Ted Kaczynski n’était pas anarchiste [BROCHURE]

La Nef des Fous (Jérôme Bosch, 1500)

Ted Kaczynski, plus connu sous le surnom de « Unambomber » est mort le 10 juin 2023. Sa nécrologie va être l’occasion pour tous les médias du Pouvoir de nous le présenter comme un « anarchiste » (avec différentes déclinaisons : anarchiste-terroriste, anarcho-primitiviste, éco-anarchiste etc …). Mais certains dans le milieu alternatif ou libertaire vont certainement aussi s’en réclamer et pleurer la disparition d’un des leurs.

Ted Kaczynski n’était pas un anarchiste. Il les haïssait même, comme il haïssait tous les gauchistes et les progressistes en général.

Pour s’en rendre compte, Il suffit de prendre la peine de lire ses textes que ce soit la Nef des fous ou son opus majeur «  »la société industrielle et son avenir », chose que la plupart de ceux qui vénèrent Kaczynski n’ont certainement jamais fait.

Dans ce texte, Kaczynski appelle à faire l’union avec les néo-nazis pour combattre la société technologique !

Kaczynski développe dans ses écrits une pensée profondément réactionnaire et élitiste, appelant à confier à la « sélection naturelle » l’élimination des faibles qui ne méritent pas de survivre.

Il ne plaide pas pour une organisation de la société en autogestion où chacun pourra librement participer en toute autonomie, mais pour un gouvernement de l’élite.

Et pour parvenir à ses fins, il appelle à l’abandon de toute éthique et à appuyer le développement des régimes autoritaires et de la mondialisation capitaliste (tout comme Marx pour qui le développement du capitalisme était nécessaire pour accoucher de la révolution prolétarienne), de façon à mettre l’Humanité sous pression et ainsi provoquer sa révolte. Bref, un partisan de la politique du pire dénué de toute éthique.

Kaczynski n’était pas anarchiste.

Et ceux qui prétendent que Kaczynski était anarchiste ne le sont pas non plus …

A suivre plusieurs textes pour s’en convaincre :

  • Ted Kaczynski n’est pas anarchiste ! (Patrick Mérin, 06 novembre 2010)
  • Ce monde est détestable, certaines de ses critiques tout autant ! (Jean Picard, 2010)
  • UNE LECTURE CRITIQUE DE LA NEF DES FOUS (Jean Picard 2005)
  • LA NEF DES FOUS (Théodore J. Kaczynski, Octobre 1999)
  • « Le mouvement éco-anarchiste détruit les révolutionnaires potentiels » (Theodore Kaczynski, 2000~)

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Ted Kaczynski n’est pas anarchiste !

Patrick Mérin (06 novembre 2010)

Il existe aux États-unis de nombreux mouvements/individus radicaux, sortis de milieux universitaires, et s’attribuant le qualificatif « anarchiste ».

Certains défendent des idées contraire aux fondements de l’anarchisme, mais s’attribuent malgré tout le terme, au mépris de leur propre crédibilité. La sophistique permet à de nombreux intellectuels de s’approprier quelques concepts liés (mais pas seulement) aux anarchistes, tout en rejetant le reste qui fait pourtant la cohérence de la philosophie anarchiste, et s’auto-proclamant malgré tout anarchiste du fait de ces quelques concepts appropriés. Cependant, malgré toute la sophistique employé pour masquer la réalité des propositions de ces intellectuels, il est possible de mettre à nu leurs théories, et de poser clairement les moyens et l’avenir proposé par ceux ci.

Par exemple, et je ne m’intéresserai qu’à celui-ci, on entend dans certains milieux écologistes radicaux que Ted Kaczynski (TK) serait anarchiste [1] ! ?

La lecture des écrits de TK, notamment son manifeste « la société industrielle et son avenir », est intéressante… mais… après la lecture du contenu de ses écrits, on peut douter d’une revendication d’anarchiste à son sujet. Plaide-t-il pour l’anarchie, une situation sociale de liberté et d’égalité dans laquelle n’existe aucune autorité coercitive ? non ! on le verra plus loin… On peut déjà commencer par observer, dans ses textes, que le but qu’il se fixe, c’est la « nature sauvage » et non l’anarchie, et les moyens qu’il préconise, qui ne sont en rien en concordance avec un but de « nature sauvage » (voir plus bas). Hors un but (par exemple, l’anarchie pour des anarchistes) ne peut pas être atteint avec des moyens révolutionnaires qui ne soient pas liés à une réalisation sociale de ce but, réalisation aussi infime soit-elle. On tombe sinon assez vite dans de l’autoritarisme, du hiérarchisme ou de l’avant-gardisme, et, malheureusement pour les partisans de TK, la suite de ses écrits le confirme…

Pour que son manifeste soit connu du public, mais aussi pour appliquer ses idées, il tuera ou blessera des spécialistes de la recherche informatique et génétique, et autres [3] … Selon sa théorie publicitaire, il faut attenter à des vivants [3], et utiliser les médias pour être entendu. Remarquons qu’il est aussi pour brûler les livres techniques ou les usines et qu’il prône un accroissement des tensions sociales, des souffrances de la population vis à vis de la technologie moderne afin qu’il y ait révolte… Il est conscient que les conséquences de sa révolution anti-technologique amèneraient une mortalité importante dans la population (du fait des destructions des technologies permettant l’existence des sociétés modernes), mais cela serait, selon lui, nécessaire dans le processus d’anéantissement total de la technologie moderne.

TK veut attaquer et anéantir le technologisme industriel / la technologie moderne, et pour cela il propose une révolution anti-technologique (anti-T), dans laquelle les révolutionnaires utiliseraient à cette fin une partie de la technologie moderne (Vu qu’en plus le but est d’imputer les problèmes à la société technologique, afin qu’il y ait révolte, on peut imaginer le pire dans l’arbitraire d’une telle proposition et les choix possibles de la partie à utiliser pour arriver à leurs fins).

Dans son manifeste, il s’attaque à la technologie en tant que cause, mais aussi dans ses effets. Comme la technologie permet notamment le développement et le progrès de la médecine, il y a une mortalité moins importante, cela mènerait donc de fait à une population et à une production technologique qui s’accroîtrait. Il est, de par ce fait, contre la médecine qui participerait à l’extension des problèmes écologiques de par une « sur » population. De plus cela fausserait le processus de la sélection naturelle ! Cependant, TK est pragmatique et prévoyant, il prône pour l’élite et partisans anti-T de se reproduire abondamment (natalisme sélectif ! ?) pour former de futurs partisans/élites sains/pures (dans son idée de reproduction de comportements héréditaires ! ?). La médecine qu’il préconise, semble devoir se résumer à un stoïcisme attentiste vis à vis de la maladie… ceci formant, ou pas, de durs et robustes être humains qui participent à la sélection naturelle et d’une hiérarchie naturelle ? La médecine sociale défendue par les anarchistes est bien plus enrichissante pour la société qu’une non-médecine laisser-fairiste naturaliste, ou que la médecine actuelle (qui ne prend pas, ou peu, en compte l’organisation sociale comme causes des maladies).

A la différence des anarchistes, et en concordance avec les capitalistes, il prône la défense des mesures permettant l’unification de l’économie mondiale ([OMC], GATT, FMI), qui au demeurant permet le renforcement de l’organisation technologique capitaliste (et aussi sa flexibilité face aux opposants), ceci pour que, dans son idée, la révolution destructrice de la technologie puisse devenir mondiale (hors si tu permets le renforcement de l’ennemi, tu affaiblis tes capacités de résistance/luttes, et la rupture est toujours pour demain, dans un déterminisme historique attentiste). C’est assez semblable à Marx (&amp ; co), le radical bourgeois, qui considérait qu’il fallait développer le capitalisme partout afin que la révolution socialiste soit enfin possible (on sait ce que cette fausse théorie révolutionnaire a donné et qui a gagné à ce jeu là : le capitalisme individualiste ou nationaliste a gagné, le socialisme non).

Comme il n’a pas fondamentalement d’éthique politique, et puisqu’il se prétend apolitique [2] (pour avant et pendant la révolution, mais pas pour après ! voir la suite…), TK propose même d’utiliser les fanatiques nazis comme éléments de la révolution anti-T. On peut d’ailleurs remarquer de flagrants appels du pied au conservatisme dans plusieurs paragraphes de son manifeste. Il énonce d’ailleurs la possibilité que, durant la révolution qu’il préconise, il y ait des dictatures, et ce serait, selon lui, un risque à prendre (et il semble même assez favorable aux dictatures ou aux monarchies ayant existé avant la révolution industrielle, car plus faibles et écologiques que les sociétés modernes). Dans l’idée de TK, une fois la société technologique anéantie, là les révolutionnaires (en fait, une caste d’intellectuels Anti-T, sélectionnés selon une hiérarchie intellectuelle/naturelle… et par népotisme ?) pourront alors prendre le pouvoir politique pour contrer toute possibilité de retour à la technologie moderne (pour en rester à des technologies pré-industrielles comme au temps des pionniers des Amériques ?).

La différence avec TK concernant la technologie, est que les anarchistes s’opposent à la technologie moderne (liés aux besoins d’exploitation du capitalisme), à la technocratie, dans ce qu’elle a d’oppressante/coercitive/nuisible. Mais, plutôt que de s’attaquer qu’à une partie du système (la technologie) comme le fait TK, les anarchistes s’attaquent directement au système (le capitalisme associé à l’État), et prônent le communisme libertaire qui annihilerait cette séparation (dénoncé depuis longtemps par les anarchistes) existante entre technologie et liberté/société, et l’Homme et la Nature. Mais, non, TK ne veut s’attaquer ni au capitalisme ni à l’État ! exproprier tous les moyens technologiques pour les réadapter aux besoins réels, et/ou annihiler certaines techniques nuisibles ou inutiles pour les humains, serait pourtant une réelle révolution sociale, au contraire des propositions de TK. Une rupture révolutionnaire est nécessaire, mais pas une révolution anti-technologique élitiste, mais une révolution sociale, car il faut abolir le capitalisme et l’Etat (afin de détruire les technologies nuisibles et liés à ces organismes), et réaliser conjointement une société libre et égalitaire, et défendre les réalisations révolutionnaires instaurée, contre les retours des réactionnaires. Les anarchistes n’ont donc ni les mêmes tactiques et stratégies révolutionnaires que Ted Kaczynski, ni les mêmes buts.

TK a une position essentiellement réactionnaire vis à vis de la technologie (La « nature sauvage » qu’il défend est une éthique bio-centriste de l' »écologie profonde », qui considère « l’humanité » comme nuisible, ce qui explique ses positions morbides vis à vis des humains et des humanistes), il a une position élitiste en politique (malgré son soit disant « apolitisme », passe partout), il a une position capitaliste en économie, il a une position hiérarchiste au niveau social. Il est donc impossible, du fait de toutes ces différences fondamentales (énoncées dans ce texte) le séparant des positions anarchistes, de pouvoir le qualifier d’anarchiste… ou alors, il faudrait utiliser la lexicologie bourgeoise novlanguesque des universités postmoderne avec la pilule de « la fin justifie les moyens » pour faire de TK un anarchiste. Cependant, il est possible de définir TK comme un partisan écologiste radical, prônant une avant-garde intellectuelle dans une perspective révolutionnaire anti-technologique, voire un naturocrate du fait de sa proposition d’un gouvernement post-révolutionnaire qui régirait le retour à la nature et réprimerait certainement le progressisme.

Dernièrement, et ce sera TK qui aura le mot de la fin [4], TK considérait les anarchistes écolos (il ne parle même pas des anarchistes sans adjectif qu’il considère certainement comme des progressistes) comme faisant parti du problème, puisque, selon lui, relais des valeurs progressistes (les écolos anars auraient étés, selon lui, contaminés par les idées anarchistes/progressistes ! CQFD).

Patrick Mérin.

[1]  : Dans son manifeste « la société industrielle et son avenir » (http://kropot.free.fr/Kaczynski-livre.htm) , du fait du paragraphe 215 et de ses proclamations dans ses lettres (de sa période unabomber) envoyées au New York Times, signées FC , comme étant un « groupe anarchiste » (alors qu’il était le seul maitre aux commandes de son groupe virtuel). Hors être nihiliste ou poser des bombes contre des pouvoirs institués ne veut pas dire être anarchiste, ou alors il faudrait considérer, dans cette logique, que les armées nationales, ou les services secrets, sont anarchistes !

[2]   » La vérité vraie est que je ne suis pas vraiment politiquement orienté. … Je me suis impliqué dans des questions politiques parce que j’y ai été conduit, pour ainsi dire. Je n’ai pas vraiment d’inclination pour ça « 

[3]  : « … Pour que notre message ait quelque chance d’avoir un effet durable, nous avons été obligés de tuer des gens. ... »

[4] réponses de TK aux question de Kara : http://cacst.yuku.com/reply/1055/t/An-interview-with-Kaczynski.html#reply-1055 (12/08/2003)

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Ce monde est détestable, certaines de ses critiques tout autant ! (2010)

Face au constat que la technologie dépossède l’homme de sa liberté en le rendant esclave de celle-là, reprenant le mythe du bon sauvage (de l’homme heureux et libre à l’état de nature), certains encensent la nature, parée de toutes les vertus. Ils feignent d’ignorer la dureté, la violence, les cataclysmes, le mortifère, la prédation,… de cette nature primitive. Confrontés au Moloch qu’est la société capitaliste aux aspects totalitaires, étouffants, inhumains, à une vie sans joie, ils prêchent et fantasment un retour à une vie simple, prétendue naturelle, félisse et sans technologie. Ils oublient que l’absence de connaissance de ce qu’est la psyché d’un primitif les prive de savoir sur sa personne, sa psychologie, son « étant ». Ils oublient tout autant que tout discours est élaboré dans le prisme de son épistémè. Partant de là, l’homme moderne n’est pas confronté à la même réalité (et vraisemblablement au même jugement et rapport vis-à-vis de la nature) que l’homme primitif.

Si la critique des choix technologiques, politiques, économiques, éthiques, idéologiques etc., est justifiée, devons nous le faire sur les arguments tendancieux d’un passé inventé ou reconstruit ? Prenons garde à ne pas nous fourvoyer !

Parmi tous les courants qui prônent ce retour à la nature, mon article analysera les affirmations de Théodore Kaczynski, dit Unabomber, parce que, par ignorance, naïveté ou manipulation, certains qui se prétendent anarchistes, en font la promotion, bien que son discours soit truffé de références qui sont – au choix – nazis ou fascistes : anti-progressisme, eugénisme (volonté d’empêcher la dégénérescence de la « race » ! ), minorité dirigeante, innéisme (comme s’il existait un gène des comportements et des inégalités), déterminisme absolu des structures biologiques et sociales, rejet de la conscience ou de l’idéologie comme imaginaire instituant, affirmation que la justice sociale installe le despotisme, usage spécieux du naturalisme et de l’histoire, double discours pour manipuler la masse, etc. Cela n’est pas totalement nouveau : je ne crois pas inutile de rappeler que de nombreux précurseurs et inspirateurs du nazisme et du fascisme se disaient naturalistes, écologistes…

J’ai lu la traduction publiée par l’Encyclopédie des nuisances du livre de Kaczynski sur « La société industrielle et son avenir » ainsi que la traduction de J.M. Apostolidès de ce même livre. Ce dernier traduit « gauchiste » quand l’Encyclopédie indique « progressiste ». Suivant le traducteur, la critique porte donc sur les gauchistes ou sur les progressistes, ce qui n’est pourtant pas tout à fait la même chose. En Europe, le « progressisme » incorpore une partie de la droite, la gauche et son extrême, l’anarchisme ; le gauchisme quant à lui englobe l’extrême gauche et les anarchistes. Ces catégorisations, que nous ne partageons pas nécessairement, sont peut-être arbitraires mais usuelles. On comprend l’impact des ces vocables, j’invite au double usage de ces mots.

Pour une lecture plus limpide les chiffres entre parenthèse renvoient aux versés de la traduction de l’Encyclopédie des nuisances (texte en italique), mes réponses suivent.

(6) Le progressisme est une des manifestations les plus répandues de la folie de ce monde. (10) [le progressisme cultive… auto dépréciation, impuissance, culpabilité, haine de soi sont ses traits. (15)… il hait l’image de force, d’habileté, de réussite. Il déteste la civilisation occidentale, les blancs masculins, la rationalité, les États-Unis en raison de leur force et réussite. (16)… les mots confiance en soi, indépendance d’esprit, initiative, esprit d’entreprise, optimisme ont peu de place. Il est anti-individualiste, pro collectiviste, refuse la compétition car il est minable. (18)… dévalorise la raison, la science, la réalité objective. Il rejette le concept de maladie mentale et la mesure du QI, les explications génétiques du comportement et des capacités humaines qui font apparaître la base des inégalités ; il prétend que cela est produit par la société et l’éducation.

De tels propos constituent une théorie bio-fasciste. Selon elle, les inégalités sociales sont naturelles ; les hiérarchies, les rapports de domination, etc., sont l’expression du génotype ! Kaczynski devrait approfondir ses connaissances en génétique et s’intéresser au phénotype et la phénocopie : l’expression des gènes est sensible à l’action externe ! Pratiquement tous les biologistes et généticiens rejettent la vision bio-fasciste. Pour eux si certains traits sont génétiquement transmis (innés, héréditaires), les grandes compétences, notamment celles entrant dans la fonction cognitive sont d’espèce. Ce qui implique que chaque espèce transmet à ses individus un même ensemble de compétences, qui sont donc universelles. Suivant phylogenèse et ontogenèse, espèce et individu sont indivis. De plus certaines de ses fonctions sont potentielles : non stimulées ou non utilisées, elles sont muettes ou atrophiées. Puisque la génétique ne valide pas cette thèse du gène comme base des inégalités ou des comportements, l’origine en est à chercher dans le social, l’éducation, l’idéologie, la sociologie, la psychologie etc., qui offrent bien des réponses. Comment expliquer sinon, par exemple que suivant le système social, l’illettrisme et les inégalités soient si différents d’un pays à l’autre ?

Si l’action et la volonté des hommes butent, comme l’écrit Kaczynski, sur le déterminisme du gène, la liberté deviendrait impossible en matière sociale. En fait, si l’homme est biologie, on ne peut le réduire à cela, son humanité est au delà. Kaczynski naturalise la culture, biologise son idéologie, scientise son discours.

(20)… par masochisme il [le progressiste, le gauchiste] provoque la police pour se faire mal traiter. (229) Il est favorable au contrôle des armes, à l’éducation sexuelle, la pédagogie avancée, la planification, le biculturalisme, la victime. Il s’oppose à la violence, la compétition. Il aime les poncifs de gauche : racisme, sexisme, homophobie, capitalisme, impérialisme, néo-colonialisme, génocide, progrès et justice sociale. Il sympathise avec les mouvements : féministes, homos, minoritaires, handicapés. (214)… un mouvement défendant la nature et combattant la technologie doit être résolument anti-progressiste et refuser toute collaboration.

L’idéologie de Kaczynski apparaît clairement pour ce qu’elle est : très réactionnaire est d’extrême droite.

(214, suite). Le progressisme implique l’administration de la nature et de la vie humaine cela requiert des technologies avancées, c’est en contradiction avec la nature sauvage, la liberté humaine et l’élimination de la technologie moderne.

Kaczynski nie donc que la liberté humaine serait aussi d’avoir une action sur la nature et par là sur l’environnement par le biais de technologies. Sa seule liberté serait celle de ses bras nus face à la prédation naturelle. A l’inverse, je partage cette explication selon laquelle la matière est passée par des stades jusqu’au vivant et à L’Homme. Par lui, la matière devient conscience et dote les hommes de compétences (entendement, technologie, science, idéologie, langage, symbolisation, culture). L’Homme est un animal très particulier, il vit en société. Tout cela est modifié dans un processus historique. La nature est ce tout : le monde. Il disconvient de prendre la partie pour le tout et une partie historique comme genèse ou eschatologie.

(95)… les monarchies indiennes de Nouvelle- Angleterre, de nombreuses villes de la renaissance italienne étaient des dictatures. Par manque de moyens de contrôle, la liberté individuelle était plus grande.

Voici maintenant la théorie de la dépossession de la liberté par la croissance de la technologie. Selon elle, avant, nous étions plus libres. L’esclave et le serf, faute de moyens de contrôle, auraient relativement échappé à la tyrannie ! On se demande comment et pourquoi ces systèmes auraient alors pu durer sans contrôle social efficace et bien adapté à leur époque. A l’inverse, le contrôle par la technologie sophistiquée a failli face à certains groupes. Le retour à des sources humaines pour assurer le contrôle est acté. Ainsi, la critique des caméras de surveillance est faite sur le constat que la surveillance humaine est plus fiable. Aussi des maires, des enseignants réclament-ils maintenant des policiers et des surveillants. Les autocraties ou ploutocraties du passé savaient parfaitement réprimer ou contrôler la population. De plus Kaczynski n’a pas une vision sociale historique et culturelle de la liberté. Les cadres existentiels primitifs, antiques, du Moyen Age et modernes contextualisent le signifiant liberté. La liberté (individuelle, de l’enfant, de la femme, de l’esclave, du prolétaire, du citoyen etc.) et même le bonheur n’ont de sens ou d’existence que dans, et par un type culturel donné. Pour mon compte, je ne suis pas pressé de retourner aux époques vantées par Kaczynski, je ne suis pas sûr que les primitivismes actuels y tiendraient longtemps…

« (122)… même si le progrès médical était indépendant du système technologique, il produirai ses maux. Les traitements palliatifs des maladies génétiques, empêchent la sélection naturelle d’éliminer les porteurs. Ceux-ci se reproduisent et installent une dégradation génétique de la population. Restera comme solution massive, l’eugénisme ou thérapie génétique. (124)… la seule éthique protégeant la liberté est d’interdire l’ingénierie génétique.« 

Le refus du soin et l’eugénisme par la sélection naturelle des « sains » et des « plus forts », pour fortifier la race et éviter qu’elle dégénère, n’explique pas en quoi une différence génétique serait une infériorité. Ne juger de l’intérêt social, humain, voire biologique d’une personne que d’après un seul élément de son génome est une ineptie. Les nazis, eux aussi, évoquaient la sélection naturelle des plus forts, l’élimination des faibles et des tarés pour conserver la pureté de la race.

« (124, suite). Le progressisme implique l’administration de la nature et de la vie humaine cela requiert des technologies avancées, c’est en contradiction avec la nature sauvage, la liberté humaine et l’élimination de la technologie moderne.« 

Suivant Kaczynski toute technologie est liberticide, reste donc l’homme à l’état de nature, nu et libre. Mais l’homme, naturellement, a utilisé des technologies pour se vêtir et être plus libre !

(165)… les usines devront être détruites les livres techniques brûlés, etc.

Kaczynski pour être libre commence par interdire.

(181)… développer et propager une idéologie antitechno et anti- industrielle. Affaiblir et déstabiliser le système (182)… comme le firent les révolutionnaires Français et Russes, bien que heureusement ils échouèrent à établirent leurs sociétés nouvelles.

Kaczynski se veut révolutionnaire, en fait c’est un réactionnaire. Il rejette les idéaux de justice, liberté, égalité, fraternité, démocratie, socialisme, communisme (et par là, il rejette ce qui constitue l’anarchisme).

(183)… proposons la nature comme idéal positif, tout qui sur terre ne dépend pas de la gestion humaine et de la société. La nature sauvage incluant la nature humaine. Cette part de la vie individuelle qui n’est pas produit du conditionnement social, mais du hasard ou du libre arbitre ou de Dieu (selon vos convictions).

Le naturalisme de Kaczynski occulte que c’est la nature qui a fait l’Homme, son esprit, sa conscience, son savoir faire, sa culture, sa capacité technique. Comme la matière produit la pensée, la nature produit la culture et par là, la société. C’est par la société que l’Homme a survécu et vit, c’est par elle qu’il transmet, améliore, découvre, optimalise, crée, tout ce qui fait son humanité. Sans la société l’homme et l’humanité n’existent pas. On ne peut décrier, disqualifier nature, culture, homme, humain, société en opposant les éléments du quinté. Le bien, le mal, le juste, etc., sont affaires de morale, d’éthique, d’idéologie.

(186/7) Cette idéologie sera élaborée sur deux plans. La version élaborée pour les gens intelligents réfléchis, rationnels, globalistes, ils ont plein de ressources et influencent les autres. Une version simplifiée pour la majorité réfractaire à la réflexion. (189)…l’histoire est faite par des minorités. Quant à la majorité, il suffit de lui faire prendre conscience qu’une nouvelle idéologie existe et la lui remettre fréquemment en mémoire. Reste souhaitable d’obtenir le soutien de la majorité, quant elle n’affaiblit pas les révolutionnaires.

L’idéologie autoritaire ou dictatoriale divise la société entre la minorité intelligente, instruite, dirigeante, et la masse des ignorants, soumis, veules etc. La masse ne sert que de soutien, car aucun système ne dure, et la minorité ne peut conquérir le pouvoir, sans un appui de ou dans la masse. Une fois l’ordre nouveau installé grâce à l’agitation des masses, la minorité révolutionnaire va constituer le pouvoir. Si la majorité conteste, on « rappelle la loi », c’est-à-dire la dictature de la minorité sur la majorité. Tout cela est aussi vieux que l’Histoire.

(190)… tracer une démarcation entre l’élite au pouvoir et la masse, pas entre la masse et les révolutionnaires. Stratégiquement ne pas blâmer les gens, ne pas condamner le consumérisme des Américains, dire qu’ils sont victimes de la pub etc.

Méthode classique de manipulation de l’opinion, qui étant supposée réfractaire à une réflexion profonde, ne peut être manœuvrée que par la frustration, le bouc émissaire, la démagogie etc. Pas question de dire que nous sommes plus ou moins responsables au sens de « libres de combattre ».

« (195)… l’agitation peut conduire à la dictature en place de la démocratie, mais la différence et faible vu leur industrialisme. Une dictature étant plus inefficace et fragile, serait même préférable : regardez Cuba.

On se souvient qu’avant Kaczynski, de prétendus anti-fascistes expliquèrent que, la dictature est la réaction extrême et finale de la décomposition de la fraction dominante avant sa chute ; dans ce cas la posture est plutôt réactionnaire ou conservatrice. J’ajoute que c’est aussi la réaction d’une fraction dominée qui aspire au pouvoir, comme on le voit avec Kaczynski. Là, ce n’est pas l’ordre ancien qui s’effondre, mais l’ordre nouveau qui s’installe, la posture est plutôt révolutionnaire. Un discours subversif et manipulateur utilise souvent une phraséologie révolutionnaire, de révolte, de bien pour tous… Il faut aller au fond, chercher l’idéologie de ce discours. Spéculer sur la fragilité et l’inefficacité d’une dictature ne tient pas compte du fait que certaines perdurent. Cette logique du « préférable » conduit à supporter, relativiser, admettre le pire ; voire s’y compromettre en croyant hâter le changement. Combien soutiennent le vote pour l’extrême droite, bien qu’opposés à celle-ci ; parce que cela va, pensent-ils, accélérer l’explosion du système. Les tactiques tordues ont la vie dure !

(196)… il est envisageable de soutenir l’unification économique mondiale ([OMC], GATT, Aléna), bien que nuisible à l’environnement, ils favorisent l’interdépendance et l’effondrement d’un pays avancé conduit à la chute de tous.(200)… la technologie est un système unifié à détruire totalement, utiliser une partie maintien le tout. On finit par sacrifier quelques détails symboliques.

Encore le « préférable » : soutenir la mondialisation unifiée de la technologie sous l’égide du libéralisme ! De fait le purisme anti-technologique devient hyper-technologique ! On vérifie là les manipulations de Kaczynski et ses supporters.

(201)… la justice sociale vue la nature humaine ne sera pas spontanée, mais imposée. Pour cela les révolutionnaires conserveront un système et contrôle centralisé, des technologies (communication, transport, habillement, agricole etc.). Nous n’avons rien contre la justice sociale, on ne doit pas permettre qu’elle interfère avec l’effort pour se débarrasser de la technologie.

En matière de justice sociale il n’y a pas de nature ou d’en-soi, il s’agit d’idéologie, vu l’absence de gène idéologique, les règles sociales sont purement conventionnelles (cf. verset 18). Question : comment les révolutionnaires échapperaient-ils au déterminisme de leur nature pour défendre la justice sociale ? Fidèle au principe des minorités dirigeantes, pour Kaczynski la masse n’intervient pas dans les choix sociaux et sociétaux. C’est une divergence majeure avec l’anarchisme, et une négation de l’échec du « socialisme par le haut » (socialisme étatique, léninisme, trotskisme, bolchevisme, etc.). Kaczynski n’est pas pour l’égalité, la démocratie, la justice, le progressisme, car cela implique la technologie combattue par Kaczynski car contre nature.

(204)… les révolutionnaires devraient faire autant d’enfants qu’ils le peuvent. Les comportements sociaux sont largement héréditaires. Personne ne nie qu’un comportement social est la conséquence directe du génétique, mais il est manifeste que, dans le contexte actuel, les comportements sont le plus souvent déterminés par des traits de caractères hérités.

Encore le déterminisme génétique ! A ses détracteurs, Kaczynski répond quand bien même par l’éducation, le fait est la transmission héréditaire. Donc intelligent, idiot, fasciste, anarchiste, violent, doux, etc., nous le serions tous de père en fils ! Chacun peut vérifier l’ineptie de cette théorie de la lignée idéologiquo-comportementale. Kaczynski ignore que le brassage génétique homme-femme repose sur l’appariement des chromosomes. Suivant la vulgate de Kaczynski que se produit-il quand cet appariement réunit deux personnes de traits opposés : doux/violent , anarchiste/fasciste ? Quel trait prend le dessus ? La réponse est simple : aucun de ces traits ne prend le dessus, car ils sont éducatifs, existentiels, idéologiques et donc sociaux, pas héritables génétiquement !

Pour conclure, il est « amusant » de remarquer que si Kaczynski défend ardemment la science (même si il ne la comprend pas toujours bien), curieusement ses zélotes actuels sont des anti-science acharnés !

Jean Picard Décembre 2010

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UNE LECTURE CRITIQUE DE LA NEF DES FOUS (2005)

Première parution :

Signé de J. Kaczynski et sous le titre « La nef des fous », un texte circule depuis quelques mois dans les milieux libertaires (le texte est à la fin de l’article). Cet écrit, fort plaisant à lire, entre en résonance avec les peintures si extraordinaires de Jérôme Bosch. La luxure, l’hypocrisie, le lucre, le double discours y sont pointés du doigt. Mais, quand un doigt pointe la lune, nous dit le proverbe chinois, ce n’est pas sur le doigt qu’il faut se fixer, c’est la lune qu’il faut découvrir. Allons donc, en lisant ce texte au-delà du doigt et essayons de découvrir, non pas la lune, mais la substantifique moelle que l’on peut en tirer.

Ce bateau, la nef dont il est question ici représente notre société. Le capitaine, c’est le chef, le grand bourgeois, le patron. Les officiers figurent la moyenne bourgeoisie réformiste ; ils font office de représentants politiques ou syndicaux. Les passagers sont les consommateurs. Les marins les prolétaires. Enfin, l’intello, c’est l’élite humaniste et réformiste. La nef, comme le monde bourgeois et capitaliste, génère des frustrations et des conflits. Le capitaine désamorce ces tensions en concédant de menus avantages. Il envoie les officiers comme intercesseurs auprès des opprimés (consommateurs) et des exploités (prolétaires), ces derniers, bons sociaux-démocrates ne réclament que de petites choses. Tout cela conforte chacun à sa place, et, dans ses rapports.

Le mousse est le révolutionnaire, il entend changer l’ordre des choses, la cause de la situation, le cap, tout comme il dénonce les chimères réformistes ou l’impasse des revendications immédiates. Pour lui, se positionner sur les effets et non l’origine des choses conduit à la catastrophe. Il préconise de changer de cap, vivre libre ou périr. A ce stade de l’exposé, aucun révolutionnaire n’est en désaccord. Pourtant, l’épique n’a pas sa place, le lyrisme va s’anéantir dans le pathétique, la comédie virer au drame puis à la tragédie.

De prime abord, la conclusion de l’énoncé, c’est que les revendications immédiates (celles qui visent à améliorer l’ordinaire, sans analyser le pourquoi des conditions d’existence ni remettre en cause le système) en jouant sur les effets et non les causes améliorent la situation. Mais, à terme, elles ne résolvent rien et empêchent la destruction du système. Mieux, elles le confortent en entretenant les illusions sur sa valeur. Telle est la position du mousse qui se coupera de ses frères de classe puis s’affrontera aux opprimés et finira rejeté, laissant patron et officiers manipuler les prolétaires. Ainsi sera concédée la victoire aux bourgeois avant une extermination générale à laquelle le mousse n’échappera pas. C’est là qu’apparaît l’hiatus, car, ayant raison sur le fond, le mousse a tort dans la forme. Son discours tourne au soliloque, le conduit à l’impasse, au sado-masochisme du solipsisme.

A la place du mousse, j’aurais, certes et tout comme lui, reconnu la contradiction entre la revendication immédiate de la masse et ma volonté de changement. Mais, comme il ne s’agit pas de périr immédiatement de froid sous prétexte que finalement on va tous mourir un jour, j’aurais essayé de créer et de maintenir, à travers les revendications, un état conflictuel propice à la prise de conscience, la réflexion et l’action. J’aurais dénoncé les privilèges, le pouvoir du capitaine et des officiers, le danger de leur entreprise. J’aurais proposé de s’organiser pour décider, sans l’intermédiaire de chefs, de nos droits et devoirs. Au total, j’aurais signalé la nécessité d’un changement de système et proposé l’agencement d’un projet sociétal.

Il me semble qu’opérant suivant cette méthodologie subversive, le mousse ne se serait pas isolé, il aurait peut-être pu empêche l’ascendance bourgeoise et le contrôle réformiste. Il aurait tenté d’unifier les exploités, les opprimés. Il aurait acté une pratique (lutte immédiate) et une élaboration théorique (analyse du contexte), évité le maximalisme isolateur en comprenant la situation du salariat et évité tout autant le gauchisme en ne se situant que dans le cadre idéo-politique. Avec une vision plus subtile que la sienne, il aurait pu professer une utopie sans dédaigner certaines revendications ordinaires. Il aurait pratiqué l’anarchosyndicalisme.

L’anarchosyndicalisme se construit sur cette dialectique des revendications immédiates et du projet sociétal, il permet à la fois d’unifier les exploités et les opprimés dans leur résistance à l’adversaire et de créer une situation de tension nécessaire à un processus de changement. Il est à la fois didactique, pragmatique, opératoire, imaginatif, pratique et réflexif.

Le débat sur les revendications immédiates dans lequel beaucoup de libertaires s’enferrent est redondant, récurant voire obsolète. L’histoire a tranché. L’anarchisme n’est pertinent que social, c’est ainsi qu’il a inscrit ses faits les plus marquants (Commune de Paris, Russie de 17, Ukraine, Argentine des années 20, Espagne 36, etc.) dans son combat avec et parmi les exploités, comme composante du mouvement ouvrier (CGT du début du siècle dernier, FORA argentine, CNT-AIT d’Espagne, tendance du Zapatisme, etc., etc.). Et cela, même si la tâche est ingrate, obscure, difficile, et parfois déroutante.

Pour conclure, il ne sert à rien d’avoir la meilleure des doctrines, la plus élaborée des idéologies, la plus pertinente des éthiques si les pratiques ne les rendent pérennes. De même, il ne sert à rien d’avoir la pratique la plus percutante, la plus active, la plus stratégique, si elle n’est pas porteuse d’une critique, d’une tension, d’un projet véritablement révolutionnaire. Toute doctrine, toute théorie sociale ne peut être praxis sans articulation théorico-stratégique.

Jean Picard

Pour mieux situer et comprendre l’anarchosyndicalisme, on peut lire « Anarchosyndicalisme et autonomie populaire »

https://cnt-ait.info/2023/06/12/autonomie-populaire/

LA NEF DES FOUS

par Théodore J. Kaczynski, Octobre 1999

Il était une fois un navire commandé par un capitaine et des seconds, Si vaniteux de leur habileté à la manoeuvre, si pleins d’hybris et tellement imbus d’eux-mêmes, qu’ils en devinrent fous. Ils mirent le cap au nord, naviguèrent si loin qu’ils rencontrèrent des icebergs et des morceaux de banquise, mais continuèrent de naviguer plein nord, dans des eaux de plus en plus périlleuses, dans le seul but de se procurer des occasions d’exploits maritimes toujours plus brillants.

Le bateau atteignant des latitudes de plus en plus élevées, les passagers et l’équipage étaient de moins en moins à l’aise. Ils commencèrent à se quereller et à se plaindre de leurs conditions de vie.

– Que le diable m’emporte, dit un matelot de deuxième classe, Si ce n’est le pire voyage que j’aie jamais fait. Le pont est luisant de glace. Quand je suis de vigie, le vent transperce ma veste comme un couteau ; chaque fois que je fais prendre un ris à la voile de misaine, il s’en faut vraiment de peu que je me gèle les doigts ; et pour cela, tout ce que je gagne, ce sont cinq misérables shillings par mois !

– Vous pensez que vous vous faites avoir ! dit une passagère, Moi, je n’arrive pas à fermer l’oeil de la nuit à cause du froid. Sur ce bateau, les dames n’ont pas autant de couvertures que les hommes. Ce n’est pas juste !

Un marin mexicain fit chorus :

– Chingado ! je ne gagne que la moitié du salaire d’un marin anglo-saxon. Pour tenir le coup avec ce climat, il nous faut une nourriture abondante et je n’ai pas ma part ; les anglo-saxons en reçoivent plus. Et le pire de tout, c’est que les officiers me donnent toujours les ordres en anglais au lieu de le faire en espagnol.

– j’ai plus de raisons de me plaindre que qui que ce soit, dit un marin indien. Si les Visages Pâles n’avaient pas volé la terre de mes ancêtres, je ne me serais jamais trouvé sur ce navire, ici, au milieu des icebergs et des vents arctiques. Je serais simplement dans un canoë, en train de pagayer sur un joli lac paisible. Je mérite un dédommagement. Pour le moins, le capitaine devrait me laisser organiser des parties de dés, afin que je puisse me faire un peu d’argent.

Le maître d’équipage dit ce qu’il avait à dire, sans mâcher ses mots :

– Hier, le premier second m’a traité de tapette parce que je suce des bites. J’ai le droit de sucer des bites sans que l’on me donne des surnoms pour autant.

– Les humains ne sont pas les seules créatures que l’on maltraite sur ce bateau, lança, la voix tremblante d’indignation, une passagère amie des animaux. La semaine dernière, j’ai vu le deuxième second donner à deux reprises des coups de pied au chien du navire !

L’un des passagers était professeur d’université. Tout en se tordant les mains, il s’exclama :

– Tout cela est affreux ! C’est immoral ! C’est du racisme, du sexisme, du spécisme, de l’homophobie et de l’exploitation de la classe ouvrière ! C’est de la discrimination ! Nous devons obtenir la justice sociale : un salaire égal pour le marin mexicain, des salaires plus élevés pour tous les marins, un dédommagement pour l’Indien, un nombre égal de couvertures pour les dames, la reconnaissance du droit à sucer des bites et plus de coups de pied au chien !

– Oui, oui ! crièrent les passagers. Oui, oui ! cria l’équipage. C’est de la discrimination ! Nous devons exiger nos droits !

Le mousse se racla la gorge :

– Hem. Vous avez tous de bonnes raisons de vous plaindre. Mais il me semble que ce qui est vraiment urgent c’est de virer de bord et de mettre le cap au sud, car Si nous continuons d’aller vers le nord, nous sommes sûrs de faire naufrage tôt ou tard, et alors vos salaires, vos couvertures et votre droit à sucer des bites ne vous serviront à rien, car nous serons tous noyés.

Mais personne ne lui prêta la moindre attention : ce n’était que le mousse.

De leur poste situé sur la dunette, le capitaine et les officiers avaient regardé et écouté cette scène. A présent, ils souriaient et se faisaient des clins d’oeil, puis, obéissant à un signe du capitaine, le troisième second descendit de la dunette. il se dirigea nonchalamment vers l’endroit où les passagers et l’équipage étaient rassemblés et se fraya un chemin parmi eux. Il prit un air très sérieux et parla en ces termes :

– Nous, les officiers, devons admettre que des choses vraiment inexcusables se sont passées sur ce navire. Nous n’avions pas compris à quel point la situation était mauvaise avant d’avoir entendu vos plaintes. Nous sommes des hommes de bonne volonté et entendons être justes avec vous. Mais – il faut bien le dire – le capitaine est plutôt conservateur et routinier, et il faudrait peut-être le pousser un petit peu pour qu’il se décide à des changements importants. Mon opinion personnelle est que si vous protestez énergiquement mais toujours de manière pacifique et sans violer aucun article du règlement de ce navire – cela secouerait l’inertie du capitaine et le forcerait à se pencher sur les problèmes dont vous vous plaignez à si juste titre.

Ceci ayant été dit, il retourna à la dunette. Comme il repartait, les passagers et l’équipage lui lancèrent des épithètes : – Modéré ! Réformiste ! Libéral hypocrite ! Valet du capitaine ! Ils firent pourtant ce qu’il avait dit. Ils se regroupèrent en masse devant la dunette, hurlèrent des insultes aux officiers et exigèrent leurs droits :

– Je veux un salaire supérieur et de meilleures conditions de travail dit le deuxième classe.

– Le même nombre de couvertures que les hommes, dit la passagère.

– J’exige de recevoir mes ordres en espagnol, dit le marin mexicain.

– J’exige le droit d’organiser des parties de dés, dit le marin indien.

– Je refuse d’être traité de tapette, dit le maître d’équipage.

– Qu’on ne donne plus de coups de pied au chien, dit l’amie des animaux.

– La révolution tout de suite ! s’écria le professeur.

Le capitaine et les officiers se réunirent et conférèrent pendant quelques minutes tout en se faisant des clins d’oeil, des signes de tête et des sourires. Puis le capitaine se rendit à l’avant de la dunette et, avec force démonstration de bienveillance, il annonça que le salaire du deuxième classe serait porté à six shillings par mois, que celui du Mexicain serait égal aux deux-tiers de celui d’un marin anglo-saxon et qu’on lui donnerait en espagnol l’ordre de faire prendre un ris à la voile de misaine, que les passagères recevraient une couverture supplémentaire, qu’on permettrait au marin indien d’organiser des parties de dés les samedis soirs, qu’on ne traiterait plus le maître d’équipage de tapette tant qu’il ferait ses pipes dans la plus stricte intimité, et que l’on ne donnerait plus de coups de pied au chien, sauf s’il faisait quelque-chose de vraiment vilain, comme voler de la nourriture dans la cuisine par exemple.

Les passagers et l’équipage célébrèrent ces concessions comme une grande victoire, mais le lendemain ils étaient de nouveau mécontents.

– Six shillings par mois, c’est un salaire de misère, et je me gèle toujours les doigts quand je fais prendre un ris à la voile de misaine ! grognait le deuxième classe.

– Je n’ai toujours pas le même salaire que les Anglo-saxons ni assez à manger pour ce climat, dit le marin mexicain.

– Nous, les femmes, n’avons toujours pas assez de couvertures pour nous tenir au chaud, dit la passagère.

Tous les autres membres de l’équipage et les passagers formulèrent des plaintes similaires, encouragés par le professeur.

Quand ils eurent terminé, le mousse prit la parole – cette fois plus fort, de manière à ce que les autres ne puissent plus l’ignorer aussi facilement.

– C’est vraiment terrible que l’on donne des coups de pied au chien parce qu’il a volé un peu de pain dans la cuisine, que les femmes n’aient pas autant de couvertures que les hommes, que le deuxième classe se gèle les doigts, et je ne vois pas pourquoi le maître d’équipage ne pourrait pas sucer des bites s’il en a envie. Mais regardez comme les icebergs sont gros à présent et comme le vent souffle de plus en plus fort. Nous devons virer de bord et mettre le cap au sud, car Si nous continuons vers le nord nous allons faire naufrage et nous noyer.

– Oh oui, dit le maître d’équipage, il est tout à fait affreux de continuer vers le nord. Mais pourquoi devrais-je rester confiné dans les toilettes pour sucer des bites ? Pourquoi devrais-je être traité de tapette ? Ne suis-je pas aussi bien que n’importe qui ?

– Naviguer vers le nord est terrible, dit la passagère, Mais ne voyez-vous pas que c’est exactement la raison pour laquelle les femmes ont besoin de davantage de couvertures afin de se maintenir au chaud ? J’exige le même nombre de couverture pour les femmes, immédiatement !

– C’est tout à fait vrai, dit le professeur, que naviguer vers le nord nous impose à tous de grandes épreuves. Mais il ne serait pas réaliste de changer de route pour aller au sud. On ne peut pas remonter le cours du temps. Nous devons trouver un moyen raisonnable de gérer la situation.

– Ecoutez, dit le mousse, Si nous laissons les quatre fous de la dunette agir à leur guise, nous allons tous nous noyer. Si jamais nous mettons le navire hors de danger, alors nous pourrons nous inquiéter des conditions de travail, des couvertures pour les femmes et du droit à sucer des bites. Mais nous devons commencer par virer de bord. Si quelques-uns d’entre nous se réunissent, élaborent un plan et font preuve d’un peu de courage, nous pourrons nous sauver. Nous n’aurions pas besoin d’être nombreux six ou huit, cela suffirait. Nous pourrions lancer une charge contre la dunette, balancer ces fous par-dessus bord et tourner la barre du navire vers le sud.

Le professeur releva le nez et dit d’un ton sévère :

– Je ne crois pas à la violence, c’est immoral.

– il n’est jamais éthique d’utiliser la violence, dit le maître d’équipage.

– La violence me terrifie, dit la passagère.

Le capitaine et les officiers avaient regardé et écouté toute la scène. A un signe du capitaine le troisième second descendit sur le pont. il circula parmi les passagers et l’équipage en leur disant qu’il restait beaucoup de problèmes sur le navire.

– Nous avons fait beaucoup de progrès, dit-il, mais il reste beaucoup à faire. Les conditions de travail du deuxième classe restent dures, le Mexicain n’a toujours pas le même salaire que les anglo-saxons, les femmes n’ont pas encore autant de couvertures que les hommes, les parties de dés du samedi soir de l’indien sont un dédommagement dérisoire par rapport à la perte de ses terres, il n’est pas juste que le maître d’équipage doive rester confiné dans les toilettes pour sucer des bites, et le chien continue de recevoir des coups de pieds de temps en temps. Je pense que le capitaine a encore besoin qu’on le pousse. il serait utile que vous organisiez tous une autre manifestation – pourvu qu’elle reste non-violente.

Comme il retournait à la poupe, les passager et l’équipage lui lancèrent des insultes, mais ils firent néanmoins ce qu’il avait dit et se réunirent en face de la dunette pour une autre manifestation. ils fulminèrent, s’emportèrent, montrèrent les poings et lancèrent même un ouf pourri sur le capitaine (qui l’évita habilement).

Après avoir écouté leurs plaintes, le capitaine et les officiers se réunirent pour une conférence où ils se firent des clins d’oeil et de larges sourires. Puis le capitaine alla à l’avant de la dunette et annonça qu’on allait donner des gants au deuxième classe afin qu’il ait les doigts au chaud, que le marin mexicain allait recevoir un salaire égal aux trois-quarts de celui des anglo-saxons, que les femmes allaient recevoir une autre couverture, que le marin indien allait pouvoir organiser des parties de dés tous les samedi et dimanche soirs, qu’on allait permettre au maître d’équipage de sucer des bites en public dès la tombée de la nuit, et que personne ne pourrait donner des coups de pied au chien sans une permission spéciale du capitaine.

Les passagers et l’équipage s’extasièrent devant cette grande victoire révolutionnaire, mais dès le lendemain matin, ils étaient de nouveau mécontents et commencèrent à maugréer toujours à propos des mêmes problèmes. Cette fois le mousse se mit en colère :

– Bande d’imbéciles ! cria-t-il, Vous ne voyez pas ce que le capitaine et les officiers sont en train de faire ? Ils vous occupent l’esprit avec vos réclamations dérisoires – les couvertures, les salaires, les coups de pied au chien, etc. – et ainsi vous ne réfléchissez pas à ce qui ne va vraiment pas sur ce navire : il fonce toujours plus vers le nord et nous allons tous sombrer. Si seulement quelques-uns d’entre vous revenaient à la raison, se réunissaient et attaquaient la dunette, nous pourrions virer de bord et sauver nos vies. Mais vous ne faites rien d’autre que de geindre à propos de petits problèmes mesquins, comme les conditions de travail, les parties de dés et le droit de sucer des bites.

Ces propos révoltèrent les passagers et l’équipage.

– Mesquin !! s’exclama le Mexicain, Vous trouvez raisonnable que je ne reçoive que les trois-quarts du salaire d’un marin anglo-saxon ? Ça, c’est mesquin ?!

– Comment pouvez-vous qualifier mes griefs de dérisoires ? s’écria le maître d’équipage, Vous ne savez pas à quel point c’est humiliant d’être traité de tapette ?

– Donner des coups de pied au chien n’est pas un « petit problème mesquin » ! hurla l’amie des animaux, c’est un acte insensible, cruel et brutal !

– Bon, d’accord, répondit le mousse, Ces problèmes ne sont ni mesquins, ni dérisoires. Donner des coups de pied au chien est un acte cruel et brutal, et se faire traiter de tapette est humiliant. Mais comparées à notre vrai problème

– le fait que le navire continue vers le nord – vos réclamations sont mineures et insignifiantes, parce que Si nous ne virons pas bientôt de bord, nous allons tous sombrer avec le navire.

– Fasciste ! dit le professeur.

– Contre-révolutionnaire ! s’écria la passagère.

Et l’un après l’autre, tous les passagers et membres de l’équipage firent chorus, traitant le mousse de fasciste et de contre-révolutionnaire. ils le repoussèrent et se remirent à maugréer à propos des salaires, des couvertures à donner aux femmes, du droit de sucer des bites et de la manière dont on traitait le chien.

Le navire continua sa route vers le nord, au bout d’un moment il fut broyé entre deux icebergs. Tout le monde se noya.

Fin.

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« Le mouvement éco-anarchiste détruit les révolutionnaires potentiels » (par Theodore Kaczynski, 2000~)

Extrait d’une traduction d’un texte du mathématicien Theodore Kaczynski qui date du début des années 2000. Il répond dans cette lettre aux questions d’une anarchiste turque, une dénommée Kara. Kaczynski y explique pourquoi il est passé à l’acte et aborde plusieurs thèmes : technologie, civilisation, violence, éco-anarchisme, société primitive, etc. Sur la base de nombreuses références, il démolit la vision idéalisée des peuples primitifs qui les présente comme parfaitement égalitaires, non violents, respectueux envers les animaux, etc. Il s’attaque à ce qu’il appelle le « Mouvement Anarchiste Vert » qui prône les mêmes valeurs que le système techno-industriel, ce qui risquerait selon lui d’anéantir l’effort de guerre pour mener à bien la Révolution Anti-Tech. Pour Kazcinski, que des gens en soient encore à gaspiller de la salive, du temps et de l’énergie sur des sujets secondaires alors que le système technologique pourrait provoquer l’extinction de l’espèce humaine et détruire la biosphère, transformant ainsi la Terre en une nouvelle Mars ou une nouvelle Vénus, montre à quel point la nuisance progressiste gangrène les esprits.

Anarchisme Vert

Kara : Comment vois-tu les anarchistes, les anarchistes verts, les anarcho-primitivistes ? Es-tu d’accord avec eux ? Comment vois-tu le végétarisme/végétalisme ? Que penses-tu du refus de manger et d’utiliser des animaux ? Que penses-tu de la libération des animaux/de la terre ? Que penses-tu de groupes tels que Earth First !, Earth Liberation Front et Gardening Guerillas ?

Tous les groupes que tu mentionnes ici font partie d’un seul et même mouvement. (Appelons-le Mouvement Anarchiste Vert (AV)). Bien sûr, ces gens ont raison dans la mesure où ils s’opposent à la civilisation et à la technologie sur laquelle elle est fondée. Mais, en raison de la forme sous laquelle ce mouvement se développe, il peut en fait contribuer à protéger le système techno-industriel et servir d’obstacle à la révolution. Je m’explique :

Il est difficile de supprimer la rébellion directement. Lorsque la rébellion est réprimée par la force, elle éclate très souvent à nouveau plus tard sous une nouvelle forme que les autorités ont plus de mal à contrôler. En 1878, le Reichstag allemand a par exemple promulgué des lois sévères et répressives contre le mouvement social-démocrate, ce qui a eu pour effet d’écraser le mouvement et de semer la confusion, de disperser et décourager ses membres. Mais seulement pour une courte période. Le mouvement s’est rapidement ressaisi, est devenu plus énergique et trouva de nouveaux moyens de diffuser ses idées, de sorte qu’en 1884, il est plus fort que jamais. G. A. Zimmermann, Das Neunzehnte Jahrhundert : Geshichtlicher und kulturhistorischer Rückblick, Druck und Verlag von Geo. Brumder, Milwaukee, 1902, page 23.

Ainsi, les observateurs avisés des affaires humaines savent que les classes puissantes d’une société peuvent se défendre le plus efficacement contre la rébellion en n’utilisant la force et la répression directe que dans une mesure limitée, et en s’appuyant principalement sur la manipulation pour détourner la rébellion. L’un des dispositifs les plus efficaces utilisés consiste à fournir des canaux par lesquels les impulsions rebelles peuvent s’exprimer de manière inoffensive pour le système. Par exemple, il est bien connu qu’en Union soviétique, le magazine satirique Krokodil fût conçu pour offrir un exutoire aux plaintes et au ressentiment à l’égard des autorités d’une manière qui ne conduirait personne à remettre en question la légitimité du système soviétique ou à se rebeller sérieusement contre lui.

Mais le système « démocratique » de l’Occident a développé des mécanismes pour détourner la rébellion beaucoup plus sophistiqués et efficaces que ceux qui existaient en Union soviétique. Il est vraiment remarquable que, dans la société occidentale moderne, les gens se « rebellent » en faveur des valeurs du système même contre lequel ils s’imaginent se rebeller. La gauche se « rebelle » en faveur de l’égalité raciale et religieuse, de l’égalité des femmes et des homosexuels, du traitement humain des animaux, etc. Mais ce sont les valeurs que les médias de masse américains nous enseignent encore et encore chaque jour. Les gauchistes ont subi un tel lavage de cerveau par la propagande médiatique qu’ils ne sont capables de se « rebeller » qu’en fonction de ces valeurs, qui sont les valeurs du système techno-industriel lui-même. De cette façon, le système a réussi à détourner les impulsions rebelles de la gauche vers des canaux inoffensifs pour le système.

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Mais il est évident que les raisons pour lesquelles la vie primitive était meilleure que la vie civilisée n’avaient rien à voir avec l’égalité des sexes, la gentillesse envers les animaux, l’absence de compétition ou la non-violence. Ces valeurs sont les valeurs ramollies de la civilisation moderne. En projetant ces valeurs sur les sociétés de chasse et de cueillette, le mouvement éco-anarchiste a créé le mythe d’une utopie primitive qui n’a en réalité jamais existé.

Anarchisme Vert et révolution

Ainsi, même si le mouvement Anarchiste Vert (AV) prétend rejeter la civilisation et la modernité, il reste asservi à certaines des valeurs les plus importantes de la société moderne. Pour cette raison, le mouvement AV ne peut pas être un mouvement révolutionnaire efficace.

En premier lieu, une partie de l’énergie du mouvement AV est détournée du véritable objectif révolutionnaire – éliminer la technologie moderne et la civilisation en général – en faveur de questions pseudo-révolutionnaires (racisme, sexisme, droits des animaux, droits des homosexuels, et ainsi de suite).

En second lieu, à cause de son engagement dans ces questions pseudo-révolutionnaires, le mouvement AV pourrait attirer trop de gauchistes – des gens qui sont moins intéressés par l’élimination de la civilisation moderne que par les questions gauchistes de racisme, de sexisme, etc. Cela entraînerait une nouvelle déviation de l’énergie du mouvement au détriment des questions de la technologie et de la civilisation.

En troisième lieu, l’objectif de garantir les droits des femmes, des homosexuels, des animaux, etc., est incompatible avec l’objectif d’éliminer la civilisation, car les femmes et les homosexuels dans les sociétés primitives n’ont souvent pas l’égalité, et ces sociétés sont généralement cruelles envers les animaux. Si l’objectif est de garantir les droits de ces groupes, la meilleure politique est de s’en tenir à la civilisation moderne.

En quatrième lieu, l’adoption par le mouvement AV de nombreuses valeurs progressistes de la civilisation moderne, ainsi que son mythe d’une utopie primitive progressiste, attire trop de personnes ramollies et idéalistes, des incapables et des paresseux plus enclins à se réfugier dans des fantasmes utopiques qu’à prendre des mesures efficaces et réalistes pour se débarrasser du système techno-industriel.

En fait, il existe un grave danger que le mouvement AV prenne la même voie que le christianisme. À l’origine, sous la direction personnelle de Jésus-Christ, le christianisme n’était pas seulement un mouvement religieux, mais aussi un mouvement de révolution sociale. En tant que mouvement purement religieux, le christianisme s’est avéré être un succès, mais en tant que mouvement révolutionnaire, il a été un échec total. Il n’a rien fait pour corriger les inégalités sociales de son époque et, dès que les chrétiens ont eu l’occasion de conclure un accord avec l’empereur Constantin, ils se sont vendus et ont intégré la structure de pouvoir de l’Empire romain.

Il semble y avoir des ressemblances troublantes entre la psychologie du mouvement AV et celle du christianisme primitif. Les analogies entre les deux mouvements sont frappantes : l’utopie primitive = le Jardin d’Eden ; le développement de la civilisation = la Chute, le péché originel, le fait de manger la pomme de l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal ; la Révolution = le Jour du Jugement ; le retour à l’utopie primitive = l’arrivée du Royaume de Dieu. Le véganisme joue probablement le même rôle psychologique que les restrictions alimentaires du christianisme (jeûne pendant le Carême) et d’autres religions. Les risques pris par les activistes en utilisant leur corps pour bloquer les engins forestiers et d’autres choses de ce genre peuvent être comparés au martyre des premiers chrétiens qui se sont sacrifiés pour leurs croyances (sauf que le martyre des chrétiens exigeait beaucoup plus de courage que les tactiques des activistes d’aujourd’hui). Si le mouvement AV prend le même chemin que le christianisme, il sera lui aussi un échec total en tant que mouvement révolutionnaire.

Le Mouvement AV peut être non seulement inutile, mais pire qu’inutile, car il peut être un obstacle au développement d’un mouvement révolutionnaire efficace. Puisque l’opposition à la technologie et à la civilisation est une partie importante du programme du mouvement AV, les jeunes qui sont préoccupés par ce que la civilisation technologique fait au monde sont attirés par ce mouvement. Certes, tous ces jeunes ne sont pas des gauchistes ou des gens mous, rêveurs et inefficaces ; certains d’entre eux ont le potentiel pour devenir de véritables révolutionnaires. Mais dans le mouvement AV, ils sont moins nombreux que les gauchistes et autres personnes inutiles. Ils finissent donc par être neutralisés et corrompus, et leur potentiel révolutionnaire est gaspillé. En ce sens, on peut dire que le mouvement AV détruit les révolutionnaires potentiels.

Il sera nécessaire de construire un nouveau mouvement révolutionnaire qui se tiendra strictement séparé du mouvement AV et de ses valeurs progressistes et civilisées. Je ne veux pas dire qu’il y a quelque chose de mal avec l’égalité des sexes, la gentillesse envers les animaux, la tolérance de l’homosexualité, etc. Mais ces valeurs n’ont aucun rapport avec l’effort visant à éliminer la civilisation technologique. Ce ne sont pas des valeurs révolutionnaires. Un mouvement révolutionnaire efficace devra adopter à la place les valeurs inflexibles des sociétés primitives, telles que l’habileté, l’autodiscipline, l’honnêteté, l’endurance physique et mentale, l’intolérance aux contraintes imposées de l’extérieur, la capacité à supporter la douleur physique et, par-dessus tout, le courage.

P.S. Les lettres qui me sont adressées ne me parviennent pas toujours. Si tu m’écris et que tu ne reçois pas de réponse, c’est que je n’ai probablement pas reçu ta lettre. – TJK

Cordialement,

Ted Kaczynski

7 commentaires sur Ted Kaczynski n’était pas anarchiste [BROCHURE]

  1. Bonjour. J’invite chacun à lire le manifeste d’Unabomber alias Ted Kaczynski : « Manifeste : l’avenir de la société industrielle ». (J’ai en ma possession la traduction publiée aux Editions du Rocher de 1996. J’ignore si c’est une bonne traduction ou non) et à se faire une idée personnelle de cet écrit. Peut-être que TK ne peut pas être classé parmi les anarchistes (tout au moins selon la définition que nous nous en donnons) mais de là à en faire un fasciste ou un nazi, je pense que cela est exagéré. Aucun des propos de TD dans son livre (Je viens d’en refaire une lecture rapide et j’ai peut-être manqué une phrase clef) ne me semble témoigner explicitement d’une ferveur pour Hitler, Mussolini, le fascisme, le nazisme ou d’autres « phénomènes » de cet acabit. Lui a-t-on connu d’ailleurs des liens avec les mouvements néo-nazis et racistes américains ? En toute sympathie. Frédéric

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