vendredi 3 mai 2002
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La crise qui débute démontre que la société a besoin d’un changement profond
L’ABSTENTION MAJORITAIRE
Le 21 avril, onze millions de personnes se sont abstenues. Plus d’un million ont voté blanc ou nul. Le nombre d’abstentionnistes est supérieur au double du nombre de voix recueillies par le candidat qui arrive en tête du scrutin (5 millions seulement). C’est la première fois que l’abstention est numériquement majoritaire aux présidentielles. Ce n’est pas simplement un véritable camouflet infligé à Chirac, Jospin et aux politiciens dans leur ensemble. C’est surtout la marque du rejet massif de la logique politicienne ; cette abstention ayant été, pour une large part, volontaire.
LA PEAU DE L’OURS
Forts de la manipulation des esprits à laquelle elle a participé (sur le thème de l’insécurité), de sa main mise sur les rouages de l’état (gouvernement, préfets, radios et télés dites de service public .) de ses nombreux relais (syndicats institutionnels, associations contrôlées.) les socialistes et leurs alliés avaient vendu la peau de l’ours électoral avant de l’avoir tué. Toutes les fractions de la gauche et de l’extrême-gauche politicienne ont voulu compter leurs voix, évaluer leur influence. Elles ont toutes présenté un candidat. Pourquoi ? Pour pouvoir négocier au prix fort les strapontins ministériels dans le prochain gouvernement ! Cet éparpillement a coûté sa deuxième (et même sa première) place à Jospin. La course effrénée au partage du butin de toute cette politicaillerie a été sanctionnée. Mais, sur ce point, les politiciens, les commentateurs politiques et les médias sont discrets : ils réservent leurs attaques, violentes et quotidiennes, aux abstentionnistes. Ils ont très peu souligné la responsabilité de ceux qui ont divisé leur propre camps. Ils oublient de dire qu’il aurait suffit qu’une seule des fractions de la gauche plurielle S’ABSTIENNE de présenter un candidat pour que Jospin « passe » au deuxième tour !
UN CHOC !
Rue de Solférino (siège du PS), les médias, avec un art consommé de la mise en scène, nous ont montré le bouleversement des militants. Ceux que ni les licenciements, ni les expulsions, ni la misère, ni les bombardements de Belgrade ou l’anéantissement des camps de palestiniens n’ont jamais fait pleurer n’avaient, tout d’un coup, pas assez de larmes devant la démission de Jospin.
Bien plus intéressante est la réaction d’une rue qui ne désemplit pas de jeunesse, choquée, déboussolée, mais sincère dans sa réaction « tripale ». Confusément, elle ressent l’affligeante absurdité du monde dans lequel elle vit, sans parvenir -au moins pour l’instant- à l’exprimer clairement, à en analyser les causes.
Malgré les angoisses, malgré la confusion, elle est ouverte aux interrogations et nous pouvons y apporter les éléments de critique sociale, de réflexion politique, d’analyse qui permettront son mûrissement, qui aideront ceux qui sentent déjà que le combat sera long à passer d’un simple choc émotionnel à une révolte pensée.
LE PIEGE S’EST DEJA REFERME
S’il y a une seule illusion qui n’est pas permise, c’est celle de penser que le deuxième tour et les législatives permettront de « faire barrage », et que protégé par ce « barrage », tout le monde n’aura plus qu’à partir tranquillement à la plage pour les vacances, tout danger étant écarté. Quel que soit le résultat de ces élections, on peut affirmer que le piège s’est déjà refermé sur la population. Les déclarations qui se sont succédées après le 21 avril à 20 heures, montrent que le jeu politicien et parlementaire a simplement franchi un pas de plus dans la perversité.
La gauche renouvelle le calcul cynique qu’elle fait depuis vingt ans. Si aujourd’hui, elle n’ose pas dire aussi clairement que le faisait le Premier ministre Pierre Bérégovoy « Le FN est la chance historique du PS. Tant qu’il sera fort, la droite sera inéligible », elle compte bien utiliser la peur pour enrayer l’abstention populaire, comprimer le vote protestataire et obtenir une majorité parlementaire aux prochaines législatives (car les seuls enjeux électoraux qui l’intéressent désormais sont là). La gauche espère donc reprendre le gouvernement. Mais quel sera le résultat ?
Si elle continue la même politique (soit seule, soit dans le cadre d’une alliance gauche plurielle-UDF-divers droite), les mêmes causes produisant les mêmes effets, la misère et le mécontentement de la population ne feront que grandir. Il sera encore plus facile la prochaine fois pour l’extrême-droite de capter les électeurs, de faire un score encore plus « historique » Le choix électoral que nous préparent les politiciens « pour dans cinq ans » sera de ce fait encore pire. Vu le retournement d’alliances auquel on vient d’assister, on ne peut même plus exclure qu’ils ne viennent tous, la bouche en cour et au nom de la sauvegarde de la démocratie, nous demander de choisir au deuxième tour entre Le Pen et Mégret. !
Si par calcul, pour « se refaire » dans les milieux populaires, la gauche gouvernementale infléchit sa politique vers un peu plus « de social » (éventuellement en intégrant des ministres trotskistes, puisque des tractations sont en cours dans l’Ouest pour parvenir à des candidatures uniques de rassemblement gauche/extrême gauche) une fraction de la bourgeoisie et du patronat, qui soutient actuellement l’alliance droite/gauche autour de Chirac, changerait aussitôt de camps et reporterait ses voix sur l’extrême droite. Le piège électoraliste fonctionne aussi dans ce sens.
Et il fonctionne aussi dans la troisième hypothèse : celle de l’alliance directe (dès maintenant, là où ce sera possible, et massivement dans cinq ans) droite/extrême droite. Car ce n’est pas tant la présidentielle actuelle que Le Pen vise que les législatives. S’il menace la droite parlementaire actuelle de la casser, par plus de 300 triangulaires, c’est pour la mettre à genoux. Et ça marche : des pourparlers entre des responsables de droite (qui soutiennent en public Chirac, sensé nous protéger) et les Lepénistes ont déjà lieu dans le Sud-Est. Il n’est pas exclu que des candidatures uniques ou des reports de voix aient lieu localement entre chiraquiens et lepénistes.
Le plus probable est que nous soyons gouvernés par une majorité qui utilisera en permanence la menace de : « C’est nous ou le fascisme ». Et c’est grâce à cette menace qu’ils pensent faire passer toutes leurs offensives contre les travailleurs. La peur du FN remplacera celle du chômage comme élément de pacification sociale.
L’EXTREME GAUCHE
Par aventurisme ou par tactique (avec une répartition des rôles entre les différents partis), l’extrême gauche flotte et se divise. Ce bricolage indécent participe à la psychose actuelle.
Besançenot appelle ouvertement et sans réserve à voter Chirac. A peine arrivé sur la scène publique, le « plus jeune candidat », le « révolutionnaire », soutient l’homme qui fait des cadeaux au patronat, le « Super-menteur », le bâfreur à 4 000 francs de bouffe par jour, le démolisseur des retraites, le représentant des nantis.
Les militants de Lutte Ouvrière, quand on discute avec eux, sont dans des positions difficiles. Eux qui faisaient la fine bouche, en renvoyant fièrement, dans la perspective d’un duel Chirac/Jospin les deux candidats dos à dos ! Laguillier rejette l’abstention et appelle à voter blanc ou nul. Voter, blanc ou nul, c’est accepter le jeu électoral, c’est accepter la procédure qu’on nous impose, même quand elle donne le résultat que l’on voit ! C’est apporter clairement sa caution morale à tout ce qui sortira des urnes.
Les camarades trotskistes, ayant mis le doigt dans le cirque électoral, sont en train d’y passer progressivement tout entier et leurs « idées » révolutionnaires connaîtront le même sort que celles de tous ceux qui sont passés par là : radicaux, socialistes, communistes.
LES ELECTIONS PASSENT, LES PROBLEMES S’AGGRAVENT
La logique parlementaire et les jeux politiciens de conquête du pouvoir, amènent à un compromis républicain c’est-à-dire antisocial. Ce qu’ils veulent sauver, sous les noms de « démocratie » et « république », c’est l’ensemble du système politique, idéologique et économique qui perpétue l’exploitation.
L’exclusion, les licenciements, le manque de libertés, l’arsenal répressif, les conflits armés, la mondialisation libérale, l’exploitation du tiers monde, les pollutions, . augmentent quelques soient le gouvernement car ils sont tous à la botte du capital. En appelant à voter et à soutenir le système parlementaire anti-démocratique, la gauche et l’extrême gauche ont oeuvré à déshabituer les travailleurs à lutter pied à pied, par la grève et l’action directe, contre les attaques patronales. Aujourd’hui, avec le vote Chirac, ils rompent un nouveau seuil psychologique et idéologique. Le choc qui en découle nous ouvre des perspectives. La lutte contre l’aggravation de la situation sociale doit nous inciter à l’action.
AUJOURD’HUI, NOS TACHES
Si besoin avait été de démontrer la perversité du jeu électoral, le « résultat » de ce premier tour devrait suffire. Une fraction de la population, peut-être plus importante qu’il n’y paraît, atterrée par ce qu’elle vient de découvrir, ressent le piège du pseudo-antifascisme, s’interroge sur la capacité du système parlementaire à résoudre les problèmes sociaux, se pose, confusément, beaucoup de questions fondamentales. C’est à tous ceux là que les anarcho-syndicalistes, les anarchistes, les libertaires dans leur ensemble doivent s’adresser.
Notre message sera clair. A la veille du deuxième tour, malgré l’ambiance de panique médiatico-politique montante, malgré la scandaleuse (et, on nous permettra de le dire, l’antidémocratique) « chasse aux abstentionnistes », malgré les mensonges et les calomnies dont on nous accable, nous assumons calmement et sereinement notre abstention du premier tour et nous renouvelons notre soutien fraternel à tous ceux qui ont relayé notre campagne.
Si l’abstention au premier tour a été un refus, l’abstention au deuxième tour sera une rupture. Rupture psychologique et idéologique aujourd’hui, rupture sociale demain.
Face à ce qui se profile, à l’aggravation de nos conditions de vie, à l’augmentation de l’oppression et de l’aliénation, il est indispensable de construire un rapport de force à la base. Il n’y a pas d’autre solution. Faire semblant de croire que Chirac est le rempart de la démocratie et les législatives la solution définitive, c’est reculer pour mieux se faire manger demain.
Il faut rompre avec toute cette confusion, avec l’angoisse et le sentiment d’impuissance. Une seule affirmation permet aujourd’hui de le faire : l’affirmation claire de la rupture idéologique avec le système, dont l’abstention constitue en ce moment le symbole le plus fort. C’est le rôle de chaque individu conscient de la propager. C’est sur la capacité d’appeler, en tant qu’organisation, à l’abstention que se juge aujourd’hui le caractère révolutionnaire ou collaborationniste de chaque organisation.
L’abstention est seule capable de constituer aujourd’hui le pôle de rassemblement, le point de départ d’une dynamique de luttes, réellement antifasciste parce qu’anticapitaliste, parce qu’en totale autonomie par rapport aux stratégies parlementaristes, aux politiciens de tous bords, aux appareils syndicaux et aux autres organes de contrôle social. Dès aujourd’hui, nous devons travailler à ce qu’une résistance populaire autonome se mette en place et se développe, pour faire avancer les luttes contre toutes les formes d’oppression, contre les politiques anti-sociales.
Plus que jamais, les anarcho-syndicalistes, les anarchistes, les libertaires dans leur ensemble doivent proposer les principes et les pratiques que nous avons toujours défendus et qui sont plus que jamais d’actualité : union à la base, solidarité, fonctionnement par assemblées générales, délégués avec un mandat impératif, révocabilité de tout mandaté par l’assemblée générale, action directe (c’est-à-dire action collective sans passer par des médiateurs, des relais institutionnels), désobéissance civile, grèves (ponctuelle, perlée, générale.), boycott, autogestion.
Et, pour parvenir à cela : refus de toute accointance avec les patrons (refus des élections professionnelles.), refus de tout lien avec le pouvoir (rejet de tous les partis politiques et de leurs sous-marins, rejet de toutes les élections politiques).
CNT-AIT (UL Toulouse)
CNT-AIT, 7 rue St Remezy, 31000 TOULOUSE
Tel/fax 05 61 52 86 48
Depuis le 21 avril, discutions et débats se succèdent dans les quartiers et les entreprises. Voter ne servirait qu’à nous endormir d’abord et à légitimer l’arbitraire ensuite.
Continuons de débattre.
Organisons nos assemblées et la solidarité internationale.
Préparons les conditions de l’autogestion et de la démocratie directe.
Contre ce processus fasciste engageons sans perdre de temps le processus de la révolution sociale et libertaire.
En ce moment, permanence publique tous les soirs de semaine à 20 h 30. Samedi de 17h à 19h.
Table de presse tous les Dimanche au marché St Sernin à partir de 10h30. Autre table de presse : RU du Mirail.