Marichuy y el CNI: historia de una autozancadilla -Erick Benítez Martínez
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En 2017, le CNI a surpris le monde en annonçant qu’il lancerait un candidat dans la lutte électorale pour la présidence du Mexique, et qu’en plus ce candidat serait une candidate et même indigène par-dessus le marché !
Ce n’est pas mon intention de discuter de l’idiotie de ceux qui disent « faite ce que je dis, pas ce que je fais » et qui font le pari de la participation électorale tout en disant qu’ils ne briguent pas la présidence.
Plus intéressant est le fiasco qui a résulté de la tentative des zapatistes de participer aux élections. Fiasco pour le CNI, et triomphe total pour la démocratie bourgeoise mexicaine.
Le système institutionnel mexicain est complètement discrédité aux yeux de presque tout le peuple mexicain. A noter, par exemple, l’intense publicité développée par l’INE pour stimuler la participation citoyenne aux élections de 2018. Cette campagne électoraliste ne visait plus à orienter le vote ni à informer le citoyen sur l’acte électoral, mais à donner un nouveau coup de vernis sur la structure déjà complètement vermoulue de la démocratie mexicaine, afin que le peuple aille voter, pour n’importe qui, pour n’importe quel candidat, car l’essentiel est qu’il vote, qu’il participe à la comédie électorale.
Pour ne rien arranger, et comme si la farce ne suffisait pas, on voit le PRI qui était sorti par la porte, revenir par la fenêtre. Bon nombre de membres du PRI, du PRD, etc., ont quitté ces partis où ils avaient pu tranquillement piller le peuple mexicain, pour rejoindre celui qui s’impose désormais comme celui qui mène la course électorale : AMLO. Et ce dernier accepte sans rougir le moins du monde tous ceux qui ont pillé le peuple.
Si tout cela ne suffisait pas, ce sont désormais des acteurs, des actrices, des chanteurs, des footballeurs qui dirigent le pays. Non pas qu’un gouvernement de scientifiques serait préférable, mais qu’il y ait des gens du divertissement et du football dans le gouvernement fait de la politique l’expression la plus claire d’un CIRQUE ÉLECTORAL.
La honte couvrait les institutions bourgeoises, mais c’est déjà le risque total envers la dérision que signifient les élections.
Et dans ce panorama, ceux qui ont un minimum de dignité et de conscience sociale se tiennent éloignés des élections comme on s’écarte du fumier.
Mais il y avait ceux qui, au sein du CNI, croyaient à la farce de la démocratie et qu’elle pouvait être utile au peuple mexicain.
Qu’ont-ils réellement fait en essayant de se présenter à la présidence? Légitimer les institutions qui sont une honte pour le peuple mexicain. C’est parfait pour le régime bourgeois mexicain que Marichuy ait tenté d’apparaître sur les bulletins électoraux, car les chefaillons de l’INE et tous les démocrates bourgeois mexicains intéressés par l’existence de l’Etat et avec lui le maintien des classes sociales peuvent lever les bras au ciel et crier devant le peuple qui en a marre :
« Notre système électoral est si magnifique que même une femme autochtone a cru dans ce système et a cherché à figurer sur les bulletins électoraux pour briguer la présidence du Mexique. Nos institutions sont si efficaces et libres qu’elles lui ont permis de briguer la présidence ! »
Habituellement, les défenseurs de Marichuy affirment que ce serait une avancée qu’une femme autochtone apparaisse sur les bulletins électoraux, et que rejeter cette participation électorale serait être sexiste voire raciste. Marichuy, selon cette perspective, donnerait la parole à tous ceux qui sont soumis au régime bourgeois… mais tout en participant au régime bourgeois. Ils disent qu’ils mettraient le doigt sur la plaie en dénonçant ce que les tyrans de toujours ont fait contre le peuple … mais tout en participant à ces institutions qui tyrannisent le peuple. Ils disent être la représentation de tous les exploités pour dénoncer le capitalisme sauvage… tout participant aux institutions qui donnent sécurité et fondement à ce même capitalisme.
Mais rien ne peut être plus dégradant pour les femmes et les indigènes que de se mêler à la bourgeoisie, aux tyrans, aux meurtriers et aux pillards du peuple mexicain.
Précisément le rejet de ce système électoral maintient la dignité du peuple en traçant la ligne qui sépare le peuple du gouvernement, et constitue le plus haut degré d’exaltation des femmes, des hommes, des indigènes, des étudiants, etc.
Peuple et gouvernement sont deux antipodes, des pôles opposés qui se rejettent mutuellement. Le gouvernement cherche toujours à soumettre le peuple aux pires conditions pour l’exploiter au maximum ; le peuple cherche toujours, souvent instinctivement, à arracher au gouvernement le maximum de liberté. L’un ne triomphe qu’à condition d’écraser le plus possible son contraire.
Comment être digne, alors, quand au lieu d’élargir la ligne qui sépare le peuple du gouvernement, on va demander aux bourreaux du peuple la possibilité de participer aux institutions qui maintiennent le peuple dans la misère ?
Dans ces élections, on peut y trouver toutes les intentions et intérêts possibles, mais jamais il n’y aura de dignité ou de justice en participant aux institutions gouvernementales. La tentative du CNI de participer à la farce électorale n’a profité à personne d’autre qu’aux institutions bourgeoises et criminelles qui dominent le peuple mexicain.
Finalement, Marichuy, n’a pas réussi à réunir le nombre minimal des signatures nécessaires pour participer à l’élection. Les Zapatistes disent être plus de un million, mais ils n’ont recueilli qu’un peu plus de 10 % des signatures qui leur ont été demandées.
Quelle était la raison de cette déroute embarrassante, s’il y a assez de zapatistes pour dépasser le million de signatures qui étaient requis ? Il n’y a qu’une seule réponse à cela : même les zapatistes, dans leur majorité, ont refusé de signer pour soutenir la candidature présidentielle ou bien l’organisation de cette tentative de briguer la présidence a été si mal faite que ce fut un échec total et honteux.
J’ai dit un échec honteux, car si en 1994 ils ont donné au monde une inspiration révolutionnaire et ont rempli de gloire les peuples indigènes, en 2018 ils ont jeté des seaux d’ordures sur la tête des peuples, car jamais, jamais dans l’histoire du peuple, les élections bourgeois n’ont été utiles pour changer le monde, et encore moins pour créer une société totalement différente de l’actuelle.
Les zapatistes ont fait beaucoup plus pour la lutte révolutionnaire en 1994 qu’ils ne l’ont fait aujourd’hui en cherchant à participer aux élections. En 1994, ils se sont levés pour la dignité des indigènes ; en 2018, ils ont demandé à participer au jeu électoral des ennemis du peuple.
On peut être d’accord ou non avec les zapatistes, mais s’ajoute maintenant aux critiques existantes cette tache très noire qu’ils se sont jetée sur eux-mêmes. A quel moment leur a-t-il traversé l’esprit que ce système cumulatif de corruption, d’injustice, où règne l’inégalité et le despotisme, où les élections sont une fraude flagrante dans laquelle on assied dans le fauteuil présidentiel celui qui donnera aux capitalistes mexicains le plus de possibilité pour serrer un peu plus le cou de notre peuple, comment est-il possible que les zapatistes aient pu croire que ce système soit honnête en leur permettant d’aspirer à la présidence ?
Si un nombre suffisant de signatures avait été recueilli, l’INE les aurait-elle reconnues ? Il serait très naïf de penser que cela puisse arriver. N’a-t-on pas assez vu les fraudes flagrantes, des urnes bourrées de bulletins électoraux, ou au contraire l’altération des résultats, l’élimination physique de l’opposition politique et ce même en période électorale ?
Et c’est-dans cette institution que les zapatistes croyaient et à qui ils faisaient confiance pour leur permettre de participer au cirque électoral ?
Finalement, le CNI a échoué dans sa tentative de faire figurer Marichuy sur les bulletins électoraux, mais cette tentative restera pour tourner les zapatistes en dérision.
Comment se porte le CNI après cet échec ?
S’il y avait déjà beaucoup de critiques contre eux dans les mouvements sociaux eux-mêmes, cet antécédent de chercher à participer à la comédie électorale sera quelque chose qui les poursuivra pour toujours. Ils ont perdu leur crédibilité auprès de leurs propres partisans, nombreux sont ceux qui ont cessé de sympathiser avec l’EZLN et la CNI suite à leur tentative électorale.
Car si les intentions du CNI étaient de combattre le capitalisme et d’exalter le peuple, avec leur tentative électorale ils n’ont fait que valider les institutions gouvernementales et remplir de honte les peuples quand ils ont vu comment une femme indigène cherchait à se mêler à la lèpre gouvernementale, cherchant dix mille prétextes pour justifier son acte.
Il reste une autre voie, et que ceux qui sont dans les mouvements sociaux devront prendre comme règle de conduite logique et juste à la fois : le rejet de tout ce qui, même de loin, sent le gouvernement, même s’il se proclame populaire, même s’il se dit « d’en bas », bien s’il prétend agir au nom des peuples. Car il ne s’agit pas d’un gouvernement, mais d’une simple aspiration à participer aux institutions de l’ennemi. Il est du devoir des révolutionnaires sincères de dénoncer cet acte comme une trahison des peuples, car au lieu d’éroder le pouvoir, il conduit les peuples à croire que les institutions sont justes et nécessaires.
Le peuple ne sera jamais libre avec les moyens de ses bourreaux. Jamais un accord ne pourra être trouvé entre le peuple et le gouvernement, car c’est dans l’écrasement de la partie adverse, que chacun trouve les moyens appropriés pour son existence. Le scrutin électoral n’a jamais été nécessaire pour combattre le capitalisme, ni pour pouvoir faire entendre sa voix.
Pour les anarchistes, le spectacle a été honteux et embarrassant. Mais cela a aussi été l’occasion de marquer davantage notre personnalité ennemie de toute forme de gouvernement établi ou qui entend s’établir, y compris de ceux qui (comme dans le cas de Marichuy), sous n’importe quel prétexte, tendent à réconcilier peuple et gouvernement, même quand on dit qu’il ne s’agit que d’un moyen de propagande.
Nous affirmons avec Bakounine que “le peuple n’aura pas la vie plus facile quand le bâton qui le frappera s’appellera bâton populaire.”
De la même manière que participer aux élections ne rend pas le peuple digne, il le dégrade. Ces élections ont été une nouvelle occasion d’abhorrer les institutions bourgeoises auxquelles certains continuent de croire.
Erick Benítez Martínez, 18 février 2018
Editeur, designer et distributeur, Ediciones La voz de la Anarquía, Mexico