DIS MOI QUI SONT TES AMIS ET JE TE DIRAI QUI TU ES … 1978 : quand les fondateurs de la CGT espagnole courraient au consulat américain à Barcelone pour leur faire allégeance

Il existe actuellement plusieurs organisations avec le nom CNT en France : la CNT-AIT (qui publie ce site internet http://blog.cnt-ait.info), la CNT Vignole (du nom de l’adresse de son local parisien au 33 rue des Vignoles) qui a scissionné de la CNT-AIT en 1993 et la CNT-SO qui a elle-même scissionné des Vignoles en 2012. On nous demande parfois quelle est la différence entre les 3 CNT. Ci-dessous un exemple de ce qui nous différencie en tant qu’organisation. Bien sûr, en tant que militants, nous souhaitons que tous les anarchosyndicalistes sincères se retrouvent et se réunissent, dans la clareté et sans compromission avec nos idées et nos pratiques.

La scission de la CNT en France en 1993 a été précédé par une scission de la CNT en Espagne, qui s’est faite sur les mêmes motifs : une organisation révolutionnaire peut elle, oui ou non, participer aux élections professionnelles (DP, CHS, …). Pour la CNT-AIT, anarcosyndicaliste, la réponse est clairement non. Alors que c’est tout à fait acceptable pour les « syndicalistes révolutionnaires » de la CNT- Vignoles (qui s’est ensuite elle même divisée avec la CNT-SO, mais pas sur cette question des élections pour laquelle ils sont tous d’accord).

Dans le processus de scission de la CNT française, les Vignoles ont donné comme modèle et exemple à suivre la CGT espagnole, elle même scission de la CNT-AIT en Espagne.

Les documents de la CIA révélés par Wikileaks éclairent d’un jour nouveau le processus qui a amené à cette scission pro-élection de la CGT espagnole … Il sravère d’après ces documents, qui sont des compte rendus de l’Ambassade des Etats Unis en Espagne, que les dirigeants de la fraction réformiste de la CNT espagnole, qui ensuite créeront la CGT espagnole, se sont rendus à plusieurs reprises – de leur propre initiative – à l’Ambassade des USA, pour leur faire passer des messages et – en retour – espérer un soutient du Gouvernement Américain… Gouvernement qui répondra positivement en invitant ces futurs dirigeants de la CGT-e à venir suivre des formations dans le cadre d’un séminaire « syndicaliste » aux USA … formation qui sera annulée par le secteur révolutionnaire de la CNT-AIT qui avait bien flairé la manipulation.

Parmi les messages transmis par les réformistes futurs dirigeants de la CGT-e – dont le fameux menteur professionnel Enrique MARCOS, faux déportés, vrai flic infiltré – celui ci : ils ne sont pas des anarchistes politiques mais des anarchistes « travaillistes » ; ils sont contre les violences des travailleurs ; ils souhaitent un gouvernement fiable et démocratique et agit dans le cadre des lois et surtout il faut les appuyer à participer aux élections syndicales en maintenant leur statut légal, car les élections sont le point de rupture d’avec les mauvaises habitudes révolutionnaires et violentes héritées du passé …

Nous présentions que le spectaculaire développement de la CGT en Espagne n’était pas complètement l’oeuvre du Saint Esprit ni de Saint Angel Pestaña et son « Concile » des Trentes … Mais maintenant Wikileaks, qui n’est qu’une partie émergée de l’iceberg des correspondances secrètes des services américains nous en apporte la certitude …

Le vieux dicton populaire affirme « dit moi qui sont tes amis, je te dirai qui tu es ». Et aussi « qui se ressemble s’assemble » …

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En 1978, la fraction réformiste de la CNT espagnole qui a créé plus tard la CGT espagnole, dirigée par Enric Marcos (premier secrétaire général de la CGT-e), était en visite à l’ambassade des États-Unis à Madrid pour expliquer que la « CNT » (plus tard la CGT) soutenait la démocratie et constituait une bonne alternative. au « communisme » pour les travailleurs et éviter tout développement comme en Italie …

En outre, ils expliquent clairement pourquoi ils devraient être autorisés à participer à des élections professionnelles et pourquoi cette participation est importante en tant que preuve évidente que la « CNT » a abandonné la voie révolutionnaire…

3. LA RAISON DU MESSAGE D’OSET, DONT NOUS PENSONS QU’IL A ÉTÉ AUTORISÉ PAR LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CNT [Enrique MARCOS], EST PEUT ÊTRE DU A UN SENTIMENT CROISSANT D’INSÉCURITÉ DE LA PART DE LA CNT – QUI N’EST PLUS QUE OMBRE DE SA CAPACITE D’AVANT LA GUERRE CIVILE, DU FAIT QUE SON BOYCOTT DES ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES ÉTAIT SELON L’OPINION DE LA PLUPART DES OBSERVATEURS UNE ERREUR.

(SOURCE Wikileaks : https://www.wikileaks.org/plusd/cables/1978BARCEL00384_d.html )

Aujourd’hui les Vignoles et la SO (toutes deux scission de la CNT-AIT sur le motif des élections professionnelles : la CNT-AIT est contre, les autres CNT sont pour) maintiennent des liens organiques avec la CGT espagnole.

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MONDE DU TRAVAIL: LA CNT APPUIE LA DÉMOCRATIE

1978 le 23 mai, 00h00 (mardi)

1978BARCEL00384_d

1. UN MEMBRE DE LA CNT (CONFÉDÉRATION NATIONALE DU TRAVAIL) LOCAL, AGUSTIN OSET NACHES, A VISITÉ RÉCEMMENT LE CONSULAT POUR DISCUTER DE PLUSIEURS QUESTIONS. Il a déclaré qu’il avait été autorisé à le faire par Enrique Marcos, Secrétaire général de la CNT. [Note de CNT-AIT: Enrique Marcos a été le tout premier secrétaire général de la CGT Espagne après la scission qu’ils ont initiée à CNT]

2. OSET a déclaré qu’il était essentiel pour la CNT de rester un syndicat légal, BIEN QUE LES MEMBRES DE LA CNT AIENT ÉTÉ ACCUSÉS DE l’INCENDIE DE LA SCALA (UN CLUB DE NUIT POPULAIRE DE BARCELONE) ET D’ÊTRE RESPONSABLES DE LA PLUPART DES VIOLENCES DANS LES CONFLITS SALARIAUX, LE CNT ETAIT ENGAGÉ POUR UNE ORGANISATION PACIFIQUE DE LA FORCE DE TRAVAIL.

Bien qu’ils soient anarchistes, [nos interlocuteurs] sont des anarchistes «travaillistes », non politiques, et ils ont besoin d’un gouvernement viable et démocratique pour pouvoir prospérer.

LA CNT ETAIT CONCERNEE COMME TOUT LE MONDE DE LA SITUATION ITALIENNE ET NE VOULAIT PAS QUE L’ESPAGNE SUIVE LE MEME PARCOURS. [NdT : fait référence à l’autonomie italienne et aussi aux brigades rouges]

Aussi longtemps qu’elle restera légale, la CNT pourrait offrir une alternative non communiste aux travailleurs de gauche, quelque chose manquant en Italie et une cause majeure de ses problèmes, selon OSET. CE MESSAGE – L’IMPORTANCE QUE LA CNT RESTE UN SYNDICAT LEGAL DANS UN PAYS DÉMOCRATIQUE – EST CELUI DONT OSET ET MARCOS VEULENT S’ASSURER QU’IL A ETE COMPRIS PAR LE GOUVERNEMENT AMERICAIN (USG).

3. LA RAISON DU MESSAGE D’OSET, DONT ON PENSE QU’IL A ÉTÉ AUTORISÉ PAR LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CNT [Enrique MARCOS], EST PEUT ÊTRE DU A UN SENTIMENT CROISSANT D’INSÉCURITÉ DE LA PART DE LA CNT – QUI N’EST PLUS QUE OMBRE DE SA CAPACITE D’AVANT LA GUERRE CIVILE, DU FAIT QUE SON BOYCOTT DES ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES ÉTAIT SELON L’OPINION DE LA PLUPART DES OBSERVATEURS UNE ERREUR.

LA CONNEXION DE CERTAINS DE SES MEMBRES AVEC LES RÉCENTES VIOLENCES A ÉGALEMENT ENTRAINE UNE PUBLICITÉ NÉGATIVE. Pour la contrer, des affiches de la CNT sont apparues accusant des « agents gouvernementaux » des actes de violence tels que La Scala. LA CNT A ANNONCÉ qu’elle ne participerait pas avec les autres syndicats à la manifestation qu’ils organiseront pour le Premier Mai, de sorte qu’ils ne soient pas blâmés pour une quelconque violence. LEURS MANIFESTATIONS SÉPARÉES À BARCELONE SE SONT DEROULEES SANS INCIDENT. CETTE VISITE [AU CONSULAT] PEUT, PEUT PAR CONSEQUENT, [ETRE CONSIDEREE COMME] UNE TENTATIVE DE LA CNT DE RECONSTRUIRE SON IMAGES [AUPRES DES AUTORITES US].

SINN

CONFIDENTIEL

NNN

Sheryl P. Walter Déclassifié/Publié Département d’État américain Examen systématique des décrets exécutifs 20 mars 2014


Le précédent français … Quand la CIA finançait FO …

La C.I.A., les syndicats et la presse en France

Par CLAUDE JULIEN Publié par Le Monde, le 12 mai 1967

Les déclarations de M. Thomas W. Braden, ancien collaborateur de M. Allen Dulles à la tête de la C.I.A., fournissent quelques précisions sur la naissance de syndicats non communistes en Europe occidentale, et en particulier de Force ouvrière en France (voir le Monde du 9 mai). L’opération, affirme-t-il, a été menée à bien par M. Jay Lovestone, ancien dirigeant du P.C. américain dans les années 30, directeur de la section internationale de l’American Federation of Labor, et par M. Irwing Brown, qui représentait l’A.F.L. puis l’A.F.L.-C.I.O. en Europe.

Pour aider à la scission de la C.G.T. provoquée par la vague de grève et à la naissance de Force ouvrière, en décembre 1947, les premiers fonds furent fournis par M. David Dubinsky, président du syndicat des ouvriers de la confection féminine (International Ladies Garment Union), puis, indique M. Braden, par la C.I.A. elle-même. Une opération analogue fut par la suite effectuée en, Italie et en d’autres pays. Le budget engagé à cet effet atteignait près d’un million de dollars par an.

En mai 1946, Léon Blum, alors en mission aux Etats-Unis, avait déclaré à Jean Davidson, correspondant de l’agence France-Presse à Washington :  » De nombreux diplomates américains avec lesquels j’ai parlé sont certains que le socialisme peut devenir le meilleur rempart contre le communisme en Europe.  » (1). A la même époque, le département d’Etat démentait l’affirmation d’un éditorialiste américain selon lequel M. Fred Vinson, secrétaire au Trésor, ami personnel du président Truman, avait demandé à Léon Blum que les socialistes s’unissent aux autres partis pour chasser du gouvernement les communistes.

A l’automne 1947, Léon Jouhaux se rendait à son tour aux Etats-Unis, plus précisément aux Nations unies ; il en profitait pour engager diverses conversations avec les dirigeants syndicalistes américains, à New-York et à Washington. Jean Davidson rapporte le dialogue suivant, qui se déroula au cours d’un dîner dans la capitale américaine :

 » Les Américains voudraient bien opérer une scission dans la C.G.T., séparer les éléments non communistes des communistes. Qu’en pensez-vous, M. Jouhaux ?

– Mais vous savez bien, mes amis, que nul plus que moi n’a lutté avec toute son énergie pour la création en France d’une confédération unique des travailleurs, la C.G.T. (…). Tant que je serai vivant, la C.G.T. ne pourra pas être scindée. Ce serait une catastrophe pour le monde du travail français et je m’y opposerai de toutes mes forces. « 

Quelques mois après, Léon Jouhaux provoquait la scission en prenant la tête de Force ouvrière. Six ans plus tard, M. George Meany, président de l’American Federation of Labor, est l’hôte d’honneur du Press Club de Washington. Il déclare :

 » Je suis fier de vous dire, parce que nous pouvons nous permettre de le révéler maintenant, que c’est avec l’argent des ouvriers américains, de l’argent des ouvriers de Detroit et d’ailleurs, qu’il nous a été possible d’opérer la scission très importante pour nous tous dans la C.G.T. en créant le syndicat ami Force ouvrière. « 

2 540 millions en un an

Mais à ce moment-là, et depuis déjà plusieurs années, était-ce bien l’argent des ouvriers américains qui alimentait Force ouvrière ? Le New York Times (8 mai 1967) écrit :

 » Lorsque MM. Jay Lovestone et Irving Brown n’eurent plus d’argent, dit M. Braden, ils firent appel à la C.I.A. en citant des projets analogues qu’ils envisageaient pour l’Italie et d’autres pays d’Europe occidentale. Les premiers subsides à MM. Lovestone et Brown furent versés par les agences de renseignements à la fin des années 40, dit M. Braden. et il effectua personnellement quelques-uns de ces paiements quand il fut arrivé à la C.I.A., en 1950. « 

Parlant en son nom personnel, au nom de M. Irving Brown et au nom de l’A.F.L.-C.I.O., M. Jay Lovestone a déclaré que l’histoire racontée par M. Braden était  » complètement fausse « , et il a ajouté :  » Je n’ai jamais reçu d’argent de la C.I.A.  » Rappelons néanmoins que, depuis de nombreuses années, M. Walter Reuther, président du syndicat de l’automobile, et son frère Victor accusent M. Jay Lovestone d’être un agent de la C.I.A. au sein de la centrale syndicale unifiée ; ils ont, quant à eux, reconnu que, voilà une quinzaine d’années, ils ont  » accédé, non sans répugnance, à la demande qui leur avait été faite de transmettre des fonds gouvernementaux destinés à combler les fonds insuffisants fournis par le mouvement syndical américain « .

Or le syndicat de l’automobile, que dirige M. Walter Reuther. n’a jamais manifesté l’anticommunisme virulent qui animait l’American Federation of Labor, d’où viennent MM. George Meany, Jay Lovestone et Irving Brown. Auraient-ils, dans ces conditions, refusé à la C.I.A. le service que les frères Reuther lui ont rendu  » non sans répugnance  » ? Le démenti catégorique de M. Jay Lovestone prend toute sa signification lorsqu’on sait que M. George Meany lui-même vient de reconnaître avoir versé 35 000 dollars à Force ouvrière.

Le problème est de savoir dans quelle mesure et dans quels cas l’argent de la C.I.A. s’est trouvé mêlé à l’argent  » des ouvriers de Detroit et d’ailleurs  » pour, par l’intermédiaire des syndicats américains, intervenir dans l’activité syndicale et politique en France.

Car l’intervention ne s’est pas limitée au syndicalisme.  » La visite de Léon Jouhaux à Washington devait être suivie, rappelle encore l’ancien correspondant de l’A.F.P. Jean Davidson, par celle de plusieurs directeurs de journaux français et européens (soi-disant socialistes éclairés) en quête d’un soutien financier du département d’Etat et, faute de cela, des organisations syndicales américaines. « 

L’affaire n’éclata que quelques années plus tard. C’est ainsi que M. René Naegelen écrivait dans le Populaire du 15 mai 1952 :

 » Nous avons été aidés par nos camarades du syndicat de la confection féminine de New-York, dont le président est notre ami Dubinsky… J’ajoute que nous sommes fiers de recevoir un concours qui provient de cotisations de modestes ouvrières et ouvriers et qui a été accordé plus particulièrement, nous le savons bien, en témoignage et de reconnaissance à Léon Blum. « 

On retrouve ainsi M. Dubinsky et l’International Ladies Garment Union, dont M. Braden affirme qu’ils reçurent d’importantes sommes de la C.I.A. lorsque leurs propres ressources ne suffirent plus à financer Force ouvrière et les autres syndicats « libres » en Europe. Les accusations portées par M. Braden recoupent celles qui suivirent les révélations sur le financement par la C.I.A. de la National Students Association, de diverses organisations internationales de jeunes et de syndicats. Dans une étude sur  » les finances des partis politiques « , M. Raymond Fusilier citait dans la Revue politique et parlementaire (novembre 1953) un article du New York Times du 13 décembre 1951, évaluant à 2 450 millions de francs le soutien financier apporté par les Etats-Unis à la presse française pour la seule année 1951.

Il est aujourd’hui clairement prouvé, comme l’a confirmé M. Walter Reuther, que cet argent ne provenait pas uniquement de syndicats ouvriers ou de fondations philanthropiques, et que ces diverses organisations acceptèrent de camoufler la véritable origine des fonds que la C.I.A. distribuait généreusement en Europe.


(1) Jean Davidson, Correspondant à Washington, Edit. du Seuil, 1954.

CLAUDE JULIEN