Fédéralisme et réseau : pour une organisation anarchosyndicaliste fédérale du XXIème siècle

Compilation de texte pour éclairer la vision de l’organisation selon la CNT-AIT et notre vision de l’articulation entre fédéralisme et réseau

Table des matières :

  1. Fédéralisme et réseau
  2. Militer en réseau fédéral
  3. Fédéréseau

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1. Fédéralisme et réseau

Publication initiale : mercredi 15 janvier 2003

La coordination de ses activités est un problème fondamental pour tout groupe humain.

Au cours de l’histoire, différents modèles d’organisation ont émergé, mais, quelles qu’en soient les variantes, c’est un modèle hiérarchisé et centralisé qui domine actuellement la planète.

Ce modèle est en parfaite adéquation avec une société d’exploitation dans laquelle une poignée de dirigeants impose à la masse des plus faibles le maintien de ses privilèges en utilisant simultanément la violence physique (suivant les cas : guerres, famines, bavures policières, prisons, licenciements, camps, misère…) et la violence idéologique (médias, enseignement, « intellectuels » aux ordres, religions, publicité…). Du sommet de l’état à la cellule familiale en passant par les entreprises et les administrations, ce même modèle est tellement présent qu’il est inconsciemment intériorisé par les individus qui finissent par le trouver « naturel ». Cette pression est tellement forte que même ceux qui aspirent à changer la société peuvent le reproduire.

a) LE FEDERALISME

Même s’ils n’échappent pas toujours à cette critique, il faut reconnaître qu’un des efforts constants des anarchosyndicalistes et plus généralement des libertaires est de récuser ce modèle et de proposer des modes d’organisation qui permettent de conjuguer réflexion et action collective, progrès social et respect de chaque individu. Depuis plus d’un siècle, ils proposent le fédéralisme comme alternative, c’est-à-dire un système qui repose sur la libre fédération entre elles des entités qui composent une société.

Ce principe très général a déjà reçu des applications réellement intéressantes et sur une grande échelle à certaines périodes historiques -la Révolution espagnole pour n’en citer qu’une-, mais il mérite d’être approfondi, affiné, d’autant qu’il peut se décliner de façons très diverses. Une des questions qui se posent d’après nous aux anarchosyndicalistes d’aujourd’hui est d’assurer une meilleure application de ce principe dans leur propre façon de s’organiser.

En effet, les cadres organisationnels sur lesquels reposent habituellement leurs mouvements se sont figés voici plus de cent an et sont de ce simple fait en-dessous de ce qu’ils pourraient être par rapport à l’évolution des concepts et des besoins. Pour nous, il ne s’agit nullement de « rénover » l’anarcho-syndicalisme au sens que ce mot a pris dans le vocabulaire politique (dans lequel « rénover » veut surtout dire vider une théorie de sa substance pour ne garder qu’une partie de son décorum), mais au contraire de régénérer les notions de base avec la volonté de donner aux idées et aux pratiques anarcho-syndicalistes la plus grande expansion. Loin des concessions que certains sont périodiquement tentés de faire pour être « reconnus » par la société dominante, pour « peser » sur elle, il s’agit pour nous au contraire de développer les moyens d’organisation qui permettraient de porter d’avantage la révolution dans son coeur.

b) LE RESEAU

Un des concepts que l’anarcho-syndicalisme peut utiliser pour pratiquer le fédéralisme est celui du réseau. Nous allons essayer dans ces quelques lignes d’apporter des éclaircissements sur ce que nous entendons par ce mot.

i) Tout d’abord, qu’entendons-nous par organisation en réseau ?

L’objectif du fonctionnement en réseau pour une organisation anarcho-syndicaliste est de favoriser un mode d’organisation qui garantisse à chaque syndicat sa totale liberté d’expression et d’action tout en potentialisant la solidarité avec les autres.

La liberté d’action et d’expression (l’autonomie) de chaque syndicat, fonctionnant en assemblée générale de syndiqués, implique qu’aucune autre structure à quelque niveau que ce soit ne puisse avoir le moindre pouvoir de décision à la place du syndicat, même pour des tâches qui seraient qualifiées de « techniques ». Ce qui n’est pas incompatible, loin s’en faut, avec le débat, la concertation, l’échange d’information, le partage de moyens. La solidarité entre syndicats est une démarche volontaire et non une contrainte imposée par une majorité, quelle qu’elle soit. Elle résulte d’une proposition ou d’une demande d’aide d’un ou de plusieurs syndicats et de l’accord de tout syndicat jugeant cette proposition recevable.

Ainsi, une confédération anarcho-syndicaliste fonctionnant en réseau serait constituée d’un ensemble de syndicats se reconnaissant dans un certain nombre de principes généraux communs, issus de débats ouverts et permanents. Toute autre structure regroupant des syndicats, à tout niveau, serait alors une instance de concertation, d’information, mais jamais une instance de décision. La cohérence de la confédération serait le produit de deux facteurs et de rien d’autre : la cohérence des relations entre les syndicats d’une part et leurs actions sur le terrain d’autre part.

On le comprend aisément, ce type de fonctionnement génère une confédération dynamique. La réalité de la confédération est la résultante de l’action réelle et de l’inter-réaction des syndicats. Le réseau ne garantit pas contre toute prise de pouvoir, mais il limite fortement la prise de pouvoir car il n’existe alors aucun autre lieu de décision que le syndicat.

ii) Le réseau s’oppose-t-il au fédéralisme ?

Très souvent, les militants libertaires ont une image partielle et déformée du réseau. Celle-ci provient d’une part de la période des années 70/80 pendant laquelle des groupes dits « autonomes » ont mené des expériences souvent fort critiquables (positionnement politique obscur, dérive autoritaire…).

Même s’ils n’ont pas fait référence directement à ce concept, on parle parfois de ces groupes en termes de réseaux. Les critiques qu’on peut leur faire ne tiennent pas à leur pratique restreinte du réseau mais bien à leur manque d’analyse et d’objectifs politiques clairs. Si les objectifs d’une structure ne sont pas clairs, la structure ne le sera pas non plus, quel que soit le mode d’organisation qu’elle se choisit.

D’autre part, le mot « réseau » est souvent utilisé pour décrire des relations cachées, semi-clandestines, entre des personnes ou des groupes. Il est clair que ces rapports occultes introduisent des possibilités de manipulation dans toute une organisation. Des militants qui échangent périodiquement des informations, des idées (quelle que soit la forme utilisée : déplacements, « tournées des popotes », téléphone…) constituent un réseau. En soi, de tels échanges n’ont rien de choquant, et d’ailleurs, ils sont peut-être inévitables. Ce qui est très critiquable, c’est l’utilisation qui peut en être faite (travail de sape, construction artificielle d’un rapport de force interne…). Or, cette utilisation ne découle pas du réseau mais de son caractère caché. En officialisant le réseau, en le mettant « sur la table », en rendant accessible les informations qui y circulent à tout adhérent, on ne garde que l’aspect dynamique du réseau en neutralisant les aspects pervers évoqués ci-dessus.

Enfin, pour certains militants, le réseau évoque inévitablement … la pagaille. Or, un réseau, comme tout mode d’organisation, peut-être plus ou moins fortement structuré. Par exemple, rien ne s’oppose à ce que, dans un réseau, des protocoles fixent par consensus les modalités de circulation de l’information.

De fait, contrairement aux idées reçues, le réseau non seulement ne s’oppose pas au fédéralisme, mais il en constitue une des formes possibles. Il ne fait pas obstacle à la solidarité et il favorise l’échange car il est débarrassé des lourdeurs du passage obligé par des instances souvent difficiles à réunir pour diverses raisons. A la norme, édictée périodiquement par un congrès ou une instance après un débat plus ou moins formel, le réseau oppose la dynamique du débat permanent conduisant à un consensus qui seul permet l’action concertée efficace.

c) ANARCHO-SYNDICALISME & RESEAU

A partir d’une analyse de la société de classe actuelle et de ses fonctionnements (formes de domination, rôle du spectacle de la contestation, lutte des classes…), l’anarcho-syndicalisme définit des stratégies pour combattre et abattre le totalitarisme capitaliste et étatique (position idéologique de rupture avec le système, rejet des structures collaborant avec le pouvoir ou défendant un mode d’organisation autoritaire et hiérarchique, action directe, solidarité de classe, …) et pour organiser la société future (autogestion, communisme libertaire…).

Les moyens à utiliser doivent répondre à la réalité présente et être conformes aux objectifs à atteindre. C’est pourquoi le fédéralisme doit être une constante de nos organisations et le réseau peut se révéler une façon utile de le pratiquer.

Paul


2. Militer en réseau fédéral

lundi 19 janvier 2004

En ce début du troisième millénaire, quelle est, pour l’anarchosyndicalisme sur le plan national la forme d’organisation la plus adaptée à sa réalité actuelle, à la situation générale dans laquelle il évolue et qui lui permette le meilleur développement ? Ce texte, est une contribution individuelle à ce débat.

a) MAIS QU’EST-CE QU’UNE ORGANISATION ?

Toute organisation repose sur un pacte entre des entités afin d’atteindre un but et suppose un mode de gestion de ce qui est mis en commun.

D’un point de vue anarchosyndicaliste, le pacte est librement consenti, modifiable aussi souvent que nécessaire. Il est théorico/pratique puisqu’il repose à la fois sur une théorie, une philosophie (l’anarchisme) et sur une pratique (l’anarchosyndicalisme) qui ne doivent faire qu’un. Les entités concernées sont des structures fonctionnelles, de véritables cellules vivantes, qui conservent toujours leur liberté : les anarchosyndicats et les unions régionales d’anarchosyndicats.

Le but essentiel à atteindre est de réaliser une société libertaire. Cet objectif ne peut être atteint que par une politique de rupture avec tout « l’establishment ». La résistance au quotidien se situe elle-même dans cette perspective.

Le mode de gestion est de type fédéraliste. Il repose habituellement sur des assemblées générales ou des réunions de militants mandatés (pour la réunion en question ou pour des tâches précises sur des périodes plus longues).

Ce qui est en commun à l’ensemble des syndicats est essentiellement de l’immatériel (idées, sigle, pratique de la solidarité, titres de journaux,…).

Il résulte de ce qui précède que plusieurs formes d’organisation anarchosyndicalistes sont possibles. D’ailleurs, au moment du plus fort développement de l’anarchosyndicalisme dans les années 1930, la CNT espagnole, la CGT-SR (France) ou la FORA (Argentine) ont eu des pratiques organisationnelles assez différentes, mais toutes reconnues par le mouvement anarchosyndicaliste international.

b) STRATEGIE ORGANISATIONNELLE…

Globalement, nous vivons encore actuellement sur une conception de l’organisation, héritée du XIXème siècle, qu’on pourrait qualifier de mécaniste (un rouage entraîne les autres, le flux « monte » et « descend » en suivant ces rouages).

L’objectif de ce texte est de commencer à préciser ce que pourrait être une confédération anarchosyndicaliste utilisant un autre modèle organisationnel, celui du réseau. Dans cette perspective, la stratégie est avant tout de potentialiser, de rendre plus efficace l’action que le syndicat (en tant qu’entité fonctionnelle) mène là où il se trouve, et qui se concrétise par des actions de réflexion et de propagande et de résistance et d’impulsion.

La confédération en réseau (fédéréseau) postule donc nécessairement que chacune de ses unités ne commence à exister qu’à partir du moment où elle est fonctionnelle, c’est à dire qu’un travail militant de terrain se fait.

Il existe plusieurs possibilités pour qu’une organisation nationale rende plus efficace le travail militant des syndicats.

Classiquement, par exemple, elle produit et met à disposition de ces derniers des affiches, des tracts rédigés et imprimés nationalement. Selon notre conception, puisqu’une fédéréseau regroupe des syndicats qui cherchent à avoir une réelle autonomie de réflexion, de décision, de gestion, de réalisation et d’action, le rôle de la structure nationale est tout autre. C’est d’aider les syndicats à devenir aussi autonomes que possible dans tous les domaines, de la conception du matériel de propagande à la réalisation pratique. Evidemment, tout cela n’irait pas sans poser des problèmes nouveaux, à la fois. Mais il existe des solutions.

c) … & QUESTIONS PRATIQUES

Une des questions que l’on peut se poser est de savoir comment se fera la mutualisation puisqu’il n’y aura plus de centralisation. Dans une fédéréseau, si un syndicat a une idée (de lutte, d’affiches, de texte …), Il la communique à tous les autres syndicats membres (par bulletin, circulaire, internet…). Si certains d’entre eux trouvent l’idée tout à fait à leur goût, soit ils s’adressent directement au syndicat qui a lancé l’idée pour la mettre en pratique ensemble, soit ils prennent l’idée à leur compte et l’affaire est réglée. Dans le cas où des syndicats la trouvent correcte mais améliorable, ils transmettent leur nouvelle proposition. Au « pire », si une idée ne supplante pas l’autre ou si la synthèse ne se fait, il y a plusieurs versions de la réalisation (de l’affiche, du tract..) ce qui, en soi, n’est pas gênant.

Si des syndicats trouvent l’idée médiocre mais compatible avec l’anarchosyndicalisme, ils peuvent exprimer leur opinion s’ils l’estiment utile, mais ils ne bloquent pas l’initiative.

Enfin, si des syndicats la trouvent incompatible avec l’anarchosyndicalisme, ils le manifestent et l’argumentent. Le syndicat qui est à l’origine du projet et ceux qui étaient éventuellement intéressés peuvent se rétracter (s’ils estiment qu’ils ont été maladroits, qu’ils se sont trompés …) ou persister, ce qui, suivant la gravité qu’accorderont au sujet les uns et les autres, peut donner lieu à un conflit.

Les arguments économiques qu’on peut opposer à cette démarche (il est moins cher, à l’unité, de tirer une affiche à un grand nombre d’exemplaires, par exemple) ont été vrais. Ils le sont beaucoup moins maintenant (du fait des nouvelles technique d’impression et de communication). La CNT-AIT dispose d’ailleurs d’une importante expérience dans ce domaine depuis des années (par exemple avec son réseau de presse). Par rapport aux inconvénients qu’entraînent une organisation centralisée (en particulier les possibilités de prise de pouvoir), le faible « surcoût » économique éventuel du fonctionnement en réseau n’est pas un argument recevable.

Beaucoup d’autres questions qui se posent (par exemple, la gestion des contacts extérieurs, les besoins en matière de solidarité…) peuvent recevoir des réponses du même type.

d) LA GESTION DU RESEAU

Les questions qu’une fédéréseau aura à résoudre pour se gérer elle-même sont au moins de 3 types :

1) Qui entre dans la fédéréseau ?

On peut penser que le minimum sera l’activité réelle préalable. Un individu, un groupe d’individus qui se reconnaissent dans ce qu’est la CNT-AIT commencera par militer avant de constituer un syndicat. En pratique, il se greffera sur un des syndicats constitutifs du réseau, pour pouvoir bénéficier de l’infrastructure, vérifier l’adéquation des idées des uns avec celles des autres … Ce n’est que quand les choses sont un peu solides qu’un nouveau syndicat peut se constituer. Ce travail peut prendre, en fonction des réalités locales, des formes très diverses. Il doit cependant exister d’une façon ou d’une autre et c’est une des bases sur lesquelles se fait l’appréciation par le réseau. Si le constat est positif, avalisé par lui (dans une réunion nationale du réseau par exemple), l’adhésion sera avalisée.

2) Qui reste dans la fédéréseau ?

Pour qu’une confédération soit un organisme vivant, il faut que, lorsqu’une unité n’a pas le potentiel minimum pour continuer à fonctionner, elle disparaisse en tant que structure. Dans une logique de réseau, il n’y a aucun intérêt à garder des coquilles vides (il y a même des inconvénients). Le (les) militant(s) qui n’a plus d’activité réelle sur place se greffe sur un autre syndicat et vient le renforcer au lieu de rester isolé et de faire semblant. Dès que les forces le permettront à nouveau, le redéploiement aura lieu. Pour rester dans le réseau en tant que syndicat, l’activité de terrain (et les cotisations) doivent être validées périodiquement par l’ensemble du réseau. La participation à la vie du réseau, c’est-à-dire l’échange permanent avec toutes les autres unités fonctionnelles, doit être effective.

Bien sûr, le conflit peut surgir et le « gentleman agreement » sur lequel repose ce qui vient d’être écrit ci-dessus risque d’être mis à mal. Comment de tels conflits peuvent-ils être traités dans une fédéréseau ?

3) La gestion des conflits

Imaginons que le syndicat A ne soit pas d’accord (pour les raisons les plus diverses) avec le syndicat B. La première chose qu’il peut faire est bien sûr de discuter pour tenter de s’entendre. Si la situation est bloquée, il peut couper toutes ses relations avec B. Si les autres syndicats pensent et font comme A, alors B est rapidement mis hors du réseau, sans autre forme de procès. S’ils trouvent que c’est A qui a tort de se comporter ainsi et que c’est lui qui empoisonne les autres, ils coupent les ponts avec lui, et c’est A qui se trouve de fait rapidement hors circuit. Enfin, si les syndicats trouvent que le conflit entre A et B n’a pas de réelle importance, ils peuvent essayer de faire entendre raison à l’un ou/et à l’autre. Si A et B restent figés, et bien tant pis, il n’y aura pas d’échanges directs entre ces deux-là, mais cela n’empêchera pas le réseau de continuer à fonctionner même si cela devient un peu « boiteux ». Le réseau ne résoudra probablement pas tous les problèmes. Mais il pourrait dynamiser l’action des anarchosyndicalistes.

Pour finir, soulignons, qu’au sens où on l’entend ici, il est tout à fait transparent pour ses membres, puisqu’il identifie clairement les unités fonctionnelles (des syndicats actifs), les procédures (la façon dont les syndicats communiquent entre eux), les contenus (ce qu’ils communiquent) et le degré de liberté et d’autonomie de chacun. La réflexion est loin d’être finie et le débat reste ouvert.

# Francesito


3. Fédéréseau

L’humain est la source de toute idéologie et les choix politiques émanent de celle-ci. La négation de la genèse humaniste de la politique est une idéologie qui masque sa politique. La politique est, au bon sens des termes, subjective, arbitraire et conventionnelle. Le système politique incarne l’idéologie d’une époque et ses rapports sociaux : conflits, compromis et intérêts. L’idée anarchiste se veut égalité, justice, liberté et projet sociétal : le communisme libertaire. Il faut en penser le système politique adéquat.

Deux concepts font débat.

a) Le fédéralisme pyramidal

C’est une association de structures qui abandonnent une partie de leur souveraineté tout en exerçant plus ou moins le contrôle sur l’ensemble fédéré (États, collectivités, partis, syndicats, associations, agglomérats économiques, etc.).

Selon la terminologie, c’est l’organisation du sommet par la base selon ce plan : Les conséquences sont que les étages équivalents n’ont pas de contacts directs entre eux, la circulation d’information est longue, verticale, concentrée et centralisée sur les échelons supérieurs et sur des groupes restreints.

Dans ce mode d’organisation, chaque structure n’a que peu de contacts avec les autres structures de même niveau, et seulement un contact avec le niveau d’organisation qui lui est immédiatement inférieur ou immédiatement supérieur. (organisation verticale)

Cela réduit donc la visibilité de la structure sur son environnement. Cette réduction fait que la réalité externe dans sa globalité est mal ou même pas du tout saisie ; les réalités ne sont vus que de manière parcellaire, sous un seul angle de vision. L’information subit une perception particulière, perd de l’objectivité, voire tourne à l’égotisme. Les altérations informationnelles obligent à vérifier le sens, le vrai et le faux…

Le « fédéralisme » tel qu’il était conçu par Pierre Besnard dans les années 30 pour la CGT-SR, repris ensuite par la CNT espagnole dans les mêmes années, s’apparentait plus à du « fédéralisme pyramidal » – voir du centralisme – qu’autre chose. (cf. illustration)

Cela alourdit la communication. Les réunions pour se coordonner, cadrer, expliquer, sont pléthoriques et impactent l’activité vers le bureaucratisme. Au prétexte de l’urgence, des nécessités, de la cohésion,… les comités, les secrétariats, les bureaux, décident et s’arrogent le pouvoir de haut en bas. Ce fonctionnement est renforcé par les adhésions visant les privilèges, les alliances (collaboration, cogestion, collusion) pour augmenter les moyens (finance, logistique, permanents, salariés). Cela accrédite la rhétorique verticaliste.

On expliquera que hiérarchie et centralisation sont pertinentes pour la discipline, l’unité, la célérité, la résistance, l’efficacité, au point d’être le top du social. Une telle affirmation est multi-contredite par la réalité. On nie les pugilats, les mesquineries, les courtisans, les mensonges, les magouilles des clans, des petits et grands chefs que le pouvoir exacerbe. On oublie qu’une union d’action sociale n’échappe pas aux conflits (adversaire, ennemi, concurrent), la stratégie se double d’une tactique (défense, attaque). Le tout est conditionné par le verticalisme et le volume d’hégémonie poursuivi par l’attaquant. C’est sous la contrainte d’une force antagonique plus puissante que se révèle la fragilité d’un système pyramidal ou sa soumission par un autre.

On manie pour ce but les méthodes suivantes : – éradiquer grâce à un arsenal juridique, militaire, financier : on illégalise, réprime les personnes ; on anéantit les centres vitaux (encadrement et logistique). Si nécessaire, on étend cela aux sous-grades pour désarticuler par effet de panique. – domestiquer en modifiant l’idéologie, l’action subversive, l’attitude antagonique : on maintient ou intensifie le verticalisme, octroie des moyens proportionnés aux couches organiques. On achève la pacification par la collaboration, la connivence, le partenariat et l’intégration.

– neutraliser en inhibant la réaction par le dysfonctionnement des équipes et de la logistique : on coupe ou manipule l’information, stimule les conflits internes pour paralyser la machine.

– instrumentaliser les points déterminants par des groupes occultes : on change ou pas les statuts ; on entretient ou crée des inimitiés et rumeurs. On tourneboule, on ajoute flatterie et démagogie. On détient l’influence, le pouvoir et les moyens de la somme infiltrée pour servir la formation entriste.

Qui étudie les ouvrages de conseil tactique et de stratégie ou les manuels (pour ou contre) révolutionnaires, insurrectionnels, de guérilla, de coup d’État, les livres d’histoire sur les luttes sociales, est dessillé par leur vocabulaire : décapitation (des états majors, des postes de commandement, des comités centraux, des postes de direction, des lieux vitaux…), usage de services (secrets, de renseignements, de contre-information, d’intox), bataille (idéologique, économique, psychologique), guerre (partielle, totale, préventive), destruction, soumission et isolement… Un stratège, conseiller de la CIA, démontrait le bénéfice que l’attaquant tire de la verticalisation de la machine de guerre adverse et, à titre d’exemple, l’aisance de la déroute du dispositif des partis communistes du fait de leur centralisation. A contrario, on notera qu’afin de protéger leur circuit informationnel, les militaires américains ont calqué pour Internet le réseau de type libertaire.

Conscients des avatars de ce fédéralisme, certains vont choisir un schéma en équerre : Pour plus d’horizontalité, ils défendent la rotation des tâches. Ils réduisent le rôle législatif de quelques niveaux ou le limitent à l’exécutif, le tout sous le contrôle du congrès des éléments de base qui nomment les mandatés aux diverses instances. Cela améliore la vie organique, le flux d’information, la démocratie et casse le réductionnisme de structure auto-centrée. Mais les ordres ascendants maintiennent leurs expédients et leur suprématie. Les sous-ensembles oeuvrés par des bénévoles ou simplement des affiliés qui travaillent s’épuisent face à la perpendiculaire qui s’impose au final. L’histoire enseigne que l’inégalité de traitement, des moyens ou de situations installe un monde de domination. La bureaucratie, la technostructure asservissent pour leurs besoins.

Pour instiller un véritable fédéralisme démocratique, une autre piste est requise : « le réseau libertaire ».

b) Le fédéralisme en réseau

Modèles d’organisation : Hiérarchique / Hybride / Réseau

Selon cette esquisse de diagramme, toutes les parties sont reliées, émettent et reçoivent l’information quel que soit l’interlocuteur. Elles sont de même nature et fonction, ne sont pas subordonnées mais sont l’extension des aires nécessaire à l’action générale, comme chaque maillon tient la chaîne, selon le principe que la totalité n’exprime, ne représente, n’existe que par ses constituants d’égale force. C’est un champ d’investigation empirique étendu qui permet la maturité et la compréhension systémique. Cet organigramme peut être opératoire pour tous types de groupements humains (territoriaux, syndicats, collectifs de luttes, associations) et s’appliquer à l’économie, la politique, l’éducation… Pour garantir les droits irréfragables de chaque entité, sans être paralysé par l’infantilisme, l’égocentrisme, le court terme et l’étroitesse d’esprit, qui entravent sa souveraineté, son autonomie et ne saisissent pas que le fédéralisme est la plus haute expression de ces deux valeurs il faut énoncer la règle : chaque constituant a des moyens et des décisions propres, il n’engage et ne statue que par et pour ceux qu’il fédère.

Par exemple, les habitants d’une ville l’administrent en tout point ; si la nécessité conduit à n’utiliser que des moyens par quartier celui-ci les gère, cela s’étend à toutes les entités sur leur périmètre d’intervention. Pour empêcher la domination de minorités, les conseils, les mandatés, les délégués et les commissions sont révocables. Les votations (motions, référendums, congrès, etc.) sont l’attribut des assemblées générales d’individus des zones concernées (fédérales, inter-fédérales, etc.). Chaque centre et instance sont régis par la démocratie directe.

Avec l’ajout d’autres vecteurs idéologiques (égalité, solidarité, démocratie, justice, liberté, lutte des classes, anticapitalisme, antiparlementarisme, etc.), nous dépassons la simple mécanique inter-structurelle pour une obtenir une cohésion transtructurelle dans laquelle micro/macro, particulier/général, spécifique/universel, fraction/totalité sont en symbiose. Le réseau est assez souple pour articuler le local et le global. Il ne fait pas obstacle à ce que ces items s’adaptent ou innovent sans renoncer au générique. C’est à l’intelligence de répondre aux cas d’espèces en pérennisant l’architecture organique. Il n’y a pas de cadre parfait et définitif mais la volonté judicieuse de l’intelligence collective pour marginaliser les imbéciles.

La destruction, la manipulation ou l’annihilation d’un tel bâti sont très difficiles. Il n’y a pas de grades instrumentalisables. Chaque groupe a des moyens isodynames (égaux) assurant son indépendance et interdépendance. De fait, l’existence de l’un est garantie par l’autre. Les liens en faisceaux font qu’un lien rompu est compensé ou rétabli par le maillage. La praxis globale produit une haute conscience de la situation et des défenses organiques.

Pour anéantir un agencement réticulé, il faut frapper une grande quantité de points, mais aussi les relations molaires et moléculaires, tout autant que les affirmations idéologiques… Pour cela, il faut des moyens, une force difficile à obtenir.

Le tricotage d’un réseau fédéré est démocratique et octroie une grande unité pour agir, que cela découle de façon empirique ou de raison ! Cette élaboration est valable en défense, plus délicate en attaque car plus lente. Mais ceux qui négligent la défense pour l’attaque le paient très cher. Exemple : les Russes firent de Stalingrad une défense stoppant les Allemands, ce qui leur permit l’organisation du front arrière et la contre attaque jusqu’à Berlin. Le réseau est bien adapté à l’axe tactique et stratégique. Cependant, la notion de réseau n’est pas forcément révolutionnaire en soi. Elle est compatible récupérable, juxtaposable.. et peut coexister avec des réalités pyramidales.

Dans une vision subversive, le réseau est in-annexable. Il offre la durée (pré, pendant et post-révolutionnaire), un socle concret et fondamental pour un processus de transformation sociale. « Il est antagonique avec une formation spécifiquement idéologique et/ou révolutionnaire qui se veut hiérarchisée ». A contrario, ce type de régulation a une connivence patente avec l’anarchosyndicalisme, sa méthodologie ; elle explicite son utopie, son projet de société.

D’ailleurs, c’est un des fondements de l’AIT : ses syndicats ont leurs moyens propres qu’ils autogérent et n’ont pas de restriction de lien envers les structures fédérées.

Par ignorance, bêtise, mauvaise foi, manipulation sémantique, on dénigre le fédéralisme en réseau. Certains, se présentent comme anarchistes, mais prouvent par leur critique du réseau qu’ils ne le sont point. Ils s’affilient en général à des organisations réformistes, bureaucratiques, centralisées, y prennent des fonctions aussi importantes que la hiérarchie veut bien le leur concéder. Sous couvert de tolérance, de pragmatisme, de non-dogmatisme, ils sont les chantres de l’exploitation, de l’antithèse acrate. L’anarchisme est négation de l’exploitation et de l’oppression. Il critique et combat la délégation de pouvoir, promeut une société démocratique et égalitaire. La pertinence du discours est sa corrélation pratique : seul le réseau-fédéral est communiste libertaire.

Jean Picard, mars 2010.

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