Première publication : jeudi 27 juillet 2006
Pendant plusieurs mois, la grève des salariés de « Sherkat e Vahed », l’entreprise de transports publics de Téhéran, a secoué le pays, parvenant par moments à paralyser la gigantesque capitale iranienne (12 millions d’habitants). Les médias occidentaux, si friands « d’informations sensationnelles » concernant cette zone du monde, ont, comme ils savent si bien le faire quand l’actualité leur déplait, passé sous silence ce conflit malgré ces répercussions multiples. Pourtant, dans un pays où la grève est absolument interdite, il s’est agi d’un événement d’importance, qui pourrait prendre valeur d’exemple. C’est pourquoi, même si le syndicat de base qui a mené la lutte ne se réclame pas du tout de l’anarchosyndicalisme, nous avons tenu à relayer cette lutte passée sous silence dans le monde occidental.
Ces dernières années, la classe ouvrière iranienne a subi les durs assauts du patronat et de son État (en l’occurrence, un État clérical islamique). Dans ce contexte de recul social, les travailleurs iraniens « bénéficient » des services d’un syndicat officiel. C’est la « Khane-ye Kargar » (« Maison des travailleurs ») qui, dans les entreprises de plus de 35 salariés, dispose d’une délégation, la « Shora-ye Slami » (« Conseil islamique du travail). Ces organisations, créés après la violente répression de 1984, n’ont qu’un seul but : mettre sous tutelle les salariés. Car, en réalité, la « Maison des travailleurs » est une véritable police politico-sociale qui agit dans les entreprises pour écraser toute velléité de lutte (ce qui est d’ailleurs le rôle du syndicalisme officiel dans tous les pays du monde, quelle que soit l’apparence qu’il adopte).
17 “meneurs” licencies
Tout récemment, en 2003, le capitalisme iranien a fait mine de se libéraliser et de permettre la création de syndicats indépendants (qui restent interdits sans les secteurs dits stratégiques). Sur le papier, il est permis de créer un syndicat libre. Dans la réalité, ceux qui s’y risquent s’exposent aux licenciements et à la répression. C’est ici que commence l’histoire du « Syndicat des travailleurs de la compagnie d’autobus de Téhéran et ses environs ». A son appel, en mars 2005, quatre des dix dépôts de transports se sont mis en grève pour réclamer une augmentation de 14 % des salaires. La grève fut brève, mais les salariés obtinrent satisfaction. Le prix à payer ne se fit pas attendre : 17 travailleurs, présentés comme des « meneurs », furent licenciés.
Les bandes blanches du patronat & de l’Etat.
Le Premier Mai 2005, le siège du syndicat fut attaqué par un groupe paramilitaire au moment où avait lieu une réunion à laquelle participaient les salariés licenciés. Le local fut mis à sac sous le regard complice des policiers qui avaient ordre de ne pas intervenir (sauf au cas où les « bandes blanches » auraient eu le dessous). Les chefs de ces « bandes blanches », dont la ferveur religieuse ne se manifeste en ce bas monde que par une haine furibonde contre les ouvriers (phénomène très commun également en terres chrétiennes…), sont des personnages connus du régime islamique (députés, hauts fonctionnaires du syndicalisme officiel….). Certains de ces personnages ont figuré sans complexes comme « représentants des travailleurs iraniens » lors de la 93ème session de l’Organisation internationale du travail, dont le siège est à Genève.
Les travailleurs ne se sont pas laissés impressionner outre mesure par cette attaque. Au début du mois de juin, une assemblée générale du syndicat indépendant eut lieu pour se réorganiser et rendre les coups reçus. Environ 8 000 travailleurs y participèrent. Les « courageuses » bandes armées islamistes jugèrent plus prudent de ne pas intervenir, sentant bien qu’il y avait danger pour elles de prendre une raclée si elles montraient le bout du turban.
Comme l’entreprise continuait à licencier des « meneurs », diverses ripostes furent organisées, parmi lesquelles, le 7 septembre, une grève de la vente des tickets. A la suite de cela, quatorze militants furent arrêtés à leur domicile. Trois jours après, la grève éclatait dans trois dépôts. Malgré les arrestations, elle se poursuivit plusieurs jours, jusqu’à ce que le maire de Téhéran, un certain Mohammad Bagher Ghalibaf, parvienne à se propulser comme « médiateur », en promettant de faire libérer les travailleurs incarcérés et de faire avancer le dossier.
Les salariés, prenant conscience que les promesses du médiateur étaient une simple manœuvre pour faire cesser le mouvement, ont repris la grève le 28 janvier 2006. Cette reprise de la protestation fit tomber le masque du maire qui, dès lors, déclara qu’il fallait écraser sans pitié le mouvement, qualifié de « sabotage contre-révolutionnaire ».
1 300 grévistes arrêtés !
Une vague d’arrestations, touchant 1 300 ouvriers du transport s’ensuivit. La majorité d’entre eux a ensuite été remise en liberté, la police conservant les supposés meneurs, responsables du syndicat indépendant. Nous ne disposons pas d’autres informations à ce jour.
L’Iran, qui s’affiche comme un État islamique, comme une théocratie, est présenté généralement en Europe comme obscurantiste et moyen-âgeux. L’histoire ci-dessus montre qu’il n’en est rien : pour ce qui est des techniques de répression et de manœuvres, la bourgeoisie iranienne n’a rien à apprendre des bourgeoisies qui se revendiquent de la Bible ou de l’État de droit. De ce point de vue en effet, l’Iran est une nation moderne, 100 % capitaliste, dans laquelle tout est fait -comme dans les autres pays- pour écraser tout mouvement « incontrôlé » des producteurs.
(D’après « CNT », mensuel de la CNT-AIT d’Espagne)
Tiré du journal n°96 de la CNT-AIT de Toulouse