Publié le 30 janvier 2010
une vraie justice de classe
Le 19 novembre 2009. Toulouse. Dans l’immense salle de bal « Mermoz » aménagée pour l’occasion en tribunal, il semble y avoir plus de flics en civil que d’habitants. Manifestement, on ne le a pas fait venir pour rien : la police connaît le résultat avant tout le monde. L’administration a pris sa décision dans le jugement de l’affaire AZF et l’autorité judiciaire rend son verdict.
Une surprise ? Non, pas vraiment. Conforme et fidèle à elle même, l’administration judiciaire rend justice, et quelle justice ! Une vraie justice de classe : relaxe TOTALe sur toute la ligne !
De sa voix monocorde et monotone le président du tribunal annonce : La taille et l’importance de l’explosion ont détruit les preuves éventuelles. Malgré les nombreux dysfonctionnements dans l’entreprise, on ne peut exclure la thèse de l’accident, c’est l’option forte (selon le président). L’absence de preuve ne permet pas de confirmer cette version. On ne peut pas, non plus, formellement, dit-il, écarter la thèse de l’acte volontaire (attentat), c’est l’option faible (selon le président), il a, donc, été décidé au bénéfice (« bénéfice », un mot si cher à Total) du doute, de relaxer aussi bien le PDG que l’ entreprise Grande Paroisse. Quant à TOTAL et son PDG, le bien nommé « des Marais », ils ont été mis hors de cause, d’entrée.
A l’énoncé du verdict,dans la salle, c’est la stupeur. Quelques réactions spontanées de colère éclatent. Le président « invite » ceux qui veulent manifester à le faire dehors. Il y a quelques applaudissements, aussi, dans le public, et on se demande encore ou, certains ont pu trouver des raisons de se réjouir après une catastrophe pareille, même 8 ans après, et même s’il avaient pu se sentir mis en cause pendant le procès.
Rapidement, de nombreuses personnes sortent. A l’extérieur, la meute de journaleux est à l’œuvre. Elle s’est ruée comme un seul homme pour ne rien rater de l’éloquente déclaration d’indignation et de colère d’un délégué syndical porté partie civile.
Les gens, eux, les parties civiles, ceux qui ont perdu un proche, ceux qui sont handicapés à vie ainsi qu’une une grand partie du public, sont partagés entre tristesse et déception. On avait tellement parlé de l’affaire AZF dans les journaux qu’ils y avaient cru. Et, il me semble bien que le sentiment de ne pas comprendre domine. Même si certaines personnes ont, vivement, réagi à l’énoncé du verdict, la plupart des gens me parait plutôt choqué par le fait que la confiance, voire la foi, qu’ils avaient dans la « justice » est fortement ébranlée. Nous devrions être pourtant habitués à sa clémence envers des personnages « de la haute » (affaires d’argent, de corruption, de mœurs, ou lien avec le grand banditisme). Mais eux, les victimes d’AZF, ils viennent de faire connaissance avec la justice. Celle-ci n’est pas concernée par les verdicts coercitifs qu’elle est censée dispenser à tous ceux qui sont censés être égaux devant elle, lorsque, sur le banc des prévenus, sont assis des chefs d’entreprises et leurs principaux lieutenants.
Pour faire passer le malaise du 1° verdict, un an de patience va être nécessaire et la justice lancera le procès en appel. Sur le coup, j’ai pensé qu’il y aurait appel ; les avocats ne pouvant pas laisser passer ça. Quelques jours après, je lis en première page du journal local : « Le parquet fait appel ». Après réflexion, je me dis que cela ressemble bien à de la manipulation.
Le parquet fait mine de se mettre du côté des victimes et leur épargne ainsi la peine de faire appel elle- mêmes, c’est une bonne façon de faire pour que les gens continuent à croire que la justice se fera. La différence, c’est que la prochaine fois, ils seront moins surpris. C’est la technique de l’usure progressive pratiquée par toutes les administrations, surtout quand elles ont tort. Et, s’il y avait une condamnation, si minime soit-elle, même symbolique, elle permettrait de faire bonne mesure contre la déception et d’amortir le choc du verdict de première instance.
Si d’un point de vue juridique et « moral », être relaxé au bénéfice du doute n’est pas une victoire car cela laisse planer le doute ; dans les faits, cela constitue bien une énorme victoire pour Total, si l’on peut s’exprimer ainsi. La justice de classe ne s’y est, d’ailleurs, pas trompée.
Mais, pour ce que j’en ai entendu, les gens ont, aussi, compris que politiquement, la décision prise ouvre, définitivement, la voie à l’exploitation sauvage et sans retenue. L’impunité est, déjà, globalement, acquise. L’armée d’avocats, sans scrupules, dont savent s’entourer les capitalistes ne manquera pas, le cas échéant, de rappeler aux tribunaux la référence AZF, en matière jurisprudentielle, pour se tirer d’affaires à moindres frais, si par cas les prochains scandales ne sont pas étouffées dès le départ !
Mais, il y a lieu de ne pas s’étonner. La justice de classe ne tergiverse pas avec l’essentiel. Jamais !
H.R.