Publié le 1er juillet sur http://cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article1343
Permets-moi de t’appeler compagnon puisque bien que tu milites dans une organisation syndicale réformiste, tu affiches tes valeurs d’anarchiste. Malgré nos divergences, nous partageons donc la même détestation du système économique et politique actuel et la même volonté de construire un monde plus libre, plus solidaire, plus égalitaire et démocratique. Nos divergences, nous en discutons souvent, mais pour une fois, nous sommes d’accord, c’est cuit, c’est perdu, il va falloir travailler 2 ans de plus.
Tu te souviens, dès le début, on s’est disputé là-dessus. Toi, tu y croyais très fort. Pour la première fois depuis si longtemps, l’unité enfin de toutes les centrales syndicales, Ah cette unité, tu l’avais tellement désiré, des manifs vraiment gigantesques, dégageant une énergie formidable, un plaisir de ces multitudes qui se retrouvaient ensemble, animées par le sentiment de se battre pour une cause juste et noble.
Et, puis ce mardi, cette manif en sorte de chant du cygne, cette morosité, tous ces gens, dépités, rabâchant un sentiment de défaite et de gâchis. Mais, permets que je te pose une question : cette énergie fantastique présente dans les premiers moments de la lutte, qu’en ont fait les directions syndicales qui guidaient ce mouvement ? Nous, dès le début, on le disait, seule une grève générale massive permettra de faire reculer Macron. Il n’y a rien à négocier, cette réforme, on n’en veut pas et il faut faire peur à tous les grands possédants pour qu’ils comprennent la hauteur de notre colère. Dès l’annonce de la réforme, il fallait une réponse ouvrière à la hauteur de la provocation, il fallait refuser, et appeler au blocage total de l’économie.
Une autre voie a été choisie. Clairement, le souci premier des directions syndicales était que le mouvement social ne prenne pas trop d’ampleur, qu’il reste dans des limites acceptables par le système. La peur d’être débordé, la peur d’un mouvement comme en 1936 ou 68 devenus incontrôlable les animait et pour éviter l’explosion populaire, ils ont joué avec le temps, laissant s’écouler plusieurs semaines entre l’annonce gouvernementale et la première manifestation puis espaçant suffisamment les manifs de façon à ce que la colère retombe. En gérant ainsi le mouvement populaire contre la réforme des retraites, en le cadençant de manière à ce qu’il reste sous contrôle, en n’appelant pas à une grève totale, les directions des centrales syndicales représentatives ont une fois de plus montrées leur vraie nature, des institutions au service de l’ordre établi chargées de gérer le mouvement social, de faire en sorte que les mouvements de colère populaires restent dans des limites acceptables pour le capital.
Refuser de jouer ce rôle reviendrait pour elles à rompre le contrat tacite qui les lie à l’état, se priver en conséquence de multiples avantages et de la manne des subventions étatiques et patronales. Tout ça on le sait, c’est officiel et il faut être bien naïf pour nier ces évidences. Mais, alors, qu’est-ce qu’un anarchiste fait dans ces syndicats ? Tu vas me répondre que tu es là où sont les travailleurs, que tu participes ainsi à leur défense et que vos luttes contribuent à l’amélioration de leur condition matérielle. Ainsi, c’est vrai que vous veillez à ce que les patrons respectent les lois qui encadrent le travail salarié, et que lorsque ce n’est pas le cas, vous les traînez devant les prud’hommes, et parfois même, vous recourez à l’action directe pour faire valoir leurs revendications. Donc, vous faites appliquer la loi, c’est votre tâche principale et vous essayez de la faire évoluer en faveur des salariés, mais toutes vos actions s’inscrivent dans le cadre défini par l’état, aucune ne remet en cause le système.
Pire, elles le confortent, car tu le sais bien, ce système est si fondamentalement injuste, si inégalitaire, si mortifère qu’il génère sans arrêt des mouvements de colère, de révolte, voire plus et diabolique, l’État au service des patrons a instrumentalisé les organisations syndicales, ces outils que les travailleurs s’étaient donné pour leur émancipation pour faire en sorte que les révoltes ouvrières restent sous contrôle. L’état et les patrons dépensent beaucoup d’argent pour ça ; vos organisations reçoivent de multiples subventions et vos dirigeants syndicaux peuvent accéder à des postes prestigieux. Ainsi, à parité avec le patronat, vos organisations gèrent des multitudes d’organismes sociaux, Sécurité Sociale, caisses de retraites, organismes divers, etc
Vous considérez qu’il s’agit de conquêtes ouvrières, en fait ce n’est que le prix payé par le système pour avoir la paix sociale, pour pouvoir continuer à exploiter les salariés. Vous êtes devenu un élément essentiel du système, des profiteurs du système et donc il vous est impossible de le remettre en cause. Un exemple pour finir, tu es fier des prud’hommes ou siègent des représentants syndicaux, et tu dis qu’ils défendent les travailleurs. En fait, les prud’hommes ne font qu’appliquer la loi et la loi est faite par l’état, et si par extraordinaire un jugement prud’homal est trop favorable aux salariés, en appel une cour composée de juges professionnels aura tôt fait de remettre les pendules à l’heure. Ces tribunaux donc ne défendent pas les travailleurs, ils les jugent et le fait que vous remportiez des victoires juridiques ne changent rien à ce fait : les sommes récupérées ainsi ne sont rien en regard de ce que le système vole aux salariés. Ces sommes que vous présentez comme des victoires vous permettent de dissimuler aux yeux des travailleurs votre rôle réel, et sont le prix payé par les patrons pour que les salariés acceptent leur condition.
Ouvre les yeux enfin, ce cirque dure depuis des décennies et rien, strictement rien ne change : toutes les grandes avancées sociales ont été acquises à la suite de mouvements sociaux hors syndicats. Il y a des moments dans l’histoire où la colère ouvrière s’exprime sans frein, mais hélas, dès que la colère retombe, le système reprend patiemment, lentement, ce que la puissance du mouvement populaire l’a obligé à lâcher. Que des millions de travailleurs sincères se laissent abuser, soit, mais toi, anarchiste qui rêve de liberté, d’égalité, de solidarité, pourquoi participes-tu à cette escroquerie, pourquoi acceptes-tu de ne servir au final que de caution dans cette mascarade ?
Un anarchiste servir de caution morale aux exploiteurs, quelle déchéance ! Tu es anarchiste, tu es d’accord avec moi, seule une révolution sociale, seule une transformation radicale de cette société permettra de mettre fin à ce cirque, mais pour qu’une véritable révolution sociale ait lieu, il faut convaincre les gens qu’elle est possible et qu’elle est nécessaire, il faut lever leurs illusions, dénoncer leurs faux amis et rompre totalement avec eux. Alors ensemble, attelons-nous à cette tâche immense !
Ne reste pas seul, rejoins nous !
Un compagnon de la CNT-AIT
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Article tiré du journal de la CNT-AIT, « Anarchosyndicalisme ! », numéro 182.
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2 commentaires sur Cher compagnon (lettre ouverte aux anarchistes qui militent dans les syndicats institutionnels)