lundi 16 septembre 2002
Une violente explosion, provenant d’une usine, que l’on entendra dans un rayon de … vous avez l’impression d’avoir déjà lu cette information dans les pages précédentes ? Oui et non : ce n’était pas en 2002 mais en 1992, ce n’était pas à Toulouse mais près de Marseille, ce n ’était pas AZF mais la raffinerie de Provence (La Mède).
Mais c’était bien Total, et une histoire qui ressemble beaucoup à la nôtre.
Le 9 novembre 1992 donc, survient sur le site de la raffinerie de La Mède, une explosion que l’on entend à plus de 30 km. Un champignon de feu s’est subitement formé à l’endroit où se trouvait l’unité gaz-plan du « craqueur trois », détruisant bâtiments et véhicules. Il n’est rien resté. Dans plusieurs communes avoisinantes, le souffle a brisé des vitres, soufflé des toitures et fait s’effondrer des plafonds. Bilan : 6 morts et 8 blessés.
Dans cette raffinerie, les ouvriers craignaient une catastrophe. Trois jours avant l’explosion, l’une des victimes disait à son frère : « Un jour ça va tout péter« . A son épouse, il avait déclaré : « Un de cesjours, il vay avoir quelque chose, et ils prendront des mesures ». Face aux inquiétudes sur la piètre sécurité de l’installation, « on nous disait que si l’entreprise n’était pas rentable, on allait fermer« , rapporte Noël Barraco, pompiste aux huiles chaudes, découvert coincé sous une plaque de béton. Ses cordes vocales ont été brisées lors de l’explosion. Ce rescapé ne parle plus aujourd’hui que dans un filet de voix. La menace était claire : « va travailler dans ces conditions ou va pointer au chômage !«
La salle de contrôle, dans laquelle sont morts quatre ouvriers, était vétuste. Rouillée jusqu’à rompre. Des notes internes confirment que Total était bien au courant des risques depuis au moins septembre 1991.
L’accident aurait été provoqué par l’inflammation d’un nuage gazeux libéré par une brèche sur une canalisation de dérivation. Cette brèche s’est ouverte à la suite d’un « phénomène de corrosion par dépôt prévisible… quelque chose de remarquable et de repérable par les procédés classiques« , ont insisté les experts. Le tronçon défectueux de canalisation n’avait fait l’objet d’aucun contrôle depuis 12 ans. Cette canalisation avait même été retirée de la liste des points à contrôler. Dans le même temps les contrôles passaient de un tous les trois ans à un tous les cinq ans.
Un rapport interne d’octobre 1992 préconisait de colmater une fuite par « la pause d’un placard à souder« , autrement dit, un simple emplâtre ! Total a préféré attendre en reportant l’investissement, et tant pis pour les ouvriers piégés mortellement ou blessés dans cette usine [1]. En 1997, deux experts judiciaires pointaient les carences coupables de Total : « Les objectifs de production ont pris le pas sur toutes les autres considérations, au détriment de la sécurité en général » écrivent-ils. Ce choix délibéré est d’autant plus grave qu’il concernait une raffinerie classée « risque technologique majeur« .
Tous ces faits ne seront pas sans rappeler beaucoup de choses aux victimes toulousaines d’AZF !
Un procès « exemplaire »
Le procès de l’explosion de La Mède, qui, dix ans après, vient de s’achever ; devrait également leur ouvrir les yeux sur ce qui va se passer pour eux, faute d’une mobilisation suffisante et sans compromis. Lors du procès de La Mède, Total a tout fait pour éviter de payer la note, et, en tant que groupe, il s’en est très bien sorti. Les arguments majeurs de la défense patronale tenaient en deux points :
- Cette entreprise était sûre, et rien n’était à craindre : « La fiabilité de la raffinerie de Provence était la première en Europe » a déclaré Serge Tchuruck, (ancien président de la compagnie). Nous avons déjà entendu ce discours après l’explosion de Toulouse, dans la bouche de « syndicalistes » d’AZF : « Cette usine n’était pas si mal que ça. Si toutes les usines allaient aussi bien, ça serait pas si mal ». [2]
- De toutes façons, le patron n’était au courant de rien (il n’avait « manifestement pas connaissance de la situation au sein de la raffinerie » conclut le procureur de la république), le directeur de la DRIRE [3], non plus. Le même argument a été déjà été martelé ici.
Résultat des courses : le PDG a bénéficié d’un non-lieu, le directeur aussi. Des lampistes ont été condamnés. Quant aux victimes à indemniser ; vous commencez probablement à vous douter maintenant de ce qui leur est arrivé…
Patrick
(D’après « La Mède, un banal accident du travail », « Le Combat Syndicaliste de Méditerranée », N0181, BP 51142, 34008 Montpellier Cedex 1)
[1] Sa rénovation aurait représenté un investissement de 50 millions de francs. A titre de comparaison, le bénéfice de la branche raffinage de Total en 1991 était de 1,2 milliard de francs. Aujourd’hui, le groupe annonce 7,5 milliards d’euros de bénéfice ! Ouf ! Tout va bien, le passage à l’euro s’est bien passé, pour ce fleuron de l’économie.
[2] Voir « Le Combat Syndicaliste de Midi-Pyrénées », numéro 71, décembre 2001
[3] Direction régionale de l’industrie de la recherche et de l’environnement, administration chargée du contrôle des industries dangereuses.
Extrait de la Brochure :
Assassins ! Toulouse, 21 septembre 2001, un crime industriel
Cette brochure a été élaborée à partir d’articles rédigés par des militants, militantes et sympathisants de la cnt-ait, a propos de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse le 21 septembre 2001.
Ces articles sont initialement parus dans l’édition Midi-Pyrénées de notre journal « Le Combat Syndicaliste ».
Cette édition a été revue et augmentée.
Télécharger la brochure : https://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2024/11/057-assassins.pdf