La « sexta » de l’EZLN et l’anarchisme [2005]

La « sexta » del EZLN y el anarquismo, Alianza Comunista Libertaria


https://www.lahaine.org/mundo.php/la-sexta-del-ezln-y

Document rédigé par l’Alliance Communiste Libertaire, une organisation anarchiste au Mexique, en réaction à la Sixième Déclaration de la jungle lacandone (dite « la sexta ») et les propositions de l’EZLN pour une campagne nationale de lutte.

Sœurs et frères zapatistes :

Lorsque nous avons fini de lire cette sixième déclaration de la jungle lacandone, nous ne pouvions qu’éprouver de l’émotion et de la joie pour le nouveau pas que s’apprête à franchir le [néo-]zapatisme. Vous avez bien compris que l’isolement c’est le suicide et que l’union fait la force, mais c’est ici même, où il faut s’arrêter et où il faut toujours être vigilant, toujours attentif, car la confiance crée l’union et l’union fait la force, mais qui peut et qui doit faire confiance et comment réaliser l’unité ? Si nous voulons que cette union soit réelle et non une fiction, toutes les organisations et les individus qui adhèrent à cette union doivent avoir la même finalité, car si les finalités sont opposées, tôt ou tard, un individu ou une organisation utilisera la confiance des autres, pour en tromper et en détourner le cours.

De ce fait, il devient nécessaire d’être très clair sur la finalité de l’union recherchée. Et au point VI de la déclaration intitulé : « Comment allons-nous faire« , au sous-titre « Au Mexique » au point deux, il est dit : « nous allons construire, avec ces gens qui sont comme nous, humbles et simple, un programme national de lutte, mais un programme qui soit clairement de gauche ou anticapitaliste ou anti-néolibéral, c’est-à-dire pour la justice, la démocratie et la liberté pour le peuple mexicain.« 

Donc la finalité est la destruction du capitalisme et pour cela, l’EZLN propose une « CAMPAGNE NATIONALE pour la construction d’une autre façon de faire de la politique, d’un programme de lutte à la fois national et de gauche, et pour une nouvelle Constitution ».

(…)L’égalité économique est indispensable pour l’égalité sociale, pour la liberté, pour la justice et pour la démocratie, nous avons corroboré que quiconque nous parle de ces principes et ne veut pas la destruction du capitalisme, nous trompe et/ou se trompe lui-même. Ainsi, si certains bourgeois désirent ardemment ces principes, ils n’ont d’autre choix que d’abandonner leurs privilèges, de vendre toutes leurs propriétés et de donner tout leur argent pour la cause de la destruction du capitalisme et de la construction du nouveau monde, afin de devenir en un travailleur de plus et alors il pourra être reçu comme un égal, comme un frère. C’est la seule manière pour un bourgeois de montrer qu’il est anticapitaliste.

Jusqu’ici, nous avons parlé de la nécessité du Front Unique des exploités et des opprimés, comme méthode d’organisation essentielle pour atteindre l’objectif fixé, ce grand Front des Masses, qui doit se regrouper  pour construire un nouveau « programme national de lutte » Anticapitaliste et pour la Liberté, l’Egalité, la Justice et la Démocratie. Nous avons également défini le caractère anticapitaliste de ces principes et nous avons souligné qu’une alliance avec la bourgeoisie, la plus radicale et socialiste qu’elle soit ou qu’elle puisse paraître, détournerait et assassinerait la véritable volonté du peuple et finirait non par détruire le capitalisme, mais par le réformer. C’est-à-dire qu’elle ne mettra pas fin aux inégalités sociales, elle ne fera que les masquer et au fil des années, quand tout redeviendra passivité, la bourgeoisie enlèvera son masque et tous les sacrifices et les efforts actuels auront été faits en vain.

Nous allons parler maintenant de la proposition faite par les Compagnons Zapatistes. Le Front uni des exploités et des opprimés doit-il lutter pour une nouvelle constitution ? Les zapatistes ont opté pour un oui. Ils considèrent qu’il est nécessaire de rédiger une nouvelle constitution qui : « inclut les exigences du peuple mexicain telles que : logement, terre, travail, alimentation, santé, éducation, information, culture, indépendance, démocratie, justice, liberté et paix. Une nouvelle Constitution qui reconnaissent les droits et libertés du peuple, et défendent le faible face au puissant. » En revanche, nous sommes fermement convaincus que le Front uni des exploités et des opprimés ne doit pas aspirer à l’élaboration d’une nouvelle constitution. Deux raisons principales ce sont eux que nous allons maintenant expliquer.

En premier, est-ce que par hasard il ne serait pas déjà écrit dans notre Constitution, que tout individu est Libre, qu’il a droit à un logement digne et décent, à l’éducation, à la santé, etc. ?

La constitution politique des États-Unis Mexicains (le nom exact et constitutionnel du Mexique) de 1917, dans son premier titre, chapitre I.- « Sur les garanties individuelles », stipule :

« ARTICLE 2 – L’esclavage est interdit aux États-Unis du Mexique. Les esclaves étrangers qui pénètrent sur le territoire national obtiendront, de ce seul fait, leur liberté et la protection des lois.

ARTICLE 3 – Tout individu a le droit de recevoir une éducation. L’Etat – Etat fédéral, états provinciaux et municipalités – assureront l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire. L’enseignement primaire et secondaire est obligatoire. L’éducation que dispense l’État tendra à développer harmonieusement toutes les facultés de l’être humain et favorisera en lui, à la fois, l’amour de la patrie et une conscience de la solidarité internationale, de l’indépendance et de la justice.

ARTICLE 4 – La nation mexicaine a une composition multiculturelle basée à l’origine sur ses peuples indigènes. La loi protégera et favorisera le développement de leurs langues, cultures, usages, coutumes, ressources et formes particulières d’organisation sociale, et garantira à leurs membres un accès effectif à la juridiction de l’État. Dans les procès et procédures agraires auxquels ils sont partie, leurs pratiques juridiques et coutumes seront prises en compte dans les termes établis par la loi. Les hommes et les femmes sont égaux devant la loi. Cela protégera l’organisation et le développement de la famille. »

Ces articles, qui sont les premiers articles de la Constitution, « garantissent » sur le papier, la liberté, l’égalité, la culture et l’éducation. A la lecture de l’actuelle constitution politique des États-Unis du Mexique, il semblerait que sont « garantis » le toit, la santé, la démocratie et la justice …Et ensuite, dans la réalité ? On pourrait nous dire : « certes, mais comme vous l’avez souligné plus haut, tout cela devient fictif, à cause des inégalités économiques et une fois le capitalisme détruit et la nouvelle constitution écrite, les individus bénéficieront de tout cela réellement. » A cela nous répondons : « camarades zapatistes, vous savez mieux que quiconque que l’une des principales erreurs de la constitution est l’homogénéisation des individus, le Mexique étant si étendu, tant en territoire qu’en culture, une constitution ne peut englober la diversité culturelle. Mais ce n’est pas vrai seulement pour le Mexique, c’est vrai pour chaque pays, aussi petit soit-il, une constitution, qui est l’abstraction et l’homogénéisation de l’individu, ne pourra jamais représenter la volonté et les besoins de chaque communauté et encore moins de chaque individu.”

En second, est-ce que la rédaction d’une nouvelle constitution implique qu’une fois celle-ci terminée, un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif et un pouvoir judiciaire doivent se lever pour la faire respecter. Ou se présentera-t-elle devant l’actuelle chambre des députés pour approbation ? Comme nous le savons, la méfiance des zapatistes, très fondée et partagée par nous, envers les politiciens bourgeois, nous écarte cette seconde option, mais alors, la première prend force.

La nécessité de former un pouvoir exécutif, législatif et judiciaire est la nécessité de former un État, mais qu’est-ce que l’État ? L’État est la négation de la Révolution sociale et la Révolution sociale est ce qui est nécessaire à la destruction du capitalisme. Mais on pourrait argumenter que ce nouvel État sera un État populaire libre, composé de travailleurs des villes et des champs, on peut même soutenir que cet État ne sera que transitoire, puisque l’EZLN elle-même a déclaré être une armée pour qu’il n’y ait plus d’armées, et qu’un État sans armée ne peut être maintenu, puisque tout État est fondé dans la violence organisée d’une classe sur l’autre et sans armée régulière, sans organes de répression, l’Etat succomberait rapidement aux mains de la classe opprimée et de son auto-organisation.

Mais un État populaire libre peut-il vraiment exister ? Impossible! L’État est la consécration historique de tous les despotismes, de tous les privilèges, la raison politique de tous les assujettissements économiques et sociaux, l’essence même et le centre de toute réaction. Quiconque utilise l’État, l’utilise pour la domination et l’assujettissement de ses adversaires, comme Engels lui-même le considérait, dans sa lettre à Bebel du 18-28 mars 1875 : « il est parfaitement absurde de parler d’un État populaire libre : tant que le prolétariat a encore besoin de l’État, ce n’est point pour la liberté mais pour réprimer ses adversaires. Et le jour où il devient possible de parler de liberté, l’État cesse d’exister comme tel. » Est-il nécessaire alors d’élever le prolétariat au rang de classe dirigeante ? Que signifie le prolétariat élevé au rang de classe dirigeante ? Est-ce que tous ces millions de travailleurs des villes et des champs feront partie du gouvernement ? Est-ce que tout le peuple fera alors partie du gouvernement ? Mais alors si tout le monde gouverne, il n’y aura pas de gouvernés, alors il n’y aura pas de gouvernement, il n’y aura pas d’Etat, car si l’Etat existe, il y aura des gouvernants et des gouvernés, des maîtres et des esclaves.

Le gouvernement du peuple est un mensonge, même si un tel gouvernement était élu au suffrage universel parmi les purs ouvriers pour élire leurs représentants pour diriger le nouvel Etat. Il en résulterait une nouvelle minorité chargée de gouverner et une grande majorité soumise à la première, d’autant plus dangereuse qu’elle se présenterait comme la véritable autorité du peuple, comme la volonté du peuple et en son nom, au nom de la Révolution, elle commettra les crimes les plus odieux contre le peuple lui-même.

Ainsi alors que les marxistes concluent que la dictature étatique est un moyen transitoire inévitable pour parvenir à l’émancipation du peuple (pour eux, la liberté est la fin, la dictature le moyen), nous, anarchistes révolutionnaires, amoureux de la liberté sommes donc les ennemis acharnés de l’État, afin de détruire le capitalisme et de construire le nouveau monde de liberté, d’égalité et de justice. Nous sommes des amoureux passionnés de la vraie démocratie, c’est-à-dire de la démocratie directe et de la liberté, qui sont niées par l’État lequel garantit l’inégalité économique et l’esclavage, ouvert ou déguisé. Nous proposons non pas la rédaction d’une nouvelle constitution, qui nous conduirait à la formation d’un Etat, ce qui, nous l’avons vu, ne peut signifier que l’exploitation d’une minorité sur une majorité, mais la rédaction d’une Charte de l’égalité, la base inhérente de la Liberté, qui ne devrait aborder que les aspects négatifs (destructeurs), c’est-à-dire ce qui doit être aboli à jamais des formes positives de la vie locale, puisque celles-ci ne peuvent être créées que par la pratique vivante de chaque localité.

Nous ne prétendons pas préconfigurer une nouvelle société. Une fois détruite la base de toutes les dominations et soumissions, une fois le Peuple libéré de son joug, il tendra à s’organiser librement, de bas en haut, réalisant ainsi la libre Fédération des individus, des communautés, des industries, des champs, etc. C’est ce que les communautés zapatistes du Chiapas, comme les municipalités rebelles et magonistes d’Oaxaca ou celles du Tequio, ont commencé à réaliser en germe.

Sur notre bannière rouge et noir, dont nous sommes sûrs qu’elle est aussi la vôtre, camarades zapatistes, sont écrits en lettres scintillantes les mots suivants, ceux de Bakounine déjà : « abolition de tous les États ! Destruction de la civilisation bourgeoise ! Organisation libre de bas en haut des associations libres ! Création d’un nouveau monde humain ! »

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