Commentaire sur la légalisation de l’avortement par le docteur Félix Marty ibanez, directeur du service sanitaire de l’assistance sociale,rapporteur du projet.

Paru dans Solidaridad Obrera du 12 janvier 1937, traduit en français dans le Bulletin d’Information de la section française de la CNT-AIT, Barcelone, numéro 13, 20 janvier 1937

… Un certain trouble nous envahissait en nous demandant par où il fallait ouvrir la brèche d’où viendrait la lumière dans l’obscure vie sexuelle espagnole. Et comme toute réforme génique doit tenir compte en son point principal de la mère et de l’enfant, c’est par là que nous avons commencé en introduisant dans le décret [de légalsation de l’avortement] la liberté de pratiquer l’avortement quelle que soit la cause qui le motive, en supprimant ainsi d’un seul coup l’avortement clandestin, et en dotant le prolétariat d’un mode scientifique et efficace de contrôler sa natalité sans peur des risques que cela pourrait comporter.

Il y a un certain temps que la République Fédérale Suisse a incorporé dans sa législation l’autorisation pour effectuer l’avortement, toujours sur l’avis du médecin titulaire, avec le consentement de l’intéressée et pour des causes thérapeutiques ou morales. la Tchécoslovaquie, en 1925, fit aussi un pas en avant en autorisant l’avortement en vue de restreindre la natalité. Egalement le Japon impérialiste, en 1929, autorisa non seulement l’avortement, mais la limitation consciente de la natalité, et la Russie soviétique dans le code de 1926 élargit la marge de tolérance de l’avortement en le confiant aux mains habiles de médecins spécialisés[1]. Maintenant, c’est au tour de la Catalogne, où la gloire de la Révolution donne au pays plus de facilité pour établir dans le décret indiqué la liberté de l’interruption de la grossesse pratiquée avant trois mois – faisant attention au grand péril que suppose le dépassement de ce délai maximum – et toujours quand la mère le sollicite et quand son état de santé permet de garantir le succès de l’intervention. Ainsi, l’avortement sort de la sombre clandestinité incompétente dans laquelle il fut pratiqué jusqu’à présent, et fait partie d’une haute catégorie biologique et sociale en se convertissant en instrument eugénique au service du prolétariat.

Quand jusqu’à maintenant elle édictèrent des sanctions sur l’avortement, les législations bourgeoises eurent la double et tragique conséquence d’augmenter l’infanticide et d’augmenter la pratique clandestine de l’avortement, conduisant le prolétariat jusque dans les antres sordides ou une mégère, au mains pas plus propres que le cœur, pratiquait un avortement qui la plupart du temps se transformait en une infection puerpérale. Le chiffre de 80 000 avortement à New York indique que le moyen employé par la répression brutale, à l’aide de quelques lois, ne contribue qu’à le rejeter hors de la science en faisant d’innombrables victimes.

Que représente cette réforme radicale ? Avant tout, diminuer le chiffre d’avortements, ce qui paraît paradoxal ; parallèlement à cette institution fonctionneront les autres centres en projet, destinés à la diffusion populaire de moyens anti-conceptionnel, alors que notre idéal eugénique est que la femme possède une solide culture eugénique qui lui permettent d’éviter l’avortement et de ne recourir à lui que comme ultime moyen, de telle sorte que les moyens anti-conceptionnels lui donnent la facilité d’éviter la grossesse quand celle-ci n’est pas désirée. En second lieu, la réforme eugénique de l’avortement en finira avec ceux qui font le trafic, réduira la mortalité féminine due à cette cause, permettra l’étude scientifique et statistiques de cela, et en outre supprimera la tragédie de tant de vies féminines ruinées pour ne pas avoir su pratiquer l’avortement libérateur. Notre réforme liée à la cause thérapeutique – maladie physique ou mentale de la mère, qui décommande l’accouchement – et à la raison eugénique – inceste paternel ou tares qui pourraient se propager chez l’être futur – les facteurs néomalthusiens – désir conscient de limitation volontaire de la natalité – et sentimentale ou éthique, maternité indésirable pour la mère pour diverses causes d’ordre amoureux ou émotif, sont les raisons médico-sociales sur lesquelles repose la réforme eugénique de l’avortement. Nous n’assisterons plus au spectacle de mères mortes, blessées ou mutilées pour toute leur vie par une criminelle manœuvre abortive ; nous ne verrons plus de femmes haïr le ou les rejetons, d’enfants venus dans des foyers sans pain ou chez des parents sans tendresse

Mais notre réforme génique représente par-dessus tout la reconnaissance de l’aspect social et spirituel de la maternité et son élévation à l’auguste catégorie qu’elle avait perdue à cause de la répression gouvernementale et de l’égoïsme paternel. Etre mère ne doit pas être seulement se réduire enfanter avec ou sans défaut physique, mais à préparer un terrain spirituel et convertir bientôt l’enfant en un travailleur sain, conscient et pur. Avec cela, la maternité dans une irradiation centripète s’étendra dans des espaces spirituels et sociaux qu’elle n’avait jamais atteints jusqu’à ce jour. La maternité, en devenant volontaire, sera également consciente de ses responsabilités. Le temps où nous aïeulles étaient réduites au rôle dégradant de machine à enfanter est révolu. La maternité était imposée comme un châtiment biblique, et la conséquence de la tyrannie sexuelle fut que la mère était également seule physiquement.

[Après la première guerre mondiale] on découvrit un nouveau type de femme, qui manifesta une hypertrophie de ses droits et un oubli de ses devoirs. Dans l’ordre sexuel cette femme abaissa la maternité et éluda les responsabilités inhérentes à cette maternité. la révolution prolétarienne a créé une nouvelle génération de femmes, qui sauront mettre leurs droits à égalité avec leurs devoirs. La nouvelle femme, issue de la révolution, va vers la totale réalisation de ses désirs de liberté. Autoriser l’avortement et faciliter sa réalisation c’est laisser à la femme des conditions qui lui permettent d’être mère seulement quand elle le désire, quand le fils sera une fin et non un accident pour elle. Comme la Spirita du roman de Margueritte[2], la femme sera enfin maîtresse de son corps, non pour mal en user, mais pour travailler à sa propre gloire et pour faire de la maternité le fruit conscient de ses sentiments et non la conséquence non-désirée de l’égoïsme sexuel masculin.

Saluons tous, frères et sœurs, la réforme génique de l’avortement que la CNT-AIT réalise avec le Conseil de santé et d’assistance sociale ! parce que grâce à elle nous verrons dans les jours qui viendront, un nouveau soleil de vérité dans les ténèbres sexuelles qui enveloppent l’Espagne. Libérées sexuellement, les femmes prolétariennes seront dans l’avenir les créatrices de cette nouvelle génération de travailleurs, guide romantique de l’Ere nouvelle.


[1]   Le Libertaire, dans son numéro du 22 janvier 1937 où il publie un article d’après l’article de Felix Mari Ibañez ajoute ce commentaire : « rappelons que l’an passé l’URSS a modifié la législation sur l’avortement de celle telle sorte que celui-ci est devenu pratiquement impossible NDLR »

[2]   Spirita est la principale protagoniste du roman de Victor Margueritte, Ton corps est à toi. Ce roman de 1927 est un plaidoyer en faveur du droit à l’avortement. Spirita Arelli, une adolescente est violée par un jeune homme de passage. Sa mère la met à la porte, elle se rend à Marseille afin d’avorter, mais il est déjà trop tard.

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