(Article paru initialement dans le journal de la CNT-AIT de Toulouse , Octobre – Novembre 2001)
Le dernier congrès de l’AIT (Association Internationale des Travailleurs), en Décembre 2000 à Madrid a eu pour thème : « Contre le capitalisme mondial et ses conséquences : internationalisme prolétarien ». Comme l’écrivait dans son éditorial de juin 2001 le journal « CNT », organe de la section espagnole de l’AIT : « Il n’est pas question pour les individus conscients et révolutionnaires de substituer le néo-libéralisme à un néo-keynesisme. Il s’agit au contraire d’éliminer les deux en parvenant à une organisation économique autogestionnaire, prolétarienne et internationaliste ».
Le cataclysme politico-économique du 11 Septembre 2001 montre combien il est sensé de proposer une organisation économique à la base, qui utilise les richesses pour les besoins de tous et pas pour les privilèges de quelques uns. Les masses actuellement dépossédées, exploitées, affamées, demandent la justice sociale. Elles demandent la fin de la croissance des profits pour les uns et de la misère pour les autres. Elles demandent la fin du mode de développement imposé par le capitalisme. Sans cela, jamais nous n’arriverons à ce que cessent les haines et les guerres. En ce moment historique, il nous faut mettre l’accent sur certaines tactiques de la bourgeoisie. Retour sur les événements de Gênes.
LE CITOYEN DON CAMILLO
« De nombreux mouvements catholiques ont ainsi sereinement adhéré au Genoa Social Forum (GSF), qui réunit presque tous les opposants au G8 (…) quelques prêtres iront avec les Tute Bianche affronter les forces de l’ordre (…) ’Je chercherai à pénétrer dans la zone rouge’ a par exemple indiqué hier le prêtre napolitain Don Vitaliano Della Sala. » (« Libération », 20 juillet 2001). Ces propos édifiants nous rappellent que, malgré l’extraordinaire appareil répressif déployé, les curés (250 congrégations religieuses étaient représentées chez les organisateurs) continuaient à appeler, à la veille de la mobilisation, à pénétrer dans la zone défendue par l’armée. Ils ne faisaient en cela que suivre les consignes d’Attac.
L’Etat italien, qui savait donc à quoi s’attendre, a eu toute latitude pour préparer et piéger le terrain en sa faveur. Les Etats et gouvernements réunis à Gênes (il y a là même Bouteflika, le Président Algérien, qui vient de s’illustrer par de nouveaux massacres en Algérie) vont disposer d’une foule de contestataires et pouvoir les manipuler.
Gênes est en état de siège. La circulation est interdite. L’eau est coupée. Des arrestations préventives ont lieu dans la mouvance autonome. La population est excédée. D’importantes grèves ont eu lieu auparavant dans cette ville. Il est temps pour le pouvoir de montrer sa force.
De montrer sa force sauvage d’abord, en cognant les opposants. De montrer sa force dialectique ensuite en les diffamant. Son objectif est simple : réduire d’abord par la force et soumettre ensuite les esprits. Pour cela rien de mieux que de provoquer la bataille sur le terrain choisi et de posséder des complices parmi les dirigeants même de l’opposition.
Deux règles essentielles du Wargame qui se met en place, comme cela a déjà été écrit à propos du sommet de Nice. Ces leaders, qui disent tout et son contraire, qui appellent à envahir la zone rouge puis dénoncent les manifestants violents, qui sont ils ? Ils ne sont pas de nos amis ! Voilà Bové, entre deux poignées de mains à Pasqua et aux patrons du Roquefort. Voilà Cassen, journaliste du Monde diplomatique, président d’Attac, cette organisation en affaires avec Matra. Voilà Susan Geoges, vice-présidente d’Attac et auteur de l’ennuyeux « Rapport Lugano ». Derrière eux, les seconds couteaux de la LCR, comme Aguitton. Ils n’aiment les encagoulés qu’affublés du titre de sous-commandant, comme Marcos… Ou bien morts, comme Carlo Giulani, subitement devenu si respectable : présenté au départ comme un « punk anarchiste » de la pire espèce, ce manifestant abattu le 20 juillet à Gênes, redevient en 48 heures chrono, face à l’indignation provoquée par son assassinat, un paisible étudiant en histoire membre d’Amnesty International. Quant aux autres…
« MILLE DéLINQUANTS DU BLACK-BLOCK » (La Republica)
Vraiment, les pourfendeurs de l’horreur économique sont surprenants. Voilà qu’après avoir embrigadé Marcos-le-guérillero (il va adhérer à Attac), ils hurlent contre les lanceurs de pavés. Qu’après avoir saccagé un Mac Do (certes après négociation avec les Renseignements Généraux) (voir nos précédents numéros), ils n’aiment pas que l’on brûle des poubelles. Sans parler de ceux qui, comme Liepetz, alliés politiques d’Attac et Cie, réclament l’amnistie des « nationalistes » corses tout en dénonçant la violence des manifestants. Tous ces gens ont une approche bien sélective de la violence !
« Le Genova Social Forum (GSF) avait pris toutes les dispositions pour que ses composantes manifestent sans violence (…). La machination policière (…) est étayée par des témoignages personnels comme celui d’un ecclésiastique, publié dans la Republicca du 22/01, ainsi que par les vidéos où l’on voit des éléments du Black-Block sortir des fourgons de carabiniers et deviser tranquillement avec eux« .
Ces quelques lignes, divinement inspirées, sont extraites du communiqué de presse du 26 juillet 2001 du « Bureau National d’Attac ». Un joyau de jésuitisme : c’est Bernadette Soubirou dans une mise en scène de Sergio Leone ! Cet extrait tiré de trois pages du même tonneau mérite bien quelques commentaires.
Attac et le GSF se dédouanent rapidement de leur appel initial à pénétrer dans la zone rouge. « Le GSF avait pris toutes les dispositions » écrivent-ils… Lesquelles ? Il est intéressant de savoir que Attac avait négocié avec la police, de l’aveu même de Bernard Cassen (Dépêche AFP, 23/07/01). Cette conduite de collaboration avec les forces de l’ordre, au mépris de la masse des manifestants, est une habitude. Mais visiblement, il y a eu débordement par la foule, qui n’avait rien négocié ; et le service d’ordre des organisateurs (souvent des « policiers de gauche » d’ailleurs) a reçu quelque baffes de manifestants en colère.
Alors Attac et GSF tentent le coup double : 1° Bien que, comme on le sait, ils aient appelé à attaquer la zone interdite (tout en négociant on ne sait trop quoi), ce qui constitue quand même l’amorce de la provocation nécessaire et la justification du déploiement de l’appareil militaire, ils évacuent la responsabilité politique des événements sur le Black-Block, c’est-à-dire, par extension, sur tous ceux qui n’ont pas obéi à leurs mots d’ordres stupides et contradictoires. 2° Ils dénoncent des « éléments » du Black-Block comme appartenant à la police, voire comme fascistes. Ce procédé, qui n’est pas sans rappeler les procès de Moscou, est destiné à jeter le discrédit sur tous leurs adversaires politiques, sur tous ceux qui sont susceptibles de déséquilibrer le rapport de force à l’intérieur du mouvement… Gonflé, lorsqu’on connaît l’apport des activistes du Black-Block à Seattle pour la promotion des contre-sommets !
Quels sont les témoins, ou plutôt les complices politiques, cités par Attac dans cette manœuvre ? Ils sont représentatifs du front qui s’apprête à aider le pouvoir à réprimer toutes les révoltes à venir : un ecclésiastique (comme par miracle le même, cité plus haut, le Don Vitaliano Della Sala, qui appelait à pénétrer dans la zone rouge !) et le journal de la petite bourgeoisie de gauche italienne « La Republica ». La « preuve » sur laquelle Attac appuie ses diffamations est une bande vidéo, laquelle prouve simplement que les flics ont fait comme d’habitude, c’est-à-dire s’habiller en manifestants pour s’introduire dans les cortèges.
PORT DE CAGOULE RéSERVé AUX CADRES SUPéRIEURS
« Si l’on peut comprendre que, à Gênes comme à Göteborg, des policiers cernés par des manifestants déchaînés aient pris peur au point d’utiliser leurs armes« … Celui qui a lu cette phrase dans l’éditorial du « Monde » du 22-23 Juillet comprend immédiatement la position de la bourgeoisie occidentale adepte de Bové, Marcos, Attac et consorts. La bourgeoisie n’admet que ses propres violences. Elle nous déclare, au travers de ses organisations, au travers de ses médias, ce qu’elle admet et ce qu’elle n’admettra pas. Comme d’habitude, la bourgeoisie, progressiste ou pas, n’admet la violence, ou son simulacre, que si elle émane de ses propres rangs.
Et ce qui semblait hier encore flou devient plus limpide. »Des témoinages existent en effet de la complicité des autorités avec les groupes provocateurs du Black-Block qui ont ravagé certaines parties de la capitale ligure« . Ces propos sont de Susan George dans « Le Monde Diplomatique » (août 2001). Là encore, « les témoignages » se réduisent à celui de notre Don Camillo, pardon Don Vitaliano. à croire qu’il n’y a pas d’autre curé dans toute l’Italie !
Ces écrits puent la haine. On sent planer l’ombre des Noske et des Azaña, de tous ces « hommes de gauche » qui ont traversé le XXème siècle en fusillant des ouvriers… Des « voyous déguisés en protestataires » titre le « Wall Street Journal ». Presse de droite et presse de gauche adoptent la même ligne éditoriale, se donnent la main contre l’ennemi commun : le révolté. Cela ressemble à la phrase des « républicains » espagnols concernant les anarchistes et révolutionnaires de 1936 : « Des voyous avec la carte de la CNT ».
La logique est identique, la bourgeoisie fait son tri : d’un côté les opposants respectables, de l’autre les délinquants. Un bon nombre de groupes anarchistes français, comme les Vignoles, AL [UCL], la FA, à la recherche d’encarts publicitaires dans les médias bourgeois, cèdent à cette pression. Ils sont en quête de quelques miettes de représentativité, de crédibilité, de cette audience virtuelle que seule peut leur octroyer la soumission aux dirigeants politiques de la nouvelle gauche. C’est comme cela que s’interprètent leurs appels communs à manifester avec Attac à Paris et à Lyon. Alors que les positions d’Attac sont connues, la propension demeure pour eux, même après Gênes, à participer aux actions de ces organisations qui diffament et encouragent l’état à réprimer.
Pour finir, une perle parmi tant d’autres : »La police italienne a été d’un incroyable complaisance avec les extrémistes« . C’est signé : Oncle Bernard, pseudo de B. Marie, dirigeant d’Attac, dans « Charlie Hebdo » n°475, 25/07/2001. Les amis de Carlo Giulani apprécieront.
POURQUOI CETTE COMéDIE ?
Le monde n’a pas fini d’être traversé de révoltes comme en Corée, en Indonésie, en Algérie, en Bolivie. Insidieusement, au sein même du mouvement anti-mondialisation (si bien relayé internationalement par les médias), se constitue ainsi la classique première ligne de défense du système capitaliste.
Les gens raisonnables arrivent, avec, qui leurs gros sabots, qui leurs soutanes, pour nous expliquer ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Point important pour nous, c’est en France, avec Attac, avec les trotskistes de la LCR et autour du « Monde Diplomatique », que s’est constitué l’un des noyaux durs de cette réaction. Proche des sphères gouvernementales et financières, soutenu par les élites intellectuelles et artistiques, ce noyau a pu occuper le terrain de la contestation pour mieux le miner. C’était l’enjeu de la mobilisation ratée de Millau.
Depuis plus de deux ans, nous dénonçons cette manœuvre d’envergure internationale. Nous sommes encore trop peu nombreux à le faire. Car entendons nous bien : la démarche des dirigeants d’Attac et Cie est de plus en plus claire. La voici : tous ceux et celles qui se révoltent et se rebellent, qui marchent sans compromis pour la justice sociale, sans obéir à la nouvelle gauche, en dehors de la voie électoraliste et parlementaire, tous ceux-là sont diffamés comme flics, fascistes ou voyous… Donc il faut que l’état ne soit plus « complaisant », qu’il fasse son œuvre de bourreau contre eux.
Nous ne pouvons pas cautionner par des appels unitaires ceux qui avancent un tel raisonnement. Pour notre part, nous ne pouvons que nous ranger derrière les non-respectables, les non-crédibles, les exploités, les diffamés et les réprimés. Même si, comme c’est le cas dans ces histoires de contre-sommet, nous ne partageons ni leur approche instinctive et spontanée, ni leur mode d’intervention dans des situations qui ne sont que des pièges tactiques et politiques créés par des leaders dont nous dénonçons ici la duplicité. En ce qui concerne le mouvement anarchiste, libertaire ou anarcho-syndicaliste, il est clair que la ligne de référence passe également par là. Il n’est plus acceptable de voir certains groupes continuer à se faire les complices d’organisations comme Attac, qui, comme on l’a vu dans les citations ci-dessus, appellent à plus de répression et préparent le terrain pour les prochains massacres de l’Etat.
P.P.
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Compte-rendu du rassemblement en solidarité avec les inculpés de Gênes, Toulouse, Juillet 2001
SOLIDARITÉ AVEC CARLO GIULIANI
Toulouse, mercredi 1 er août 2001
A l’initiative de la CNT-AIT, des anarcho-syndicalistes, des squatters et plusieurs personnes révoltées par la répression policière à Gênes se sont concentrés devant le consulat d’Italie à Toulouse.
Les manifestants ont voulu exprimer leur colère après la répression contre les anticapitalistes à Gênes, qui s’est achevée par le meurtre délibéré du jeune anarchiste Carlo Giuliani.
La complicité d’organisations réformistes, telles qu’ATTAC, le Forum social de Gênes (GSF) ou Jose Bové, a également été dénoncée : ces hommes politiques, qui répandent des bêtises telles que la collusion d’anarchistes avec la police, assassinent Carlo pour la deuxième fois, mais avec un couteau le dos.
La concentration a bloqué tout le centre-ville (le consulat est dans une partie stratégique de la ville). Les manifestants ont déclaré qu’ils n’avaient pas envoyé de délégués au consulat. Ils ne voulaient ni rencontrer ni parler avec le représentant d’un État meurtrier qu’ils méprisaient. Les manifestants ont exigé la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées. La dispersion de la manifestation s’est faite calmement, après un échange de coups de poing avec la police, qui souhaitait récupérer une pellicule photo.