Voline est une des figures les plus marquantes de l’anarchisme international de la première moitié du XXème siècle. Si la première partie de sa vie, et notamment sa participation à la révolution russe puis à l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne de Nestor Makhno et ensuite son exil est assez bien connue, les dernières années de sa vie sont rarement évoquées. Elles sont pourtant intéressantes au-delà de l’aspect historique, comme réflexion sur la signification de l’engagement anarchiste dans un pays en guerre.
Voline a été un révolutionnaire engagé et sans compromis : il a connu les prisons tsaristes, la déportation en Sibérie, l’exil en France puis l’expulsion pour propagande anti-guerre, le retour en Russie lors de la Révolution de 1917. Mais de nouveau il a connu les prisons Bolchéviques où Trotsky l’a condamné à mort 2 fois avant finalement de l’expulser en 1921. En exil en France à partir de 1925, il n’aura de cesse de témoigner de la réalité totalitaire du communisme, qu’il désigne comme le fascisme rouge. Il s’engage aussi sur les questions théoriques et organisationnelles du mouvement anarchiste, prenant position contre les tentatives bolchévisantes de la Plateforme d’organisation, préférant une approche synthésiste du mouvement anarchiste. Dans les années 30, il se rapproche de la CGTSR (CGT Syndicaliste révolutionnaire), la section française de l’AIT. (il était déjà un des secrétaire du fond de solidarité de l’AIT pour les anarchistes russes emprisonnés).
Lorsque la guerre éclate en 1939, Voline vit en clandestinité à Marseille. Extrêmement pauvre, malade, il a toujours la flamme militante chevillée au corps. Le mouvement anarchiste français, déjà éprouvé par l’accueil massif des réfugiés espagnols début 1939, a été déclaré illégal à la proclamation de la guerre. Les militants rentrent dans la clandestinité et se font discrets. Mais à partir de 1940-41, les anciens liens des réseaux se retissent. Voline est contacté par André ARRU, un Bordelais qui a déserté en septembre 1939 et qui se cache à Marseille. Bien que clandestin, dans une situation très précaire, menacé par Vichy comme par la Gestapo nazi en tant qu’anarchiste, juif et comme franc-maçon, Voline n’hésite pas à participer à la création en février 41 du Groupe anarchiste international qui publie le journal clandestin La Raison (premier numéro en juin 1943), la seule publication anarchiste sous l’occupation allemande. Le groupe international réunit des militants français, italiens, espagnols, sénégalais, Russe et le tchèque Joseph Sperck. Le réseau s’étend à Toulouse, Bordeaux, Perpignin, … en réactivant les anciens réseaux de la CGTSR. Ils prenent contact avec la CNT-AIT espagnol qui se réorganise danslaa clandestinité. Des militants de l’organisation anarchosyndicaliste, les Tricheux, accueillent un congrés dans leur ferme en 1943. Les frères Lion, imprimeurs compagnons de route de la CGTSR, impriment affiches, tracts et brochures de la « Fédération internationale syndicaliste révolutionnaire ».
C’est Voline qui a été chargé d’écrire les textes qui précisent la position des anarchistes face à la guerre et face à l’occupation. Il se singularise par rapport aux autres groupes de Résistance par le fait qu’ils n’adoptent pas une position nationaliste mais au contraire défendent une position « strictement libertaire, hostile aux Allemands, au capitalisme, aux responsables de la guerre, à la dictature stalinienne. [1]». Alors que les Communistes n’entreront en résistance qu’à partir de juin 1941, sous le slogan « chacun son boche »,Voline écrit : « Prolétaires, en 1919, en 1936, tu criais : MORT AUX VACHES ! En 1943, ne crie plus : AGIS. Crève-les TOUTES : qu’elles portent en grelot une croix gammée, une étoile rouge, l’Ordre de la Jarretière, la Croix de Lorraine ou une francisque. Vive la Liberté ! Vive la Paix ! VIVE LA REVOLUTION SOCIALE ! »
En plus de cette activité de propagande idéologique, le groupe imprime aussi des faux documents pour permettre aux juifs et persécutés du régime nazi de s’échapper des griffes de la Gestapo et de la mort. Le 3 août 1943, Voline lui-même échappe de peu à l’arrestation lors de la rafle qui décime le groupe.
Il survit jusqu’à la libération mais s’éteint en septembre 1945, terrassé par la tuberculose.
Voline nous montre ce qu’est réellement un anarchiste : quelqu’un sans compromis, qui n’abandonne pas ses principes et reste digne dans l’adversité en défendant ses idées sans composer ni avec le nationalisme, ni avec l’Etat (actuel ou futur). Alors que la guerre sévit en Ukraine, alors que certains ont abandonné les valeurs anarchistes en rejoignant l’armée nationale, heureusement certains comme le groupe Assembleia de Kharkov continuent d’œuvrer dans l’esprit de résistance de l’anarchiste Ukrainien Voline.
[1] Pierre Guiral, Libération de Marseille, Hachette, 1974, page 46.
Pour en savoir plus sur le réseau de résistance anarchiste autour de Arru et de Voline :
MORT AUX VACHES ! – APERCU SUR LA RESISTANCE DES ANARCHISTES DE MARSEILLE A TOULOUSE …
2 commentaires sur Voline, un anarchiste russe dans la Résistance contre les nazis mais aussi contre les « libérateurs »