Les deux mamelles de la Confédération Paysanne : néo-gauchisme et réformisme

Première publication : 18 Juin 2000

Placés sous le feu de l’actualité,la Confédération Paysanne et l’un de ses responsables José Bové ont occupé la une des journaux pendant presque une semaine ; les déclarations navrantes de ce dernier à sa sortie de prison (appel à la constitution d’un front unique contre la mondialisation au-delà de tous les clivages politiques, appel à rencontrer Jospin et Chirac [1], présence à la fête des Stals du père Hue-bu [2], …) devraient suffire à refroidir les sympathies que ce mouvement avait fait naitre chez certains de nos compagnons.

Bien sûr, il ne faut jamais confondre un mouvement et son leader maximo ; cependant pour couper court aux diagnostics genre « médiatite aiguë ayant entraînée une bouffée de mégalomanie suite à d’intense pressions récupératrices« , nous prétendons que ce mouvement n’a jamais été autre chose que ce qu’il paraît être aujourd’hui : fortement désireux d’être reconnu par les pouvoirs publics, fortement désireux de sortir de l’ombre que lui fait la FNSEA (on est en plein remake de la CFDT contre la CGT des années 1970).

Eleveurs depuis une vingtaine d’années dans le Lot, nous avons lu leur presse (le mensuel « Campagnes solidaires« ), fréquenté leurs militants. Nous n’avons plus aucune illusion sur leur radicalité et nous nous proposons de tenter de dissiper les derniers doutes …

1) LES ORIGINES DU MOUVEMENT, LE PERE FONDATEUR, LES TENDANCES

L’origine de la Confédération Paysanne est dans le mouvement Travailleurs Paysans des années 60-70, et dont le leader s’appelait Bernard Lambert. Lui même ancien de la JAC (Jeunesse Agricole Catholique), ancien député du MRP (le Parti de De Gaulle après guerre [3]), il deviendra membre du bureau national du PSU (Parti Socialiste Unifié) dans les années 70. La Confédération Paysanne est issue de ce mouvement et regroupe en son sein, comme le PSU il y a trente ans, des gens d’horizons très divers : des espèces de chrétiens de gauche (Mouvement de la jeunesse rurale et catholique – eau bénite à tous les étages – des pages de Campagnes Solidaires leur sont consacrées de temps en temps), des proches du Parti Socialiste, des proches des Verts, des sympathisants trotskistes et, comme partout peut être, des gens sincères qu’on abuse, et aussi des gens qui auraient été, il y a très longtemps, des « libertaires », voir des situ (situationnistes), mais qui ont bien changé.

2) ACTION FAUSSEMENT DIRECTES MAIS REELLEMENT MEDIATIQUES

Intelligemment utilisés, les anciens du Larzac 1973 ou de Mai 68-Nanterre vont assurer le côté faussement « action directe », auréolés de leur prestige d’anciens radicaux.

Quelques exemples :
-  A Toulouse, aux grands moments de l’épisode « vache folle » [dans les années 1990], des militants de la Confédération Paysanne investissent les locaux des Douanes. (objectif : recherche d’une disquette sur les farines animales). FR3 était là, SUD aussi.
-  Lors de très nombreuses opérations de déchargement sauvage de camions transportant de la viande ovine néerlandaise, présence de la presse et de flicaille relativement bienveillante.
-  Démontage du Mac Do de Millau en présence de la Dépêche [et après négociation avec les RG et la gendarmerie cf. [3]].

A ma connaissance, pratiquement toutes les actions d’éclat de la Confédération Paysanne ont toujours été médiatisées. En cela, la CP reste dans la tradition du mouvement paysan qui ne peut exercer en pratique le droit de grève et qui doit donc trouver d’autres moyens d’actions, souvent à la limite de la légalité. Ces actions illégales sont simplement menées avec plus d’intelligence et de discernement, les cibles plus judicieusement choisies qu’à la FNSEA. L’action musclée vient simplement appuyer une même stratégie réformiste.

3) LA SEDUCTION

La séduction qu’exerce la CP sur nombre de compagnons s’explique en partie par la méconnaissance qu’ils ont de l’autre face de ce syndicat : « Robin des bois casse tout » mais, dans le même temps, il s’apprête à négocier à la table des grands (négociation de Seattle) ; mais dans le même temps, il est aussi prêt à jouer les intérêts français contre les capitalistes américains (pour es léninistes, ça s’appelle « jouer des contradictions internes au capitalisme« ).

4) LA CP VEUT DES SIEGES

Aux dernières élections professionnelles de 1995, la CP obtient 19% des voix au plan national. Elle s’efforce de siéger dans toutes les commissions possibles et imaginables pour, bien sûr, y défendre la cause sacrée des petits et de l’agriculture propre.

En Loire Atlantique (fief historique des Travailleurs Paysans), la Confédération Paysanne sort victorieuse des élections de 1995 (seul départment où elle soit majoritaire). Elle s’empresse de tendre la main au syndicat FNSEA, pourtant honnie et villipendé, pour un cogestion de la chambre d’agriculture. Toujours le souci du vaste consensus sans doute ?

Pour l’horizon 2001, les grandes manoeuvres éléctorales professionnnelles ont commencé, la CP a bien l’intention de se placer. Actuellement, elle dispose déjà de permanents, qualifiés d’animateurs (en fait des emplois-jeunes). Dans une petite ville comme Figeac (9 000 habitants) la CP dispose d’un local et d’une « animatrice » …

5) QUE BENE AMAT, BENE CASTIGAT

En bon français, cette phrase d’occitan veut dire : Qui aime bien châtie bien. La gauche plurielle aime bien la CP. Bien sûr, il faut que force reste à la loi. C’est pourquoi tonton Jospin à tapé sur les doigts du vilain petit Robin des bois José Bové. Mais pas trop quand même. Les industriels de Roquefort ont participé au règlement de la caution. Souvenons nous du motif numéro 1 du démontage du Mac Do de Millau : contre la taxation des produits français aux States.

La CP et ses gens sont persuadés que ce système est aménageable et réformable, que l’on peut utilement contrer le système de l’intérieur, que l’on peut apparaître impunément dans le ballet médiatique sans être immédiatement happé. Un certain nombre de leurs militants est impliqué dans la gestion communale : conseillers municipaux, maires adjoints, … Quand ils sortent de prison, des conseillers généraux socialistes viennent à leur rencontre avec des sandwiches qu’ils partagent avec les matons. Ils s’accommoderaient bien d’un monde où la marchandise et les légumes seraient propres, le commerce équitable.

Nous n’avons rien à attendre d’eux

Des paysannes et paysans anarchosyndicalistes

[1] Lionel Jospin était le Premier ministre socialiste en 2000, et Chirac était le Président de la République, de droite.

[2] Fête de l’Humanité, journal stalinien du Parti Communiste Français qui à l’époque était dirigé par Robert HUE, lequel a depuis rejoint Hollande puis Macron …

[3] Le Mouvement républicain populaire (MRP) est un parti politique français ayant existé de 1944 à 1967. Le MRP se présente comme un mouvement démocrate-chrétien et centriste, europhile et partisan d’une vision non-conservatrice et sociale du catholicisme politique.

[4] sur l’affaire du démontage du Mac Do de Millau, cf. Spectacle et roquefort : le démontage du Mac Do de Millau par la Confédération Paysanne et José Bové en 1999

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