del Trabajo: la «Obra Popular Antituberculosa de Cataluña» (1931-1932). In: Mundo del trabajo y asociacionismo en España. Collegia, gremios, mutuas, sindicatos … Madrid: Asociación de Historia Social; 2013, p. 1-14.

[34] Gran acto pro-hospital obrero. ¡Liberación! (Barcelona). Jun. 1935; (1): 32; Importante acto pro-consultorios gratuitos y hospital obrero. La Revista Blanca (Barcelona). 14 Jun 1935; (334): 555; Solidaridad Obrera (Barcelona). 12 Sep 1935; (1063): 7; Solidaridad Obrera (Barcelona). 27 Oct 1935; (1102): 2; Solidaridad Obrera (Barcelona). 23 Nov 1935; (1125): 4; Solidaridad Obrera (Barcelona). 5 Dic 1935; (1135): 7; Solidaridad Obrera (Barcelona). 17 Dic 1935; (1145): 6; Solidaridad Obrera (Barcelona). 19 Dic 1935; (1149): 6; Solidaridad Obrera (Barcelona). 27 Dic 1935; (1154): 7; Solidaridad Obrera (Barcelona). 2 Ene 1936; (1159): 7; Solidaridad Obrera (Barcelona). 5 Feb 1936; (1188): 4; Solidaridad Obrera (Barcelona). 7 Feb 1936; (1190): 7; Solidaridad Obrera (Barcelona). 22 Feb 1936; (1204): 2; Solidaridad Obrera (Barcelona). 28 Feb 1936; (1210): 7; Solidaridad Obrera (Barcelona). 7 Mar 1936; (1217): 5; Solidaridad Obrera (Barcelona). 11 Jun 1936; (1298): 5)

[35] Molero-Mesa, Jiménez Lucena, n. 30, p. 40-41; Molero-Mesa, Jorge. Salud, actuación y actividad. La Organización Sanitaria Obrera de la CNT y la colectivización de los servicios médico-sanitarios en la Guerra Civil Española. In: Campos, R.; González, A.; Porras, I.; Montiel, L. (Eds). Medicina y poder político. XVI Congreso de la SEHM, Madrid, 11-13 junio 2014. Madrid: SEHM; 2014, p. 103-107.

[36] La tuberculosis, enfermedad proletaria. La Revista Blanca (Barcelona). 23 Nov 1933; (253): 369-371.

[37] De la lucha antituberculosa. Estudios (Valencia). Sep 1929; (73): 33, 34; La acción social en la lucha contra la tuberculosis, Iniciales (Barcelona). Mar 1929; (2): 59-62; Remartínez, Roberto. La tuberculosis. Como se previene, como se adquiere y como se cura. Toulouse: Ed. Universo; s.d [après 1945]., p. 3-5.

[38] El problema de la tuberculosis. Estudios (Valencia). Sep 1936; (156): 25.).

[39] Molero-Mesa, Jorge. La tuberculosis como enfermedad social en los estudios epidemiológicos españoles anteriores a la Guerra Civil. Dynamis. 1989; 9: 192, 193; Rodríguez Ocaña, Esteban; 38. Menéndez Navarro, Alfredo. El Primer Congreso Nacional de Sanidad (Madrid, 1934) como sanción de la profesionalización médico-social en España. Revista de Sanidad e Higiene Pública. 1986; 60: 1095-1107)

[40][NdT : dans ce sens ils se placent dans la filiation pasteurienne pour qui « le microbe n’est rien, le terrain est tout », en l’étendant au-delà de l’individu au champ social]

[41] La plaga social de la tuberculosis. Estudios (Valencia). Feb 1930; (78): 1-3; La tuberculosis no es contagiosa. Estudios (Valencia). Ene 1933; (113): 11; Molero-Mesa, Jorge; Jiménez Lucena, Isabel. «Otra manera de ver las cosas». Microbios, eugenesia y ambientalismo radical en el anarquismo español del siglo XX. In: Miranda, Marisa; Vallejo, Gustavo (dirs.). Darwinismo social y eugenesia. Derivas de Darwin: cultura y política en clave biológica. Buenos Aires: Siglo XXI. Ed. Iberoamericana; 2010, pp. 158-161.)

[42] La plaga social de la tuberculosis. Estudios (Valencia). Feb 1930; (78): 2.

[43] La plaga social de la tuberculosis. Estudios (Valencia). Feb 1930; (78): 1-3.

[44] El problema de la tuberculosis. Estudios (Valencia). Sep 1936; (156): 25.)

[45] Poch y Gascón A. La tuberculosis, enfermedad social. Tiempos Nuevos. 01-03-1936;5:125-7.

[46] De la lucha antituberculosa, Estudios (Valencia). Sep 1936, p. 16-18; Molero-Mesa, Jiménez Lucena, «Brazo y cerebro», ibid., p. 160.

[47] Preguntas y respuestas. Estudios (Valencia). May 1931; (93): 34; Preguntas y respuestas. Estudios (Valencia). Mar 1935; (139): 29; Remartínez, La tuberculosis, enfermedad proletaria , ibid. , p. 7-15.

[48] El problema de la tuberculosis, Estudios (Valencia). Sep 1936, 25-26.

[49] Castejón Bolea, Ramón. Las estrategias preventivas individuales en la lucha antivenérea: sexualidad y enfermedades venéreas en la España del primer tercio del siglo XX. Hispania. 2004; 64 (218): 924-928; Toryho, Jacinto. Cómo viven y cómo mueren las prostitutas. Barcelona: Publicaciones La Revista Blanca; 1936, p.27; Por una sociedad sana, justa y libre. Lucha antivenérea. Solidaridad obrera (La Coruña). 25 Ene 1936; (31): 3; Consultorio general. La Revista Blanca (Barcelona). 6 Sep 1936; (346): 862.

[50] Influencia de las enfermedades venéreas en la vida del individuo. La Revista Blanca (Barcelona). 24 May 1935; (331): 493, 494; El peligro venéreo. Iniciales (Barcelona). Abr 1930; (3): 5, 26, 27.).

[51] La tragedia femenina o la estupidez masculina. La Revista Blanca (Barcelona). 4 Oct 1935; (350): 952.

[52] Berneri, Camillo. La sífilis hereditaria. La Revista Blanca (Barcelona). 15 Oct 1930; (178): 231-233.

[53]Gacetillas. Solidaridad Obrera (Barcelona), 21 Ago 1935; (1044): 5.

[54]La sífilis enemiga de la belleza. Tiempos Nuevos, 1 de mayo1936.

[55] Gacetillas. Solidaridad Obrera (Barcelona). 23 Sep 1936; (1386): 11; Foguet i Boreu, Francesc. La dramatúrgia espanyola en el escenaris catalans durant la guerra i la revolució (1936-1939). Assaig de teatre. 2004; 43: 139-174.

[56] Navarro, A la Revolución por la cultura. Ibid. p. 354, 355; Puente, Higiene individual o privada, ibid.,  p. 51, 52; Medicina subversiva. Estudios (Valencia). Ago 1932; (108): 13; Extracto de una conferencia. El médico ante la misión social de la Medicina. Estudios (Valencia). Dic 1930; (88): 4-7; Folletín sanitario. Lo que debemos comer. Solidaridad Obrera. 13 Ago 1932; (487): 2; Dichoso baile. Butlleti C.N.T.-F.A.I. (Igualada). Mar 1937; (10): 5; A los jóvenes. Vía Libre (Badalona). Ene 1937; (14): 4; Serrano, Javier. La medicina al alcance de todos, ibid., p.57.

[57] Kaminski, Hanns-Erich. Los de Barcelona. Barcelona: Ediciones del Cotal; 1976, p. 45.

[58] Serrano, Javier. Forjemos un mundo nuevo. Vida Nueva (Tarrasa). 23 Jun 1937; (210): 1; Todos los jóvenes revolucionarios tenemos el deber de combatir el vicio. Libertad (Cuenca). 15 Jun 1937; (2): 4; El vicio. Vida Nueva (Tarrasa). 2 Jul 1937; (218): 1; Papel de la mujer en el problema del alcoholismo. El Sembrador (Igualada). 8 Nov 1930; (11): 2.

[59] Campos Marín, Ricardo; Huertas García-Alejo, Rafael. El alcoholismo como enfermedad social en la España de la Restauración: problemas de definición. Dynamis. 1991; 11: 263.

[60] Temas de educación e higiene. Vía Libre (Badalona). 12 Dic 1936; (11): 2; Luz y vida. Solidaridad Obrera (La Coruña). 8 Sep 1934; (174): 4; Jóvenes militantes… Butlletí CNT-FAI (Igualada). 25 Sep 1937; (39): 2.

[61] Girón, Álvaro. Metáforas finiseculares del declive biológico: degeneración y revolución en el anarquismo español. Asclepio. 1999; 51 (1): 247-254.

[62] Tratamiento del alcoholismo. Solidaridad Obrera (Barcelona). 29 May 1936; (1287): 2; Mancebo, María Fernanda. De la Segunda República al exilio: contexto histórico. In: AAVV, eds. Actas del I Simposium Internacional Félix Martí Ibáñez: Medicina, Historia e Ideología. Valencia: Consellería de Cultura, Educació i Esport de la Generalitat Valenciana; 2004, p. 114; Lora, Alejandro. Una aproximación a la homosexualidad según Félix Martí Ibáñez: médico libertario español. Éditions Universitaires de Lorraine-Presses Universitaires de Nancy; 2013, p. 174.

[63] Serrano, Exceso de modestia, ibid., 57; De la conferencia dada por Cayetano Valiente, en la Salud. Vía Libre (Badalona). 12 Dic 1936; (11): 2; Preguntas y respuestas. Estudios (Valencia). Feb 1936; (150): 21; Orden público. Gerona CNT (Gerona). 11 Jun 1937; (5): 2; El alcohol y la tuberculosis. Estudios (Valencia). Ene 1929; (65): 27; La acción degenerativa del alcohol. Estudios (Valencia). Ene 1929; (65): 29; El alcoholismo. Vida Nueva (Tarrasa). 28 Nov 1936; (34): 2; La guerra y la degeneración de la especie. Estudios (Valencia). Dic 1933; (124): 32; El vicio. El Porvenir del Obrero (Alayor). 1 May 1932; (33): 3; Consultorio médico. La Revista Blanca (Barcelona). 29 May 1936; (384): 447.

[64] Vallina, ibid., p. 170.

[65] Guerra al alcohol. Revolución Social (Madrid). 15 Mar 1937; (1): 2.

[66] García Oliver, Juan. El eco de los pasos. El anarcosindicalismo en la calle, en el comité de milicias, en el gobierno, en el exilio. Barcelona: Ruedo Ibérico; 1978, p. 552.

[67] Gallego, Gregorio. Madrid corazón que se desangra. Madrid: G. del Toro; 1976: 32

[68] Puente, Higiene individual o privada, ibid., p.37 – 38

[69] El vicio. El Porvenir del Obrero (Alayor). 1 May 1932; (33): 3; La juventud y el tabaco. El Frente. 13 Jun 1938; (120): 6; Una página inédita de Francisco Ascaso. Acracia (Lérida). 13 Feb 1937; (174): 4; Guerra al alcohol. Revolución Social (Madrid). 15 Mar 1937; (1): 2; Consultorio general. La Revista Blanca (Barcelona). 13 Jul 1934; (286): 557.

[70] Labrador Be, Julia María. Muerte no accidental de un anarquista español: el periodista y escritor Benigno Bejarano muere en un campo de exterminio. Arbor. 2009; 739: 1064.

[71] Ascaso, Joaquín. Memorias (1936-1938): hacia un nuevo Aragón. Huesca: Instituto de Estudios Altoaragoneses; 2006: 129.

[72] Navarro, A la Revolución por la cultura, ibid.,  p. 355; Navarro, Francisco Javier. El perfil moral del militante en el anarquismo español (1931-1939). Spagna Contemporánea. 2004; (25): 61.

[73] Hervàs, Carles. Sanitat a Catalunya durant la República i la Guerra Civil. Universidad Pompeu Fabra de Barcelona; 2004: 45-224; García Ferrandis, Xavier. Anarcosindicalismo y sanidad en la retaguardia y en el frente. Los casos de Valencia y de la Columna de Hierro durante la Guerra Civil Española, Asclepio, 2014; 66 (2): 2-12.

[74] Acuerdos recaídos en el Congreso Extraordinario de la Regional sobre Estructuración de los Sindicatos de Industria de Cataluña, Butlletí C.N.T.-F.A.I. Igualada, 3 avril 1937

[75] La actuación de la CNT en Sanidad y Asistencia Social, II. Solidaridad Obrera. 11 Dic 1937; (1755): 2; Sanidad, asistencia social y eugenesia en la revolución social española. Estudios (Valencia). Ene 1937; (160): 34-39.

[76] Diari Oficial de la Generalitat de Catalunya (Barcelona). 4 Oct 1936; (278) / 25 Jun 1937; (176); Hervàs, Sanitat a Catalunya durant la República i la Guerra Civil, ibid., p. 121-123.

[77] Inauguración de la Clínica Germanor. Vía Libre (Badalona). 13 Feb 1937; (20): 4.[La “coopérative sanitaire Germanor” et sa pharmacie des travailleurs furent créées par la collectivisation de la clinique que le Dr Ramón Gassió i Bosch avait ouverte en 1935 au 80 de la rue Francesc Layret NdT]

[78] Una altra conquesta de la revolució. Butlletí CNT-FAI (Igualada). 15 May 1937; (20): 2.

[79] Salvemos la semilla. Vía Libre (Badalona). 22 May 1937; (34): 4.

[80] La obra de sanidad de la C.N.T. el hospital del pueblo. Solidaridad Obrera (Barcelona). 15 Ene 1938; (1785): 6.

[81] La CNT en Asistencia Social. Vía Libre (Badalona). 3 Jul 1937; (40): 5.

[82] Sánchez-Costa, Fernando. Memoria pública y recreación nacional. Políticas de memoria y prácticas culturales en la Barcelona republicana (1931-1936). Hispania. 2015; 75(249): 222, 223; Hervàs, Sanitat a Catalunya durant la República i la Guerra Civil, ibid., p. 110, 111.

[83] Diari Oficial de la Generalitat de Catalunya (Barcelona). 6 Oct 1936; (280).)

[84] Boletín del Sindicato de la IFT de Badalona (Badalona). 1 Feb 1937; (2): 5.

[85] Visita de inspección. Acracia (Lérida). 7 Nov 1936; (88): 2.

[86] La actuación de la C.NT en Sanidad y Asistencia Social. Solidaridad Obrera (Barcelona). 15 Dic 1937; (1758): 2

[87] García Ferrandis, Xavier. Aspectos epidemiológico-asistenciales de la tuberculosis durante la Guerra Civil española y la posguerra inmediata (1936-1941).Llul. 2013; 36 (77)


Article tiré de la brochure : Les anarchosyndicalistes et la santé pendant la révoluiont espagnole, Tome II : La mise en place d’une santé publique anarchiste

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