Première publication dans le journal Anarchosyndicalisme numéro 127, janvier- février 2012
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Pendant plus de trois siècles l’Etat français s’est employé, sous des prétextes divers, à conquérir de nouveaux territoires sur tous les continents. Au début du XXe siècle, la France régnait sur un véritable empire. Aujourd’hui il ne reste de cet empire colonial que des souvenirs que certains, nostalgiques d’une prétendue grandeur, voudraient faire revivre. A les entendre évoquer le dévouement des colons, la noblesse des militaires, l’humanité des religieux, tous au service de « l’oeuvre civilisatrice de la France, pays des droits de l’homme », on pourrait croire que l’entreprise colonisatrice française fut une entreprise désintéressée, exclusivement à but humanitaire.
Soucieux de s’attirer les bonnes grâces de ce public, le gouvernement a, le 23 février 2005, publié une loi qui exprime la reconnaissance de la nation « aux hommes et aux femmes qui ont participé à l’oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements d’Algérie… ».
Pourtant, malgré ce que cette loi unilatérale voudrait nous faire croire, la colonisation ne s’est pas faite dans un but philanthropique. Cécil Rhodes, véritable prophète anglais du colonialisme (1), affirmait crûment: «Nous devons trouver de nouvelles terres où nous procurer facilement des matières premières et exploiter en même temps la main-d’oeuvre servile à bon marché fournie par les indigènes ». En résumé, l’entreprise coloniale n’a eu pour objectifs que la conquête de nouveaux territoires afin d’exploiter leurs richesse naturelles, dominer les populations au besoin par la force, créer de nouveaux débouchés pour les industries du pays colonisateur et résoudre partiellement la question sociale (les territoires conquis devenant des lieux de bannissement pour les exclus, révoltés…).
En niant ces faits historiques, en affirmant uniquement les « aspects positifs » de la colonisation, les promoteurs de cette loi se comportent comme les défenseurs du colonialisme au XIXe siècle.
Ainsi, lors des débats à la Chambre des députés les 28 et 30 juillet 1885, le ministre Jules Ferry déclara: « Il y a un second point, un second ordre d’idée que je dois aborder, c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question (…) Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures (murmures). Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles ; elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ».
Remarquons que, en prétendant donner à la colonisation de nobles objectifs, le père de l’instruction publique française, défenseur acharné du colonialisme, par ailleurs auteur de la formule « Les droits de l’Homme n’ont pas été écrits pour les nègres d’ Afrique Equatoriale », affichait ouvertement son racisme.
Parmi toutes les colonies françaises, l’Algérie fut certainement la plus importante, celle où vinrent s’installer le plus grand nombre de colons, celle qui bénéficia de la plus grande attention de la part du pouvoir. La conquête (de juillet 1830 à 1857) fut d’une sauvagerie extrême : exécutions sommaires, destructions de villages, tortures, enfumages. Le lieutenant-colonel de Montagnac écrit ainsi le 15 mars 1843 : « Toutes les populations qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être pris, saccagé sans distinction d’âge ni de sexe : l’herbe ne doit plus pousser ou l’armée française a mis le pied… »(2). Selon les historiens, presque 30 % de la population périt dans cette période des conséquences directes ou indirectes de la guerre. Par la suite, de nombreuses révoltes, aussi sauvagement réprimées, émaillèrent l’histoire de l’Algérie coloniale.
Les défenseurs du colonialisme mettent au compte de la colonisation, le développement des infrastructures: routes, ponts, ports, villes. Mais ils ne posent pas la question : au profit de qui ? Car en fait, deux populations vivaient en Algérie, d’un côté la population algérienne (90 % du total) dont le statut était strictement défini par le code raciste de l’indigène (un indigène n’était pas citoyen français et il lui était quasiment impossible de le devenir (3)), de l’autre la population des colons, d’origine européenne (après 1881, n’importe quel européen émigrant en Algérie acquérait automatiquement la citoyenneté française). La quasi-totalité des richesses, l’industrie, les mines, les banques, les commerces appartenaient aux colons qui constituaient moins de 10 % de la population. Dans l’agriculture, 3 % de la population possédait plus de 30 % des terres ; les meilleures.
Autre point mis en avant par les défenseurs du colonialisme : l’oeuvre éducatrice de la France. Laissons parler les chiffres. En 1956, cent ans après la fin de la guerre de colonisation; 85 % de la population algérienne était analphabète.
Au total, à peine 500 instituteurs d’origine algérienne furent formés en 130 ans de colonisation ! Dans son ouvrage « La nuit coloniale », Ferhat Abbas, ancien président du GPRA écrit : « Nous étions en 1 956, une vingtaine de pharmaciens, 75 médecins, 400 instituteurs, 3 ingénieurs ». Sur les 5 500 étudiants inscrits à l’université algérienne, on comptait environ 500 étudiants algériens (pour 8 millions d’habitants) et 5 000 étudiants européens (pour un peu plus d’un million d’habitants). En 1954, il y avait un étudiant pour 15 842 « indigènes » et un étudiant pour 227 européens. Soit plus qu’en métropole où le ratio était d’un étudiant pour 300 habitants. Ces chiffres parlent mieux que de longs discours et disent la vraie nature de la société coloniale.
Aujourd’hui, dans une véritable entreprise révisionniste, des politiciens habiles n’hésitent pas à falsifier la vérité historique pour flatter leurs électeurs, créer des haines parmi les exploités, les opposer les uns aux autres. Il est donc essentiel de dire ce que fut « l’oeuvre civilisatrice de la France dans les colonies ».
Anarchosyndicalisme numéro 127, janvier février 2012
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(1) Cecil John Rhodes (né le 5 juillet 1853 à Bishop’s Stortford au Royaume-Uni et mort le 26 mars 1902 à Muizenberg en Afrique du Sud) fut un homme d’affaires et un homme politique britannique. Fondateur de la British South Africa Company et de la compagnie diamantaire De Beers, il est premier ministre de la colonie du Cap en Afrique du Sud de 1890 à 18
Cecil John Rhodes était un fervent partisan de l’impérialisme britannique. Rhodes est resté dans l’imaginaire britannique et sud-africain comme l’archétype de l’homme d’affaires impitoyable, un impérialiste nationaliste déterminé et parfois cruel. Plusieurs territoires africains de l’empire britannique ou issus de celui-ci ont porté son nom, notamment la Rhodésie du Nord (actuelle Zambie) et la Rhodésie du Sud (devenue ensuite la Rhodésie indépendante, puis le Zimbabwe)
(2) cf. CIVILISATION (Lettre aux Français) (1951), de Mohamed Saïl https://cnt-ait.info/2019/03/16/civilisation-lettre-aux-francais-1951/
(3) Le Code de l’indigénat était dénoncé dans les années 1930 par la section algérienne de la CGTSR-AIT, section de l’AIT (Association Internationale des Travailleurs) de l’époque. Cf : « En Algérie conquise – Pendant que les Officiels commémorent… – La section algérienne de la CGT-SR » https://cnt-ait.info/2022/08/09/centenaire-algerie-cgtsr/
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