dimanche 14 octobre 2001
Les liaisons dangereuses
AZF, ex-APC, ex-ONIA, fait partie de la Grande Paroisse, filiale d’Atofina, la branche chimie du groupe TotalFinaElf. Grande Paroisse est le premier producteur de fertilisants en France.
La SNPE produit entre autres du phosgène (gaz inodore et mortel) pour ses deux seuls clients : AZF et Tolochimie. La production se fait soi-disant à « flux tendu », mais 40 containers d’une tonne sont présents sur le site, un pipe-line alimentant Tolochimie. En Europe, deux sites seulement produisent ce gaz : Toulouse et une entreprise en Allemagne.
Tolochimie appartient à la SNPE, qui l’a rachetée en 1996 à Rhône-Poulenc. Il emploie et stocke du phosgène, de l’acide nitrique et des substances classées « toxiques » et « très toxiques ».
Des usines de mort à la porte de Toulouse
1975 : des plantes crèvent dans les jardins de la route des Etroits. Les analyses montrent de fortes concentrations en nitrates et en chlore.
1986 : une fuite de chlore est détectée après la rupture d’une soupape.
1990 : une fine couche blanche s’est déposée sur tout un quartier. De nombreuses plantes sont brûlées. Les voitures, dont la peinture a souffert, sont gracieusement repeintes par l’entreprise contre le silence des habitants.
1998 : une fuite d’ammoniac liquide se produit au niveau d’une canalisation. Environ 10 tonnes d’ammoniac s’échappent dans l’atmosphère. Dans l’usine, l’activité continue normalement. Ce sont les habitants qui préviennent les pompiers.
1999 : les rejets d’acide chlorhydrique et de carbone volatile passent au dessus des limites autorisées. Un PV est dressé contre l’industriel.
2001 : en février, la SNPE rejetait dans la Garonne des doses de matières toxiques au dessus des normes autorisées.
Dans l’histoire de la SNPE, on a répertorié 103 cas de contamination au phosgène. Par ailleurs, on retrouve régulièrement sur le site des explosifs de la deuxième guerre mondiale.
Les pouvoirs publics complices
Les rapports dressés par la DRIRE (l’administration chargée de la surveillance industrielle et de la sécurité), pointant les risques ou les dysfonctionnements des usines, ont toujours fini aux oubliettes. Son directeur affirme : « Ma responsabilité vis-à-vis de la collectivité, c’est de faire le mieux possible en fonction des moyens dont je dispose ». Sa complicité, elle, commence quand il omet d’alerter la collectivité de son manque de moyens ou de la non-publication des rapports.
1997 : le conseil municipal autorise la SNPE à se doter d’une troisième chaîne de fabrication de phosgène.
1998 : un collectif toulousain des comités de quartier monte à Paris pour participer à un débat à l’Assemblée Nationale mais il n’est pas pris au sérieux.
Les pouvoirs publics savaient que le stock de 300 tonnes d’ammonitrates et de nitrates industriels était explosif : cela est cité dans une annexe du document de l’enquête publique qui a eu lieu en 2000 pour le projet d’extension d’ateliers. L’exploitant « oublie » ensuite ce risque d’explosion dans les mesures de protection envisagées… Le projet est accepté.
2001 : un rapport du comité hygiène et sécurité donnait l’alerte sur des risques liés au stockage et au conditionnement des produits entreposés.
Douste-Blazy s’empresse de préciser qu’avant 1982, c’était l’Etat qui donnait les autorisations de construire (Papus, le Mirail). C’est l’Etat qui permet ou non de construire ou d’étendre un site soumis à la directive SEVESO. La ville n’a qu’un rôle consultatif. N’empêche qu’aucun élu municipal n’a jamais voté contre. Le PS, courageusement, s’abstenait…
Qu’ils ferment tout !
AZF fabrique des fertilisants qui ne servent qu’à polluer les sols cultivés et les nappes phréatiques pour plus de rendement à l’hectare, pendant que l’Etat subventionne les « jachères », ces champs qu’on ne cultive pas, pour éviter la surproduction.
La SNPE fabrique des armes. Conventionnelles et très certainement chimiques. Sinon, comment expliquer la liste impressionnante de produits toxiques, et surtout les quantités incroyables de phosgène (244.000 tonnes d’après “La Dépêche” !) qu’elle est autorisée à stocker, alors qu’elle prétend que ce gaz n’est fabriqué que pour les besoins de ses voisines AZF et Tolochimie ?
La SNPE fabrique aussi le carburant des fusées Ariane, qui envoient dans l’espace des sommes colossales en fonction d’objectifs essentiellement militaires, pendant que des millions d’êtres humains, pillés par les pays occidentaux, crèvent de faim.
AZF : Les mots de Méli
Mardi 25 Septembre lors d’une première manifestation contre AZF et ses complices. Elle avait hurlé sa rage au mégaphone, puis elle avait cogné, cogné contre la porte close du Capitole. Elle habite Empalot, et elle voulait que chacun sache que 5 jours après le drame, des gens dormaient dans la rue. Elle voulait voir le maire ou le préfet pour qu’ils s’occupent enfin des victimes des quartiers. « On n’est pas à la Côte Pavée, nous ! On est d’Empalot, on compte pour rien ».
On s’est revu le lendemain avec Méli. Elle m’a montré un grand cahier. Depuis ce Vendredi de peur, elle y note tout : ses rages, ses impressions, la liste des pétitionnaires de l’immeuble, les projets de revendications, les adresses utiles pour les secours ou celles des voisins en détresse. Elle a bien voulu que je pioche dans tous ces mots pour les mettre en page. Alors, voici quelques extraits des notes de Meli entre le 21 et le 29 septembre 2001.
“Sujet délicat. Trop de douleurs sont muettes. Il était une fois… Toutes les belles histoires commencent comme ça, alors, il était une fois une vie, un regard sur Empalot. Aveuglée par les larmes, je croyais ne rien voir, mais ma force m’a tenue un langage sans parole. On ne voit bien qu’avec le cœur, le cœur parce qu’à force de vivre les peines, les joies, les rêves et les désillusions amassées comme l’écume. Alors les vies animées par la foi d’un idéal se battent jusqu’à ce que la vérité éclate… Qu’est ce que cohabiter, si ce n’est vivre en harmonie… Les cellules de crise comme vous les appelez n’ont été mises en place que 3 jours après. On s’interroge… Les jours s’enchaînent et personne ne s’occupe de nos réels problèmes… Nous avons été délaissé par vous les politiques, tellement de sang innocent versé et le monde ne bouge pas…. Vous, les politiques, si vous croyez tout savoir de nous même et nos envies, tout connaître sur nos quartiers défavorisés comme vous nous appelez Je veux simplement vous parler de nous, de nos vies, de la façon dont vous pourriez la transformer, faire en sorte que nos souhaits se réalisent, et que vous sachiez adapter vos esprits à nos désirs, aux conditions mêmes de la vie. Nous avons perdu à jamais la clé de nos vies… Pas de secours, les habitants, les handicapés n’ont vu personne”.
Et puis quelques pages après, il y la liste des revendications décidées par une cinquantaine d’habitants du quartier :
“
Loger en priorité dans les appartements vides du quartier les gens qui sont à la rue.
Non paiement ou réduction des loyers jusqu’à ce que les réparations soient faites.
Idem pour l’EDF. Nous sommes obligés de chauffer beaucoup plus, et l’hiver arrive. Ce n’est pas à nous de payer.
Ceux qui veulent évacuer et être relogés doivent être pris en considération en priorité et relogés dans de vrais appartements.
Des produits frais, viande, légumes, et repas chauds.
Reprise des écoles, des collèges, des crèches dans le quartier et dans des conditions décentes (non dispatchés).
Fermeture définitive du complexe AZF, Poudrerie, Tolochimie. Il ne faut pas que ça recommence.”
Mercredi (6 jours après l’explosion), les habitants du quartier ont enfin rencontré Simon le chef des socialos Toulousains, et lui ont dit ce qu’il avaient sur le cœur. Ils ont obtenu que l’épicerie du coin soit réquisitionnée.
Le lendemain, le conseil général et la mairie installaient des tentes et dépêchaient sur place la croix rouge et la sécurité civile.
ISA.
Témoignage d’un ouvrier de la Z.I. Thibault .
“Je travaille dans la Z.I. Thibault près de chez AZF. A 10 h15, nous avons entendu l’explosion et la terre a tremblé. Puis le panache de fumée s’est approché de nous avant d’être chassé par le vent d’Autan. Nous avons ramassé les gravats puis nous avons continué à travailler. Aucune consigne d’évacuation n’a été donnée. A 14h30, la deuxième équipe a pris la relève avec une heure de retard à cause des embouteillages, comme si de rien n’était, et malgré les risques encourus. Pendant les massacres, le profit continue.”
Un lecteur du C.S.
Premiers touchés,premiers oubliés.
Huit jours après l’explosion, les familles dont le domicile est détruit s’entassent dans ce qu’on appelle pompeusement des “lieux d’accueil”, avec des lits de camp pour tout mobilier et des paravents (quand il y en a) pour toute cloison. A Toulouse-lautrec, il n’y a même pas de cabines de douche : si tu veux te laver, c’est (homme, femme et enfant) en public.
Immonde, pour des familles traumatisées.
Malika
Jetée par le 08 11 00 06 31
Comme beaucoup d’habitants de Rangueuil, je suis sinistrée : la baie du séjour et les huisseries ont explosé. Je suis une femme seule et j’ai essayé de contacter mon assurance. C’était samedi et évidemment, ça ne répondait pas. J’ai alors appelé le 08 11 00 06 31, numéro d’aide aux sinistrés pour leur demander comment faire. Quelle idée j’ai eu là ! Après avoir réussi à joindre une correspondante, j’ai eu à peine le temps d’expliquer qu’elle m’a remballé : “Ici on ne répond qu’aux urgences, appelez votre assurance”. J’explique qu’elle ne répond pas et que j’ai des questions à poser. Elle me fait “Vous les poserez à quelqu’un d’autre” et elle me raccroche au nez. Cela fait plaisir d’être aidé comme ça quand on est dans la m…
Laurence u
PREMIERE MANIFESTATION
Mardi 24 Septembre, 18 heures, après un violent orage, les toulousains convergent vers la place du Capitole. Ils ont appris qu’il y avait un rassemblement. Pour beaucoup, c’est leur première manifestation. Nous y sommes également. La place est silencieuse, les médias guettent les notables. On attend.
Plusieurs milliers de personnes sont là. Il n’y a pas les syndicats. Il n’y a pas les élus. Les grands partis sont absents en tant que tels. Ils ont honte. Mais ils ont leur joker : la LCR, bien visible avec d’énormes drapeaux, regroupe les vestiges du pouvoir. Elle est le dernier rempart des responsables patronaux et politiques dont certains craignent maintenant la colère de la population. Devant la mairie aucun CRS. Profil bas pour l’Etat .
Minute de silence, lourde, très lourde, des pleurs sont contenus, la rage monte.
D’un mégaphone une voix s’élève. Un militant de la CNT-AIT rompt le silence. Il appelle à la prise de parole, à ce que s’expriment les anonymes, les victimes, les oubliés de toujours. La voix traverse la place, remplie par des milliers de personnes. Silence encore. Des gens font cercle et s’approchent. Dites qu’il ne faut plus voter, dit l’un, de porter plainte contre Totatelfina dit l’autre. Mais ils n’osent pas encore s’exprimer directement. Enfin, une femme prend notre mégaphone, ce n’est pas une militante, elle n’a jamais manifesté, elle ne sait pas comment faire, mais elle va parler à 5 000 personnes et exprimer son besoin d’action. Les manifestants l’applaudissent. Ils vont parler, ils veulent agir.
Un cortège se forme vers la préfecture. Nous refusons de parler aux journalistes. mais les gens qui sont avec nous n’ont pas cette prévention. C’est l’état qui est responsable, disent-ils, ce sont les politiques et les financiers qui nous assassinent ! Voilà les propos que les médias enregistrent, et qui ne seront reproduits que très, vraiment très partiellement sur la deuxième chaîne de télévision
Devant la préfecture, pas un CRS, pas un gendarme. Mais la LCR, discrètement mais fermement appuyée par les politicards d’autres obédiences, fait son travail. “La manifestation est dissoute”, dit un haut parleur. “Qui l’a décidé ?” demande quelqu’un. Cette nuit-là, les 5000 manifestants auraient pu entrer pacifiquement dans l’édifice et l’occuper, faire entendre nos revendications au monde entier. Après ce que nous venions de subir et ce que nous subissons depuis tous les jours, auraient-ils osé nous matraquer ?
Les politiciens plient bagage, le gros des manifestants avec. 500 personnes restent avec nous, ce sont les délégations des quartiers dévastés. Car beaucoup n’ont pu venir : ils sont occupés à panser leurs plaies, à pallier aux défaillances de la solidarité nationale. Cette nuit encore certains dormiront dans des caves, à l’air libre ou vont veiller à l’hôpital des centaines de blessés. Ils vont le crier dans le mégaphone de la CNT-AIT, encore et encore, devant les portes de la préfecture, sans cesse ils vont fustiger les pouvoirs publics… Enfin, 2 à 300 personnes repartiront en cortège vers la mairie à 21h. Pour aujourd’hui c’est fini. On se donne des numéros de téléphone et on appelle à une autre manifestation pour samedi qui vient.
CIRCONSTANCE AGGRAVANTE
“Disons que l’enquête conduite afin de connaître le passé du nommé ….. a permis d’apprendre que ce dernier est très connu de nos services pour son appartenance à divers mouvements anarchistes.
Membre de la Confédération Nationale du Travail, ex-membre du SCALP (section carrément anti Le Pen), ex-membre du groupe ASSEZ FUME”
Les quelques lignes sont tirés d’une note de police destinée à “charger” un militant de la CNT-AIT lors de son procès. Cette note figurait dans son dossier remis aux magistrats, en toute illégalité.
“Assez Fumé” a été un des groupes les plus actifs à Toulouse, voici quelques années, dans la dénonciation des méfaits d’AZF.
On voit par cette note que, prévenir la population contre le danger, a été considéré par la police comme presque un délit, en tout cas, une circonstance aggravante !
« A.P.C. : la fumisterie »
ça, sur cinq colonnes à la une, en première page, c’est un titre d’article dans le numéro d’“Espoir CNT”, le journal que nous publiions à l’époque… c’était en septembre 79. Nous y parlions d’émanations d’acides trichlorocyanurique et nitrique, d’amoniaque, de formol… nous y parlions des conditions de travail et des risques d’accidents… Mais la direction répondait à l’époque, le plus naturellement du monde, : “l’usine ne rejette que de la vapeur d’eau”.
SOUSCRIPTION EXCEPTIONNELLE
Parce que des copains ont été durement touchés, parce que une partie de nos moyens matériels a été détruit, parce que la lutte qui s’amorce sera longue et difficile, parce que nous voulons faire entendre notre voix. Nous avons besoin de votre soutien. Participez à la souscription (chèques à l’ordre de) :
CNT, CCP 3 117 57 H
CNT-AIT, 7 rue St REMESY, 31000 TOULOUSE
Extrait de la Brochure :
Assassins ! Toulouse, 21 septembre 2001, un crime industriel
Cette brochure a été élaborée à partir d’articles rédigés par des militants, militantes et sympathisants de la cnt-ait, a propos de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse le 21 septembre 2001.
Ces articles sont initialement parus dans l’édition Midi-Pyrénées de notre journal « Le Combat Syndicaliste ».
Cette édition a été revue et augmentée.
Télécharger la brochure : https://cnt-ait.info/wp-content/uploads/2024/11/057-assassins.pdf