Un texte classique de l’anarchosyndicalisme espagnol
Traduction par Le Réveil socialiste-anarchiste, N°304 – 15 Avril 1911, d’après un article original paru dans La Huelga general, 20 février 1902
La grève générale, qu’on la considère dans sa conception ou dans sa réalisation, peut mériter l’un ou l’autre de ces trois qualificatifs.
La grève générale utilitaire ou réformiste n’est qu’une généralisation de la grève partielle que tentent les travailleurs d’un syndicat lorsque, soutenant la lutte économique dans les pires conditions, ne pouvant plus vivre, ils demandent une augmentation de salaire ou une diminution des heures de travail.
Ge genre de grèves se termine habituellement par une débâcle ou un triomphe apparent après l’agitation des commissions, les déclarations pacifiques des ouvriers, les applaudissements bourgeois. Quelques jaunes obtiennent des postes stables et les actifs, les conscients sont jetés sur le pavé, inscrits sur les listes policières et sur les listes noires. Résultat : temps gâché et pertes douloureuses.
La grève générale de solidarité entreprise pour soutenir des camarades en lutte, comporte par elle-même une telle élévation de sentiments que le seul fait de la tenter grandit ceux qui y prennent part. Habituellement elle est provoquée par la nécessité de défendre un camarade (telle fut tout récemment celle des charretiers de Barcelone) ou défendre le droit d’association (telles celle plus récente encore [des ouvriers des villes de] Reus et celles de Gijon, La Corogne, Séville et La Linéa qui ont eu une importance particulière).
Mais par sa solution et par ses avantages, elle diffère bien peu de la grève utilitaire et puis il faut toujours compter quelques poursuites et emprisonnements pour la fameuse atteinte à la liberté de travail.
Reste la grève générale révolutionnaire. Celle-ci, ne nous faisons pas d’illusions, éclatera et sera vaincue, mais la dernière, la victorieuse, celle qui sera lorsque nous serons assez conscients pour la faire et suffisamment forts pour la mener à bonne fin et vaincre nos ennemis, celle-là représentera la prise de la dernière bastille, elle donnera la dignité d’une vie humaine complète à tous les hommes, même à Pachu, le faucheur inventé par Lerroux[1], qui qualifiait de bourgeois les ouvriers triomphants d’une grève utilitaire.
Nous avons cessé d’être utilitaires ou réformistes et nous nous sommes séparés du parti républicain parce que nous avons vu que ses membres ne sont révolutionnaires que de nom et parce que nous savons combien sont inefficaces les réformés à si grand’peine obtenues dans toutes les républiques du monde.
Nous sommes venus dans le camp libertaire parce que là seulement se fait une véritable besogne révolutionnaire, car on combat les principaux fondements de cette société : Religion, Patrie, Etat. De plus les libertaires, non contents de renouveler les idées portent leur action dans la rue par la grève générale qu’ils considèrent comme le seul moyen d’émancipation pour les travailleurs.
Et c’est pour cela que, tout en respectant toutes les initiatives, en étant dépourvus de tout dogmatisme quoique fermes dans notre conviction, nous disons qu’il ne faut jamais oublier que le seul but de la grève générale, c’est la Révolution.
Demander des réformes par la grève générale, c’est comme faire de la petite politique. Faire la grève sans autre but que la solidarité, ce qui d’ailleurs est louable dans maintes occasions, c’est du pur sentimentalisme.
Or, ce n’est ni par utilitarisme, ni par sentimentalisme que nous devons mettre en mouvement la grande collectivité prolétarienne. Elle ne doit jamais suivre ni l’inspiration de Sancho Panca, ni celle de Don Quichotte, mais l’inspiration de la raison ; c’est-à-dire que nous ne devons pas être d’imbéciles égoïstes, ni des fous altruistes, mais des hommes justes.
Et puis, il n’y a pas d’utilité plus grande ni de solidarité plus élevée que celles qui se trouvent dans le projet de transformation de la société puisqu’il est en parfait accord avec l’intérêt universel de l’humanité.
C’est pour démontrer ce fait que fut créé notre publication « La Huelga general » (La grève générale), et par elle nous nous’proposons de venir en aide à ceux qui sans détours ni déviations, vont vers la seule et véritable fin révolutionnaire et nous voulons que les travailleurs, individuellement et collectivement, soient d’accord avec eux.
Laissons les réformes pour les politiciens dé métier et pour les naïfs.
Abandonnons le sentimentalisme, atavisme chrétien, a ceux qui seraient d’accord avec le régime actuel.
Les libertaires sérieux étudient et préparent la grève générale révolutionnaire et la société d’après la Révolution.
Francisco FERRER et Anselmo LORENZO
[1] Alejandro Lerroux García (4 mars 1864 – 25 juin 1949) : journaliste et politicien espagnol. Figure des Républicains espagnols, caractérisée par son populisme : ouvriériste, démocratiste, anticlérical, et à la fois anti-catalaniste et anti-anarchiste Démagogue bénéficiant d’une popularité réelle auprès de la classe ouvrière de Barcelone (notamment du fait de son anticléricalisme), il réprima durement les anarchistes quand il fut chef du gouvernement pendant la Seconde république. Il donna son soutien à Franco pendant la révolution et la guerre civile Espagnole.
1 commentaire sur Les 3 types de grève générale : utilitaire, de solidarité, révolutionnaire