PENDANT LA CATASTROPHE KATRINA : “AUTANT EN EMPORTE LE VENT”

jeudi 1er décembre 2005



Le vent et l’eau ont tout emporté en Louisiane, tout sauf la flicaille qui parade dans les rues de la Nouvelle-Orléans. Envolées, les parures humanitaires de l’État. Disparus, les oripeaux charitables de l’Autorité, ses blouses blanches et ses casques de pompier. Seuls uniformes visibles pendant les premiers jours de la catastrophe : ceux de la police et de l’armée. Une seule priorité clairement affichée : lutter contre le « pillage ». C’est dans ces occasions-là que l’État nous montre son vrai visage. Arrachés par l’ouragan, les masques tombent. L’État démocratique, si prétendument soucieux du bien-être des populations et de leur sécurité révèle sa véritable nature, sa fonction première : protéger la marchandise, la propriété, les intérêts des possédants avant toute autre considération.

« Dans la gradation du cauchemar, le pire du pire a pour théâtre le Convention Center, non loin de l’Aquarium. Là, quelques 20 000 personnes sont entassées dans des conditions inimaginables. Entourées d’ordures, elles attendent les bus qu’on leur a promis et qui ne viennent pas. La police n’est pas loin, elle a ordre de ne pas intervenir. Les damnés du Convention Center sont laissés à leur sort, comme des pestiférés, comme des animaux. Personne ne vient leur parler, à part la presse. De la nourriture et de l’eau sont jetées depuis des hélicoptères, sur le parking voisin (les pilotes refusent de se poser). Ou alors, depuis le pont, non loin de là. Sur le trottoir, on croise des malades, des infirmes, des handicapés mentaux, des nourrissons. Les toilettes du centre explosent d’excréments et d’urine. Il y a eu des morts, mais les autorités ne récupèrent pas les cadavres. » (Libération 03 sept. 2005).

Une obsession : “Maintenir l’ordre”

Pourtant l’évacuation, était possible car à la sortie de la ville il y a une rampe d’autoroute déserte et aucune inondation n’empêche de la prendre. Mais à regarder de plus près on s’aperçoit que les blancs ont pu sortir de la ville mais que les voitures des noirs ont été contrôlées et souvent refoulées par l’armée. Ainsi, la ville a évacué sa population blanche et aisée, moins de deux jours après l’inondation. Ensuite, l’armée a pris position aux endroits stratégiques pour « maintenir l’ordre », c’est à dire empêcher la population de récupérer de la nourriture et de quoi satisfaire ses besoins de première nécessité.

Tandis que les vivants côtoient les morts, qu’il n’y a plus de lait en poudre pour les bébés, que l’eau est entièrement contaminée, qu’une épidémie, due à des conditions de survie abominables, semble gagner les rescapés ; la première promesse de Bush est d’assurer que les pillards seront traités avec « zéro tolérance ». L’État américain reste impassible et laisse mourir sa population noire et pauvre. Son activité essentielle est de déverser dans les médias un discours de haine selon lequel les pauvres se violeraient entre eux, kidnapperaient des enfants, et se flingueraient pour monter dans les bus. Les témoignages qui affirment le contraire ont peine à se faire entendre. Pourtant, l’aide mutuelle que se prête la population est la seule raison pour laquelle le bilan humain n’est pas encore plus lourd. Des milliers de gens ont ouvert leur maison aux survivants de la catastrophe, et, journellement, d’innombrables actes de solidarité se manifestent sous des formes diverses.

« |Qu’aurait-on fait sans ces jeunes ? », conclut un touriste en parlant des « pillards ». Quant aux véritables pillards, ce ne sont pas ceux que les médias et l’État désignent comme tels. Voici sur ce point le témoignage d’une habitante de la Nouvelle-Orléans : « Dans les supermarchés j’ai vu des flics -tous n’ont pas réagi ainsi, nous le verrons plus loin- pointer leurs flingues sur des mères de famille qui emportaient des vêtements… Une fois dans la rue ils les forcent avec une violence inouïe, flingue dissuasif sur la poitrine à lâcher les vêtements qui sont emportés par les eaux sous leurs yeux. Du pur gaspillage« . Et d’ajouter : « Des flics se permettent de se servir dans les supermarchés sous les yeux de la population et les empêchent de faire la même chose. Ce sont les mêmes qui qualifient ouvertement les gens désespérés de pillards. » Ces multiple témoignages n’empêche pas les médias -en Amérique et dans le reste du monde- de répandre l’interprétation officielle du gouvernement et de traiter les gestes de survie comme des affaires de “pillage”. « Anarchie à la Nouvelle-Orléans, les pillards devraient être tués sur place« , titrent certains tabloïds.

Catastrophe et sur-pollution

Comme cela était prévisible, une catastrophe de cette envergure dans un pays industrialisé, bourré d’industries polluantes, est dangereuse. Ainsi trois jours après la montée des eaux « plusieurs explosions et incendies violents ont éclaté, touchant notamment un dépôt de produits pétroliers de récupérations » (Libération 03/09). Selon l’Agence fédérale de l’environnement, il est plus que probable que des fumées toxiques, des produits chimiques industriels, des hydrocarbures et des métaux lourds aient été lâchés. A cela s’ajoutent les carburants venant des stations d’essence et des voitures submergées, les peintures et solvants venant des commerces, les produits ménagers et pesticides venant des habitations. Tous ces produits, dans les eaux de crues devenues de véritables égouts, font peser la menace de nombreuses maladies pour les résidents, forcés de barboter dans cette immense baignoire toxique.

A la Nouvelle-Orléans, ceux qui ont faim et soif, ceux qui cherchent à se nourrir en s’approvisionnant dans les magasins abandonnés s’exposent aux tirs meurtriers de la police. Les flics sont là pour empêcher toute transgression du tabou suprême de notre société : « la marchandise honoreras et point ne déroberas« . Le vol est donc passible de la peine de mort, dans ces moments « catastrophiques » où, pourtant, vu la carence généralisée, voler reste le seul moyen de survie. Notre société avoue alors, toute honte bue, que la marchandise est supérieure à la vie humaine et qu’il est mortellement dangereux de l’oublier. Dans ces circonstances fâcheuses, dépouillé de tous les atours démocratiques et des parures légales dans lesquelles il se drape en temps normal, l’État donne à voir sa vraie nature non seulement de tueur à gages mais aussi de geôlier. Les rescapés de la Nouvelle-Orléans peuvent en témoigner : évacués vers les centres de regroupement du Convention Center, du Superdôme, ils ont rapporté les scandaleuses conditions de vie qui ont été les leurs durant ces jours, privés de tout, même de la liberté d’aller et de venir, l’État confondant toujours “regroupement” et “internement”.

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