Texte tiré de notre brochure sur l’Histoire des grèves de loyer, 2020
L’année 1922 vit une multiplication des grèves de loyer dans les grandes villes du Mexique (Veracruz, Mexico, …), souvent à l’initiative des anarchosyndicalistes, qui s’étaient regroupés dans la CGT mexicaine (CGTM, rien à voir avec le CGT française bien sûr !). Si dans la plupart des villes, le mouvement était divisé – selon les villes – par les communistes ou les réformistes de la CROM, à Guadalajara, les deux groupes qui se battaient pour le leadership de la classe ouvrière étaient la Camara de Trabajo, la Bourse du Travail, d’orientation anarchosyndicaliste et adhérente à la CGTM contre les Syndicats Ouvriers Catholiques. À noter que ces derniers, loin des paroles de « non-violence » de l’Évangile, n’hésitaient pas à l’occasion à attaquer – y compris avec des armes à feu au besoin – les révolutionnaires.
Le mouvement anarchiste de Guadalajara était animé par Jenaro Laurito, anarchiste d’origine argentine qui se distinguait par un anticléricalisme farouche, qui lui valut d’être expulsé du Mexique. Il contribua à fonder le Syndicat de Locataire de Guadalajara
Les membres du Syndicat des locataires avaient bien identifié que leurs propriétaires bourgeois étaient dans leur écrasante majorité de bons chrétiens, qui ne rataient aucune messe le dimanche, mais qui avaient dû oublier de lire les passages sur la charité dans la Bible. Par contre, ces propriétaires pouvaient compter sur le soutien indéfectible de l’Eglise, qui appelait les pauvres à se résigner à leur sort terrestre en attendant une hypothétique place au Paradis après la mort … Aussi, puisque l’Eglise était dans le camp des ennemis, les locataires révolutionnaires n’hésitaient pas à faire usage du blasphème pour faire entendre leur message. Déjà en 1921, les locataires révolutionnaires avaient profité du 1er Mai pour aller accrocher une banderole rouge et noire en haut de la cathédrale, réclamant la baisse des loyers. C’est Miguel Gomez Loza, dirigeant syndicaliste chrétien et futur chef civil du mouvement de guérilla catholique des crisetros de Jalisco, qui se chargea de décrocher l’outrage à l’Église.1
Ce fut Jenaro Laurito qui le premier au Mexique lança le mot d’ordre de grève des loyers, lors d’une prise de parole sur le marché Alcade, le 1er janvier 1922 pour inciter les passants à rejoindre le Syndicat révolutionnaire des locataires. L’agitation continua jusqu’au mois de mars. L’Ouvrier catholique, « hebdomadaire d’instruction et de moralisation pour les ouvriers » mettait ses ouailles en garde « ouvrier ! Il est capital de se répéter que ceux qui sont imbus de ces doctrines attentatoires à la propriété privée sont tes plus grands ennemis. Ils essaient de t’attirer pour leurs fins politiques et toi ouvrier tu y perdras ta dignité et ton honorabilité »2.
Alors que le Syndicat révolutionnaire des locataires continuait d’organiser des rassemblements, les catholiques leur répondaient en les attaquant à coup de pierre. Ces affrontements amenèrent l’interdiction de tout rassemblement. Mais les locataires en colère continuèrent leur agitation et bientôt 50 soldats de la garde montée patrouillèrent en ville pour disperser toute tentative et s’interposer entre ouvriers révolutionnaires et ouvriers catholiques.
La presse bourgeoise et catholique vociférait pour demander l’expulsion de l’étranger Jenaro Laurito. Celui-ci partit se mettre à l’abri à Mexico, en profitant pour rencontrer les compagnons de la CGTM. Il revint discrètement le 10 mars, continuant son activité de diffusion du projet de grève des loyers.
Le dimanche 26 mars 1922, en pleine grève des locataires, le conflit avec les Syndicats Chrétiens monta en intensité. Selon le rapport de police de l’époque « Une centaine d’hommes armés, dirigés par Jenaro Laurito, dirigeant syndical d’origine argentine, et Justo Gonzalez, ancien chef de police, ont été mis en fuite par un millier de catholiques non armés, qui avaient été agressés après avoir quitté la messe ». Un affrontement éclata entre manifestants du Syndicat des locataires révolutionnaires qui défilaient et des travailleurs catholiques qui quittaient la messe dominicale dans l’église de San Francisco, laissant 6 morts dans les rangs des travailleurs catholiques.3
La responsabilité du déclenchement de ces violences n’est pas établie. Le lendemain, une gigantesque manifestation suivit les funérailles, puis alla demander justice au gouverneur Valadés Ramirez. Tous les magasins étaient fermés, les tramways en grève et les maisons recouvertes de crêpes noires. Le Président de la République Obrégon répondit aux télégrammes réclamant la punition des coupables : « L’exécutif de mon bureau condamne les manifestations de violence enregistrées dans cette capitale dont les conséquences malheureuses sont irréparables, et avec toutes les diligences requises, les autorités se sont adressées à cette municipalité afin que les responsables soient immédiatement appréhendés et punis conformément à la loi, vous pouvez être sûr que la justice sera satisfaite. » Mais comme le Gouverneur avait informé Mexico que les catholiques tués étaient en fait des contre-manifestants, Obrégon reçut le télégramme suivant de l’Association catholique de la jeunesse mexicaine : « Le Centro Juventud Catolica rectifie le rapport du gouverneur, nous estimons qu’il n’y a pas eu de contre-manifestation catholique dimanche, mais une foule socialiste a violemment agressée les ouvriers catholiques finissant de quitter leurs pieux exercices dans l’église de San Francisco. Notre association exige et attend la justice et est surprise que la seule mesure a été le renvoi de l’inspecteur de police coupable alors qu’il y a des rumeurs selon lesquelles d’autres criminels resteront impunis. » Obrégon répondit de nouveau « Vous pouvez être sûr que l’exécutif dont j’ai la charge travaillera avec toute la diligence et l’énergie afin que les attaques coupables enregistrées soient dûment punies, ce pourquoi j’ai déjà ordonné l’expulsion Jenaro Laurito et d’autres étrangers qui ont pris part à ces événements scandaleux. » Obrégon, qui menait pourtant officiellement une politique anticatholique prenait position dans les affrontements entre locataires et propriétaires, en faveur de l’Ordre et de la Propriété, et donc de l’Eglise, sans surprise…
[1] Fernando Manuel González, Matar y morir por Cristo Rey: aspectos de la cristiada, p. 59 ; Jean A. Meyer, La Cristiada: El conflicto entre la iglesia y el Estado, p. 118
[2] El Obrero catolico, 5 février 1922).
[3] A. Meyer, ibid., p. 121-122
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