La légalisation de l’avortement pendant la Révolution espagnole
Première publication : 20 mai 2020
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Table des matières
Introduction
Histoire de l’avortement en Espagne: le décret de la Generalitat de Catalogne, 25 décembre 1936.
Texte du décret de la réforme de l’avortement approuvé en 1936 par la Generalitat de Catalogne.
Conquêtes de la Révolution : Légalisation de l’avortement
La réception du décret de légalisation de l’avortement dans la presse libertaire.
Sexologie populaire : l’oeuvre de vulgarisation scientifique des anarchistes espagnols.
Le mouvement eugéniste sans l’état : l’engagement des anarchistes catalans avec l’eugénisme.
Autre textes lié au thème de la lutte pionnière pour la contraception :
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INTRODUCTION
Tout a été écrit – ou presque – sur la Révolution Espagnole, réponse populaire contre le coup d’état militaro-fasciste de Franco le 19 juillet 1936. Ce bref épisode de l’Histoire de l’Humanité a atteint dans les petits cercles militants le statut de légende, dorée ou noire selon que l’on se place du côté anarchiste ou pas. Parmi les faits constitutifs de cette légende, la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, la première en Europe[1], la plus libérale qui ait jamais existé.
Mais que sait-on réellement de la façon dont ce progrès social a pu être mis en place ? Quel a été le rôle de la « ministre anarchiste » Federica Montseny ? L’IVG était-il limité à la Catalogne ou a-t-il été étendu à toute l’Espagne ? Comment a réagi le corps médical ? Cette mesure s’inscrivait elle dans une politique plus large en matière de sexualité et de maitrise de leur reproduction par les femmes ?
Pour essayer de répondre à ces questions, nous avons traduit en français (pour la première fois à notre connaissance) le texte du fameux décret du 25 décembre 1936 de la Généralité de Catalogne. Nous lui avons adjoint des textes basés sur des textes militants ou des traductions inédites d’articles d’historiens ou pour éclairer la question.
Il apparait que si l’avortement fut bien légalisé en Catalogne, à l’initiative du Dr Félix Martí Ibáñez, âme de la politique sanitaire de la CNT-AIT qui fut portée par Federica Montseny, cette dernière ne pût l’étendre à toute l’Espagne. Elle fut
empêchée par l’opposition du Parti Socialiste, qui n’y était pas favorable et qui ne voulait pas s’affronter à la bourgeoisie républicaine. D’ailleurs le gouvernement de Front populaire annula le décret dès que les anarchistes eurent quitté le gouvernement catalan après les évènements de Mai 1937. L’opposition à la mise en œuvre de l’avortement en Catalogne vint aussi souvent des médecins, qui essayèrent de l’entraver pendant le court laps de temps où il fut autorisé.
Une fois la part de légende séparée de la réalité historique, il n’en demeure pas moins que la mise en place de la légalisation de l’avortement en Catalogne est remarquable par le moment où elle se déroule : promouvoir le contrôle des naissances en plein conflit, c’était prendre le contrepied des politiques natalistes qui accompagnent habituellement les périodes de guerre. Cela indique que les anarchistes donnaient la priorité à l’œuvre créatrice de la Révolution face à l’œuvre destructrice de la Guerre, ou du moins qu’ils n’entendaient pas abdiquer leur idéal révolutionnaire devant les impératifs guerriers, et qu’ils entendaient bien qu’une partie des moyens médicaux soient orientées vers les besoins civils et en premier les femmes, alors que les autres membres du Front Populaire (communistes, socialistes et républicains) exigeaient que l’intégralité des ressources médicales et sanitaires soient consacrées exclusivement à la médecine de guerre.[2]
Malgré les circonstances, les anarchistes conservaient leur capacité de se projeter dans l’après-guerre et mettaient en place – sans attendre une hypothétique « période de transition » – les mesures révolutionnaires nécessaires pour la transformation radicale de la société, y compris dans ses aspects culturels les plus profonds.
Néanmoins, le programme anarchiste en matière de sexualité et reproduction n’était pas apparu par génération spontanée le 19 juillet 1936. La légalisation de l’avortement en Catalogne, n’était que l’aboutissement d’une action de propagande idéologique menée inlassablement depuis 30 ans, non sans discussions ni mêmes polémiques. En effet, le mot « prolétaire » signifie étymologiquement « les pauvres qui n’ont d’autre richesse que leurs enfants ». Ainsi, la question de la sexualité et de la reproduction – tant dans ses aspects quantitatifs que qualitatifs – est centrale pour toute organisation qui se veut prolétarienne comme le fut la CNT-AIT, l’organisation anarchosyndicaliste espagnole. Ainsi, de 1923 à 1937, l’âge d’or de l’anarchisme en Espagne, la maternité volontaire et consciente est l’un des objectifs fondamentaux des anarchistes pour accéder à une nouvelle morale sexuelle, où les femmes peuvent décider de leur propre corps et de leur procréation. Pour cela, le contenu de la première étape du néo-malthusianisme a été repris et exprimé comme l’idéal social des revues militantes de vulgarisations scientifiques et médicales comme Generación Consciente et Estudios. Ce mouvement culturel englobait les postulats éthiques démographiques du néo-malthusianisme comme moyen d’éviter les grossesses non désirées en y ajoutant ses objectifs supérieurs, les aspects
économico-sociaux (et même environnementaux) et ses objectifs pacifistes, en plus de la maternité choisie et de la libération intégrale des femmes.
Si la propagande des anarchosyndicalistes espagnols pour le contrôle des naissances et pour l’avortement est bien connue, celle en faveur de la vasectomie l’est moins. Or le lien entre néo-malthusianisme anarchiste et féminisme apparaît aussi dans le fait que les anarchistes espagnols ont fait connaître au grand public un moyen contraceptif comme la vasectomie chez l’homme, alors qu’ils déconseillaient la ligature des trompes chez la femme, intervention risquée pour sa santé. Pour les anarchosyndicalistes, la responsabilité de la contraception ne reposait par que sur les épaules des femmes ; mettant leurs idées en pratique, dans les années 1920-1930, la vasectomie se répand à travers les réseaux anarchistes (et notamment ceux de l’AIT). La vasectomie illustre bien comment le néo-malthusianisme en
Espagne a atteint les classes populaires en raison de leurs propres demandes et besoins, sans le soutien de la classe médicale en général. Cette pratique clandestine à l’initiative de médecins engagés et de militants néo-malthusiens, peut être observée comme une expérience d’insubordination face à la tentative d’un contrôle médical sur le corps.
Cette question du contrôle de notre corps et de notre reproduction, est toujours d’actualité. Les expériences historiques passées exposées ici peuvent nous aider à éclairer notre présent, et notamment nous amener à réfléchir sur les moyens de résistance aux projets du transhumanisme, ce courant de pensée porté notamment par les PDG à la tête des grandes sociétés du numérique, qui tend à un projet ugéniste négatif ne disant pas son nom, et qui cherche à déposséder l’individu du contrôle de son propre corps au profit de prothèses technologiques.
Bonne lecture !
[1] L’URSS l’avait formellement dépénalisé (mais pas autorisé) en 1920, en le conditionnant à de nombreuses restriction. Il fut interdit par un décret du 27 juillet 1936.
[2] Ainsi cette déclaration d’un médecin de la CNT-AIT de Valence (Emilio Navarro Beltrán ?) parue dans un rapport pour le Congrès National de la santé de la CNT-AIT sur l’état des services de santé : «Les meilleurs [médecins] d’un point de vue social, [les communistes] les ont utilisés pour la guerre et les ont volé à la révolution » ; in « La responsabilité de la classe médicale à l’heure actuelle ». [1937]. D.6.1 c.1. Archives de la Province de Valencia.
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Ce volume fait partie d’une série de brochures sur le thème de la santé pendant la Révolution espagnole (1936-1938).
les autres volumes sont les suivants :
Chaque brochure peut être commandée au format papier (séparément 8 Euros chaque frais de port compris, ou bien 20 euros pour les quatre), chèques à l’ordre de CNT-AIT (mention brochure Santé au dos) à adresser à CNT-AIT, 7 rue St Rémésy 31000 Toulouse
I. Un exemple de réponse anarchosyndicaliste à une crise sanitaire et politique soudaine et inédite
- INTRODUCTION : la Santé par la Révolution, la Révolution par la Santé
- Quelques précurseurs : critiques anarchistes de la médecine
- Bref Panorama historique de la santé anarchiste en Espagne
- Sur le rôle des techniciens en période révolutionnaire
- Anarchosyndicalisme et santé à l’arrière et au front : le cas de Valence et de la Colonne de fer dans la guerre civile espagnole ((1936-1937)
- « Santé, performance et activité » ! L’Organisation Sanitaire Ouvrière, la CNT-AIT et la collectivisation des services médico-sanitaire au déclenchement de la révolution à Barcelone
- L’hôpital de campagne de la CNT-AIT de Villajoyosa (Alicante)
- « À l’hôpital …»
II. La mise en place d’une santé publique anarchiste :
- La Santé et l’Assistance Sociale pendant la Guerre Civile par Federica MONTSENY ;
- Psychologie et Anarchisme dans la Guerre Civile espagnole : l’œuvre de Félix Martí Ibáñez
III. La légalisation de l’avortement pendant la Révolution espagnole
- Histoire de l’avortement en Espagne: le décret de la Generalitat de Catalogne, 25 décembre 1936.
- Y a-t-il eu des avortements légaux en Espagne pendant la Révolution ? Les entraves des médecins à la mise en place du Décret de 1936.
- Décret de la réforme de l’avortement approuvé en 1936 par la Generalitat de Catalogne.
- Sexologie populaire : l’oeuvre de vulgarisation scientifique des anarchistes espagnols.
- Le mouvement eugéniste sans l’état : l’engagement des anarchistes catalans avec l’eugénisme.
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