A l’occasion du référendum du 1er août 2021, organisé par la Président Mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO), pour proposer que les anciens présidents soient passibles de poursuites pour corruption, l’EZLN s’est jointe à l’appel pour voter « oui », cette fois au nom de la justice pour les victimes.
Pour une chose, puis pour une autre, de nouveau l’EZLN appelle à voter. En 2018 c’était pour désigner Marichuy comme candidate pour les élections présidentielles ; en 2021 c’est pour poursuivre en justice les anciens présidents.
La chose pourrait paraître une affaire de naïveté innocente de la part de l’EZLN et on pourrait penser que l’EZLN le fait sincèrement pour obtenir une réparation de justice pour les victimes de ce système. Mais penser à de la naïveté innocente de la part de l’EZLN, c’est les croire inaptes à interpréter le contexte politique. Or malgré les divergences que l’on peut avoir avec eux, nous savons que ce n’est pas le cas.
Il est bien connu que le référendum est une « souveraine idiotie », car pour passer il lui faudra récolter 37 millions 400 mille signatures, dans un grand nombre de bureaux de votes distincts, ce qui représente un quart de la population totale du Mexique (en incluant les mineurs qui ne peuvent pas voter). Selon l’Institut National Electoral (INE), chargé d’organiser le référendum, il y a au Mexique 95 millions de personnes pouvant voter [sur une population totale de 127 millions], c’est-à-dire que 30 millions sont soit mineurs soient n’ont pas les documents nécessaires pour voter.
Ainsi sur 95 millions de votant potentiel, il faudrait que 37 millions se prononcent en faveur de l’initiative de référendum, soit 39% de l’électorat total. L’affaire est sans aucun doute comique.
Ensuite, le référendum ne dit pas que les acteurs politiques (pas seulement les présidents) doivent être traduits en justice, mais simplement qu’ils pourront faire l’objet d’enquêtes.
Dans un contexte comme le Mexique, où règne l’impunité, penser qu’une telle enquête, au cas où le référendum réussirait à réunir assez de voix, pourrait conduire à éclaircir quelque chose pour les victimes, c’est tout simplement ne pas savoir dans quel pays on vit.
Admettons que par miracle cela puisse arriver, que toutes les signatures soient réunies, que les institutions pourries de l’Etat mènent une enquête sans corruption et sans couvrir les politiciens et sans qu’AMLO veuille leur pardonner, comme cela est arrivé avec Cienfuegos, Lozoya, Gordillo, etc., etc., puis qu’ils soient amenés au tribunal … Et bien même dans ce cas, il est possible qu’ils en ressortent libres !
Il semble que pour l’EZLN les exemples d’impunité ne sont pas suffisants : Emilio Lozoya, le général Cienfuegos, Elba Ester Gordillo, Mario Marín, Osorio Chong lui-même, Ebrard, la liste est longue de ceux qui sont encore en liberté sans être dérangés pour leurs crimes.
D’où vient alors que l’Armée Zapatiste EZLN lance un nouvel appel à se rendre aux urnes pour légitimer un système mortifère qu’elle ne se lasse pas de dire par ailleurs qu’elle le déteste et qu’elle veut le détruire ?
Curieuse question ! Il y a quelques semaines, l’EZLN s’est plainte du racisme des institutions mexicaines, et maintenant elle appelle à utiliser ces mêmes institutions pour aller aux urnes.
Appeler à légitimer ce système mortifère, c’est marcher sur sa propre langue dans tous ses discours. Prétendre que la justice n’est pas rendue par l’action populaire, mais à travers les institutions bourgeoises est quelque chose de pitoyable à ce niveau.
Irons ceux qui les croient encore, nous les verrons le 1er août se rendre aux urnes ! Ce qui est clair, plus que clair, c’est que l’EZLN est petit à petit plus proche d’une organisation politique que révolutionnaire, plus démocrate que sociale, et que personne ne s’étonnera de les voir s’engager dans toujours plus d’actes légaux et électoraux à l’avenir, tout indique qu’ils s’en vont suivant cette route.
Il ne faut pas penser que nous ne voulons pas la justice pour les victimes de ce système, mais demander justice pour les victimes de l’Etat à ce même Etat, c’est demander au bourreau de faire justice contre lui-même. Une absurdité totale.
La justice doit être sociale et non politique ; révolutionnaire et non institutionnelle ; économique et pas électorale. Penser que la justice viendra en allant aux urnes, c’est n’avoir rien appris de l’Histoire ni du contexte contemporain du Mexique. C’est- de la part de l’EZLN – tromper ceux qui les suivent pour les habituer petit à petit au système électoral bourgeois et les entraîner petit à petit dans la politique.
Une affaire honteuse, pour sûr.
Erick Benítez Martínez, 26 Juiller 2021
Editeur, designer et distributeur, Ediciones La voz de la Anarquía, Mexico
PS : L ‘ échec démoc-rat (après le résultat du référendum)
Eh bien aujourd’hui, 2 août 2021 ; malgré les 522 millions de pesos (soit 22,6 millions d’euros) dépensé pour ce référendum, nous arrivons à peine à 6 millions et demi de votants pour le oui au procès des politiciens.
On voit que l’appel de l’EZLN à rejoindre le cirque démocrate n’a pas réussit à prendre, soit que les gens ne voulaient de justice pour les victimes, ou mieux, que les gens n’ont pas cru à cette farce de consultation à laquelle seuls certains sociaux-démocrates ont crus.
On reprochera à l’INE d’avoir ouvert trop peu de bureaux de vote, les indécis seront accusés de ne pas être allés voter et même les anarchistes seront blâms pour avoir appelé à ne pas participer à la farce gouvernementale. Ils vont blâmer tout le monde parce que leur exercice démoc-rat, avec lequel ils pensaient encourager leur démocratie bourgeoise, depuis le palais national ou depuis le Chiapas, a été un échec.
La vérité c’est que ni le désir d’enquêter sur quelque chose ni l’appel des victimes, les deux bobards démoc-rats également lamentables, n’ont suffi à rassembler même pas 7 millions de voix.
Sur 93 millions de Mexicains ayant la possibilité de voter, ils n’en ont même pas atteint 7. Un abstentionnisme de 86 millions de personnes est un panorama qui devrait être un apprentissage pour ceux qui ont appelé à voter depuis la baraque sociale. Mais non, nous les reverrons sûrement bientôt en train d’appeler aux urnes sous quelque nouveau prétexte, mais de plus en plus près de la démocratie bourgeoise et de plus en plus loin de la révolution.