« L’attentat de Sarajevo » est connu dans l’Histoire comme l’assassinat perpétré le dimanche 28 juin 1914, de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, et de son épouse, Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg1, par le groupe Jeune Bosnie (Mlada Bosna). Gavrilo Princip fut l’auteur des coups de feu fatals. Cet événement est considéré comme l’élément déclencheur de la Première Guerre mondiale, qui eut pour conséquence la défaite, la chute et le démembrement des Empires russe, austro-hongrois, allemands et ottoman, ainsi que le déclenchement de la Révolution Russe et Allemande.
Mais qui étaient ces Jeunes Bosnie ? Etaient-ils des nationalistes Serbes, comme esssaie de le faire croire actuellement le Gouvernement Serbe dans une tentative de réécriture de l’Histoire ?
Nos compagnons anarchosyndicalistes de Initiative Anarchosyndicaliste (ASI) de Belgrade remettent les pendules à l’heure de l’Histoire …
(Traduction d’un article publié dans le numéro de Juillet 2019 de « Direktna Akcija », Action Directe)
« Chaque nuit, j’ai rêvé que j’étais un anarchiste, que je me battais avec des flics. »
Gavrilo Princip, membre des Jeune Bosnie, évoquant sa vie précédant l’assassinat de Sarajevo
Nous vivons une époque qui regorge de nombreuses informations fausses et non vérifiées, de politiques qui jonglent quotidiennement avec les faits historiques et de tentatives étranges d’établir des liens pourtant inexistants entre ces faits et les guerres récentes dans les Balkans.
L’histoire officielle est écrite par les vainqueurs. Il n’est donc pas étonnant que Gavrilo Princip et ses compagnons, toute une génération de Jeunes Yougoslaves rebelles [ils avaient fondé le groupe Mlada Bosnia, la Jeune Bosnie], aient été exposés au pilori de la honte par les chiens de garde intellectuels du système et accusés d’avoir provoqué la Première Guerre mondiale Aujourd’hui, lors des célébrations du 105ème anniversaire de l’assassinat du prince héritier d’Autriche-Hongrie François Ferdinand, nous assistons à la mise en place de nouveaux nombreux mensonges, ainsi qu’à des tentatives de récupération par le régime actuel en Serbie du geste révolutionnaire des assassins, en essayant de l’insérer dans la filiation du nationalisme grand serbe.
La Première Guerre mondiale était un conflit intra-impérialiste qui a coûté la vie à près de quarante millions de personnes. La Bosnie et Herzégovine d’alors était dans la position la plus basse de tous les pays Slaves du Sud sous domination austro-hongroise, puisqu’elle y maintenait en vigueur le régime criminel, connu comme « le dongeon du peuple », maintenant des relations féodales tout en s’ouvrant au Capitalisme naissant.
La vision du monde de cette génération [des Jeunes Bosnie] était construite autour du mythe de Bogdan Zerajic, le grand admirateur de l’anarchiste Pierre Kropotkine. Bogdan avait tiré en juin 1910 sur le général Marijan Varešanin, gouverneur de la Bosnie-Herzégovine, mais ses balles manquèrent leur cible.
Selon la légende littéraire : « il utilisa sa dernière balle pour se suicider, tandis que le Général restait indemne. La police décolla la tête du cadavre de Žerajić et la conserva dans les collections de la police scientifique comme « échantillon de tête d’anarchiste ». Son corps quant à lui fut inhumé secrètement. Les Jeunes Bosnie trouvèrent sa tombe, lui rendirent visite, y arrosèrent les fleurs et lui jurèrent qu’ils lutteraient jusqu’à la réalisation de l’idéal de liberté »
Il faut savoir que le nationalisme slave de cette période, était un phénomène nouveau. Sa conception n’était pas encore cristallisée et des idées très opposées – sur les questions nationales, religieuses et politiques – coexistaient. Ce n’est que dans les moments où différentes sensibilités entrent en conflit direct les unes avec les autres que se pose la question du choix dans la conscience des gens. Cela vaut également pour le mouvement des révolutionnaires Yougoslaves et les jeunesses nationales avant 1914.
Sans aucun doute, la jeune Bosnie se définissait pour l’unification des Slaves du Sud. Mais les idées de justice sociale, de fédéralisme, d’anti-cléricalisme, d’antiparlementarisme et d’anarchisme ont également joué un rôle notable dans la prise de conscience de cette génération de jeunes en Slovénie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine qui étaient alors sous la domination de la monarchie austro-hongroise.
« L’esprit de ces garçons était enivré par une frénésie fanatique de haine contre l’autorité et la tyrannie – à l’école, dans la famille, dans les rue et contre toute autorité en général. Pour les jeunes, c’était la raison d’être de la politique « , écrit Josip Horvat, historien et contemporain des événements, décrivant l’atmosphère qui régnait parmi la jeunesse rebelle de Zagreb. à cette époque
Considéré comme l’un des principaux inspirateurs et organisateurs de l’assassinat de l’Archiduc , et en tant que tel condamné à mort et exécuté en février 1915, le jeune Bosnique Danilo lić était fortement impliqué dans les traduction et la publications de littérature révolutionnaire, socialiste et anarchiste.
Ainsi, le premier livre édité par sa librairie Oslobođenje (« Libération ») à Sarajevo en 1913, fut « la Commune de Paris et l’idée de l’Etat » par le fameux anarchiste russe Mikhail Bakounine, et immédiatement après, le second titre publié fut « le mensonge du parlementarisme » de l’éminent anarchiste autrichien Pierre Ramus.
C’est par un hasard des circonstances que Nedeljko Čabrinović – qui était avec Gavrilo Princip le principal organisateur de la tentative d’assassinat de l’Archiduc – n’est pas entré dans l’histoire en tant que tyranicide. La bombe qu’il lança sur la voiture de l’Archiduc Ferdinand quelques instants avant la fusillade mortelle du pistolet de Princip, explosa avec retardement et ainsi manqua sa cible.
Nedeljko quant à lui écrivait dans le journal anarcho-syndicaliste « La Commune », imprimé à Belgrade à cette époque. Lors de son procès, il se déclarz sans équivoque comme anarchiste, évoquant ses liens avec les anarchistes et anarcho-syndicalistes de la région et expliquant l’évolution de ses conceptions, originellement nationalistes mais ensuite socialistes, et finalement anarchistes.
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On spécule souvent sur le rôle dans l’assassinat d’une adepte tardif des théories de Mazzini (1), le colonel serbe Dragomir Dimitrijević dit « Api »s, et de son organisation « L’Union ou la mort », plus connue sous le nom de « La Main Noire ». Mis à part quelques preuves indirectes des contacts de certaines personnes de son environnement avec des jeunes révolutionnaires, rien ne permet de soutenir la thèse selon laquelle il était le principal inspirateur ou organisateur de l’assassinat.
Les nombreuses preuves matérielles et témoignages des contemporains montrent que l’assassinat de l’Archiduc fut l’œuvre de jeunes idéalistes qui, en l’absence de possibilité de résistance collective à la répression, et partiellement dans la tradition d’une certaine propagande anarchiste de la propagande par le fait, ont eu recours au tyrannicide pour exprimer les aspirations des Slaves du Sud à la liberté. Même le système judiciaire de l’Empire Austro-Hongrois [En guerre contre la Serbie au moment du procès] a conclu qu’il n’était pas possible de prouver l’implication directe de l’appareil d’État serbe dans l’organisation de l’assassinat. En effet, il existe des indices montrant que le gouvernement serbe n’était pas informée des détails de l’assassinat, et même – espérant un geste en retour – il avertit le gouvernement Austro-Hongrois du risque qu’un tel évènement se produise. Par conséquent, il est totalement erroné d’essayer d’établir que par leur acte les Jeunes Bosnie se seraient fait les acteurs de la politique de l’État Serbe.
L’histoire est interprétée aujourd’hui par ceux qui s’opposent aux valeurs telles que l’unité et la liberté. C’est précisément la raison pour laquelle il est de notre devoir de lutter contre leur interprétation criminelle en adoptant une ferme attitude antimilitariste et anti-impérialiste afin de contribuer à la préservation du souvenir d’une génération qui n’a jamais été autorisée à se libérer complètement.
Ko hoće da živi nek` mre,
Ko hoće da mre nek` živi !
(que celui qui veut vivre, meure
que celui qui veut mourir, vive !
Poème de Bogdan Zerajic, repris par Gavrilo Princip
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(1) du nom de Manzini, révolutionnaire et patriote italien, adepte des sociétés secrètes conspiratives. Il a combattu dans toutes les insurrections italiennes du XIXème siècle en vue de réaliser l’unité italienne.
En serbo-croate : https://cnt-ait.info/2019/08/31/mlada-bosna/
En anglais : https://cnt-ait.info/2019/09/09/GAVRILO-PRINCIP_en