Site internet du Sindicato Oficios Varios Santiago, 5 août 2020
L’une des plus grandes différences qui existent aujourd’hui entre les gens qui vivent dans le monde, et qui d’une manière ou d’une autre nous détermine, est le montant d’argent que nous avons. C’est l’argent lui-même en tant que matière physique et métaphysique qui reproduit cette différence très déterminante et qui même, chez certaines personnes, les conditionne de manière vitale à vivre une vie digne ou indigne. L’argent, la monnaie, est devenu une nécessité vitale, plus vitale que la nourriture (même si on ne peut pas consommer un billet), car pour obtenir de la nourriture, il faut de l’argent; un paradoxe contradictoire et plutôt décadent de la modernité.
Au Chili, une loi d’État comme beaucoup d’autres accordera de l’argent aux gens[1], mais cette loi, contrairement à d’autres, accordera aux chiliens, aux femmes et aux hommes chiliens, de l’argent qui leur appartient de droit depuis longtemps et qui leur a été volé au cours d’une dictature militaro-étatique qui a mise en selle une nouvelle élite bourgeoise pour administrer le pays. Qui étaient les voleurs? Cette même élite bourgeoise créée par Pinochet et basée sur les Chicago Boys avec leur paradigme néolibéral. Avec ce vol, la dictature militaro-étatique a consolidé les hiérarchies économiques qui nous gouvernent aujourd’hui (par exemple: la famille Piñera), mais pire encore, elle les a consolidées avec de l’argent qui appartenait au peuple. Aujourd’hui, c’est à la mode d’exiger la fin du système des 10 pour cent des administrateurs des caisses de retraite (AFP) créée en 1980 par le frère de l’actuel président du Chili. S’il y a moyen de démontrer la profonde détermination que l’argent lui-même représente pour les gens, c’est bien cet événement. Cet événement nous montre principalement deux choses: premièrement, le besoin vital que représente l’argent chez les gens pour maintenir une vie digne et confortable, sans de grandes pénuries, et deuxièmement, la différence entre ceux qui ont plus et ceux qui ont moins. Mais il y a pire: ceux qui ont plus possèdent plus parce qu’ils possèdent notre argent investi ailleurs, c’est-à-dire qu’ils sont riches à nos dépens et c’est pourquoi ils nous gouvernent soit politiquement, soit économiquement!
En tant qu’anarchistes, nous proposons que l’argent soit aboli car il est impensable que la spéculation détermine notre condition humaine et ne nous permette pas de vivre de manière digne. Le seul moyen d’abolir l’argent est de le faire à partir d’une bataille culturelle, car sans éliminer cette pensée capitaliste-individualiste, même si l’argent est aboli, la misère continuera d’exister, tout comme l’égoïsme et la propriété privée, facteurs qui contredisent aujourd’hui l’amour, lequel favorise l’anarchie, qui est naturellement dans le bien-être humain des personnes.
Cependant, nous ne sommes pas aveugles à ce qui se passe dans notre environnement et nous savons que l’argent des AFP ne devrait pas appartenir à des entreprises privées et encore moins à l’Etat. Les caisses de retraite qui appartenait auparavant aux caisses de secours mutuelles et communales, c’est-à-dire aux organisations de travailleurs, sont d’abord passées aux mains de l’État du Chili en 1931, après l’imposition du code du travail pendant la période dictatoriale de Carlo Ibáñez del Campo. Puis, après de nombreuses réformes, tout cet argent a été privatisé. En tant qu’anarchistes, nous proposons que les AFP cessent d’exister et que l’argent passe entre les mains des travailleurs et des étudiants du pays, car cet argent n’appartient pas au privé, mais à ces mêmes personnes qui ont du se sacrifier toute leur vie, sacrifice imposé par une économie capitaliste. Et c’est encore moins à des politiciens qui ne nous représentent pas de décider quoi faire de cet argent. Nous ne devons pas les remercier de nous donner des miettes qui deviennent notre pseudo-richesse avec ses odeurs de faim, d’acquisition et de consommation.
Ce que fait l’État du Chili aujourd’hui, c’est quelque chose qu’il aurait dû faire il y a longtemps, mais ne vous y trompez pas, nous savons tous que cela n’éliminera pas la hiérarchie économique déjà imposée et créée avec notre argent. Car pour les propriétaires des AFP, et tout son monopole cyclique, ce ne sera rien de plus qu’une crise financière qui s’arrangera avec le temps grâce à notre travail. Par conséquent, ils continueront à nous exploiter et à nous mentir comme ils le font aujourd’hui. En tant qu’anarchistes, nous ne sommes pas dupes et nous savons que l’histoire sera repeinte en rose, qu’on marquera cette loi comme un pas vers une vie plus juste et plus digne. Mais l’histoire noire, marquée par l’inhumanité de la vérité, marquera cette loi pour ce qu’elle est: la tâche la plus dégoûtante de l’État chilien présidé par sa hiérarchie économique et qui, soumise à l’état de droit et à la spéculation monétaire, dégrade l’humanité de toutes et tous, nous asservissant obligatoirement à l’argent par la faim. Enfin, il est vrai que pour toute idéologie, la réalité est implacable, mais il vaut mieux se rendre compte à quel point nous sommes soumis que croire que nous sommes libres.
«La liberté politique sans égalité économique est une fiction, une fraude, un mensonge; et les travailleurs ne veulent pas de mensonges. «
Mikhaïl Bakounine.
[1] NdT : la loi de suppression des prélèvements obligatoires de 10% sur les revenus pour les AFP, administrateurs privés de fonds de pension