Fernand DOUKHAN, un instituteur berbère juif et anarchosyndicaliste engagé dans la lutte anticolonialiste en Algérie

Fernand Doukhan est né, avenue Durando, dans le quartier algérois de Bab-el-Oued, au sein d’une famille pauvre, d’origine berbère et juive. Son nom provenait sans doute du mot arabe, Dukhân, qui signifie tabac. Son père travaillait comme peintre en bâtiment. Ses deux grands pères étaient de simples journaliers.

Comme beaucoup d’enfants des milieux modestes, qui enregistraient de bons résultats scolaires, il fut orienté vers des études d’instituteur. Parce qu’il avait obtenu plus de 120 points au brevet d’études, il fut admis au concours de l’École normale de la Bouzaréah, sur les hauteurs d’Alger, en 1930. Il y croisa notamment l’écrivain Mouloud Feraoun, fils d’un fellah très pauvre, qui devait être assassiné par l’OAS en mars 1962. C’est aussi sur les bancs de l’École normale qu’il s’imprégna des valeurs de la laïcité et a acquis la conviction de la profonde injustice de la société coloniale.

Peu de temps avant son arrivée, il était encore de coutume de séparer les musulmans et les Européens, qui passaient pourtant le même concours d’entrée, dans les salles de cours, au réfectoire et au dortoir. Cette ségrégation l’avait indigné.

Fernand Doukhan, alors célibataire et sans enfants, venait tout juste de commencer à militer au sein du groupe algérois de la Solidarité internationale antifasciste (SIA), qui venait en aide aux Anarchistes espagnols réfugiés, quand la France déclara la guerre à l’Allemagne, en septembre 1939. Il fut parmi les premiers à recevoir son ordre de mobilisation et fut affecté au 9e Régiment des zouaves, le « Régiment d’Alger ». Fait prisonnier en juin 1940 à Crépy-en-Valois (Oise), il passa toute la durée de la guerre en captivité, en Allemagne, derrière les barbelés du stalag IID, à Stargard, puis de ceux du stalag VC, à Wildberg (Offenburg). Il fut libéré par les Alliés le 20 avril 1945.

À son retour, Fernand Doukhan fut nommé instituteur à l’école Lazerges, dans le quartier Nelson, à Alger. Il recommença également à militer. Il participa au relancement de la CNT-AIT (qui disposait d’un groupe chez les dockers et aussi regroupait des compagnons espagnols réfugiés en Algérie), dès sa création en 1946. L’Action Syndicaliste, le journal de la CNT-AIT de l’époque, dans son numéro 23 du 1er décembre 1936, retranscrit une lettre de la Bourse du Travail d’Alger adressée au « Camarade Dukan (sic) », président de la séance de constitution du Syndicat Interprofessionnel de la Ville d’Alger. La création de la CNT-AIT en Algérie fut l’objet dès le départ d’une opposition acharnée et même violente du Parti Communiste, comme le relate cet article qui explique comment la CGT sabota la réunion constitutive de l’organisation anarchosyndicaliste.

L’action syndicaliste, 1er décembre 1946, numéro 23, sabotage de la réunion constitutive de la CNT-AIT par la CGT et le Parti Communiste
1ère souscription en faveur de la CNT-AIT, parue dans son journal le Combat Syndicaliste n°3, juin 1947, le nom de Doukhan apparait deux fois
Manifestation des anarchistes espagnols exilés à Oran, 1946 (cf. https://cnt-ait.info/2020/09/30/oran-1er-mai-1946) Sur la banderole : Los obreros refugiados españoles al pueblo argelino por la Fiesta del Trabajo / عمال لاجئون اسبان للشعب الجزائري لمهرجان العمل

À partir de 1948, il fut membre du groupe d’Alger de la Fédération anarchiste (FA), et intégra la commission d’éducation de la FA. Les groupes anarchistes d’Afrique du Nord s’étaient en effet constitués en union régionale, le 2 septembre 1947, devenant la 13e Région de la Fédération anarchiste.

La police et les renseignements généraux avaient inscrit Doukhan sur une liste de militants à surveiller. Il fut interpellé, un soir de l’été 1949, alors qu’il était en train de coller des affiches qui commémoraient l’insurrection espagnole de la CNT-AIT du 19 juillet 1936, suite au coup d’État militaire de Franco, boulevard Baudin, dans le quartier de l’Agha, à Alger. Il passa quelques heures au commissariat avant d’être libéré.

Affiches de commémoration de la Révolution espagnole, Algerie, 1946

Vraissemblablement, face à la campagne agressive de la CGT contre la CNT-AIT, celle ci ne réussit pas à s’implanter en Algérie et il se résolut à rejoindre le SNI (syndicat national des instituteurs), où la tendance Ecole Emancipée essayait de maintenir la flamme du syndicalisme révolutionnaire.

À l’été 1949 il participa au camping libertaire de l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes. À l’époque, la 13e Région de la FA décida de prendre son autonomie sous le nom de Mouvement libertaire nord-africain (MLNA). Les autorités coloniales légalisèrent le MLNA le 31 mars 1950 (acte numéroté 4189), et Fernand Doukhan écrivit à la Commission de relations internationales anarchistes (CRIA) pour demander l’affiliation directe de la nouvelle organisation. Doukhan devint secrétaire du MLNA en 1954.

Quand l’insurrection algérienne éclata, le 1er novembre de cette année là, Georges Fontenis, à la tête de la Fédération communiste libertaire (FCL, nouveau nom de la FA), chargea Fernand Doukhan et Léandre Valero, d’entrer en contact avec les responsables locaux du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Le MTLD, bientôt rebaptisé Mouvement national algérien (MNA), était dirigé par Messali Hadj et était alors la principale organisation indépendantiste.

Le MLNA ne fit pas seulement l’intermédiaire entre la FCL et le MNA. Il lui apporta également une aide logistique directe : fourniture de tracts, de matériel, de brassards, de « planques », organisation des déplacements des militants, des réunions clandestines, etc. Le local du MLNA, avenue de la Marne, à Alger, intitulé officiellement Cercle d’études culturel, social et artistique, et qui disposait d’une machine ronéo, était utilisé pour imprimer des tracts indépendantistes. La villa Vogt, dans le quartier des Sources, sur les hauteurs d’Alger, où Léandre Valero, sa femme et ses fils, s’étaient installés, servait de boîte à lettres. L’appartement de la rue du Roussillon, à Bab-el-Oued, où habitait Doukhan, accueillait les réunions et hébergeait les militants de passage.

Fernand Doukhan signait de son nom ses articles dans Le Libertaire. Il y défendait les thèses indépendantistes, comme « La faune colonialiste de l’Assemblée algérienne » (6 janvier 1955), « De la nomination de Soustelle aux interpellations sur l’Afrique du Nord : règlement de comptes » (3 février 1955) ou encore « D’Alger : solidarité néo-colonialiste » (24 février 1955). Dès le 11 novembre 1954, dix jours après le début de l’insurrection, il dénonçait, dans un article intitulé, « Mauvaise foi et colonialisme éclairé », ces « légionnaires, gardes mobiles, CRS et autres gendarmes en mal d’expéditions punitives depuis l’armistice en Indochine » et « leur sens élevé de la justice, eux qui ratissent, violent, tuent, sous les ordres de puissants qui veulent continuer à s’enrichir colossalement sur la misère des fellahs, ouvriers agricoles, mineurs, dockers… » Le terrorisme, concluait-il, n’est que la conséquence de « l’expropriation, de la surexploitation, de la répression, des massacres, des hécatombes, de l’analphabétisme, de l’étouffement de la personnalité de l’Algérie ». Il condamnait aussi, dans un autre article, « les aveux extorqués sous la torture » et « l’immense camp de concentration qu’est devenu l’Algérie ».

Le 28 janvier 1957, Fernand Doukhan décida de faire grève à l’appel du FLN, du MNA et du Parti communiste algérien (PCA) dissout en septembre 1955, afin de peser sur le débat prévu à l’ONU sur la question algérienne. Il fut arrêté par les parachutistes à son domicile, rue du Roussillon, conduit et interrogé au centre de tri et de transit (CTT) de Ben Aknoun, puis « assigné à résidence surveillé », au camp de Lodi, à une centaine de kilomètres au sud-ouest d’Alger, près de Médéa. Ce camp d’internement, une ancienne colonie de vacances des Chemins de fer algériens, emprisonnait les pieds-noirs suspectés d’être trop proches des milieux indépendantistes, sans inculpation, sans jugement, sans condamnation, sur simple arrêté préfectoral. Beaucoup de membres du PCA y étaient enfermés cette année là, notamment Henri Alleg, ancien directeur d’Alger républicain et futur auteur de La Question, et Albert Smadja, l’avocat de Fernand Yveton, le seul européen qui sera guillotiné durant la guerre d’Algérie pour avoir tenté, en vain, de faire exploser une bombe contre l’usine à gaz d’Alger.

Fernand Doukhan en 1957
(Archive N. Funès)

Fernand Doukhan fut libéré le 30 mars 1958, un an et deux mois après son arrestation, et expulsé d’Algérie. Il eut une semaine pour quitter le pays où sa famille était installé depuis toujours et où il était né, avec deux policiers qui ne le quittèrent pas d’une semelle, jusqu’à ce qu’il ait pris le bateau pour Marseille. À son arrivée en France, il fut hébergé, à Montpellier, par Marcel Valière, un des dirigeants historiques de la tendance École émancipée du Syndicat national des instituteurs (SNI), dont il était également adhérant et dont il devint le trésorier pour le département de l’Hérault.

Douhkan fut nommé, à l’automne 1958, à l’école primaire de garçons Docteur-Calmette, au Plan-des-Quatre-Seigneurs, à Montpellier, puis épousa Marguerite Hoarau, secrétaire à la faculté des sciences de Montpellier, d’origine réunionnaise, et dont il n’eut jamais d’enfants.

En 1981, juste avant l’élection de François Mitterrand, à la présidence de la République, alors qu’il s’était détourné de l’anarchisme depuis son retour en France, il rejoignit le Parti communiste internationaliste (PCI), alors la principale formation trotskiste, dirigée par Pierre Lambert, qui devint en 1991 le Parti des travailleurs.

Doukhan mourut des suites d’un accident de voiture à l’âge de 83 ans. Une BMW avait percuté de plein fouet sa Renault Clio. Il avait encore manifesté, quelques mois auparavant, en décembre 1995, pour protester contre le plan de réforme de la Sécurité sociale d’Alain Juppé, le Premier ministre de l’époque.

D’après un article du Maitron + Souvenirs Léandre Valéro

Sur le même thème :

Léandre VALERO, anarchiste sans frontière

https://cnt-ait.info/2019/03/16/leandre-valero-anarchiste-sans-frontiere

(1951) ALGERIENS NE VOTEZ PAS. VOTER, C’EST CAPITULER

https://cnt-ait.info/2019/03/16/1951-algeriens-ne-votez-pas-voter-cest-capituler/

Le Mouvement Libertaire Nord Africain, MLNA (1951-1957)

https://cnt-ait.info/category/inter/algerie/mlna


Liste des articles écrits par F. DOUKHAN dans le Libertaire :

Titredate publication
En Afrique du Nord (à propos d’un plan)8-déc.-50
Dictature française en Algérie : Un coup de force19-juin-52
Mauvaise foi et colonialisme éclairé11-nov.-54
Un aveu : soutiens du colonialisme25-nov.-54
Protestation du M.L.N.A.28-nov.-54
 La faune colonialiste de l’Assemblée algérienne6-janv.-55
De la nomination de Soustelle aux interpellations sur l’Afrique du Nord : Règlement de comptes3-févr.-55
D’Alger : solidarité néo-colonialiste24-févr.-55
D’Alger : solidarité néo-colonialiste3-mars-55
Misère de l’école publique en Algérie ou l’impuissance du réformisme7-avr.-55
Misère de l’école publique en Algérie ou l’impuissance du réformisme21-avr.-55

En Afrique du Nord. A propos d’un plan

Le Libertaire, n° 246, 8 décembre 1950, p. 2

https://sinedjib.com/index.php/2021/03/17/fernard-doukhan-en-afrique-du-nord-a-propos-dun-plan/

EN 1945, l’administration algérienne élabora un plan de scolarisation échelonné sur 20 ans, qui devait scolariser 1.250.000 enfants.

Par un rapport présenté par M. Bertrand, rapporteur général de la Commission de l’Education Nationale auprès de l’Assemblée Algérienne, au moment de la discussion du budget de 49, on pouvait apprendre que : les crédits proposés s’élevaient à 3 milliards 231 millions, au lieu de 12 milliards 206 millions, qu’il fallait compter au 1er novembre un reliquat de 3.869 classes et 2.100 logements, que le retard du plan de coordination pour les années 45 jusqu’à 49 s’élevait à 1.200 classes, que sur les 1.800 classes nouvelles, 1.072 fonctionnaient à mi-temps.

Le comité de scolarisation réunissant les délégués du syndicat des instituteurs, des partis politiques (sauf le P.C.A. et les partis nationalistes, ces derniers s’étant retirés en raison de leur désaccord sur la laïcité), le M.P.F., la Libre Pensée, le M.F.A., etc., où les délégués du S.N.I. sont « persona grata », fait remarquer dans une lettre envoyée au président de l’Assemblée Algérienne qu’il fallait reprocher, en plus de ce fameux plan, d’avoir oublié de compter avec un excédent de naissances annuelles de 150.000 unités et que « faute de crédits, la reconduction, d’année en année, risque de devenir continuelle, que la situation de la scolarité à temps réduit ne fera qu’empirer et que tous les enfants d’âge scolaire ne pourront pas être scolarisés ».

Et l’ineffable Marcel-Edmond Naegelen nous donne un aperçu de la piètre estime dans laquelle il tient l’intelligence de l’Algérien moyen, et remplit fidèlement son rôle d’agent colonialiste lorsqu’il annonce en 1950 que « tout ne peut aller aussi bien puisque 22.100 enfants de plus que l’année passée ont été scolarisés cette armée ».

Si l’on augmentait les crédits pour l’instruction publique (7 milliards) il faudrait rogner sur ceux de la Sécurité générale, la police d’Etat et les services pénitentiaires (plus de trois milliards), de la gendarmerie, lesquels sont deux fois plus importants que ceux pour la Santé et la Famille, en application, nous dit Ahmed Boumendjel de l’Union Démocratique du Manifeste Algérien, dans le journal « La République Algérienne »

« d’une politique fort complexe faite de peur, de panique et de force. En un an, l’hystérie policière a contaminé tous les esprits. La Police Judiciaire et des Renseignements Généraux sont passés de 192 à 322 millions, les commissaires de 10 à 20 millions et la Sécurité générale de 30 à 35 millions.

Ces trois secteurs où le racisme et la brutalité sont en honneur et qui ont complètement faussé les données du problème algérien, passent de 232 à 377 millions.

Et tout cela a été entériné sans aucune observation. Sans observation aussi, 10 millions de dépenses secrètes, 60 millions des services d’information, de documentation et de propagande du gouvernement général (celles qui sont avouées), les 10 millions du parc automobile de MM. Ciosi-Naegelen, les 10 millions des chefs et anciens chefs musulmans des territoires du Sud, les 33 millions des makhzens (!) sahariens, les 8 millions de l’Institut d’études supérieures (ô combien) islamiques, et enfin 3 millions 500 mille résultant de la loi du 29 juillet 1913 sur le secret et la liberté du vote. Les couscous plantureux servis par les sous-préfets et les administrateurs aux grands électeurs du sénateur Ourabah, mon concurrent au Conseil de la République, vainqueur hélas, au bénéfice de l’âge, reviennent un peu cher aux contribuables ».

Est-ce qu’Ahmed Boumendjel, une fois son parti au pouvoir, fera la meilleure part aux crédits de la Santé, de la Famille et de l’Instruction, au détriment de ceux de la police, la gendarmerie, des fonds de propagande secrets et non secrets et autres entretiens du maximum vital des gouvernants ? Nous sommes convaincus que non.

Pour en revenir au fameux plan, d faut constater, admirer plutôt la candeur (ou la duplicité) des participants du Comité qui ne sont pas encore convaincus que l’élaboration du Plan n’était que démagogie à une époque où le monde colonial s’agitait, et que, cette période critique dépassée, tout devait être mis en oeuvre par le colonialisme omnipotent pour le faire torpiller par sa créature servile, la haute administration.

Et lorsque le secrétaire du comité, en même temps secrétaire de la section d’Alger du S.N.I. nous roucoule « que le comité est devenu une personnalité morale de premier plan, sans la consultation de laquelle aucune décision n’était prise concernant la scolarisation », on peut mesurer l’esprit du plus plat réformisme et du plus plat collaborationnisme qui anime notre secrétaire général et le majorité des instituteurs coloniaux. Un réformisme qui est d’autant plus condamnable que nul mieux que les instituteurs ne devrait être placé pour évaluer les méfaits du colonialisme alors que plus de 100.000 enfants musulmans sont scolarisés sur près de 1.300.000, que nul mieux qu’eux ne devrait comprendre que la lutte pour la scolarisation et la lutte contre l’administration sont indissolublement liées, et qu’appuyés par le syndicat national, ils pourraient, en constituant un large front de lutte sur l’objectif bien défini de la scolarisation, alerter l’opinion publique et par l’action directe faire rendre gorge aux gros colons surexploiteurs et à leurs valets de la haute administration.

Les instituteurs réformistes algériens ne doivent pas perdre de vue que leur attitude coupable permet à l’enseignement confessionnel de prendre de plus en plus d’essor (autant d’élèves dans ce dernier que dans l’enseignement public). Ils ne doivent pas perdre de vue que la lutte pour la scolarisation, pour l’instruction, l’éducation, c’est non seulement le colonialisme mis en échec, mais le nationalisme ; c’est aussi retarder le moment où l’impérialisme français, par sa préparation à la guerre terminée, pourra permettre le déclenchement du conflit entre les impérialismes américain et russe, car le budget algérien participe (participait plutôt) pour 11 milliards au budget métropolitain de la défense nationale. Seule une organisation spécifique peut coordonner sur les plans politique, économique et social, une activité révolutionnaire, combattant le colonialisme, le nationalisme, l’impérialisme.

Seule une organisation spécifique peut étudier et employer les méthodes d’action directe pour venir à bout de ces adversaires après avoir établi des principes solides ; seule elle peut, sur le plan syndical, contacter les individualités syndicalistes des autres corporations, développer les minorités, les lier, reconstituer même un large regroupement syndicaliste avec un programme minimum ; seule elle peut susciter un large rassemblement révolutionnaire contre la guerre.

Et cette organisation existe à Alger : c’est le MOUVEMENT LIBERTAIRE NORD-AFRICAIN.

DOUKHAN.


Dictature française en Algérie. Un coup de force

Le Libertaire, n° 320, 19 juin 1952

https://sinedjib.com/index.php/2021/04/19/fernand-doukhan-dictature-francaise-en-algerie-un-coup-de-force

L’article que nous reproduisons ci-dessous est tiré de « L’Ecole républicaine », bulletin de la section d’Alger du Syndicat National des Instituteurs et Institutrices de l’Union Française, du mois de mai 1952.

Il nous a paru important de le communiquer à nos lecteurs, pour la position anticolonialiste du camarade Doukhan, position parallèle à celle que défend « Le Libertaire » dans la métropole.

Nulle part ailleurs plus qu’en Algérie le 1er Mai ne prenait sa signification profonde de journée de lutte :

— Une haute administration que de grasses sinécures ont mis au service d’un haut colonat de combat et qui réprime même les libertés reconnues par la constitution liberté d’association, droit de grève.

Rappelons-nous la répression des grévistes agricoles de Descartes, d’Ain-Taya. Une administration qui, dans l’exercice des mots d’ordre reçus, laisse accumuler le nombre d’analphabètes indispensables à l’exploitation des grandes propriétés et à l’érection de fortunes scandaleuses.

— Qui entretient la psychose de peur et qui légitime ses mesures par la découverte de soi-disant complots, et dont Claude Bourdet, Albert Camus, Jean Rous et Dechezelles ont dénoncé à Blida les procédés arbitraires.

— Qui, par les saisies et les amendes a supprimé la liberté de la presse pour certains journaux et l’a gravement compromise pour d’autres.

— Qui sévit contre les instituteurs de Mesaad, lesquels, en protestant contre la répression en Tunisie, n’ont pas fait autre chose que d’exercer leur droit le plus strict d’hommes et de citoyens, en dehors de leur activité professionnelle. Et, à ce sujet, le Bureau d’Alger a eu raison de signaler l’allégeance de l’Université à cette même administration et au ministère de l’Intérieur.

Cette haute administration a interdit le 1er Mai. Comment en aurait-il été autrement après les ratissages de Tunisie dont les détails édifiants ne sont tus que par ceux qui ne veulent ni voir ni entendre. Le colonialisme a montré sur quel terrain les travailleurs algériens et nord-africains doivent engager la lutte.

Et il faut dénoncer à ce sujet l’attitude de F.O. et de la C.F.T.C. approuvant cette mesure à Oran, afin qu’aucune confusion ne doive plus exister au sujet de la place des dirigeants du côté de l’exploitation et de la répression.

La C.G.T. a donné des mots d’ordre valables, mais se terminant par l’apologie de l’U.R.S.S. et, à ce sujet, tenue d’exécuter les mots d’ordre reçus, il lui était impossible de constituer un front de revendication et de protestation sur un programme minimum et ainsi soulever l’indignation de tous les travailleurs devant le coup de force du 1er Mai.

Elle parle de l’histoire du 1er Mai, histoire des martyrs de Chicago exécutés par une justice de classe, mais elle ne souffle mot du 1er Mai de la Libération où le parti collaborait au pouvoir, où il fallait produire, allonger la semaine de travail, bloquer les salaires et où la grève devenait « l’arme des trusts ».

Elle lutte contre la répression mais des témoignages dignes de foi existent suivant lesquels les syndicalistes, ceux qui veulent exercer les libertés fondamentales et sauvegarder l’indépendance des syndicats face au gouvernement, sont réprimés dans les démocraties populaires, et avec eux tous les adversaires politiques.

Les Autonomes se sont abstenus pour ce 1er Mai : il ne pouvait en être autrement, considérant leur corporatisme et l’esprit collaborationniste qui anime ces organisations.

— Le Bureau de la Section d’Alger a protesté : elle a été l’une des rares voix, bien faibles (pourquoi la protestation n’a-t-elle pas été publiée) qui s’est élevée contre le coup de force.

La situation est grave : en Tunisie, malgré la censure, la presse anglaise nous append qui la répression s’acharne tout particulièrement sur les syndicalistes libres. Les fonctionnaires peuvent être suspendus au gré du chef d’administration. « La menace pèse même sur les fonctionnaires français qui seraient tentés de se solidariser avec les Tunisiens. »

Les incidents de Mesaad, l’interdiction du 1er Mai nous indiquent que les mots d’ordre sont les mêmes pour toute l’A.F.N.

Que les instituteurs prennent parti, eux qui touchent du doigt la misère des populations et qui commencent à tomber victimes eux aussi de la répression.

Il y a donc une solidarité d’urgence à manifester sur le plan nord-africain dans le cadre d’un véritable front contre la répression, même avec les partis sur cet objectif seulement, front duquel les préoccupations électoralistes et parlementaristes disparaîtraient, ainsi que la propagande pacifique en faveur de l’un ou l’autre bloc d’Etats.

Il y a une solidarité a manifester contre la surexploitation colonialiste, contre la discrimination raciale con-cernant l’application des lois sociales.

— Que les instituteurs déterminent les conditions de création d’un comité d’entente avec le secteur privé, comité ayant pour but de supprimer les différences économiques entre les 2 secteurs, différences qui rendent impossible la véritable unité.

— Que sur le plan de l’unité ils sortent l’actuel comité de scolarisation de l’ornière où l’a embourbé la collaboration avec l’administration colonialiste et qu’ils envisagent les moyens virils pour faire appliquer « le plan de scolarisation ».

Et surtout qu’ils s’organisent en minorités syndicalistes lutte de classe, pour l’indépendance face à la démagogie des partis, face au Gouvernement quel qu’il soit, par l’action directe et pour l’indépendance face aux blocs impérialistes dans la lutte contre la guerre, par la solidarité internationale des travailleurs.

Fernand DOUKHAN


Le problème syndical en Afrique du Nord

Le Libertaire, n° 360, 14 mai 1953, p. 1-2

https://sinedjib.com/index.php/2021/03/27/fernand-doukhan-le-probleme-syndical-en-afrique-du-nord

Nous extrayons, de « L’Ecole Républicaine », bulletin de la section d’Alger du Syndicat national des instituteurs et institutrices de l’Union Française, n° 7 d’avril 1953, cette partie d’un texte de notre camarade Doukhan, instituteur à Alger, paru sous le titre « Le Problème colonial ».

Nos camarades et nos amis lecteurs se rendront compte ainsi que nos militants sont présents partout où se mène la lutte révolutionnaire.

HIER la volonté de libération nationale des travailleurs musulmans, contester que l’avènement de cette libération s’inscrive un jour dans le déroulement du cours de l’histoire, c’est n’avoir rien compris à la réalité coloniale, ou apercevoir cette dernière au travers de la mensongère propagande officielle, c’est ne pas considérer avec réalisme les nécessités de la lutte révolutionnaire.

Etant bien entendu que notre position à nous, syndicalistes reste dans l’indépendance à l’égard des partis, des gouvernements, étant bien entendu qu’en tant qu’internationalistes nous sommes contre toutes patries, nous reconnaissons que les aspirations à la libération nationale de la part des travailleurs musulmans possèdent un contenu révolutionnaire car cette dernière s’apparente pour eux à la lutte contre la double injustice économique et raciale dont ils sont victimes, à la lutte révolutionnaire pour l’égalité économique, entre les travailleurs d’origine ethnique différente, à la lutte pour l’égalité sur le plan moral et spirituel, à la lutte enfin contre l’impérialisme fauteur de guerre et, par la même, à la lutte contre la guerre et pour la paix.

Et les grèves générales de Tunisie au moment de l’assassinat de Ferhat Hached (en Algérie la « grande C.G.T. » s’est alignée sur les motions platoniques de protestations adoptées dans la métropole) grèves déclenchées par l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens, organisation dirigée par des nationalistes et groupant les 4/5 des travailleurs tunisiens, ne sont-elles pas un exemple magnifique de maturité révolutionnaire, alors que le prolétariat métropolitain affaibli par la politisation syndicale et la lutte des états-majors bureaucrates au service de leurs impérialismes respectifs, a désappris l’utilisation de l’action directe de la grève générale qui, seule peut faire reculer le fascisme montant.

Sans apporter notre caution à la lutte pour la libération nationale et considérant que le seul combat syndicaliste révolutionnaire valable est le combat anticolonialiste, et que le « lumpen-prolétariat » dans sa presque totalité a adopté l’idéologie nationaliste, nous devons étudier sur des points précis, les modalités d’action avec les partis nationalistes, représentants authentiques du prolétariat musulman, dans la phase de sa lutte anticolonialiste.

Aucun problème, celui de la scolarisation par exemple, celui de la lutte contre le racisme économique et social, celui de la défense de la légalité (car ce fascisme montant, dont on s’alarme en France, existe en fait, aux colonies, de temps immémorial), aucun comité de lutte et d’action ne doit être étudié ou se constituer sans y inclure les partis nationalistes, sans rien concéder de notre plate-forme d’indépendance à l’égard de tous les gouvernements, notre union s’inscrivant dans le cadre de la lutte révolutionnaire anticolonialiste.

C’est alors, à l’intérieur du syndicat, au coude à coude dans la lutte anticolonialiste commune que se forgera la fraternité de classe entre les travailleurs de toutes races, c’est dans le syndicat, au cours des luttes contre la surexploitation, la répression, l’impérialisme, que s’élaborera la formule la plus adéquate à la lutte anticolonialiste, formule qui s’apparentera, peut-être, à celle qu’ont adoptée les travailleurs tunisiens au sein de l’U.G.T.T.

C’est dans un intense travail d’éducation des militants, de formation de cadres, qui fourniront un intense travail d’organisation, que prendra naissance un syndicalisme qui ne soit pas châtré par l’exploitation d’un quelconque impérialisme, et qui, entraîné par l’élan élan révolutionnaire saura combattre les nouvelles exploitations et les nouvelles répressions, à la chute du colonialisme avec, pour objectif, cette fois et fraternellement avec les prolétaires du monde entier, le triomphe de la Révolution sociale.


Un aveu : soutiens du colonialisme

Le Libertaire, n° 406, 25 novembre 1954

Un passage très édifiant de la motion présentée au gouverneur , général par les représentants de toutes les tendances syndicales d’Algérie (y compris la C.G.T.) nous renseigne sur l’esprit qui anime le réformisme syndical des fonctionnaires coloniaux, réformisme collaborateur avec la haute administration, au service du colonialisme algérien et de l’impérialisme français, s’opposant par là-même aux efforts de la majorité d’un peuple vers son indépendance politique, économique et sociale.

Le passage en question nous dit que les représentants syndicaux cités plus haut « rappellent que seule la prise en considération des propositions qu’ils renouvellent ici est susceptible de calmer l’agitation qui gagne la fonction publique et très particulièrement en Algérie où les fonctionnaires réprésentent un ELEMENT STABLE d’une population qu’’il dangereux de constamment décevoir ».

En clair cela signifie : « Augmentez-nous et vous pourrez compter sur nous pour la stabilité. »

S’il existe des enseignants, cheminots, postiers, parmi les fonctionnaires algériens qui remplissent une mission utile, par contre, il y a les policiers syndiqués extorquant les aveux par la torture, internant les militants du M.T.L.D. en découvrant des armes et des munitions qu’ILS ONT EUX-MEMES APPORTEES (suivant la déclaration du S.G. du M.T.L.D. placé sous mandat de dépôt sept jours après avoir été arrêté) ce qui permettra de démontrer que ces militants ont partie liée avec les terroristes et de dissoudre leur organisation.

Il y a les geôliers syndiqués des condamnés politiques de Tunisie internés en Algérie, de ceux qui tombent sous le coup de l’article 80 frappant les atteintes à la sûreté intérieure et extérieure -de l’Etat, du décret Regnier (bien qu’il ait été aboli en 1947), des condamnés à l’occasion des « émeutes » du Constantinois en 1945, de tous les condamnés d’une législation qui a fait de l’Algérie et de l’ A.F.N. une immense prison et qui en fera bientôt un immense camp de concentration pour les autochtones. Pendant ce temps les travailleurs européens sont empoisonnés de propagande raciste ou réduits à l’inaction par l’influence des dirigeants de la CGT aux ordres de l’impérialisme soviétique et de sa politique de ménagement à l’égard de l’impérialisme français, et pour ces raisons ne réagissnet pas, désapprouvent parfois les tentatives héroïques d’éléments décidés à en découdre avec le colonialisme, ou même sont prêts à les combattre.

Lorsque la motion ajoute « qu’il serait dangereux de constamment décevoir les fonctlonnaires, il est question à ce moment-là de chantage.

Est-ce à dire que les fonctionnaires vont se mettre du côté des éléments instables de la population, genre nationalistes ou même Fellagahs ? Pas du tout. Même frustrés de leurs droits légitimes ( ? ! ) les fonctionnaires coloniaux sont confortablement payés à partir d’un certain échelon : si un instituteur débutant gagne 33.000 francs, ce qui n’est pas de trop lorsqu’il est dans le bled, le geôlier en gagne 58.000, te sous-lieutenant 50.000, le colonel 100.000, le juge d’instruction 115.000, le général de brigade 140.000, l’Inspecteur général de l’lntérieur 156.000, le général de division 160.000, le préfet de police 180.000 et le gouverneur général, â tout seigneur tout honneur, lui, .est hors échelle.

Est-ce à dire également que les fonctionnaires coloniaux, profondément déçus par la noire Ingratitude des Pouvoirs publics, vont défendre solidairement les revendications des ouvriers agricoles travaillant un jour sur deux, sans allocations familiales, avec leurs 250 francs par jour, celles des centaines de milliers de chômeurs abandonnés à leur triste sort?… Encore bien moins… Les fonctionnaires coloniaux n’ignorent pas que leurs avantages sont le prix de leur servilité à l’égard de – l’Administration et de leur attachement au régime colonial, malgré parfois un anticolonialisme qui ne dépasse pas le cadre des motions platoniques de Congrès, comme pour les instituteurs par exemple.

Les fonctionnaires coloniaux, à partir d’un certain échelon, forment un corps étranger parasitaire, surtout répressif, qui au prix de ses avantages acceptent de constituer cet élément stable, d’être les agents de cet ordre colonialiste BATI SUR LE VOL DES TERRES aux fellahs devenus ouvriers agricoles, la faim, la maladie, l’obscurantisme et la prison. Et lorsqu’ils font du chantage au Gouvernement au sujet des risques d’instabilité que leur mécontentement ferait courir au régime colonialiste, il ne s’agit pas d’autre chose que d’une grève de vingt-quatre heures si, par extraordinaire, elle était décidée par les réformistes de la métropole. Nous pouvons être convaincus que, même dans cette éventualité, ils ne se résoudront pas à affaiblir l’ordre colonialiste qui en fait de véritables priviiegiés à côté et au prix de la misère de la presque totalit6 de la population (1)

Aucun soutien pour le peuple algérien à attendre des fonctionnaires algériens, du moins des responsable des fonctionnaires d’exécution, comme il ne devra attendre aucun soutien des fonctionnaires soutiens d’un futur Etat algérien qui, comme tous les Etats, l’opprimera au service de l’exploitation d’une nouvelle bourgeoisie.

DOUKHAN (M.L.N.A.).

(1) Si en. effet, la journée de revendications des fonctionnaires s’est accompagnée


De la nomination de Soustelle aux interpellations sur l’Afrique du Nord. Règlement de comptes

Le Libertaire, n° 416, 3 février 1955

https://sinedjib.com/index.php/2021/04/06/fernand-doukhan-de-la-nomination-de-soustelle-aux-interpellations-sur-lafrique-du-nord-reglement-de-comptes/

L’ALGERIE tient la vedette des préoccupations impérialistes et colonialistes.

Avec le rappel de Léonard, l’homme qui prêtait une oreille trop docile à Borgeaud le chef de file des ultras, on assiste à un nouveau règlement de comptes dont les vainqueurs provisoires sont Mendès et Blachette et leur néo-colonialisme.

Les réticences de ce dentier, à la suite des réformes qui ne sont rien d’autre que l’application différée des clauses du statut de l’Algérie voté par l’Assemblée Nationale et auquel l’Assemblée Algérienne a opposé son veto, il y a sept ans, ont été calmées par le bombardement de J. Chevallier, maire d’Alger, du poste de S. à la Guerre, à celui de ministre de la Guerre, ainsi que par la nomination de Fouques-Duparc, maire d’Oran, comme membre du cabinet. Ce qui faisait dire à Mitterrand que « les intérêts de l’Algérie » seraient sauvegardés.

La nomination d’un « politique » Soustelle (plutôt que d’un fonctionnaire, le préfet Dubois, par exemple, docile aux ordres de la grosse colonisation) n’est pas du goût de René Mayer, le député de Constantine, le représentant des intérêts financiers hostiles à ceux que représentent Mendès-France, et le grand ordonnateur des 15 voix algériennes à l’Assemblée Nationale, 15 voix qui cette fois pourraient faire pencher la ba-lance de l’autre côté, au cours des débats sur l’Algérie et la Tunisie.

Le choix de Soustelle, député de l’ex-R.P.F. marque les sympathies de Mendès pour de Gaulle, en même temps qu’il constitue une manœuvre en prévision du ralliement de l’ex-R.P.F. à l’occasion du débat à l’Assemblée et en vue d’une consécration de la défaits des ultras, qui auront affaire 6 quelqu’un qui ne se laissera pas influencer et sera le porte-parole du gouverneront.

Ces intentions de fermeté à l’égard des ultras se sont manifestées par l’unification des polices à l’échelon national et les déclarations de J. Chevallier, d’un conseiller municipal à Alger, ainsi que de la majorité des membres repentis du deuxième collège à l’Assemblée Algérienne contre les illégalités, actes arbitraires, procédés inhumains utilisés contre les détenus, l’exagération des peines, etc.

Est-ce qu’un vote de méfiance, en faisant tomber Mendès va redonner l’avantage aux ultras qui ont dépêché une délégation des maires à Paris intriguant et réclamant un renforcement de la répression ? La position des néos semble être solide et Mendès pourrait recueillir les avantages de son dispositif de guerre.

Mais le peuple algérien, le véritable intéressé est resté hors du jeu. Il assiste silencieux aux luttes des clans. Mitterrand, le chef de celui qui veut faire cesser « généreusement » les tortures, déclare que grâce à ses soins jamais autant de troupes n’avaient été envoyées en Algérie.

Le peuple algérien voit remplacer Léonard, celui qui menaçait des foudres de la répression ceux qui ne dénonceraient pas « les hors-la-loi », par un membre de l’ex-R.P.F. dont le chef présidait à Alger en 1945 le massacre des 45.000 victimes du Constantinois.

Il assiste à la lutte des coteries qui sont entièrement d’accord sur le fond, à savoir : écraser la révolte du peuple algérien afin de perpétuer la surexploitation.

La vigilance ne doit pas se démettre devant de nouvelles réformes qui, grâce à la complicité d’une nouvelle bourgeoisie (1) sont destinées à redonner de la force au colonialisme dont les jours, sont comptés et à rompre le front de lutte entre les trois peuples nord-africains qui ne doivent désarmer qu’après l’obtention de l’indépendance totale qui permettra aux travailleurs de s’engager aux côtés des travailleurs du monde sur la voie de la Révolution sociale vers la société sans classes et sans Etat.

FERNAND (M.L.N.A.).


(1) Voici la conclusion d’un article sur les réformes paru dans le journal quotidien communiste : « Il dépend de nous que celles qui sont bonnes et qui sont à l’état de projet entrent dans la vie. Ce sera un pas réel accompli. Ce sera un tremplin vers d’autres victoires ».


L’ARCHEVEQUE D’ALGER
contre les tortures policières

Mgr Duval, archevêque d’Alger, a adressé à ses fidèles un communiqué taisant évidemment allusion aux tortures policières approuvées par ses ouailles, les colons.

Voici qui rabattra un peu l’immonde toupet de la réaction française qui nie les tortures.

Mais, comme il fallait s’y attendre, Mgr Duval s’y est pris avec toute l’habileté désirable et précise dans son message :

« Dans la but d’éclairer les consciences par conséquent en me plaçant exclusivement dans la perspective de la mission spirituelle de l’Eglise, je vous communique l’essentiel de l’enseignement du Souverain Pontife à ce sujet, en citant textuellement ses propres paroles ».

Suivent les déclarations du Pape, notamment du 3 octobre 1943 et du 15 octobre 1950, déclarations bien modérées naturellement. Et puis, l’archevêque d’Alger ne proteste pas ouvertement, il se contente d’éclairer les consciences !

C’est ainsi que l’Eglise peut prétendre défendre les droits de « la Personne humaine » mais sans brusquer son public de colons et de tortionnaires.

Tout de même, cette fois l’Eglise a trouvé son maître : l’ignoble Forestier, secrétaire général du Syndicat National des Instituteurs qui, en plusieurs articles de « l’Ecole Libératrice » n’a jamais dénoncé les tortures policières en Algérie ! Plus soumis sans doute à Mendès-France, aux instituteurs colonialistes d’Algérie et au parti socialiste que le Pape ne l’est à sa propre clientèle.


D’Alger, solidarité néo-colonialiste

Le Libertaire, n° 419, 24 février 1955 et Le Libertaire, n° 420, 3 mars 1955

https://sinedjib.com/index.php/2021/04/08/fernand-doukhan-dalger-solidarite-neo-colonialiste/

e bulletin de la section d’Alger du Syndicat National des Instituteurs publie la motion adoptée au cours de la réunion interdépartementale des sections algériennes du 9 décembre 1954.

Cette motion est présentée au nom des 10.000 adhérents que ces dernières réunissent.

J’ignore ce qui s’est passé dans les départements voisins mais, à Alger, seul le bureau de la Section a voté une motion sur les événements que j’ai commentés dans l’Ecole Emancipée.

Au cours de l’assemblée générale du groupement, les responsables qui sont en même temps responsables de la Section, à quelques exceptions près, et qui du fait que le groupement d’Alger est le plus nombreux, font appliquer le plus souvent les décisions du Bureau de Section par le Conseil syndical (ô démocratie) ont refusé de discuter de la répression en Algérie, alors que les militants du M.T.L.D., dont Moulay Merbah leur secrétaire, étaient appréhendés, soumis aux tortures par la Gestapo algérienne et placés sous mandat de dépôt plusieurs jours après leur arrestation, que les journaux nationalistes du P. C. et le Libertaire étaient saisis ou supprimés, que les troupes rapatriées d’Indochine affluaient vers l’Algérie, flanquées de C.R.S. et de gendarmes.

POURTANT, la motion adoptée par le bureau de section, à Alger, reconnaissait qu’il fallait éviter « une répression aveugle et brutale qui ajouterait à la confusion générale et créerait un climat défavorable au rapprochement des différents éléments ethniques ».

Encore une fois, les réformistes ont montré ce qu’ils sont en réalité, des velléitaires que toute action vraiment efficace et courageuse effraye (il fallait du courage pour se dresser effectivement contre la répression, alors qu’une atmosphère de panique et de massacre était entretenue par la presse colonialiste), en liaison avec les organisations ou les individualités représentatives du peuple algérien.

Les champions de « la sérénité nécessaire à la résolution du délicat problème algérien », sérénité au nom de laquelle ils ont refusé « impitoyablement » un article « Ecole Émancipée » pour la Tribune Libre, envisageant le problème algérien sous ses aspects inséparables, politiques, économiques et sociaux, en refusant que la discussion se poursuive en assemblée générale, ont montré leur crainte des réactions de la base, à l’occasion d’événements révolutionnaires.

Pour en revenir à la motion du bureau d’Alger qui a servi de base de discussion à l’élaboration de la motion interdépartementale, les groupements de la section n’en ont pas discuté. Ce qui n’a pas empêché Hassan, délégué d’Oran, de la présenter au nom des trois sections algériennes au C. N. de Noël, et on va présenter la motion pour approbation à la prochaine réunion du C. S., à Alger. Tout cela doit être placé sur le compte de la « sérénité » bureaucratique.

Venons-en à cette motion « sereine » de l’union des sections algériennes : elle « met en garde les pouvoirs publics contre une répression aveugle et brutale qui ne pourrait que désunir les populations algériennes ».

Cette mise en garde est faite avec toute l’aménité que réclament une collaboration confiante et la défense d’intérêts communs… sur le plan administratif.

Remarquer l’emploi prudent du conditionnel qui peut laisser entendre
que la répression, comme la désunion, ne se sont pas produites effectivement.

La motion « met en garde l’opinion publique, également contre les propos et gestes inconsidérés qui, infailliblement, empoisonneraient (c’est nous qui soulignons) dangereusement le climat de notre pays ».

Au lieu de cette forme vague, pourquoi n’avoir pas parlé de la presse
colonialiste subventionnée par les propriétaires des centaines et des milliers d’hectares et autres groupes bancaires franco-algériens (celui des Servan-Schreiber, Lazard, dont le défenseur était Mendès-France, et celui des Rothschild, dont le défenseur est René Mayer), qui fabriquent l’opinion du petit bourgeois algérien moyen.

Le troisième paragraphe de la motion « dénonce et condamne le terrorisme qui frappe aveuglément des victimes innocentes. Demande le châtiment des criminels conformément aux lois républicaines ».

En tête dans la motion du Bureau de la section d’Alger, ce paragraphe est passé en dernière position, sous l’action de la section d’Oran, parmi les dirigeants de laquelle existe un apparenté U.D.M.A. Il est question des lois qui étendent leurs bienfaits sur les autochtones des « trois départements français » et éclairent de leur lumière sereine le maintien Indispensable de l’Ordre néo-colonialiste ! …

Pas un mot du « terrorisme administratif » : droit électoral tronqué par l’artifice des deux collèges non représentatifs du nombre respectif d’électeurs, suppression, en fait, de ce droit électoral ; élection du « candidat officiel » sous la pression de l’administration et le tripatouillage des urnes, sauf dans quelques circonscriptions des grandes villes, afin que l’élection de quelques opposants fasse la preuve que les élections ont été libres ; élections à la manière d’Hitler et de Staline inaugurées à la honte du parti dit socialiste par le sinistre Naegelen, présenté à la Présidence de la République avec l’appui des Staliniens, élections au cours desquelles les Algériens étaient amenés aux urnes par cheikhs et caïds et où les maires et administrateurs enlevaient des urnes les bulletins des électeurs mal votants pour les remplacer par ceux du « candidat officiel ».

Terrorisme administratif qui se manifeste ainsi :

« où les partis sont dissous en vertu du seul bon plaisir du gouvernement, le Parti du Peuple Algérien il y a quelques années, le M.T. L.D. maintenant, où leur chef est arrêté et condamné administrativement, sans inculpation ni jugement, à la résidence forcée ; où des centaines d’Algériens sont arrêtés sans que rien n’établisse leur participation aux événements qu’on leur reproche »… « Tant que, en raison de tout cela, ajoute R. Louzon de la Révolution Prolétarienne, la liberté politique et la liberté de propagande ne seront pour eux qu’un leurre, il faut s’attendre à ce qu’au terrorisme administratif réponde le terrorisme (les administrés ou leur rébellion. »

NOTRE FAMEUSE MOTION affirme que :

« les syndicalistes universitaires … ont demandé inlassablement qu’en Algérie disparaissent les fléaux que sont l’analphabétisme, le chômage et la misère physiologique et morale d’une grande partie de la population ».

Je me souviens d’une réunion syndicale, après les grèves d’août 1953, où le Secrétaire du cartel des syndicats autonomes à Alger, en même temps secrétaire adjoint du S.N.I., a refusé d’ajouter quoi que ce soit à la motion corporative de la F.E.N. au sujet de l’égalité des droits sociaux et économiques du secteur agricole avec le secteur industriel et commercial.

Cette position est dans l’ordre du corporatisme colonial : en se solidarisant avec le secteur privé, les Universitaires ainsi que les fonctionnaires se verraient reprocher d’oublier qu’ils bénéficient de la parité avec le traitement métropolitain plus le tiers colonial et se verraient menacés dans leurs privilèges acquis, eux qui représentent « des éléments stables de la population », à la condition qu’on fasse droit à leurs légitimes revendications (motion présentée par toutes les centrales de fonctionnaires algériens).

Les Universitaires ne craignent pas de s’honorer dans leur motion des efforts qui ont été tentés en faveur de la scolarisation de 500.000 enfants arabes, alors qu’il y en a 2.000.000 qui ne le sont pas. Le Gouvernement Général a augmenté dernièrement le nombre de classes construites annuellement de 600 à 800 ; l’excédent des naissances approche des 300.000 unités. Sans commentaire.

Et on « demande ardemment » une action pour la scolarisation, les réformes économiques et l’application loyale du Statut de l’Algérie. Les Universitaires sont les seuls avec les Staliniens à réclamer cette dernière, et les nationalistes les plus inoffensifs n’en veulent plus.

Et pour conclure nous lisons dans cette motion : « … Les instituteurs
d’Algérie affirment solennellement que l’Union de tous les Français, de quelque origine qu’ils soient, est possible dans ce pays et qu’elle se fera par l’égalité sociale et l’amitié », les Algériens n’étant pas mûrs pour l’égalité politique. Position reprise par Forestier et qui est le fidèle écho du discours programme de Mitterrand. On ne peut mieux juger du caractère du réformisme qui, par essence, adopte les positions gouvernementales bourgeoises même s’il s’agit d’un gouvernement impérialiste.

Avec cette motion néo-colonialiste, nous sommes en retrait sur la motion du Congrès sur l’Union française qui affirmait que cette dernière ne « saurait être fondée que sur le principe d’une libre coopération des peuples qui la composent en dehors de toute idée de nation suzeraine » et qui était « persuadée que la mise en œuvre de véritables réformes politiques et sociales accompagnée d’une large amnistie, est seule capable de rompre le cycle infernal attentats-répression… »

Il s’est produit dans l’intervalle des événements qui ont renforcé les liens… administratifs et doctrinaux qui unissent les dirigeants réformistes au gouvernement bourgeois. Forestier ne pouvait pas risquer, en prenant le contre-pied des sections algériennes dont les membres craignent pour leurs privilèges coloniaux, pardon, leurs avantages acquis, de perdre l’appoint d’une centaine de mandats qui, au Congrès, votent majoritaire avec une unanimité vraiment réconfortante.

Il faut signaler que, depuis les événements du 1er novembre, un membre français du conseil municipal à Alger, à l’occasion de sa réunion, a dénoncé « les coups, les supplices de la baignoire, qui sont monnaie courante… », dont sont victimes les détenus ; il a parlé également de lynchage ; un autre membre du conseil a dénoncé « le passage aux aveux d’élus municipaux, présentés au juge plusieurs jours après leur arrestation et « portant encore les traces des coups reçus ».

Quant à J. Chevallier, ministre et maire d’Alger, lui-même… « il ne saurait admettre que des hommes, tant (?) qu’ils ne sont pas convaincus d’une action tombant sous le coup de la loi, subissent des traitements qu’on ne songerait pas à infliger à des condamnés de droit commun ».

Ainsi, les responsables des Sections algériennes auront été et seront les seuls à ne pas dénoncer les tortures, et à se contenter, d’une manière combien jésuitique, à « mettre en garde » les pouvoirs publics contre une « répression aveugle et brutale ».

F. DOUKHAN


A ajouter au dossier de la mort de Monnerot

LE S. G. de la section d’Alger nous apprend que la relation de l’assassinat de notre malheureux collègue Monnerot « a été donnée par nos camarades de la section de Constantine ». Il ajoute : « Avant de la rendre publique… du temps et des précautions étaient nécessaires à toute conscience honnête », il « félicite » la section de Constantine (les responsables certainement) d’avoir fourni « ce document irréfutable ».

Or, voici ce que Gilles Martinet nous dit dans « France-Observateur » du 16 décembre 1954 :

« J’ai reçu plusieurs lettres de Français d’Algérie – où l’on me reproche de n’avoir pas suffisamment parlé de la mort de l’instituteur Monnerot. « Pourquoi n’avez-vous pas dit, me demande l’un de mes correspondants, que Mme Monnerot avait été violée ? » Je ne l’ai pas dit parce que la nouvelle a été purement et simplement inventée par un journal d’Alger. Tous les renseignements que j’ai pu [sic] n’avait pas été préméditée. Le jeune instituteur français et sa femme avaient été autorisés par les maquisards à remonter dans leur autocar lorsque le caïd qui se trouvait à leurs côtés sortit brusquement son revolver pour contraindre les fellagha à la retraite. L’un des maquisards le vit et tira le premier. Monnerot fut tué dans la fusillade… »

Que penser de la confiance accordée par notre Secrétaire national et les responsables de la rédaction en publiant la lettre des responsables de Constantine dans l’ « Ecole Libératrice », puisque cette version s’avérait dépourvue de toute l’impartialité et l’honnêteté indispensables dans une circonstance tellement grave ?

La réponse est simple : Forestier défend à tout prix ses électeurs du S.N.I. des Sections algériennes et… la politique de Mendès soutenue par ses amis de la S.F.I.O.


Misère de l’école publique en Algérie ou l’impuissance du réformisme

Article de Fernand Doukhan paru en deux parties dans Le Libertaire, n° 426, 14 avril 1955 et Le Libertaire, n° 427, 21 avril 1955

https://sinedjib.com/index.php/2021/04/10/fernand-doukhan-misere-de-lecole-publique-en-algerie-ou-limpuissance-du-reformisme/ anticolonialiste

L’EXPOSITION sur « La grandeur et la misère de l’Ecole publique en Algérie », organisée par la section d’Alger du S.N.I. et le Comité de scolarisation et de lutte contre l’analphabétisme, inaugurée par Baillet, du Bureau national, et par le recteur, représente un volume imposant d’informations, de statistiques, plans, projets, illustrations.

Elle a nécessité une somme considérable de travail.

Elle nous éclaire sur le réformisme en général et le réformisme colonial en particulier.

Un plan qui devait scolariser un million d’enfants, en vingt ans, est élaboré le 27 novembre 1944 par la haute Administration.

Les techniciens oublient (?) dans leurs calculs un excédent de naissances annuel de 175.000 unités (il est de près de 300.000 actuellement), qui, ajouté à celui des années suivantes atteint le total de plus de deux millions d’enfanta non scolarisés, actuellement, lesquels s’élèveront en 1964 au terme du plan, à plus de quatre millions et demi.

Les normes du plan, elles-mêmes, sont en retard de 19.000 unités, en 1954, retard qui, en réalité, est beaucoup plus important si l’on considère que la moyenne des élèves par classe est de 60, et que l’utilisation des classes à temps réduit, dont le total atteint 2.643 pour les trois départements, se généralise.

Alors que les crédits sur la scolarisation stagnaient ou étaient en diminution, « les événements » ont amené la France à les augmenter de un milliard et demi, en 1955, ce qui « n’est que l’application stricte du plan de vingt ans », dont le Comité de scolarisation et le S.N.I. apprennent aux délégués à l’Assemblée Algérienne, dans une lettre ouverte, qu’ils en ont « maintes fois signalé l’inefficacité depuis que les besoins sont devenus immenses ».

« Les dépenses pour l’éducation sont rentables », apprend-on dans cette exposition.

Nous sommes loin de la Charte d’Amiens, de laquelle l’ancien secrétaire ne craignait pas de se réclamer : l’Etat se met au service de la Communauté, alors qu’il est un instrument de coercition au service de la bourgeoisie, tendant même à se substituer à elle ; patrons et travailleurs se répartissent une part équitable du bénéfice commun, alors qu’ils sont, respectivement, des exploiteurs et des exploités.

« Les objectifs pour régler les problèmes de la scolarisation, y déclare-t-on, sont de trois ordres : démographiques, économiques et culturels. »

Pas un mot du problème politique aux ordres des gros colons, lesquels veulent conserver les terres expropriées et maintenir leurs ouvriers agricoles dans l’analphabétisme et la non qualification professionnelle, afin d’en disposer à volonté et de mieux les surexploiter, les cadres étant réservés aux Français, le régime colonialiste réussissant à empêcher la solidarité des deux éléments ethniques grâce à la discrimination raciale politique, économique et sociale.

LE bout de l’oreille politique apparaît dans cette inscription sentencieuse : « Une population peu instruite est instable ».

Quel plus bel aveu que le réformisme est pour l’ordre politique (Soustelle dira la paix). Et comme on s’explique que le terrorisme, qui n’est pas autre chose que la résistance des peuples qui veulent se libérer, et qui menace l’ordre, soit condamné par les majoritaires. D’ailleurs, on ne fait pas, dans cette exposition, la plus petite allusion à l’une des principales causes de la misère de l’école publique, en Algérie : l’hypertrophie des dépenses pour la police et pour la répression. Et quelle inconscience, relevant d’une déformation corporatiste, que de faire dépendre le désordre de l’ignorance, alors qu’il est la conséquence de la volonté d’un peuple de ne plus être esclave et celle des travailleurs de conquérir l’égalité économique.

« Une économie qui repose sur des paysans peu évolués et sur des manœuvres non spécialisés n’est pas viable », y lit-on.

Nos réformistes ignorent, ou veulent ignorer que cette économie est « viable » dans la mesure où les forces de répression du colonialisme (1) réussissent, par des massacres périodiques, à écraser les tentatives des peuples colonisés pour conquérir le droit de disposer librement de leur sort.

Et cette économie ne sera plus « viable » dans la mesure où toutes les forces anticolonialistes, peuples colonisés et travailleurs français solidaires arriveront à l’abattre, en même temps que le pouvoir politique colonialiste.

La doctrine réformiste qui pense aboutir à la société socialiste par des moyens légaux et pacifiques classe les réformistes dans le rang des « utopistes », et en fait des alliés conscients ou inconscients du capitalisme et du colonialisme.

Elle aboutit naturellement, à Alger, à la collaboration au sein d’organismes comme le Comité du plan (le fameux plan de vingt ans qui n’avait pas tenu compte de l’excédent annuel de près de 200.000 naissances), dont la section permanente ne s’est réunie que deux fois depuis 1944, et dont on réclame la remise en fonction, la Commission de la Carte scolaire où les hauts fonctionnaires du Gouvernement général, de la Préfecture, les délégués à l’Assemblée Algérienne constituent une majorité écrasante. On constate amèrement que les promenez au personnel de faire partie des comités d’études et des groupes de travail de la commission Le Gorgeu n’ont pas été tenues.

On demande qu’un Office algérien des constructions scolaires soit mis directement sous l’autorité du recteur, avec des sections départementales présidées par l’inspecteur d’académie, le personnel y collaborant.

Comme si le recteur ne recevait pas les ordres du Gouverneur général et des gros colons et les crédits n’étaient pas votés par l’Assemblée Algérienne porte-parole et exécutante docile de ces derniers.

Comment s’étonner, finalement, de la grande misère de l’école publique alors que les réformistes ne reconnaissent pas qu’elle est liée à l’existence d’un régime, alors qu’ils collaborent avec ce régime au lieu de l’abattre en se solidarisant effectivement avec les partis nationalistes véritablement représentatifs de la grande majorité du peuple algérien.

La lutte pour la scolarisation est liée à la lutte du peuple algérien pour la liberté et l’égalité politiques, et à celle des travailleurs algériens pour l’égalité économique. Et la place des syndicalistes dignes de ce nom est du côté des nationalistes qui luttent dans leurs syndicats, leurs Comités de lutte contre la répression, pour l’abrogation du décret instituant l’état d’urgence, qui atteint en monstruosité tout ce que le fascisme a pu fomenter pour l’assassinat de la liberté des hommes et des peuples, pour la libération de Messali Hadj et de tous les militants emprisonnés, pour la levée de l’interdiction du M.T.L.D. et de son journal « L’Algérie Libre », pour le retrait du contingent et de toutes les forces de répression, pour la reconnaissance des peuples d’Afrique du Nord à disposer librement de leur sort.

Cette lutte n’offre pas la sécurité des démarches réformistes auprès des élus, de congratulations avec les fonctionnaires d’autorité ou les grèves de tout repos, mais les risques qu’elle comporte permettent de se mettre en règle avec sa conscience de véritable syndicaliste, de syndicaliste révolutionnaire.

FERNAND


2 commentaires sur Fernand DOUKHAN, un instituteur berbère juif et anarchosyndicaliste engagé dans la lutte anticolonialiste en Algérie

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