Des compagnons de la CNT-AIT ont tenu à exprimer leur sentiment suite à l’annonce du décès de Jean-Marie Le Pen.
« Je me réjouirai le jour où les idées de l’extrême droite seront vaincues.
Avant ce n’est que de la victimisation, qui malheureusement sert leurs idées nauséabondes.
L’indifférence est parfois la meilleur manière de dire d’une personne qu’elle n’est rien.
Les manifestations, qui ont eu lieu, ont pour moi la même valeur, que ceux qui tondaient et se réjouissaient de tondre les femmes à la Libération.
Parmi ces participants aux manifestations, peu on combattu physiquement les membres du GUD, comme peu parmi ceux qui tondaient les femmes avait combattu réellement dans la Résistance.
La violence vengeresse, appartient à ceux qui sont trop lâche pour le combat physique.
Aujourd’hui nous avons, à l’assemblé nationale, 121 petits Le Pen qui, sous un beau vernis, portent haut et fort ses idées.
Pour moi, il reste encore beaucoup de boulot avant de se réjouir.
La bête n’est par morte, le combat continue. »
Une militante de la CNT-AIT Paris-Banlieue
Un homme est mort… (mais la bête bouge encore)
Un homme est mort, mais non ses idées. Évidemment une date à ne pas célébrer (la célébration, même négative, telle la réjouissance, a toujours quelque chose de l’hommage, du tombeau au sens ancien du terme; mieux vaut le silence qui est à mon sens un bon marqueur de l’opprobre, comme dans celui réservé par le Peuple à Louis XVI au retour de Varennes). Faudra-t-il commémorer (on confond souvent célébration et commémoration, à tort) en tant qu’évènement historique significatif?
Opposons un non ferme, dans la mesure où l’œuvre et les idées promues par JMLP subsistent dans l’organisation politique qu’est le RN : il n’y a donc pas d’évènement notable, c’est un fait divers, marginal dans la continuité de ce phénomène inquiétant. En effet, ironiquement, on pourrait dire que le RN partage ses haines (« N ») avec le FN, comme Marine avec Jean-Marie. Plus qu’une homophonie, c’est en effet de deux haines qu’il faut parler.
La première, c’est celle de l’étranger, la xénophobie, liée en sous- main avec la raciologie et le racialisme différentialiste[1]
La seconde, c’est celle envers une pseudo-élite « républicaine », de l’ »établissement »[2], voire contre la très ancienne ploutocratie, avec en sous-main la référence aux « quatre états confédérés, ennemis de la France » « [3], concept inventé par le principal théoricien du nationalisme et de l’extrême droite française, Charles. Maurras. De la même manière que les islamistes pratiquent la « taqîya »[4] et taisent de manière ouverte leurs vrais motifs de combat, les RNistes pratiquent la guerre sous couverture et taisent leurs deux haines avec pragmatisme. Mais, pour parler cru, « on sait bien de quoi l’on cause » en loucedé.
Le très à droite Bruno Retailleau parle de Le Pen comme d’un « adversaire » dans l’un de ses messages funèbres. Il y a là matière à commenter. Autant le dire tout net, JMLP n’était pas un adversaire des républicains, c’était un ennemi qui souhaitait la destruction de la République actuelle. De la République en son ethos, c’est-à-dire peut-être pas en son nom, mais dans le contenu associées aux quelques libertés publiques (bien insuffisantes certes..) qu’elle supporte parfois de mauvaise grâce. Le vrai libéralisme (au sens philosophique du terme et pas économique), voire le pluralisme, ont du plomb dans l’aile, et cela réjouira toujours le RN. Le Sinistre de l’Intérieur, jouant sans le savoir les Von Papen.[5], flatte ainsi son concurrent parlementaire, voire possible allié de fait (le RN), en ne le nommant pas de son vrai épithète. Dans la nature, il est souvent tragique de confondre celui qui veut manger à votre place avec celui qui veut bel et bien vous manger tout cru. Le rire carnassier d’Arturo Ui[6] doit nous alerter à ce sujet : le RN a un agenda, qui est celui de l’établissement d’une république fasciste, à plus ou moins court -ou long- terme.
Si certains considèrent maintenant le RN comme un adversaire, le RN, lui, considère ses rivaux comme des ennemis, sans le dire évidemment, avec un républicanisme de façade. Et là, le mot république est utilisé en son sens très vague, celui de la République romaine, compatible avec toutes les tyrannies, Sénat compris. En son sens restreint par contre, le Républicanisme libéral salue les libertés publiques et individuelles, est un Pluralisme universaliste, mais ce n’est pas de cela dont les Le Pen et leurs seconds couteaux rêvent, évidemment pouvons-nous affirmer, même si certains finauds du calcul parlementaire affichent des cataractes sur leur cornée de cyclopes.
Précisons que l’Anarchisme en tant que famille politique est tenant de ce Républicanisme au sens restreint, pluraliste et universaliste, avec cette spécificité qu’il découple la République Sociale rêvée (notamment à l’époque de la Commune) de L’État honni à détruire. Projet que JMLP connaissait d’ailleurs assez bien, vu qu’il avait présenté un mémoire de Sciences Politiques sur le sujet (Il avait même rencontré Maurice Joyeux pour fournir son propos, ce qui laisse pantois quant à la rectitude de Maurice Grincheux[7] connaissant à coup sûr la personnalité de son intervieweur – peut-être cependant JMLP élève de Maurice Duverger jouait-il le simple étudiant retiré des voitures, peu crédible…[8]).
Un homme est mort : pour terminer ce petit propos, ce qui nous intéresse là- dedans, c’est si cela va permettre aux soutiens du RN de progresser, notamment en nombre, dans une espèce de sympathie nostalgique et funèbre. Gageons que la pratique systématique de l’euphémisme par le RN à propos du contenu du FN présenté comme archaïque va transformer ce décès en « lieu de mémoire »[9]
fasciste et nostalgique, présentant le décédé en « bon aïeul » un peu brut de décoffrage, mais à l’humour si corrosif et bien trouvé (sinistre et condamnable pour les autres dont nous sommes bien sûr). Il eût pour notre part mieux valu disperser les cendres du défunt au vent, comme celles d’Eichmann, dans un vrai retour au néant. Là encore, la taqîya fasciste va jouer, en montrant au grand jour une « normalisation », une « honorabilisation » démocratique de laquelle personne en ce pays ne doit être la dupe, quand la stèle de marbre du père sera toujours discrètement honorée.
un militant de la CNT-AIT 32
le 8 janvier 2025
[1] Tel que décrit par Pierre-André Taguieff
[2] Terme lepéniste : JMLP a traduit l’anglais « establishment » en un néologisme qu’il utilise pour dénoncer dans ses discours une oligarchie confisquant le Pouvoir au peuple réel. On retrouve là aussi le concept du nationaliste Charle Maurras qui distinguait le « pays légal » du « pays réel ».
[3] Charles Maurras définissait l’Anti-France comme les « quatre États confédérés des protestants, Juifs, francs-maçons, et métèques ». Lazare de Gérin-Ricard et Louis Truc, Histoire de l’Action française, Fournier Valdès, 1949, p. 51
[4] Taqîya : mot arabe signifiant « technique de dissimulation », définissant une tactique des mouvements islamistes autorisant leurs membres à ne pas respecter les interdits religieux en vue de se cacher de la police.
[5] Homme politique allemand conservateur des années 1930, ayant aidé à l’accession au Pouvoir d’Hitler en croyant le manipuler, mais qui se fit avaler par lui.
[6] Arturo Ui est le pseudonyme d’Hitler dans la pièce de Bertolt Brecht « La résistible ascension d’Arturo Ui »/ Dans l’épilogue, Brecht tire la leçon de la pièce : « Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds… Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ».
[7] Surnom donné par les Situationnistes à Maurice Joyeux, indéboulonnable représentant de la FA, et chauffeur du dirigeant de FO André Bergeron.
[8] D’après un témoignage oral d’Hellyette Bess, quand elle était alors membres des Jeunes Libertaires, au milieu des années 1960, c’est Maurice Joyeux en personne qui recevait Le Pen quand ce dernier venait livrer à la librairie de la FA (et en retirer le fruit des ventes …) les disques de chansons anarchistes qu’il éditait via son entreprise SERP. En effet, pour faire bonne figure, entre d’innombrables disques de chants militaires ou nazi, la SERP de Le Pen éditait un ou deux disques de chansons anarchistes ou communistes, pour faire croire à son pluralisme. Cependant, Hellyette Bess nous a dit qu’elle n’était pas dupe.
Les Dossiers du Canard enchaîné consacrés à Le Pen avait expliqué en leur temps comment Maurice Joyeux avaient ouvert les archives de la FA à Le Pen, lui permettant de rédiger en 1971 son mémoire de DES de Sciences Politiques (Diplôme d’Etudes Supérieures) intitulé « Le Courant anarchiste en France depuis 1945. https://bellaciao.org/fr/Le-Courant-anarchiste-en-France-depuis-1945 et http://anarlivres.free.fr/pages/documents/memoire_JMLePen.pdf
Par ailleurs, Alexandre Hébert, personnage trouble du milieux lambertiste trotskiste et se faisant passer pour une anarchosyndicaliste, n’a jamais caché sa sympathie pour Le Pen. Hébeert donna même un interview dans le journal du Front National, Français d’abord,en septembre 1999. Hébert se justifia en disant qu’il n’avait jamais diabolisé le FN … Hébert et Le Pen furent les témoins de mariage de leur ami commun Joël Bonnemaison. Sur Hebert cf. https://cnt-ait.info/2021/02/06/pseudo-uas
[9] Concept historique initié par Pierre Nora, allant « de l’objet le plus matériel et concret, éventuellement géographiquement situé, à l’objet le plus abstrait et intellectuellement construit « .
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