[Algérie 1954] Répression et révolte

Article de Pierre Morain paru dans Le Combat syndicaliste CNT-AIT, 27e année, nouvelle série, n° 116, vendredi 8 janvier 1954, p. 3-4

1953 aura vu le colonialisme français s’acharner avec plus de vigueur sur les peuples qu’il exploite.

Nous avons déjà, dans ce journal, dénoncé la répression sévissant en Afrique du Nord. Ce n’est pas dans le peu de place qu’offre un journal que nous pouvons relater un bilan de toute la répression qui sévit sous forme d’arrestations, de ratissages, d’assassinats, de tortures policières, d’emprisonnements, de traitrises de fantoches. Il faudrait un volume entier.

Je relate simplement ici un témoignage paru dans l’« Algérie Libre » du 14 novembre 1953. Mais je le relate avec une mauvaise conscience, car, jusqu’ici, nous n’avons rien fait contre cette répression.


« Jeudi 15 octobre à 16 h. 30, l’Administrateur armé d’une mitraillette, des gendarmes, des gardes mobiles et des gardes champêtres tombèrent comme des faucons sur notre Dechra de Tigraout. Après avoir perquisitionné maison par maison, les forces répressives procédèrent aux arrestations de Sefraoui Kaddour, Ahmed Missoum et Kaldi Abdelkader. En notre présence, un enfant de dix ans fut sauvagement battu par les gardes mobiles qui l’ont arraché à ses parents. Nous fumes conduits ensuite en direction de Nedromah, en passant par les dechras de Beghaoun, Tient et Kriba. Une véritable chasse à l’homme était organisée dans la région. Les gardes mobiles, pareils à des bêtes féroces, se jetaient impétueusement sur les populations. Plusieurs personnes furent arrêtées et emmenées avec nous à la gendarmerie de Nedromah. Nous fûmes alors jetés dans une cellule de trois mètres de côté où nous nous trouvions au nombre de 24. Aussitôt, les tortures commencèrent : on nous déshabilla un par un, puis les mains et les pieds liés, on nous mit en position classique pour la baignoire. Nous avons été soumis aux sévices de l’électricité, de la baignoire et du bâton dans l’anus.

« Ces tortures durèrent trois jours, c’est-à-dire du 15 au 18 octobre. Le frère Zahi Mohammed déclara aux bourreaux nationalistes : « J’ai été, pendant quatre ans prisonnier chez les Allemands et je n’ai jamais vu de sévices pareils ». Les policiers redoublèrent de violence après cette déclaration. »

… Un fait parmi des milliers d’autres !


Face à cette répression, face à l’exploitation, le peuple nord-africain se révolte. Au Maroc, les attentats font couler le sang de bourgeois français et de « collaborateurs » marocains. En Algérie, la population manifeste souvent contre les arrestations et, de par son action, fait parfois fléchir les flics tandis que les chômeurs s’organisent magnifiquement. La « quinzaine de lutte contre la répression » est un pas vers une lutte générale qui aura d’autant plus de succès que le peuple français se solidarisera concrètement avec elle. En Tunisie, les grèves éclatent.


Dans nos Histoire de France, dans certains mouvements de jeunesse – tel que le scoutisme -, par la radio, le cinéma, la presse, l’on masturbe le cerveau des gosses de France avec la mission civilisatrice de celle-ci chez les peuples « arriérés » d’Afrique Noire. Le visage de la vérité est caché. La vente humaine, le travail forcé existent. En Oubangui-Chari, dans les régions cotonnières, chaque habitant est astreint obligatoirement à planter le coton sur une superficie de 80×80 m., sous les exactions brutales de la milice qui ne recule pas devant l’assassinat.

A tous les récits bourgeois, les hypocrisies des revues « missionnaires » calotines, à toutes les pommades faites au Prix Nobel de la Paix 1952, le Dr Schweitzer, nous opposons un témoignage du député de l’Oubangui-Chari, Boganda, paru dans l’« Observateur » du 12 novembre 1953 :

« A Mobaye, une femme du nom de Dabayassi, mère d’un bébé de cinq à six mois, a planté son champ de coton, 80×80 mètres, c’est la mesure réglementaire. L’agent d’agriculture européen veut l’obliger à aller travailler sur le champ d’un autre. Elle refuse, en déclarant qu’elle doit s’occuper de son nourrisson. On la sépare de son bébé, on l’emprisonne au nom de la France. Au bout de huit jours, on lui demande 500 francs d’amende. Comme elle ne les a pas, l’administrateur des colonies, chef du district, la remet à un milicien qui pendant trois jours l’expose en vente sur la voie publique …

« … Plusieurs personnes ont été pendues sur le marche de Mobaye par des miliciens, sur ordre de l’administrateur des colonies, chef du district. »


Mais l’Afrique Noire, par le syndicalisme, se défend. Les derniers mois de l’année 1953 auront vu en A.O.F. l’éclatement de magnifiques grèves générales, de grèves dépassant parfois en durée celles qui attaquent le capitalisme et l’Etat en France.

A la suite d’un autre témoignage sur l’assassinat d’un paysan noir, Boganda conclut :

« Les paysans oubanguiens peuvent-ils attendre avec résignation les coups de crosse des miliciens qui ont achevé Yangoubanda, déjà anémié par la sous-alimentation el la culture forcée du coton ?

« Pourquoi travailleraient-ils, s’ils attendent la mort d’un moment à l’autre ? Pourquoi travailleraient-ils si le fruit de leurs efforts ne leur appartient pas ? »


Et nous, qu’attendons-nous ?

Allons-nous attendre que les peuples coloniaux découvrent le communisme libertaire ?

Allons-nous puiser dans ces témoignages une simple satisfaction de s’être engagé dans la lutte contre le capitalisme ? Ou, bousculant une partie d’un orgueil idéaliste de faux anarchisme, allons-nous engager une action contre la répression colonialiste, une action à nous tout seuls, sans tenir compte des organisations de luttes des peuples opprimés sous prétexte que celles-ci sont nationalistes ? Ce serait méconnaître l’Histoire !

En ce début d’année, laissons la morale des vœux à l’hypocrisie bourgeoise. Mais si, au cours de l’année 1954, les syndicalistes révolutionnaires n’engagent pas une action réelle contre le colonialisme et la répression, alors nous serons des assassins, complices du capitalisme français.

P. MORAIN.

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Pierre Morain, premier Français incarcéré pour soutien aux révolutionnaires algériens

https://labrique.net/index.php/thematiques/hors-canard/142-mort-de-pierre-morain-incarcere-a-loos-en-1955-pour-son-soutien-aux-revolutionnaires-algeriens

Pierre Morain, à la sortie de la prison de la Santé en mars 1956 (source : tract annonçant la sortie de la brochure « Un homme, une cause… »)

« Moi je ne suis pas français, je suis ouvrier ». Voilà ce que répondit Pierre Morain au tribunal de Lille qui lui demandait pourquoi lui, Français, participait aux côtés des travailleurs algériens aux violentes émeutes qui retournèrent le centre-ville de Lille ce 1er mai 1955. Pierre Morain, ouvrier du bâtiment installé à Roubaix, anarchiste, sera le premier métropolitain incarcéré pour son soutien aux révolutionnaires algériens. Il est décédé le 27 mai 2013. L’historien Jean-René Genty lui rend cet hommage.

Mort d’un anarchiste !

Pierre Morain est mort le 27 mai 2013 au Larzac où il résidait avec son épouse Suzanne depuis les années soixante-dix. Tous deux participaient à la lutte des agriculteurs du plateau contre l’extension du camp militaire. Au moment de son installation sur le plateau, Pierre Morain comptabilisait alors déjà de nombreuses années de militantisme. Jeune ouvrier du bâtiment dans la région parisienne au début des années cinquante, il militait à la Fédération Communiste Libertaire (FCL) et appartenait à son cercle le plus restreint, « l’Organisation Pensée Bataille » emmenée par Georges Fontenis.

C’est à ce titre qu’il fut envoyé dans le Nord en avril 1955 à la demande du Mouvement National Algérien avec mission d’organiser un comité de soutien aux militants algériens. Les contacts entre Messali Hadj et la FCL étaient alors étroits via l’intermédiaire de Daniel Guérin, qui se réclamait à la fois du communisme libertaire et de la lutte anticolonialiste [1]. Pierre Morain expliquait que, se retrouvant à Roubaix, il n’avait pas eu vraiment le temps de trouver des contacts dans les milieux métropolitains. En revanche, il fut rapidement adopté par les Algériens de Roubaix, travaillant le jour comme manœuvre terrassier chez Carette-Duburcq et diffusant le soir et le week-end Le Libertaire dans les cafés algériens. Le journal consacrait une large place à l’activité des révolutionnaires algériens et Pierre Morain rédigea plusieurs articles importants consacrés à la vie quotidienne des Algériens de Roubaix.

Il fut partie prenante des événements du 1er mai 1955 à Lille au cours desquels les Algériens du Nord encadrés par le service d’ordre messaliste affrontèrent pendant cinq heures les charges des forces de police et de gendarmerie mobile qui tentaient de s’emparer des banderoles proclamant l’Algérie libre et des portraits du Zaïm. Pierre Morain participa aux affrontements aux côtés de ses camarades algériens. Repéré par les différents services – il signait de son nom les articles publiés dans Le Libertaire – il fut contrôlé par des douaniers (la bataille de la frontière entre nationalistes algériens et forces de l’ordre commençait) le 23 mai. Le 24 mai, il fut interpellé par la DST puis relâché. Le 29 mai, Pierre Morain fut arrêté et emprisonné à Loos où il rejoignit les cadres algériens incarcérés à la suite de la manifestation. Tous étaient poursuivis pour « reconstitution de ligue dissoute ». Pierre Morain fut condamné à cinq mois de prison. Après appel interjeté par le parquet, la Cour d’appel de Douai élevait sa peine à un an de prison.

La condamnation du premier « Frère des Frères » de la guerre d’indépendance algérienne en métropole passa assez inaperçue et le cas Morain sortit peu à peu de l’anonymat grâce à l’action du comité de défense emmené par Jean Cassou, Daniel Guérin, Claude Bourdet et Yves Dechezelles. Mais ce fut la prise de position d’Albert Camus dans L’Express du 8 novembre 1955 qui attira l’attention de l’opinion publique sur « la situation d’un jeune militant (…) placé sous les verrous pour avoir manifesté un mauvais esprit en matière de politique algérienne. La protestation, jusqu’à présent a été limitée à d’étroits secteurs de l’opinion. Morain ayant le double tort d’être ouvrier et anarchiste ». Rappelons que jusqu’à sa mort, Camus demeura fidèle à ses contacts avec l’anarchisme et le messalisme.

Pierre Morain quitta la prison de la Santé à la fin du mois de mars 1956 mais il demeurait sous le coup d’une inculpation pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat. En janvier 1957, il participait à l’assaut donné par un groupe de « l’Organisation Pensée Bataille » contre la permanence du mouvement Poujade, rue Blomet dans le 16ème arrondissement.

L’aventure du groupe « Organisation Pensée Bataille » se termina par le passage dans la clandestinité et l’arrestation de son principal dirigeant, Georges Fontenis.

Par la suite, Pierre Morain continuera à militer dans la mouvance anarchiste puis alternative.

J.-R. GENTY

[1] Note des clavistes : Le contact en Algérie entre le MNA et les anarchistes était entre autre assuré par notre compagnon Léandre VALERO. Lire sa bio en ligne : Léandre VALERO, anarchiste sans frontière https://cnt-ait.info/2019/03/16/leandre-valero-anarchiste-sans-frontiere/

Sources  :

Fontenis Georges, L’autre communisme, histoire subversive du mouvement libertaire, Lucée, Acratie, 1990

Comité Pierre Morain, Un homme, une cause, Pierre Morain prisonnier d’Etat, Paris, 1956

Témoignage de Pierre Morain, 22 août 1992, archives privées J.-R. Genty

Témoignage de Georges Fontenis, 23 juin 1992, archives privées J.-R. GENTY

Collection du journal Le Libertaire, BDIC de Nanterre

Genty J.-R., L’immigration algérienne dans le Nord-pas-de-Calais, Paris, L’Harmattan, 1999

Genty J.-R., Fidaou el Dzezaïr, les nationalistes algériens dans le Nord, Paris, L’Harmattan, 2008.

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Terreur en Afrique du Nord

Le Combat Syndicaliste CNT-AIT, 12 juin 1953, n°108

La répression s’étend partout. Chaque jour nous en voyons des exemples en France: menaces sur les militants ouvriers, renvois de délégués, coups de téléphone entre boîtes lors d’embauche, matraquage de manifestants, flics, C.R.S., la liste est longue.

Elle s’abat implacable chez nos frères d’Espagne, d’Argentine, d’Amérique, de Bulgarie, de Russie, des démocraties dites « populaires». Le rideau de fer n’est pas la frontière de la répression. Dans les deux camps impérialistes, elle « discipline », emprisonne, humilie et tue. Elle est partout.

Elle s’adjoint une couleur raciste chez les peuples d’outre-mer et chez d’autres elle ne recule pas
devant la cruauté de ses actes, même pas devant l’horreur du massacre collectif : Indochine, Afrique Noire, les 80.000 tués de Madagascar, le racisme effrayant du pasteur Malam en Afrique du Sud. en
Et plus près de nous, chez nos frères les plus exploités: l’Afrique du Nord.

Il est un devoir impérieux pour la classe ouvrière de se dresser face à la répression et de ne pas la méconnaître, et particulièrement de ne pas méconnaître celle qui nous touche le plus: celle de l’Afrique du Nord.

Le devoir de solidarité envers n’importe quel travailleur de n’importe quel pays l’exige. Si cela ne suffit pas aux égoïstes: il y a un autre motif aussi urgent: celui de notre propre peau. Les policiers se font la main, se perfectionnent d’abord où ils en ont le plus de facilité, chez les peuples coloniaux opprimés. Certes, leur haine raciale les y invitent. Mais ils n’y étouffent pas leur haine sociale, leur haine de classe. Les salopards à la Glaoui, pacha de Marrakech, l’homme le plus haï des Marocains, dont la police règne sur tout le Sud marocain; à la Abdel Haï Kittani, le plus méprisé, fier que Brunnel, le chef de région d’Oudjda, un des administrateurs les plus brutaux du Maroc, soit président d’honneur de son infâme « confédération » d’ignobles salauds des « confréries »; ceux-là sont respectés. Pour nos bourreaux modernes, il s’agit de haine du peuple. Et dans leurs rêves haineux mêlés à celui de la bourgeoisie coloniale raciste, il y a celui de démontrer leurs preuves de profession policière en France
même à la suite d’un quelconque Juin ou Guillaume, édifié de l’exemple donné par Franco qui fit tellement bien son apprentissage « outre-mer » avant d’aborder l’Espagne.

Devoir impérieux de propagande, d’étude des moyens d’opposition, d’action. Il est vexant pour la classe ouvrière que des intellectuels, qu’un François Mauriac (qui se sent brutalement des réactions humaines), fassent plus de bruits que nous autres, syndicalistes révolutionnaires.

Lors de l’occupation nazie, il fallut un certain temps aux Français pour prendre conscience des crimes du régime hitlérien. Le nazisme abattu, le peuple allemand était accusé de « responsabilité collective ». Et pourtant de pauvres bougres ignoraient, voulaient ignorer et certains persistent encore à vouloir l’ignorer dans toute son ampleur l’immense crime hitlérien. Il y avait les camps de concentration,
la Gestapo. Il y avait les ignobles crimes inhérents à toutes guerres, dans et par n’importe quelle
nation.

Il n’y a pas de guerre ouverte entre France et Afrique du Nord. Les crimes de guerre sont réservés à l’Indochine. Au Maroc, en Algérie, en Tunisie, il y a une terrible répression policière, des immenses massacres, dont à vouloir les ignorer le peuple français se rend « collectivement responsable
», dans l’inconscience même de son égoïsme.

Il y a tous les crimes du passé à dévoiler, la somme des sangs coulés doit être faite malgré nos faibles
moyens d’information: le silence est d’or chez ceux qui se targuent d’être les représentants des « droits de l’homme ». Cette somme sera donc toujours incomplète. Et tous les jours nous apprenons malgré tout de nouveaux crimes.

Nous connaissons les massacres du Cap, ceux de Casablanca. Plus lointain, un des plus ignobles du régime colonial français, celui du Constantinois. Tandis que l’hypocrisie du monde sonnait les cloches de la victoire « alliée » sur l’Allemagne, quarante mille Arabes tombaient sous les balles colonialistes à Sétif, à Karrata, à Guelma…

Le 8 mai 1945, la police, le crime dirigé, n’étaient pas morts. Ils avaient abattu la Gestapo, ils n’avaient abattu qu’une concurrente. Pauvres gestapistes, vous pourriez maintenant prendre des leçons dans la police française. Vous apprendriez du nouveau. Comme promenade sentimentale vous auriez pu vous rendre en Algérie, à une certaine « villa des Oiseaux ». En cherchant, vous trouverez peut-être une réplique d’Auschwitz, dans un endroit tenu au plus haut secret et totalement ignoré.

Les camps de concentration nazis sont apparus aux yeux du monde après avoir été tenus, eux aussi, au secret. Ceux d’Afrique du Nord apparaîtront et le inonde le saura.

Il faut que le monde sache. Il faut que le prolétariat le sache. Il faut qu’il sache que tous les jours, des Arabes sont arrêtés, internés, interrogés, torturés, expulsés, surveillés, mouchardés.

Il faut qu’il sache qu’un grand nombre de camarades Nord-Africains connaissent les supplices de la baignoire, de la bouteille, de l’électricité, de l’eau. Supplices ne laissant aucune trace de témoignage. Il y a d’autres supplices: les martyrs aux épaules ou mâchoires fracassées ne peuvent venir en France.

Frottez-vous les mains, tortionnaires, les Arabes avouent et signent les dossiers préparés par vous. Mais, braves gens de France, qui n’admettez l’existence des crimes policiers que de l’autre côté du rideau de fer : une phrase est sortie un jour de la bouche d’un jeune Marocain lors de son « jugement » : « Que j’aie en mains cet inspecteur et, lui appliquant les tortures qu’il m’a fait subir, je suis sûr de lui faire signer n’importe quel dossier ».

Merci à cet autre camarade Nord- Africain qui eut le courage supplémentaire de porter lui-même, l’autre soir à Paris, devant un public arabe et français, le témoignage des supplices et du calvaire dont il fut la victime. Merci à toi, un parmi la foule de tes frères torturés; merci camarades intellectuels dont nous ne partageons pas les idées politiques, mais qui risquez votre liberté pour défendre
celle des autres, de nous avoir, ce soir-là, ouvert un peu plus les yeux, tandis qu’à l’extérieur de la salle des policiers en grand nombre stationnaient; merci à toi, chrétien sincère, te crevant d’amité pour l’Islam, qui nous dénonça les saloperies d’un grand nombre de chrétiens et nous apprit que certains prêtres et missionnaires se servaient de la confession pour renseigner la police.

Tous ces intellectuels, différents de notre optique révolutionnaire, mais sincères avec leur conception de
l’Homme, nous ont apporté un témoignage irréfutable des choses qu’ils avaient vues en Afrique. Celui qui a connu les bagnes nazis sait ce qu’est un récit de supplicié. On ne peut l’inventer, on ne peut mentir sans que l’expression et la voix trahissent.Tous ces Arabes qui se confièrent à ceux qui voulaient savoir la vérité, disaient vrai.

Le prolétariat doit connaître la vérité et combattre toute répression d’où qu’elle vienne. Le SUB (Syndicat Unique du Bâtiment de la CNT-AIT) a pris position, le travail doit être fait. Solidarité
avec nos camarades. Gars du Bâtiment, les travailleurs Nord-Africains affluent beaucoup dans les travaux publics, les carrières et usines de matériaux, la terrasse. Soyons camarades avec eux. Beaucoup d’entre eux viennent, non pour gagner plus, mais « pour avoir la paix ».

Dressons-nous contre la répression.

P. MORAIN.

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IMPASSE ET TRAHISON

Le Combat Syndicaliste CNT-AIT, n°115, 4 décembre 1953

Lorsque, conséquence fatale du capitalisme, la seconde guerre mondiale éclata, les troupes allemandes, après avoir envahi d’autres nations, se ruèrent sur la France, le peuple français jugeant avec juste raison le patriotisme, invention de la bourgeoisie, n’opposa guère de résistance.

L’armistice signé, le territoire investi ou dirigé par la clique pétainiste, à la place de l’idiotie militaire française, les Français se trouvèrent en face de l’idiotie organisée de-l’armée allemande, arme puissante d’un capitalisme intelligent. Les premiers crimes militaires et nazis aidant, la Résistance s’organisa. Les éléments qui la composait étaient mus par des sentiments fort divers: patriotisme, goût de l’aventure, échappement au S.T.O., lutte contre le fascisme, désir d’instauration d’un régime foncièrement socialiste.

La « Libération » faite, le mythe du réformisme parlementariste retrouva sa place active au milieu de la fièvre patriotique des drapeaux tricolores, des « Marseillaise ». Il fallait relever l’économie française et le capitalisme. « Retrousser les manches », produire d’abord, revendiquer ensuite, s’engager – « Tout jeune Français doit être fier de porter l’uniforme » -. Les libertaires étaient accusés de faire le jeu du capitalisme, leur réalisme accusé d’utopie, tandis que le prolétariat et l’internationalisme étaient de nouveau trahis.

Même le tripartisme déchu, les dirigeants « ouvriers » continuèrent à exalter le patriotisme, le nationalisme, la haine contre le « boche ». La lutte contre le militarisme, l’entente internationale entre toutes les organisations ouvrières contre tout réarmement ne furent pas engagées, mis à part la campagne trompeuse contre. la prolongation du service militaire et l’exemple magnifique des recrues belges aidées par la classe ou vrière. L’appel des Forces Libres de la Paix à la F.S.M. et à la C.I.S.L. pour le refus par les organisations syndicales du monde de travailler à la fabrication des engins de guerre, ne reçut, et pour cause, aucune réponse, tandis que l’on faisait le silence sur l’emprisonnement des objecteurs de conscience.

La trahison de la lutte ouvrière anti-militariste arrive à une impasse : le réarmement allemand. Et d’un coup, les soi-disant représentants du prolétariat se réveillent. Si ce réveil était celui de l’antimilitarisme, nous pourrions applaudir. Il n’en est rien, et la trahison de la Révolution et de l’Internationalisme continue de plus belle. Tous les sentiments bourgeois sont repris à l’extrême pour la lutte contre la C.E.D.: patriotisme, nationalisme, chauvinisme.

Le peuple allemand est présenté comme borné, barbare, militariste, revenchard, impérialiste. Tous les moyens sont bons: presse, affiches, slogans à la chaux, expositions, etc… Deux exemples pour illustrer ces deux derniers moyens :

Sur les murs de Cormeilles-en-Parisis : « Pas d’armes aux Boches ».

A Nice, exposition sur les « Camps de la Mort et les crimes nazis », organisée par le M.L.P. et la F.N.D.I.R.P. Toutes les villes sont invitées à suivre le même exemple.

Et dans l’esprit de la population s’ancre de plus en plus l’idée que le peuple allemand c’est cela, que lui seul est cela. Il y a bien les crimes atroces du corps expéditionnaire en Indochine, mais là encore l’on nous raconte qu’il s’y trouve beaucoup d’Allemands, alors n’est-ce pas, rien d’étonnant ! Ne parlons pas ou oublions les crimes français sur les autres territoires et en Allemagne même : ceux de l’entrée des troupes françaises en Allemagne, tels les droits de pillage, de viol, d’assassinat des tabous du glorieux et légendaire Leclerc, ceux d’Afrique Noire, les 80.000 Malgaches assassinés; en Afrique du Nord les 45.000 Algériens tués dans le Constantinois le jour de la victoire ; Casablanca il y a un an, le Cap Bon, Tazerka, les « ratissages », la répression policière digne de la Gestapo, les camps d’internement…

Ainsi donc, seule l’armée allemande, seuls les Allemands sont capables de barbarie. Trahison de l’antimilitarisme. Bien loin du cerveau de ces « dirigeants » de présenter au prolétariat les exactions de toute armée, qu’elle soit allemande, française, américaine, russe, chinoise…

Pour ces Messieurs, le peuple allemand est héréditairement militariste. Pourtant, le retour d’Allemagne de n’importe quel jeune lucide et ouvert apporte la démolition de ce principe. Le peuple allemand a marre de la guerre. Le réarmement de l’Allemagne déjà commencé, il le hait. Ainsi, à Trèves en 1951, les volontaires allemands des « Forces Auxiliaires du Génie » se faisaient souvent casser la gueule par les civils. Parmi les volontaires, se retrouvaient les multiples éléments qui composent les engagés de tous les pays : militaires bornés de carrière, fainéants, jeunes idéalisés et trompés, et surtout chômeurs. Dans les engagés français pour l’Indochine, nous retrouvons aussi : brutes, fainéants, quelques masturbés intellectuellement par le patriotisme et beaucoup de jeunes qui ont assez de la misère où le capitalisme les jette, qui ne trouvent plus d’autre issue. Un seul exemple : le jour où la France hystérique foutait ses torchons tricolores en berne, chialant la crevaison de notre boucher-pédéraste national De Lattre de Tassigny, partait de Pontoise, direction Indochine, un contingent composé aux deux tiers de jeunes de l’Assistance Publique.

La chair à canon « volontaire » se recrute de la même façon dans tous les pays.

Pour prouver que le peuple allemand retourne de lui-même vers le nazisme, l’on nous rappelle la victoire d’Adenauer aux dernières élections.

Pouvait-il en être autrement : aide puissante de l’Amérique, désir des socialistes de ne pas se mouiller, redressement puissant de l’économie par Adenauer ? Evidemment, il y avait une solution : l’abstention massive. Mais c’est méconnaître la puissance des Eglises en Allemagne de l’Ouest parmi un peuple plus religieux qu’en France.

Marche vers le fascisme! Que l’action directe des travailleurs de Berlin-Est? Le plus emmerdant pour nos « patriotes », c’est que le peuple de l’Allemagne de l’Ouest est aussi las, que le black-out était imposé à Berlin-Ouest pendant les événements de Berlin-Est, et qu’en même temps, à l’Ouest, Munich, entre autres villes, tempêtait.

De même, l’on oublie trop la lutte souvent violente du peuple allemand contre cette C.E.D. et la remilitarisation. Et quelle belle occasion ce 11 novembre pour remuer les macchabées, victimes de l’hégémonie allemande! Pour ces nécrophages, l’Allemagne seule est responsable des guerres ! Trahison de la lutte anti- capitaliste car « Le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l’orage ». L’hégémonie allemande tant martelée dans nos cerveaux de « minus habens », a la même cause que la nécessité de la guerre pour n’importe quelle nation capitaliste : le fric et l’intérêt des gros et de l’Etat, c’est-à-dire le capitalisme. Présenter l’hégémonie allemande comme cause principale des guerres, c’est nier la conséquence vitale pour le capitalisme : la guerre. Rien d’étonnant alors que l’on vienne nous baratiner avec la possibilité de co-existence pacifique de deux blocs: capitalisme semi-privé et capitalisme d’Etat.

Que de beaux couplets patriotiques trompettés par la même occasion ! Prolétaires, bourgeois, commerçants, patrons, l’on se retrouvent tous frères en une minute de silence pour ceux qui sont crevés « héroïquement » à cause de ces sales « boches ». Chialons en choeur, braves nationaux, l’Unité Nationale est retrouvée, tant pis pour la lutte des classes.

Mais oui, nous y voilà! Belle occasion, cette lutte contre la ratification des accords de Bonn et de Paris, pour jeter les bases d’un Front National uni. Thorez jubile: « Nous sommes prêts à faire l’alliance avec tous les Français, nous disons bien, avec tous les Français quels qu’ils soient ». Vive Daladier, vive de Gaulle! Embrassons bourgeois, curés, patrons. Beaux rêves d’intellectuels réalisés! Ne les effrayons pas surtout. Pour cela que cette masse de travailleurs ne bouge pas, tuons la grève générale; heureusement que la colère ouvrière d’août 1953 s’est terminée par le dernier coup de poignard, celui de la C.G.T.! Et vivent la France, le Parlement, la Contre-Révolution !

Bouddah Toto-Welcome, tu n’oublies pas que la Révolution ne marche pas à l’heure du Kremlin.

Pseudo-révolutionnaires mitigés de réformisme et de parlementarisme, vous avez beau jacter que votre lutte contre la C.E.D. est la première étape de la lutte pour le désarmement général. Nous ne vous croyons pas, car vous vous réveillez trop tard et que cette lutte pour le désarmement général, cette lutte contre le militarisme, vous ne les avez jamais engagées, et que par votre nationalisme, votre patriotisme, votre chauvinisme, même d’occasion, vous consolidez les armes du capitalisme et vous risquez de jeter le peuple allemand dans la haine et de le conduire par réaction au nationalisme, au patriotisme, au chauvinisme, au militarisme. Avec ou sans C.E.D., le réarmement allemand se fera. Le capitalisme américain en a besoin et l’hypocrite Churchill l’a clairement annoncé.

A moins que d’ici là, vous ne rejoigniez le véritable front de la Révolution Sociale. Mais il faudrait dire « Merde » au Kremlin, au Parlement et aux bourgeois, ce qui n’est pas votre habitude.

Les véritables révolutionnaires ne sont pas plus partisans que vous de la C.E.D. Mais la lutte que certains peuvent mener contre la ratification des traités de Bonn et de Paris, se place dans la lutte anti-militariste générale, en dehors des nationalismes et patriotismes, en dehors de la haine entre peuples. Elle est plus lucide que la vôtre et seule sa grandeur minoritaire en nombre de militants et votre trahison du prolétariat l’empêche d’être victorieuse.

De même que si tous les mouvements ouvriers du monde s’unissaient contre la guerre par l’action directe, le capitalisme créverait fatalement, la Paix se fait par la destruction du capitalisme, germa de guerre. Chaque victoire emportée par le mouvement ouvrier sur le capitalisme est un pas en avant pour la Paix. La Paix ne vient que par la guerre sociale, que par la lutte de classe internationale. Pour la paix finale, pas de paix sociale.

Syndicalistes révolutionnaires, quels que soient notre opinion et notre engagement personnel à propos de la C.E.D., soyons par l’action de chacun de nous, action concertée et organisée, une véritable minorité agissante contre le capitalisme et ses armes : réformisme, patriotisme, chauvinisme, nationalisme, militarisme. Jeunes appelés dans l’abêtissement organisé des 18 mois et des périodes, réfléchissons et découvrons le véritable visage de l’Armée, quelle qu’elle soit.

La Haine, oui, mais la haine contre les brutes galonnées, contre la maffia des profiteurs et de leurs larbins.

P. MORAIN.

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