Impressions sur la commémoration à Barcelone de l’assassinat de Salvador PUIG-ANTICH il y a 50 ans.

Le 2 mars 1974, à la prison « Modèle » de Barcelone, le jeune Salvador PUIG-ANTICH était exécuté par un régime fasciste franquiste en Espagne, lui-même agonisant. Il fut l’un des derniers prisonniers exécuté sous la dictature franquiste, et le dernier a avoir été tué par le procédé barbare de strangulation par garrot. L’assassinant légal du jeune militant anarchiste Catalan, membre actif du MIL (Mouvement ibérique de libération) qui pratiquait des actions de lutte armée, avait soulevé une vague mondiale d’indignation.

50 ans après, une commémoration en sa mémoire avait lieu, entre hommage sincères et récupérations politiques en tout genre. Nous livrons ci-après un extrait des impressions sur cet évènement d’une compagne la CNT-AIT française, protagoniste de l’époque.

– Pour lui à Barcelone le « garrote vil » le 2 mars 1974,

– Pour nous la commémoration de son assassinat, du 1er au 3 mars 2024.

Nous nous sommes rendus à Barcelone pour la commémoration des 50 ans de son assassinat au « garrote vil » (comme tous les anars par Franco avant lui).

Il n’était pas qu’anar – communiste conseilliste, catalan, proche du situationnisme, et autres tendances. Il lisait, il s’informait. Il était raisonnable, plus que d’autres, « l’Ambassadeur » son surnom par Maria Dynamite[1]. Il était dans la lutte, en contact avec des ouvriers en grève (Harry Walker et autres), avec des membres d’associations, les Conseils ouvriers, en lien (comme d’autres du MIL) avec des membres de ce qui l’on dénommera OLLA (Organisation de lutte armée).

Mais il fut impossible de le faire évader.

Le garroter, c’était le vouloir « quinqui » (voyou) ; d’ailleurs le même jour que lui fut exécuté comme lui à Taragone un autre soit-disant assassin de garde civil (à l’identité sciemment fausse : ni apatride, ni Polonais, il était Allemand de l’Est et  ne s’appelait pas Heinz Chez mais Georg Michael Welzel).

Salvador, « el Metge » comme je l’ai connu, Gustave, Gustavo, était catalan membre du MIL (Movimiento Iberico de Liberacion ou 1000, mille fusils), résidant dans sa ville de Barcelone, allant à Toulouse, base arrière et ailleurs avec le MIL, voulant la propagande écrite (éditions Mayo 37, réédition de Pannekoek et Berneri et autres, folletos, revues CIA –Conspiracion Internacional Anarquista https://cras31.info/IMG/pdf/conspiracion_international_anarquista_cia_2.pdf ) : le MIL, éditeur, traducteur, écrivain, braqueur – récupération nécessaire de fonds par les « atracos » des banques espagnoles (avec distribution du tract du MIL aux employés et leur peur de le prendre) – tapé sur machine à écrire IBM à boule, tamponné MIL).

Barcelone la belle si vivante.

Nous sommes arrivés jeudi soir – retrouvailles avec l’amie, gràce à elle ce logement militant cénétiste où elle loge avec nous. (…)

19 h / Vendredi 1er mars – A l’Athénée L’ARMONIA (salle d’un lieu officiel : ancienne filature, quartier Sant’Andreu) places réservées devant : beau spectacle avec des chanteurs-chanteuses militants espagnols, portugais, jeunes ou plus âgés  – mais surtout, quelle foule, que de monde, trop de monde pour la salle archi-comble – des vieux certes, des demi-vieux et des demi-jeunes, des jeunes, le tout : une assemblée vivante et variée, un public animé – l’espoir des jeunes pour que l’avenir chante autrement gaiement que l’avenir gris que les officiels concoctent. Comme nous étions nombreux ! 100, 200, 300 ou plus sont venus, ont parlé, discuté. …

Des intervenants « interviennent » : le journaliste, Raul RIBENBAUER mais une seule des trois sœurs de Salvador est présente qui est montée sur l’estrade en solidarité chanter avec une chanteuse talentueuse.

Dire, expliquer, c’est le cinquantenaire mais aussi une nouvelle commémoration – notre amie, qui fut compagne de Montes (Ignaci, un frère SOLE SUGRANYES, décédé il y a quelques années) a préparé son intervention qu’elle lira.. Elle patiente longuement et je la plains de la tension qu’elle a. Du bruit dans la salle archicomble – elle est peu entendue. Mais elle n’est pas la seule. Elle a patienté près de la sœur de PUIG qu’elle nous présentera – avec elles, Sol, la coordinatrice de cette belle manifestation est Argentine et a –quelle surprise – quelques problèmes administratifs …  » Je n’ai rien préparé et ne parlerai pas, parce qu’aujourd’hui ce n’est pas mon jour, c’est le jour des compagnons. impressions lourdes pour moi. »

Bar en terrasse du lieu, tant de monde discute, on participe avant de rentrer en métro.

Nous serons 6 à l’appartement militant : l’amie, et puis Gabriel POMBO et sa famille, repas et discussions longues dans la nuit, en français. (…)

11 h / Samedi 2, nous revoici à L’ARMONIA : débat intitulé, dit le programme, “PUIG et le MIL cinquante ans après” (nous 3 arrivons très peu en retard dans une salle super-pleine et cette fois, pas de place).

Sur l’estrade, 4 intervenants : chacun donnent poliment son point de vue sans égratigner le voisin.

Il y a 2 anciens, Ricard DE VARGAS GALARONS de l’OLLA en lien avec le MIL, et Jean-Marc ROUILLAN, dit Sebas au temps du MIL, ainsi que la journaliste, Astrid) et Gabriel POMBO DA SILVA (de la CNT-AIT, plus de 30 ans d’emprisonnement et de lutte, ROUILLAN en a fait 28) avec chacun sa vie militante. (…)

On doit être une bonne quarantaine à partir à pied manger à LA CINETIKA, un lieu occupé, grand squat à salles multiples plein d’activités (vestiaire et jeux gratuits) salle de cinéma … Des dames maghrébines nous ont préparé un délicieux couscous végétarien. Au 1er étage dans le hall, l’exposition: « Salvador PUIG ANTICH i el MIL ».  Pleins les yeux, les souvenirs au coeur. (…)

Depuis quelque temps ou quelques années, l’amie nous a expliqué qu’il existe une interrogation : y avait-il des femmes au MIL ? Nous, nous savons qu’elles étaient présentes, militantes et sympathisantes, amantes,  aimantes, amies, relations, compagnes, participantes, complices – locations autos, appartements ici et là (Toulouse et Barcelone) repérages de lieux, portages de matériels, tracts, revues, livres, etc. Non aucune pour les « atracos », et le Metge était de ceux qui ne voulaient pas.

Pour l’exposition, des photos féminines avaient été demandées et ont été transmises. A la trappe. Quasi pas de photos de femme à cet expo (à part ses sœurs). (…)

18 h 30 / Horaire inscrit sur le programme ; « Débat sur les luttes actuelles ».

On a perdu la copine catalane, allée au débat. Elle s’est fait allumer et nous n’étions pas avec elle, ni Gabriel, ni son épouse (déjà partis comme ils nous en avaient prévenus vers un autre rassemblement).

Elle s’est fait rembarrer comme une malprope, nous dit-elle, par de gros machos de la quarantaine qui n’ont pas vécu la période MIL mais estiment avoir la vérité – alors que le MIL était multiple, inclassable, avec au moins 2 branches, si ce n’est 3, qui pouvaient s’entremêler : la théorique (ceux qui impriment et ceux qui écrivent, préparent, prennent les contacts) et les actifs directs (qui eux aussi contactent, peuvent écrire, voyagent, récupèrent explosifs et matos, braquent), ceux qui sont de l’une et l’autre branche comme Victor (Oriol). L’amie a raconté cette période forte mais eux ont monté leurs grosses voix- anars machos ? elle n’en est pas revenue ! elle est mal de notre passé. (…)

11 h / dimanche 3, commémoration au cimetière de Montjuic. Il ne pleut pas.

Une case pour Salvador parmi des dizaines de milliers d’autres, case où sa famille a eu un jour l’autorisation de mettre une « belle » plaque, son nom (sa famille a placé pour lui une discrète petite croix) . Il avait 26 ans et nous avions le même âge.  (…)

A Montjuic, étaient présents plus d’une centaine au moins de personnes, – bien sûr Ricart, une sœur de PUIG et son mari, Jean-Marc ROUILLAN et sa compagne, d’autres, la foule – peut-être plus de vieux mais pas que – le chanteur portugais qui a vécu en France, la guitariste, des cénétistes de L’Hospitalet avec leur drapeau (le seul),  leur bouquet et son petit carton rouge-noir qu’ils accrocheront sur la plaque du Metge, le maximum de fleurs accrochées à sa plaque présents tous ceux qui ont porté leur cœur et leur esprit de lutte – déclarations et chants. Mais lui est mort à 26 ans.

Nous deux décidons de redescendre tranquillement à pied, la vue est belle, la vie est belle avec tant de nostalgie au coeur …

Au bout de ces trois journées, on a rencontré et parlé, et rencontré du monde, pas autant peut-être qu’espéré, aussi comme on le redoutait – tellement de monde – art de l’esquive pour moi.

La plupart des ex du MIL absents, nous ne les avons pas revus. Ils n’ont pas souhaité venir (ils allèrent à d’autres commémorations, je ne le fis pas, c’était trop vif, j’étais dans une autre vie). Expérience qui remue, temps ancien qui remonte.  Joie de revoir Barcelone après plus de vingt ans. Envie d’y retourner.

Aurora – ex de ce temps, ex du MIL


[1] Maria Monbiola, militante infatigable de la  CNT-AIT  depuis les années 30 jusqu’à sa mort en 2000, figure tutélaire et attachante du mouvement anarchiste et autonome toulousain Pour lire sa biographie : http://cnt-ait.info/2024/04/09/angel-et-maria

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Article issu du journal « Anarchosyndicalisme ! » numéro 186

Téléchargeable en ligne ici : http://cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article1384

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