(Article paru dans le journal de la CNT-AIT Toulouse en 2001)
Voilà presque dix ans maintenant que l’Algérie est en guerre. Le nombre de morts donné par les institutions officielles est de 150.000 et plus de 20 000 disparitions. Un décompte macabre pour l’an 2000 montre à qui l’on s’en prend dans ce terrible conflit : parmi les 9006 victimes de cette année recensées, on compte 1025 « terroristes », 603 militaires, et 117 membres des groupes d’autodéfense, tout le reste c’est-à-dire plus des trois quarts sont des civils, des villageois surtout !
Morts par balle et morts de faim !
Drôle de guérilla qui est sensée s’attaquer à la classe dominante et qui tue tant de civils. Dix ans de guerre pour le pouvoir entre clans et 1800 morts par mois ! Dix ans de guerre que ni le gouvernement ni l’opposition (islamistes, nouvelle bourgeoisie naissante pseudo intello-progressiste et/ou régionaliste) ne semblent vouloir arrêter tant que l’appropriation des biens, de tous les biens, par une clique ou par un autre ne sera pas réalisée. J’ai dit opposition ?
Quelle opposition, il n’y a pas d’opposition puisque tous se battent pour le pouvoir, puisque tous rêvent d’être khalife à la place du khalife. Et tous sont prêts à nous sacrifier, à boire notre sang jusqu’à la dernière goutte s’il le faut pour y accéder. Voilà pourquoi, dix ans de guerre. et la liste des morts ne finira pas de s’allonger. Les morts, ce sont des algérois, des oranais, des jijilien, des timimouniens, des chaouis, des mouzabites ou. des kabyles, peu importe, ils ont tous au moins un point en commun : des exploités. Il y a ceux qui meurent à coup de balles, à coup de bombes ou à coup de sabre. Il y a ceux de plus en plus nombreux qui meurent à coup de faim et de misère absolue. Des dizaines de familles entières se sont suicidées collectivement cette année tant était immense leur désespoir et le délabrement de leurs conditions de vie (on s’enferme dans la maison et on ouvre le gaz). Mais que se cache derrière ces crimes ?
A la fin des années 80 l’effondrement de l’économie algérienne est à son comble. Une brèche est alors ouverte pour amorcer le plan de restructuration recommandé par le F.M.I. et la banque mondiale sensée redresser cette économie défaillante mais qui n’est en fait qu’un cheval de Troie pour libéraliser le marché et asseoir les lois de la mondialisation et du capitalisme. Les usines et les établissements publics sont en ébullition du fait de la suppression des maigres avantages sociaux. L’explosion a finalement lieu le 5 octobre 1988 : la population descend dans la rue pour exprimer son ras le bol détruisant tous les symboles de l’État et du F.L.N.. Ils réclament la justice, la démission du président Chadli et la fin de la hogra [1]. Cela se termine dans un bain de sang. On fait sortir les chiens de gardes de leurs casernes qui tirent sans aucun état d’âme sur la foule : entre 500 et 1500 morts, plusieurs centaines de personnes torturées dans les commissariats et des dizaines de disparues. C’était pour les médias occidentaux et le pouvoir en place un chahut de gamins !
En attendant, la pression pour les réformes économiques se fait de plus en plus grande. L’Occident via le F.M.I. se montre très prévenant envers la sphère dominante : octroi de crédits, rééchelonnement de la dette extérieure (30 milliards de dollars) que l’Algérie ne pouvait plus payer depuis 1991, investissement de plusieurs milliards dans les secteurs stratégiques de la prospection et de l’extraction de gaz naturel… Il faut dire que les gouvernants algériens leur rendaient bien : Ils s’avèrent d’excellents exécutants des programmes d’ajustement structurel imposés par le F.M.I..
Grâce à cette guerre, et pendant que les médias se penchent sur « la complexité du problème » et nous « expliquent » qui tue, ces fameuses réformes économiques passent comme une lettre à la poste et détériorent chaque jour un peu plus les conditions sociales de la population. Plus de 300 000 emplois ont été supprimés entre 1998 et 1999 et des centaines de milliers d’autres ne reçoivent leurs salaires de misère que de façon irrégulière (entre 1 et 14 mois). Le taux de chômage a atteint 40%. Les subventions de l’État, (lorsqu’elles n’ont pas été carrément supprimées) ont été réduites de façon massive et le Dinar en constante dévaluation ont entraîné une hausse des prix et une chute du niveau de vie jamais égalée. La viande est devenue un produit de luxe et l’achat des médicaments est de plus en plus problématique. Même le pain qui est l’aliment de base des algériens a atteint des prix faramineux. Des milliers de familles ne peuvent plus envoyer leurs enfants à l’école et des maladies autrefois éradiquées comme le paludisme et le typhus apparaissent à nouveau.
Malgres la terreur, des luttes sociales
Des branches entières de l’économie ont été complètement démantelées. Seuls les secteurs de la production de pétrole et de gaz naturel restent rentables. Cependant, 70% de ces rentes servent à rembourser… les intérêts de la dette extérieure. Dans tous les secteurs, les fermetures d’entreprises sont monnaie courante. Au nom de l’économie mondiale et du libéralisme, on privatise et on rationalise à tout va. Malgré ce climat de terreur, toutes ces réformes ne sont pas acceptées sans protestations. Des grèves fleurissent dans bon nombre d’entreprises. En 1996 et pour le seul secteur du bâtiment on comptait environ 200 grèves, mais elles ont été étouffées et occultées.
Enfin, voilà un exemple qui montre bien le cynisme avec lequel agissent les gouvernants algériens et occidentaux, et qui met en lumière tout ce qui peut se cacher derrière une guerre. Les tueries ont pratiquement toutes lieu dans la plaine de la Mitidja.(surnommé le triangle de la mort). Une des conséquences de cette tactique de la terreur, c’est que les survivants quittent leurs villages et leurs champs. Grâce à ce dépeuplement massif et radical, des terres se libèrent, ces terres qui sont aujourd’hui propriété publique doivent se privatiser comme tout le reste sur ordre du F.M.I. Cet état de délabrement total des conditions de vie constitue un véritable terreau pour la propagation de tous les nationalismes (religieux, linguistico-culturel…) et ne sert finalement qu’à diviser les exploités pour mieux les asservir.
Finalement tout le monde trouve son compte dans cette histoire. Le régime en place, qui ne veut qu’une chose : perdurer et se remplir les poches. L’occident qui se lèche les babines devant ce nouveau comptoir commercial, et toute l’opposition qui n’est rien d’autre que la bourgeoisie naissante et qui grâce au multipartisme se retrouve dans le gouvernement et participe enfin à ce pillage. Oui tous y trouvent leur compte sauf la population qu’elle soit du nord de l’Algérie, du sud, de l’Est ou de l’Ouest, elle continue chaque jour un peu plus à être saignée à blanc à agoniser à mourir à petit feu. Quelle « formidable » diversion que la guerre !
Derrière cette guerre, qui s’habille de démocratie, d’islamisme ou de nationalisme se cache un long et cynique saignement de l’Algérie. Et cela, les médias prennent soin de ne jamais en parler. Les enjeux de cette guerre que l’on se garde bien de dénoncer c’est les enjeux de l’argent, du pouvoir, du profit, de l’exploitation et du pillage. C’est en un mot les enjeux du CAPITALISME.
AICHA
[1] un mélange de mépris et d’abus de pouvoir