La Proclamation de la Commune [Louise Michel]

La proclamation de la Commune fut splen­dide ; ce n’était pas la fête du pouvoir, mais la pompe du sacrifice : on sentait les élus prêts pour la mort.

L’après-midi du 28 mars par un clair soleil rappelant l’aube du 18 mars, le 7 germinal an 79 de la République, le peuple de Paris qui, le 26, avait élu sa Commune inaugura son entrée à l’Hôtel-de-Ville. Un océan humain sous les armes, les baïon­nettes pressées comme les épis d’un champ, les cuivres déchirant l’air, les tambours battant sourdement et entre tous l’inimitable frappement des deux grands tambours de Montmartre, ceux qui la nuit de l’entrée des Prussiens et le matin du 18 mars, éveillaient Paris, de leurs baguettes spectrales, leurs poignets d’acier éveillaient des sonorités étranges.

Cette fois les tocsins étaient muets. Le grondement lourd des canons, à intervalles réguliers saluait la révolution. Et aussi, les baïonnettes, s’inclinaient devant les drapeaux rouges, qui par faisceaux entou­raient le buste de la République.

Au sommet, un immense drapeau rouge. Les bataillons de Montmartre, Belleville, La Cha­pelle, ont leurs drapeaux surmontés du bonnet phrygien ; on dirait les sections de 93. Dans leurs rangs des soldats de toutes les armes, restés à Paris, ligne, marine, artillerie, zouaves. Les baïonnettes toujours plus pressées débor­dent sur les rues environnantes, la place est pleine ; c’est bien l’impression d’un champ de blé. Quelle sera la moisson ? Paris entier est debout, le canon tonne par intervalles. Sur une estrade est le comité central ; devant eux, la Commune, tous avec l’écharpe rouge.

« Pas de discours, un immense cri, un seul, Vive la Commune ! »

Peu de paroles dans les intervalles que scan­dent les canons. — Le comité central déclare son mandat expiré, et remet ses pouvoirs à la Commune. On fait l’appel des noms ; un cri immense s’élève : Vive la Commune ! Les tambours bat­tent aux champs, l’artillerie ébranle le sol.

— Au nom du peuple dit Ranvier, la Com­mune est proclamée.

Tout fut grandiose dans ce prologue de la Commune, dont l’apothéose devait être la mort. Pas de discours, un immense cri, un seul, Vive la Commune !

Toutes les musiques jouent la Marseillaise et le Chant du Départ. Un ouragan de voix les reprennent.

Un groupe de vieux baissent la tête vers la terre on dirait qu’ils y entendent les morts pour la liberté ce sont des échappés de juin, de décembre, quelques-uns tout blancs, sont de 1830, Mabile, Malezieux, Cayol.

« C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste. »

Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, c’est été la Commune composée d’hommes d’intelligence, de courage, d’une incroyable honnêteté, qui tous de la veille ou de long temps, avaient donné d’incontestables preu­ves de dévouement et d’énergie. Le pouvoir, incontestablement les annihila, ne leur laissant plus d’implacable volonté que pour le sacrifice, ils surent mourir héroïquement.

C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste. Le soir même du 28 mars, la Commune tint sa première séance, inaugurée par une mesure digne de la grandeur de ce jour ; résolution fut prise, afin d’éviter toute question personnelle, au moment où les individus devaient rentrer dans la masse révolutionnaire, que les mani­festes ne porteraient d’autre signature que celle-ci : La Commune. Dès cette première séance, quelques-uns étouf­fant sous la chaude atmosphère d’une révolu­tion ne voulurent pas aller plus loin, il y eut des démissions immédiates.

Ces démissions entraînant des élections complé­mentaires, Versailles put mettre à profit le temps que Paris perdait autour des urnes.

Voici la déclaration faite à la première séance de la Commune.

Paris, 28 mars 1871.

Citoyens,

Notre Commune est constituée. Le vote du 26 mars sanctionne la République victorieuse.

Un pouvoir lâchement oppresseur vous avait pris à la gorge, vous deviez dans votre légitime défense repousser ce gouvernement qui voulait vous déshonorer en vous imposant un roi. Au­jourd’hui les criminels que vous n’avez pas même voulu poursuivre abusent de votre magna­nimité pour organiser aux portes de la cité un foyer de conspiration monarchiste, ils invoquent la guerre civile, ils mettent en œuvre toutes les corruptions, acceptent toutes les complicités, ils ont osé mendier jusqu’à l’appui de l’étranger.

Nous en appelons de ces menées exécrables au jugement de la France et du monde.

Citoyens, vous venez de nous donner des institutions qui défient toutes les tentatives. Vous êtes maîtres de vos destinées, forte de votre appui la représentation que vous venez d’établir va réparer les désastres causés par le pouvoir déchu.

L’industrie compromise, le travail suspendu, les transactions commerciales paralysées vont recevoir une impulsion vigoureuse.

Dès aujourd’hui, la décision attendue sur les loyers, demain celle sur les échéances.

Tous les services publics, rétablis et simpli­fiés.

La garde nationale, désormais seule force armée de la cité, réorganisée sans délai.

Tels seront nos premiers actes.

Les élus du peuple ne lui demandent pour assurer le triomphe de la République, que de les soutenir de votre confiance.

Quant à eux, ils feront leur devoir.

La Commune de Paris, 28 mars 1871.

Ils firent en effet leur devoir, s’occupant de toutes les sécurités de la vie pour la foule, mais hélas ! la première sécurité eût été de vaincre définitivement la réaction. Tandis que la confiance renaissait dans Paris, les rats de Versailles trouaient la carène du navire. Quelques démissions eurent lieu encore avec des motifs divers : Ulysse Parent, Fruneau, Gou­pil, Lefebvre, Robinet, Méline.

Des commissions avaient été formées dès les premiers jours sans être pourtant définitives ; suivant leurs aptitudes, les membres d’une commission passaient dans une autre. La Commune était partagée entre une majo­rité ardemment révolutionnaire, une minorité socialiste raisonnant trop parfois pour le temps qu’on avait, semblables en ce point, que la crainte de prendre des mesures despotiques ou injustes, les ramènent aux mêmes conclusions.

Une des premières mesures de la Commune : l’annulation des loyers

Un même amour de la Révolution rendit leur destinée semblable. — La majorité aussi sait mourir, dit quelques semaines plus tard Ferré en embrassant Delescluze mort.

Les membres de la Commune élus aux élec­tions complémentaires furent Cluseret, Pottier, Johannard, Andrieu, Serailler, Longuet, Pillot, Durand, Sicard, Philippe, Louelas, A. Dupont, Pompée, Viard, Trinquet, Courbet, Arnold. Rogeart et Briosne ne voulurent pas siéger par susceptibilité sur le nombre de voix obte­nues, ils étaient vraiment, ces hommes de 71, des candidats qui ne ressemblaient guère aux autres. Menotti Garibaldi fut élu mais ne vint pas, écœuré peut-être encore de l’Assemblée de Bor­deaux, où Garibaldi offrant ses fils à la Républi­que avait été couvert de huées.

Quoi qu’il arrive, disaient les membres de la Commune et les gardes nationaux, notre sang marquera profondément l’étape.

Il la marqua en effet si profondément que la terre en fut saturée, il y creusa des abîmes qu’il serait difficile de franchir pour retourner en arrière ainsi que des rouges roses le sang en fleurit les pentes.

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