Entretien du site « Alasbarricadas » avec l’Union anarchiste afghane et iranienne (Juin 2018)
Q1 : Où habites-tu Est-ce que vous vivez tous à l’étranger ou si vous vivez en Afghanistan et en Iran?
R. : Nos membres sont à peu près pour les deux tiers en Iran et en Afghanistan et un tiers en dehors. Plus de la moitié des membres sont en Iran. Nos membres à l’étranger sont principalement des résidents d’Europe, du Canada et des États-Unis. Certains de ces membres sont nés ou ont grandi dans ces pays. Dans le cas du recrutement de nouveaux membres, il convient de noter que la grande majorité d’entre eux viennent d’Afghanistan et d’Iran et que le processus de recrutement s’accélère rapidement.
Q2 Quels sont les pires aspects de la situation politique dans vos pays ?
R. : Le pire problème politique en Afghanistan est que le gouvernement est un outil pour les puissances mondiales. Notre lutte ne vise pas uniquement le gouvernement afghan et ses critiques, et le problème fondamental concerne les grandes puissances comme les États-Unis. Parce que le gouvernement afghan est en réalité un outil des États-Unis. Les institutions internationales ont ici des départements administratifs chargés de traiter des questions coloniales. Les conséquences de telles activités ne sont que des exactions encore plus radicales en Afghanistan. Par exemple, les commissions des droits de l’homme ne fait rien d’autre que dresser des statistiques sur les actes violents, et ne demande jamais de changement à l’Etat en ce qui concerne la situation des droits de l’homme pour les femmes et les enfants.
En Iran, le pire aspect de la situation politique est créé par la répression violente de toute opposition, même civile, économique, ou de type syndicale, etc. dans la mesure où toute voie de réforme est bloquée. Le régime n’accepte pas qu’il soit dans l’erreur, même sur les questions d’environnement par exemple, où [politique hydraulique de l’]administration a causé une terrible sécheresse qui a conduit à la mort dans de vastes zones de la flore et la faune sauvage iranienne. La réaction à la moindre petite manifestation dans la rue est une blessure, une exécution ou un emprisonnement de longue durée, à tel point que l’Iran est classé au premier rang mondial pour le nombre de prisonniers politiques. La répression des journalistes, artistes, scientifiques, étudiants, enseignants, universitaires, défenseurs des droits des femmes et des enfants, travailleurs, énvironnementalistes, défenseurs des droits de l’homme, minorités religieuses et ethniques, athées et les personnes LGBTQ + en Iran est terriblement élevée et en augmentation constante. Le comportement brutal du régime a rendu la révolution inévitable. Q3 : En Europe, nous avons une idée de la vie dans vos pays à travers les nouvelles et dans le meilleur des cas à travers des films ou des bandes dessinées comme Persépolis. Quelles idées-fausses les Occidentaux peuvent-ils avoir de la vie et de la politique dans vos pays ?
R. : L’idée préconçue qui existe en Occident à propos de nos vies en Afghanistan est le regard colonial. Par exemple, ils nous voient dans le Tiers Monde et imaginent que nous ne méritons que de la pitié. Cette impression leur permet de soulager leurs consciences coupables avec le soutien financier qu’ils donnent, et ensuite de ne plus y penser. En fait, ces actes sont un moyen masturbatoire pour élever leur propre estime d’eux-même. Pour l’Iran, je pense que le plus gros problème que nous avons avec les militants occidentaux est leur fanatisme dans la défense de l’islam (le concept « d’islamophobie » que la République Islamique a créée de toute pièce et qu’elle continue de financer). Parce que, dans mon pays, le fascisme Islamique, comme le fascisme Nazi en Allemagne, a tout occulté et a provoqué la discrimination raciale, ethnique, de genre et la discrimination académique. La réaction [de la République Islamique] à toute protestation ou à tout désaccord [avec sa politique] est que la vie des personnes doit être supprimée en raison de leur opposition à l’Islam. [NDLR : en Iran, le blasphème et l’opposition à l’Islam peut être puni de mort et est souvent utilisé pour faire taire toute opposition]. En réalité, la défense de l’islam par les militants occidentaux ne repose pas sur l’acceptation de l’islam, mais sur la liberté d’expression. À l’heure actuelle, l’Islam dans le temps moderne dans notre pays est précisément semblable au Christianisme du Moyen Âge [en Europe], et il est urgent de déplacer l’islam du centre du pouvoir jusqu’à ce qu’un système radicalement humain et politiquement séculier puisse être établi.
Q4 Comment êtes-vous devenu anarchiste? Comment peut-on accéder aux idées anarchistes dans vos pays ?
R. : En Iran, les communistes et socialistes de gauche traditionnels ont été actifs et leurs idées bien connues pendant de nombreuses années [avant la révolution islamique]. Pourtant, les théocrates sont au pouvoir et avant la révolution islamique, c’était les nationalistes et monarchistes qui étaient au pouvoir. Par conséquent, dans la pratique, nous nous sommes familiarisés avec les méthodes et les comportements de ces politiques [de gauche]et nous avons facilement réalisé que toutes luttent pour le pouvoir et s’opposent aux gens. En étudiant l’histoire et la philosophie occidentale, nous nous sommes familiarisés avec l’anarchisme et avons conclu qu’en Iran, une société anarchiste constituait une alternative humaine. Comme il n’y a pas de concentration du pouvoir, la possibilité de corrompre et de s’opposer au peuple est éliminée. Et bien sûr, à cause de notre espoir pour l’avenir de l’humanité.
Q5 Comment communiquez-vous et travaillez-vous avec d’autres groupes dans vos pays ?
Je ne peux pas parler de communication avec nos militants en Iran pour des raisons de sécurité, mais je peux dire que nos membres, hommes et femmes, sont présents dans presque toutes les régions de l’Iran et que ces militants sont actifs dans toutes les luttes populaires contre le régime islamique. En attendant, je ne peux que mentionner Soheil Arabi, prisonnier anarchiste, qui est déjà bien connu.Q6. Comment analysez-vous les événements du printemps arabeR. : À mon avis, le Printemps arabe a été une révolution populaire contre des régimes islamiques incapables de répondre aux besoins de la population. Et ces révolutions se seraient étendues à toute la région si il n’y avait pas eu les interventions des pays impérialistes occidentaux et régionaux [Turquie, Arabie saoudite, Qatar, …]. La révolution en Syrie est devenue une guerre où des fascistes islamiques tels que la République islamique, la Turquie et l’Arabie saoudite, ainsi que des impérialistes tels que les États-Unis et la Russie, ont créé un tel enfer dans ce pays que les habitants du reste de la région « se contentent » de leurs Etats fantoches et autoritaires. Le seul pays où la révolution populaire a été réalisée sans presque aucune intervention étrangère directe a été la Tunisie. Dans les autres pays, c’est l’intervention étrangère qui a provoqué la dissolution des révolutions puis un autre état fantoche a pris la place du précédent, ou pire a déclenché une terrible guerre civile comme en Syrie.Q7. Que pensez-vous du fédéralisme démocratique des Kurdes ?
R. : À notre avis, le système qui était en place aux premiers jours est un moyen pratique d’atteindre une société anarchiste. Qu’il atteigne ou non son objectif final dépend d’un grand nombre de facteurs, tels que les régimes fascistes et islamiques voisins, mais en tant que transition vers une société anarchiste, il s’agit d’un système pragmatique et acceptable pour nous.
Q8. Vous appelez à renverser le régime iranien. Ne craignez-vous pas que le fait de déstabiliser la région sera une excuse pour que les États-Unis y opèrent, comme en Afghanistan, en Libye et en Syrie ?R. : Il n’y a pas besoin de s’étendre sur l’ingérence américaine dans d’autres pays, cet État impérialiste intervient avec force dans d’autres pays depuis de nombreuses années. En ce qui concerne la peur, je dois dire que les personnes qui vivent captives dans l’enfer de la République islamique, l’enfer de la pauvreté, de la prostitution, de la violence et des agressions, de la destruction de l’environnement, ces personnes n’ont rien à perdre et que la peur de l’Amérique ne signifie pas grand-chose.
Q9. Que pouvons-nous faire en Occident pour soutenir la population de vos pays ?R. : Nous avons besoin de vous, militants occidentaux, pour soutenir de vrais militants et dire aux gens de vos pays de ne pas défendre constamment l’islam. Parce que nous devons maintenant nous battre sur deux fronts : d’une part, nous combattons la République islamique et, d’autre part, {nous devons lutter} avec la perception en occident que l’islam est bon et qu’il faut défendre les militants islamistes. Malheureusement, même des personnes comme Noam Chomsky, au motif que l’Iran n’est pas le copain des États-Unis, défendent les politiques de la République islamique. En fait, notre interprétation de ce comportement est que ces militants occidentaux sont disposés à ignorer et à sacrifier les militants actuels en Iran comme prix de leur opposition aux politiques impérialistes américaines.
Q10. Y a-t-il autre chose que vous voudriez ajouter ?
R. : Finalement, il convient d’ajouter que l’anarchisme à l’intérieur de l’Iran est populaire et est considéré comme une force forte, jeune et puissante. À l’heure actuelle, les conditions de vie de la population sont très difficiles en Iran et un fort soutien des anarchistes d’autres pays pour les luttes de la population et des anarchistes iraniens seront naturellement un très bon encouragement et un excellent soutien moral pour les militants contre la République islamique d’Iran. Le sentiment que nous ne sommes pas seuls en Iran et que nos frères et soeurs d’autres régions du monde nous soutiennent fera partie de notre moral et aura un impact positif sur la qualité de nos luttes. L’anarchisme international, tel qu’il a influencé le Rojava, pourrait faire la même chose en Iran. Les anarchistes ne reconnaissent pas les frontières et, là où il y a de l’oppression, ils vont le combattre. En tant que petite partie de la communauté anarchiste en Iran, nous invitons nos frères et sœurs à se battre bec et ongles pour la liberté et la libération contre l’un des États les plus corrompus et assoiffés de sang qui existe actuellement.
Vive l’union, vive la liberté, vive l’anarchie
Union anarchiste d’Afghanistan et d’Iran, 1er juin 2018